» Toi, tu vas finir sous un pont « 

Parti à 15 ans à la Lazio, notre compatriote était jusqu’ici un adepte du silenzio stampa. Seules des rumeurs et quelques échos nous étaient parvenus pour tenter de décrypter le personnage. Mais rien ne vaut la version originale…

Le rendez-vous est pris à une vingtaine de kilomètres au nord de Rome, à quelques encablures de la mer et non loin de l’aéroport international de Ciampino. Pour être honnête, on s’attend à tomber dans une banlieue chic où s’entassent les villas pour footballeurs. Eh bien, pas du tout, le quartier n’a rien de luxueux, on s’engouffre plutôt dans un petit village quelque peu cabossé. A notre arrivée, deux Smart sont garées juste devant le portique de la maison. Les portes s’ouvrent, Tyson observe les allées et venues. Si ce Cane Corso (chien de garde italien) n’a que six mois, mieux vaut éviter de jouer les marioles. Quelques minutes après notre arrivée, Cavanda sort de sa sieste, descend les escaliers et nous rejoint.

La veille la Lazio Rome s’était rendue à Gênes pour affronter la Genoa. Le retour maison affichait 3 h du mat alors qu’un décrassage était prévu le  » lendemain  » à 10 h. Mais notre Belgo-Angolo-Congolais (père angolais-mère congolaise) semble décidé à s’ouvrir pour une première fois à la presse belge. On ne sait pas grand-chose de lui hormis des rumeurs d’un passé dit sulfureux ou d’une enfance à Verviers où il a grandi les échelons en compagnie de son pote, Paul-José Mpoku, de Cornesse au Standard en passant par Rechain. L’occasion était belle d’enfin mettre les choses au point.

Tu es conscient du fait qu’on te connaît assez mal en Belgique ?

Oui et ceux qui ont entendu parler de moi ont généralement une mauvaise image de moi.

A quoi est due cette mauvaise image ?

A mon passage en Espoirs, à ma période au Standard. Et ça m’a poursuivi jusqu’à Rome. A chaque erreur de ma part, on ressassait ce passé. On dirait que ça me poursuit encore vu ce que Marc Wilmots a déclaré dans les journaux (ndlr, Cavanda, c’est non pour des raisons de comportement)

Que s’est-il passé chez les Espoirs belges ?

C’était en octobre 2012, on venait de jouer un match en Israël. Avec Michy Batshuay, je poireautais à l’aéroport de Tel-Aviv dans l’attente de prendre notre vol. L’organisation n’était pas bonne. Un des dirigeants de la fédé nous a crié dessus comme un chien en disant qu’on devait se taire et se mettre dans la file. Ça ne m’a pas plu, je lui ai répondu que ça ne servait à rien de se mettre dans la file puisqu’on était quand même bloqué, lui comme nous. Et à cause de cet incident, j’ai été évincé de la sélection Espoir.

 » Sept claques de Monsieur Dessy  »

Et au Standard ?

J’étais avec des copains, dont Thomas Meunier, de l’internat. Un jour, en voyant les policiers, on s’est mis à leur balancer  » poulet, poulet « , des petites blagues de ce style, rien de bien méchant. Quand le Standard a été mis au courant, le seul qui a pris pour les autres ce fut moi. Christophe Dessy (ndlr, directeur de l’Académie Robert-Louis Dreyfus) m’a clairement dit que j’aurais une punition pour ce que j’avais fait. Un jour, j’entre dans le vestiaire et je prends sept claques de Monsieur Dessy, sept tartes. Quand j’en ai parlé à ma famille, ils ont voulu réagir et Monsieur Dessy m’a exclu du club. Par après, j’ai eu une réunion avec le président, Luciano D’Onofrio, qui devait arranger les choses. Mais l’été d’après, je n’ai jamais reçu de convocation du club, j’ai compris alors que je n’avais plus d’avenir au Standard. J’ai dû trouver un autre club et j’ai eu la chance de tomber sur la Lazio. Par après, j’ai revu Monsieur Dessy qui s’est même excusé. De toute façon, j’avais tourné la page. Et puis, ce qui m’est arrivé est peut-être un mal pour un bien. Si j’étais resté au Standard, je n’aurais peut-être pas percé.

Comment la Lazio est-elle entrée en contact avec toi ?

