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To be or not Tubize

Alors que la D1 Amateur reprend ses droits ce week-end, elle compte dans ses rangs un nouvel arrivant : l’AFC Tubize. Repris en 2014 par les Sud-Coréens de Sportizen, les Sang et Or agonisent depuis plusieurs saisons, dix ans après leur dernier match en D1. Autopsie d’une petite mort.

« Tubize ou tu te fais bizer, c’est la vie.  » Il y a du génie dans l’intervention de cet internaute, le 26 juillet. Mais plus qu’une inspiration comique, le tweet en question répond à un autre, symbole d’un malaise plus profond.  » Cinq mois qu’on n’a pas été payés… Merci l’AFC Tubize « , balance Hugo Vidémont sur le réseau au petit oiseau bleu.  » Il fallait que je fasse quelque chose, pas le choix « , ajoute après coup le désormais ex-Sang et Or, parti depuis à Vilnius, dans le but de conquérir ses rêves européens et surtout remplir un compte en banque en mal de liquidités.

Cela fait un moment que les pensionnaires du Stade Leburton stagnent au point mort. Les propriétaires coréens de Sportizen, sans doute vexés du manque de résultats de leur jouet belge, ont progressivement cessé d’investir dans l’entité du Brabant wallon. Résultat : après deux saisons très limites sur le plan sportif en D1B, Tubize recevra ce samedi Winkel Sport, dans le cadre de la première journée de D1 Amateur, dix ans après son dernier match parmi l’élite.

Du coup, la majorité des joueurs ont filé, laissant la place à des jeunes jetés dans la fosse aux lions, sans parler du staff, ni des employés du club, également concernés par des impayés. Parmi eux, ils sont même plusieurs à avoir intenté un recours en justice, afin de faire valoir leurs droits. Ambiance.

Tubize plutôt que Mons et le Brussels

Schéma classique. La mariée est belle, la dote promet, le discours se veut soyeux et l’union s’annonce fructueuse. En 2014, Sportizen cherche à convertir ses Won en pariant sur l’avenir et en achetant un club en Belgique, ce paradis pour investisseurs étrangers. L’agence de marketing et d’événementiel sportif sud-coréenne, reconnue dans les domaines du golf, du tennis, du ski ou de la Formule 1, mandate Josselin Croisé pour qu’il lui trouve bague à son doigt.

Croisé, trentenaire français originaire d’Aix-en-Provence, à la tête de World Players Placing, entre en contact avec Philippe Thys, ancien de l’OM, passé recruteur de Strasbourg et Monaco. Ami de longue date d’ Albert Cartier, Thys se rencarde auprès de l’ancien coach de La Louvière. Cartier couche trois noms qu’il connaît bien, pour s’être assis sur leur banc : le RAEC Mons, le Brussels et l’AFC Tubize.

 » Selon moi, il s’agissait là de trois clubs intéressants pour une reprise « , explique-t-il.  » Le Brussels avait un énorme potentiel populaire, Mons était très bien structuré et Tubize présentait d’autres caractéristiques. C’était un endroit sympathique, plutôt pépère, où on se sentait bien, même s’il manquait parfois d’enthousiasme, que le public y était plus clairsemé. Par contre, c’est clair que les Coréens pouvaient y travailler tranquille.  »

Bingo. Sportizen se focalise sur l’AFC, qui présente aussi l’avantage d’avoir formé le jeune Eden Hazard, deux ans durant, de manquer cruellement de billets verts et violets donc de pouvoir accueillir une offre à bras ouverts. Le Président, Raymond Langendries, bourgmestre cdH de la cité dortoir de 1995 à 2012, serre la main de Chankoo Shim à Séoul, début août 2014, et signe un accord qui le voit conserver 10% des parts de son fanion chéri.

Chankoo Shim, l'ombre jaune.
Chankoo Shim, l’ombre jaune.© BELGAIMAGE

Téléréalité au stade Leburton

Shim, le patron de la boîte repreneuse, fixe des objectifs élevés. En substance, retrouver la D1 dans les trois ans. Surtout, il faut s’assurer de finir dans les huit avant la réforme de 2016 relative au foot professionnel, mais également mettre en vitrine des talents venus d’Asie, et plus particulièrement de Corée du Sud.

Au départ, le plan se déroule sans accroc. Josselin Croisé prend le poste de directeur général et Abdelkarim Ali celui de directeur financier pour donner à Tubize des allures de Macronie. Les abonnements grimpent en flèche et le ticket annuel, entre 20 et 30 euros, revient à la modique somme de 1,56 euros la rencontre. Une aubaine qui autorise l’accès au spectacle que sont censés alimenter les cinq joueurs asiatiques – quatre Sud-Coréens et un Chinois – transférés dès la première saison, terminée à une encourageante huitième place.

Raymond Langendries, bourgmestre de Tubize, a vécu les belles heures du club.
Raymond Langendries, bourgmestre de Tubize, a vécu les belles heures du club.© BELGAIMAGE

Entre-temps, Dante Brogno est le premier à faire les frais des velléités d’expansion des Brabançons. Licencié en octobre 2014, sur trois ans et demi de bons et loyaux services, le feu  » meilleur crochet de Belgique  » paie la onzième place de ses ouailles. Un mois plus tôt, les Sang et Or enregistrent la venue d’un CV ronflant en la personne d’ Amara Diané.

Le sauveur d’un PSG sans paillettes, à qui il avait offert le maintien en 2008, s’arrange avec Sportizen pour parapher un contrat de six mois afin de garder la forme, rallier ensuite la Corée du Sud et terminer sa carrière en beauté. Après quatorze matches, trois pions, dont un ciseau victorieux claqué contre Geel, l’international ivoirien ne verra jamais le pays du matin calme et raccroche les crampons, au mois de février suivant.

Il se console peut-être devant sa petite lucarne. En août 2015, trois millions de curieux doivent se brancher sur KBS, la version asiatique de la BBC, pour visionner une téléréalité coréenne qui choisit Leburton pour scène principale. Le Cheong Chun FC, soit le  » FC Jeunesse « , offre une seconde chance à une vingtaine de doux rêveurs pendant plus de quarante jours.

Des joueurs coréens au niveau discutable

L’émission fait un four mais Raymond Langendries ne décourage pas.  » Sportizen est le bon partenaire. Chankoo Shim est un homme dont les valeurs de travail, de famille, d’efficacité sont très occidentales et correspondent aux miennes, à celles de Tubize « , prêche l’homme politique, dans les colonnes de L’Avenir.

Normal, sur le terrain, la vraie équipe des tubiziens se classe quatrième, si près de la montée, mais dans les clous pour rester parmi les vingt-quatre entités professionnelles prévues par la réforme.

 » Je suis arrivé, le club était relégable « , démarre Régis Brouard, qui débarque de Niort en août 2016 pour remplacer Thierry Goudet, viré après deux mois, trois matches et un point sur neuf.  » La politique des Coréens ne me dérangeait pas, c’était normal qu’ils veuillent faire progresser des talents de chez eux. Je n’ai jamais reçu de pression pour les faire jouer, mais le vrai problème, c’est que leur niveau était très discutable.  »

Au total, Sportizen amène sept joueurs. Seul Jae-Gun Lee, arrivé à 19 printemps et retourné au bled cet été, preste convenablement. Brouard rate de peu le top 4 et n’y survit pas. Mi-avril 2017, il prend la porte à deux journées de la fin et quarante-huit heures d’une importante réception d’OHL. Sur ordre des propriétaires.

 » Je n’avais pratiquement aucun rapport avec eux. Ma seule relation, c’était avec Josselin Croisé « , regrette l’ex-Chamois niortais, qui observe, de loin, l’AFC remporter malgré tout les play-downs.

Interdiction de transferts

En vérité, la romance bat de l’aile et Shim commence à se désintéresser de son pied-à-terre. La réforme du foot belge augmente le niveau drastiquement et Tubize, d’abord l’un des plus gros budgets de la D2 grâce son apport, devient la bourse la plus étriquée de D1B.

 » Monsieur Shim s’impliquait, dans le sens où quand il venait, il se déplaçait même aux matches des U21 « , tempère Jérémie Njock, entraîneur des jeunes jusqu’en juin et artisan de la seule montée des Brabançons parmi l’élite ( voir cadre). Une posture de façade, qui ne masque pas l’inquiétude générée par le départ de Junbum Park, CEO du club et visage de Sportizen dans le coin, fin 2017.