J’étais au foot-élite sous l’égide de Daniel Boccar qui m’a présenté à un agent italien. A mon arrivée à la Lazio, j’ai reçu une lettre du Standard qui voulait me récupérer d’autant que Monsieur Dessy s’était fait virer. Le Standard ne m’autorisait plus à me laisser partir… Je me suis donc inscrit à l’école, ici à Rome, pendant six mois, ce qui rendait mon transfert obligatoire. J’avais alors 15 ans.

Peux-tu résumer ton parcours depuis ton arrivée en Italie ?

J’ai effectué deux ans chez les jeunes de la Lazio puis deux ans en primavera, j’ai ensuite intégré les pros où j’ai commencé à jouer quelque peu jusqu’à ce fameux match contre la Juventus où l’on m’a rendu responsable du but de Krasic à la 94e minute. Je suis ensuite parti à Torino en prêt pendant six mois où je n’ai pas beaucoup joué. Je suis revenu pour six mois avant d’être à nouveau prêté à Bari pour six nouveaux mois. Quand je suis revenu, j’ai joué plus de 20 matches avec l’équipe première de la Lazio. Tout allait bien jusqu’à ce que je refuse de signer la prolongation de contrat que l’on me proposait. Comme sanction, je me suis retrouvé plusieurs mois sans jouer. A cette époque, alors que j’étais écarté, je recevais des pré-convocations de la part de Wilmots. Je n’ai pas compris sa réponse par après dans la presse. Pourquoi m’envoyer des présélections si l’on juge ma mentalité mauvaise ?

Cette saison, tu étais à nouveau titulaire jusqu’en janvier…

J’ai resigné cet été, j’ai réalisé un très bon début de saison jusqu’à ce que notre coach, Vladimir Petkovic, soit viré et remplacé au début de l’année par Edorado Reja que j’avais déjà connu à la Lazio de février 2010 à juin 2012. Aujourd’hui, je joue beaucoup moins mais c’est comme ça, c’est le foot…

Ta jeune carrière est jalonnée de hauts et de bas. Comment l’expliques-tu ?

J’ai souvent été dans une sorte d’impasse mais j’ai toujours su m’en sortir. Et comme je le disais précédemment, l’étiquette du gars à problèmes ne m’a pas aidé. A chaque fois qu’il y avait un accrochage, on ressortait les vieux dossiers. Heureusement, cette étiquette se décolle au fil du temps même si j’en paie encore les conséquences au niveau de l’équipe nationale.

Tu reconnais être quelqu’un de difficile ?

J’ai mon caractère mais de là à être un mauvais garçon, je ne le pense pas. Et si c’était le cas je n’évoluerais pas à la Lazio depuis autant de temps.

 » Je logeais chez les prêtres  »

Comment se déroulent tes premières années à la Lazio ?

A mon arrivée, j’ai signé une sorte de contrat semi-pro. La première année, je logeais à l’hôtel, ensuite moi et d’autres jeunes du club, on s’est retrouvé dans un couvent ; moi chez les prêtres alors que d’autres logeaient chez les soeurs. Ce n’était pas spécialement facile au début. Je ne connaissais pas l’italien – que je n’ai maîtrisé qu’après un an et demi – je n’avais pas de voiture, je me rendais à l’entraînement en bus public avec des horaires qui pouvaient varier d’un jour à l’autre. C’était un peu la débrouille.

C’était difficile pour toi ?

Non, car je suis quelqu’un qui s’intègre très vite. Je n’ai jamais eu de problèmes d’adaptation d’autant que quelqu’un qui est bon a plus facile qu’un autre. Ils ont vu au club que j’avais des qualités et m’ont pris très vite en considération, ce qui a accéléré le processus. Et puis j’avais cette volonté de réussir.

Quand signes-tu ton premier contrat pro ?

A la fin de ma quatrième année, j’avais 19 ans.

Et la belle vie qui commence ?

Un peu, oui. Je pars en stage avec l’équipe A, tout est nouveau pour moi. Je deviens le petit qui doit la boucler. J’étais entouré de joueurs comme Zarate, Rocchi, Pandev, Kolarov, il y avait du beau monde. Le fait que je parle français et italien m’a permis de m’intégrer plus facilement.

Qu’est-ce que tu retiens de tes débuts ?

Mon premier match titulaire face au Milan de Seedorf, Ronaldinho, Robinho. Tous des joueurs dont je matais les vidéos sur youtube. C’était une sensation très spéciale. C’est un peu le match qui m’a lancé.

Tu es fier de ce que tu as réalisé jusqu’à présent ?

Oui. Surtout quand je pense aux dirigeants, aux coaches qui me rabaissaient, qui ne croyaient pas en moi. Toi, tu vas finir sous un pont. Je l’ai entendue, cette phrase. Quand j’ai joué le match contre Milan, des personnes qui me haïssaient, m’ont félicité après la rencontre. C’était une forme de revanche sur le passé. J’ai réussi à changer la vision de certaines personnes. Ce n’était pas mon but ultime mais ça en faisait partie.

 » Si je suis là, ce n’est pas pour rien  »

Quelles sont tes principales qualités ?

Je suis rapide et capable d’enchaîner les efforts sur mon flanc, j’ai plusieurs poumons comme on dit. Je suis un latéral assez offensif.

Vu le problème que les Diables connaissent au poste de latéral, tu es surpris de n’avoir jamais été sélectionné ?

Oui. En Italie, je dois être le joueur le plus jeune à jouer à cette position et à avoir joué autant de matches en Série A. C’est un grand championnat, très compliqué pour les jeunes, d’autant que la concurrence est grande dans des clubs comme la Lazio. Le fait d’avoir côtoyé Djibril Cissé ou aujourd’hui Miroslav Klose, des joueurs que je regardais à la télé, ça veut dire que j’ai avancé dans la vie.

Etais-tu intimidé par quelqu’un comme Djibril Cissé quand il débarquait dans un vestiaire ?

Non, pas du tout. Je me disais que si je me retrouvais dans le même vestiaire que lui, c’est que ce n’était pas pour rien, que j’avais aussi des qualités.

Quels sont les conseils que de grands joueurs t’ont apportés à tes débuts ?

On me disait souvent :- Luis, tu ne te rends pas compte de tes qualités. Je ne percutais pas jusqu’au jour où je me suis retrouvé en Serie B à Bari et me suis dit :  » Qu’est-ce que je fous là ? « . Il y a un déclic qui s’est opéré et je suis retourné à la Lazio où j’ai commencé à jouer. Aujourd’hui, j’ai conscience de mes qualités.

Tu reconnais avoir fait pas mal d’erreurs ?

Bien sûr. J’avais tendance à donner mon avis trop ouvertement. Quand je n’étais pas d’accord, je le disais, alors que par moments, j’aurais mieux fait de me taire. Ça a toujours fait partie de mon caractère mais j’ai gagné en maturité. Quand il y a un problème, je préfère en discuter en privé désormais que de parler du tac au tac.

 » Quand tu sors à Rome, c’est la guerre  »

Vivre à Rome, c’est comment ?

Ça fait huit ans que je suis ici, donc je connais bien la ville. J’ai habité longtemps dans un appartement du côté de Flemming dans le centre de Rome. J’ai déménagé au début de cette saison ici car je voulais être au calme. J’ai aussi eu la chance de pouvoir compter sur ma famille et mes amis qui viennent régulièrement me voir et chaque fois que j’en ai l’occasion, je retourne en Belgique. Ça me fait du bien car Rome, c’est une ville avec beaucoup de pression, de la part des gens mais surtout des médias. Quand tu sors à Rome, c’est la guerre. A Milan, les gens sont respectueux, ils ne t’agressent pas pour te demander un autographe. Ici, c’est très différent.

As-tu déjà rencontré des problèmes avec les supporters de l’AS Rome ?

Je n’en croise pas beaucoup, heureusement. De toute façon, tu n’es pas de leur club, donc ils t’ignorent, tu ne comptes pas pour eux. Par contre les supporters de la Lazio n’hésitent pas à te dire ce qu’ils pensent.

C’est parfois pesant ?

Parfois c’est lourd, mais j’ai appris à laisser couler…

Et puis, il y a le derby romain. Comment on vit une telle rencontre ?

C’est Le match à ne pas perdre. Dès le stage de présaison, les supporters nous parlent que du derby. J’ai une fois demandé à des supporters ce qu’ils préféraient : gagner le championnat ou le derby. Plusieurs m’ont répondu le derby. Ça veut tout dire.

On stigmatise souvent le public de la Lazio pour ses manifestations racistes ? En as-tu été victime ?