Le stade Leburton désolé. Une image vue trop souvent.
Le stade Leburton désolé. Une image vue trop souvent.© BELGAIMAGE

À la même période, les rumeurs affluent autour d’un potentiel partenariat, voire d’un rachat des Émiratis de Manchester City. Divine Naah est loué dès janvier suivant, avant d’être rejoint par ses compères skyblues, Ernest Agyiri et Aaron Nemane, dans les derniers instants du mercato d’été 2018.

Chankoo Shim s’active, se rend à l’Etihad Stadium, mais sa gourmandise semble le priver d’une éventuelle vente, du moins d’une cession de parts. Alors il se désengage. En décembre, l’AFC fête Noël avec une interdiction de transferts, infligée par la Commission des licences de l’Union belge, pour la simple et bonne raison qu’il s’agit du seul matricule professionnel à ne pas être en mesure de prouver qu’il a bien réglé les salaires de ses employés, ainsi que ses cotisations sociales.

Du côté de la com, on tente de noyer le poisson, via un communiqué :  » Cela ne remet, en aucun cas, en cause l’implication totale des actionnaires sud-coréens « .

Recours à la justice

La vente de Thomas Henry à Louvain, concurrent direct au maintien, permet en tout cas de renflouer les caisses et de convaincre la fédération de lever l’interdiction. En avril, l’ex-meilleur buteur tubizien ouvre le score contre ses anciennes couleurs, à la faveur d’une énième joute déterminante (0-3). Sans revenus depuis février, le squad de Christian Bracconi ne peut éviter la descente.

 » C’est inhumain. Le président s’en fout complètement de nous « , s’emporte Hugo Vidémont.  » Sa société marche très bien, il pouvait nous payer. Il a l’argent, mais il ne veut pas nous le donner. Pourquoi ? Je ne sais pas, peut-être que c’est une punition… À un moment donné, j’ai craqué. Je lui ai écrit sur Facebook, mais rien, aucun retour. J’aurais préféré qu’il me dise que je le faisais chier. J’ai fini par lui dire que c’était un lâche.  »

L’ailier français décroche depuis la Lituanie, trois jours après avoir reçu un paiement équivalent à deux mois, possiblement lié aux indemnités de formation touchées par les Sang et Or suite au passage juteux d’Eden Hazard au Real Madrid.

Pour le natif de Marseille, le procédé pourrait s’apparenter à un moyen de le  » faire taire « , lui, et ses coéquipiers en compagnie desquels il a désormais recours à la justice.  » Si je n’avais pas ma famille derrière, je ne sais pas comment j’aurais fait. Je n’ose même pas imaginer la situation des jeunes de l’équipe, qui doivent avoir un salaire mensuel autour des 1.500 euros.

On a toujours respecté le club et on a tout donné, même si on ne va pas se mentir, on méritait de descendre. Heureusement qu’il y avait une ambiance extraordinaire, parce que dans une telle situation, d’autres groupes auraient explosé.  »

Tubize ou tu te fais bizer

En attendant, un mutisme révélateur règne dans les couloirs du Stade Leburton. Les décisionnaires de l’AFC Tubize jouent la montre. Fin mars, la Commission des licences leur refuse l’octroi du sésame professionnel, faute de fournir les garanties nécessaires. Mi-avril, c’est chose faite, suite à un troisième rendez-vous.

Début juillet, Josselin Croisé fait fi des reports de la reprise des entraînements, des démissions massives de joueurs et membres du staff, espérant le verdict positif du CBAS, qui gamberge sur le dossier de Malines et qui pourrait évoluer à sa place, en D1 Amateur.

Déjà verni lors de l’exercice précédent et maintenu au deuxième niveau uniquement grâce à la faillite du Lierse, le train des illusions ne passe pas une seconde fois pour les Brabançons, isolés et réduits à leur plus simple appareil. En coupe, ils s’inclinent au quatrième tour sur la plus petite des marges, face à Hamme, supérieur dans le jeu mais inférieur d’une division.

Sylvain De Weerdt, le nouveau coach, ancien de l’Union qui a côtoyé Antoine Griezmann à la Real Sociedad, bricole avec les moyens du bord. Les recrues tardent et son onze, composé essentiellement de jeunes du cru, désigne son leader naturel : Shean Garlito, clubman parmi les quelques rescapés de la saison passée.

Un  » dinosaure  » de vingt-cinq ans, susceptible, lui aussi, de filer.  » C’est compliqué de mettre des choses en place avec quelqu’un qui vit au bout du monde, à dix mille kilomètres « , souffle Régis Brouard.  » Ce qui me rend triste, c’est qu’il y a des gens qui travaillent au quotidien pour ce club et qui ne sont pas écoutés. Des gens dévoués, merveilleux qui ne méritent certainement pas ce qui leur arrive.  » Et un tweet de revenir comme un écho :  » Tubize ou tu te fais bizer « .

To be or not Tubize
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Quand Tubize montait en D1

Il y a les temps durs et ceux qui semblent révolus pour des lustres. Un long ballon anodin, un tackle glissé pour frapper le cuir et l’envoyer cogner l’intérieur du montant opposé. Il aura suffi de ça à ce diable de Kevin Stuckens pour offrir la victoire à Tubize dans le tour final de D2, le 1er juin 2008, sur la pelouse de l’Antwerp.

Le but, survenu dès la demi-heure, est synonyme d’accession à l’élite pour les Grégoire Neels, Joachim Mununga et autre Christophe Lepoint, une première pour l’AFC et plus encore pour l’ensemble du Brabant wallon.

 » On était une bande de jeunes, avec beaucoup de volonté, du caractère. On a été la chercher à l’arrache « , se souvient Jérémie Njock, qui se blesse dès le deuxième match du tour final, mais qui profite pleinement de la liesse tubizienne, en béquilles…

 » À l’époque, Tubize avait encore le statut de village ( sic), donc c’était quelque chose de très, très grand pour ses habitants. Pour nous, c’est comme si c’était une décision qu’on avait déjà prise et qu’on devait réaliser. L’ambiance était terrible, c’était merveilleux. Je n’avais jamais vu autant de monde dans les rues. Espérons que nous les reverrons ainsi un jour…  »

À Leburton, les lendemains ne chantent pas pour tout le monde. Philippe Saint-Jean, entraîneur d’alors et futur directeur sportif jusqu’au début de l’ère coréenne, quitte les siens, lassé de voir partir ses meilleurs éléments, libres de tout contrat, le mercato suivant. Mununga rallie Malines et Lepoint trace à Mouscron.

Albert Cartier enfile le costume de T1, garde Felice Mazzù pour adjoint et amène dans ses valises un certain Jérémy Perbet, prêt à tout casser, enfin.  » On a fait une super saison « , lance-t-il, malgré la redescente directe des Sang et Or, avant-derniers à la clôture de la version 2008/2009 de la JPL.

 » Quand je suis arrivé, j’avais fait mes calculs : il fallait généralement 23 points pour se maintenir. À la fin, on en avait 27 et on est descendu pour trois. Cette année-là, les quatre derniers étaient descendants ( les deux derniers directement et les deux suivants jouaient le tour final de D2, ndlr) et lors de la saison suivante, Lokeren s’est maintenu avec seulement 18 points…

L’ironie du sort, c’est que quand on est officiellement descendus, c’est à cause d’un match nul contre Anderlecht, qui a permis au Standard de rester en tête. Pendant un an, je croisais des supporters liégeois qui me disaient : Merci M. Cartier, grâce à vous, on est champions.  »

Surtout, si le technicien français accueille l’ex-mancunien Quinton Fortune pour épauler les siens, en vain, il doit se battre avec la méforme du canonnier maison, Jérémy Perbet, 13 banderilles sur l’exercice.

 » À la reprise, je le vois, pas bien. Lui m’assure qu’il a des problèmes avec sa famille. En fait, la vérité, c’est que les dirigeants, un peu par honnêteté, lui ont dit qu’il avait une année supplémentaire de contrat en option alors qu’il pensait partir. C’était une grosse erreur de stratégie. Jérémy a plongé. Il a pris sept kilos et il n’a plus mis un but du second tour.  »

Shean Garlito
Shean Garlito© BELGAIMAGE

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