Non, jamais. Il faut savoir que les cris de singe, ça ne concerne pas que le public de la Lazio mais d’autres stades en Italie. Je crois davantage que ce sont des ignorants que de vrais racistes qui poussent des cris de singe. C’est une forme de provocation très bête.

On entend aussi souvent qu’en Italie, les groupes ultras mettent beaucoup de pression sur les joueurs en les menaçant, en s’introduisant au camp d’entraînement, etc.

Là aussi, ce sont les médias qui grossissent le truc. De toute façon, moi j’aime cette pression que nous procurent les supporters et même la presse.

Une certaine presse italienne qui t’a présenté à tes débuts comme le joueur bling-bling avec sa grosse voiture…

C’est n’importe quoi ! Au début, je ne préférais pas répondre à ce type de provocation. On disait que j’arrivais avec une grosse voiture, que je voulais imiter Djibril Cissé mais je me demande bien quand j’ai pu débarquer à l’entraînement avec une grosse caisse ? Au départ, j’avais une BMW Série 1, aujourd’hui une Smart. On peut pas vraiment parler de grosse voiture. Ou peut-être qu’ils ont mal vu, je ne sais pas…. Mais la source de tout ça vient de ce qui s’est passé en Belgique. A mon arrivée, les médias italiens ont voulu me coller une mauvaise image.

 » Les critiquent me touchent aujourd’hui  »

Pourquoi as-tu toujours refusé de répondre à la presse belge ?

J’estimais que ce n’était pas le moment, que je n’avais pas disputé assez de matches pour avoir une légitimité. Aujourd’hui, c’est différent. Et si je n’avais jamais donné d’interviews, c’est aussi parce que les critiques ne me touchaient pas. Aujourd’hui, elles me touchent. On me prend pour un fou alors que peu de gens me connaissent vraiment.

Comment as-tu réagi quand Marc Wilmots a déclaré que tu n’entrais pas en ligne de compte à cause d’un problème de mentalité ?

J’ai directement pensé à Walem et je l’ai appelé. Il disait qu’il ne comprenait pas cette déclaration, d’autant que le différend avec moi était réglé.

Comment vois-tu ton avenir ?

Je suis loin de mon sommet. Je ne compte pas m’arrêter là.

Des rumeurs évoquent un intérêt d’Arsenal notamment ?

Sur ce sujet, je ne préfère pas m’exprimer. Je laisse ce type de dossier à mon agent.

Tu as déjà été appelé par la sélection angolaise ?

Oui mais ma priorité va à la Belgique. Mais si je me rends compte que mon avenir chez les Diables est bouché, il se pourrait bien que je rejoigne la sélection angolaise. J’ai déjà joué pour la sélection congolaise avec les -18 au Luxembourg. A cette époque, je jouais également pour les sélections belges chez les jeunes. La Lazio m’a alors demandé de choisir entre les deux pays car je ratais trop d’entraînements et j’ai choisi la Belgique.

Tu penses pouvoir apporter quelque chose à l’équipe nationale belge ?

Je suis convaincu que je pourrais apporter quelque chose à l’équipe nationale. Je dois d’abord retrouver ma place de titulaire, c’est vrai, mais j’ai déjà acquis une certaine expérience et pas contre n’importe qui. J’ai eu comme opposant direct Gareth Bale, Ronaldinho, Giuseppe Rossi, que des internationaux et à chaque fois ça s’est bien passé. Quand j’ai joué contre Tottenham l’an dernier, j’ai parlé avec Moussa Dembélé et Jan Vertonghen après le match qui me disaient qu’il manquait un mec comme moi chez les Diables. Après, qui sait, Marc Wilmots n’a pas encore donné sa liste définitive…

Tu y crois encore pour le Brésil, alors que ton nom n’est jamais cité ?

Tant que le coach n’a pas rendu sa liste, tout le monde est susceptible d’être appelé. Il peut encore se passer pas mal de choses. Et puis, si je ne suis pas repris, c’est pas grave, je bosserai et j’essayerai d’être repris pour la prochaine compétition.

PAR THOMAS BRICMONT À ROME – PHOTOS: BELGAIMAGE/DE LUCA

 » Pourquoi m’envoyer des présélections chez les Diables si l’on juge ma mentalité mauvaise ?  »

 » Je dois être le plus jeune à jouer latéral et à avoir disputé autant de matches en Série A.  »

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