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Timothy TIME

C’est l’histoire d’un gamin frêle, hargneux mais pas surdoué, devenu l’un des plus gros transferts de l’Atalanta. À 21 ans, Timothy Castagne va découvrir la Serie A contre la Roma ce dimanche. Décryptage d’une ascension silencieuse, des Ardennes à la plaine du Pô.

Il lui tape sur l’épaule et lui glisse quelques mots.  » Tu sais, j’ai commencé à peu près au même âge que toi. Ne t’en fais pas.  » Les mains ouvrières d’Alex McLeish ont vu du pays et soulevé quelques trophées. En ce 14 septembre 2014, elles ne comptent plus les feuilles de match qu’elles griffonnent, raturent et froissent. Mais aujourd’hui, leur propriétaire est privé de plusieurs de ses éléments, dont son back droit habituel, Anele Ngcongca.

Dans le vestiaire de Genk, elles se posent sur ce gamin à l’air tendre. Timothy Castagne acquiesce, visualise déjà le couloir qu’il va arpenter 90 minutes durant. Un  » ado « , comme le qualifiera plus tard McLeish, qui dispute sa deuxième rencontre chez les pros. Sa première en tant que titulaire à la maison, contre un gros morceau : le Club Bruges.

 » Le coach a fait appel à lui parce qu’il n’avait pas d’autres solutions. Il a fait un excellent match. Je crois même que c’était le meilleur d’entre nous sur la pelouse « , rembobine son ancien coéquipier Julien Gorius.  » Beaucoup de jeunes auraient pu être atteints par la pression, pas lui.  » Dimitri de Condé, son mentor chez les jeunes, le conseille aussi avant le coup d’envoi.  » Je lui ai dit d’avoir confiance… Pour moi, il a fait un match extraordinaire. C’était également les débuts de José Izquierdo et il l’a bien contenu. Ça veut tout dire. Il y a des jeunes qui savent s’imposer, d’autres qui le font tard ou même jamais.  »

Timo, lui, appartient à la première catégorie. Il ne manque pas le tournant et file tout droit, avale les kilomètres pour parachever son  » plan « . Là où d’autres, a priori plus talentueux, s’écrasent et ne se relèvent plus. Depuis lors, sauf blessures, il devient incontournable dans le Limbourg.

Un latéral moderne

Dans la foulée de ce nul brugeois (1-1), Castagne reste au poste. Et peu importe si son concurrent direct y est installé depuis près de sept exercices.  » Anele est un vrai client. Mais Timothy n’a pas lâché « , poursuit Gorius.  » Ils se sont tiré la bourre et au final, les deux ont joué. Anele à gauche ou dans le milieu, Timothy à droite. Ce n’est pas rien si le coach change son système pour te laisser dans le onze…  »

Castagne incarne alors une nouvelle génération prometteuse à la Cristal Arena, entre Siebe Schrijvers et Pieter Gerkens. Un an plus tôt, il arrive pourtant sur la pointe des pieds au sein du noyau A. Gorius :  » Il a eu une ascension assez bizarre finalement. On savait qu’il ferait une bonne carrière mais peut-être pas celle qu’il est en train de faire. Aujourd’hui, il représente exactement le profil que les coaches cherchent à ce poste. Il va vite et il a un gros volume de jeu, c’est un latéral moderne. Et puis, il est régulier, il est toujours là dans les matches importants.  »

Le profil type qui ravit les adeptes du système à trois centraux derrière. Un système qu’il va justement découvrir à l’Atalanta, le même que celui des Diables. Aussi intéressés par Sander Berge, les Bergamasques mettent les six millions nécessaires pour faire sauter sa clause et lui font signer un contrat de quatre ans. Zénon Mélon, son agent et beau-père, prêche forcément pour sa paroisse :

 » C’est un des plus gros transferts du club. C’est la preuve que les qualités, il les a. Et qu’ils croient en lui. C’est un bosseur, il écoute, il est facile à gérer. Quand vous regardez son nombre de ballons perdus, vous comprenez. Contre Dortmund (en amical, ndlr), il n’en a perdu aucun. Les ballons sales, il les rend propres. Et il n’a que 21 ans.  »

Pas assez perso

L’objectif est clair : sortir de son cocon pour rallier l’équipe nationale. Castagne et son entourage privilégient d’abord la piste niçoise, mais les Aiglons ne souhaitent pas s’aligner sur la clause. L’Atalanta, qui voit son plan B Thomas Foket quitter la visite médicale avec le coeur brisé, se résout à s’incliner devant les exigences des dirigeants genkois.

Après la visite d’Hoffenheim il y a deux ans, le Torino l’an dernier et l’intérêt de la Lazio et Monaco cette saison, Timothy Castagne file donc chez le quatrième de la Serie A version 2016/2017. Pas mal pour un gosse qui n’a jamais vraiment affolé les radars chez les jeunes.

 » Ce n’était pas le gamin qui crevait l’écran, c’était simplement un bon petit joueur « , avoue son père, Pierre, deux fois Soulier d’Or de la province du Luxembourg.  » À douze ou treize ans déjà, il me disait : Je vais au lit, j’ai match demain. C’est rare à cet âge-là. Il était déjà très déterminé et autonome. En fait, j’ai passé plus de temps à lui faire prendre conscience de ce qu’il pouvait réaliser.

Il a un jeu rapide, il ne porte pas beaucoup la balle. Je lui disais : Tu dois rêver ! Pourquoi tu ne tires pas ? D’accord, ton coéquipier était mieux mis que toi, tu lui as donné, mais il n’a pas marqué… Sois audacieux ! C’est ce qui lui manque encore et c’est ce qu’il va devoir bosser.  »

Surtout quand il s’agit de remplacer Andrea Conti, parti au Milan avec huit buts au compteur.  » Il va falloir qu’il ait ce déclic. Des fois, il pense trop à l’équipe. Il veut rattraper les erreurs des autres, mais on ne peut pas toujours être le sauveur de l’équipe.  »

Foot-élite à Liège

Ce costume de héros de l’ombre, il l’enfile déjà en U15, à Marseille. Le tournoi est parrainé par Didier Deschamps. Son Royal Excelsior Virton se hisse en finale. En face, le Racing Club de France. En coulisses, Timothy s’active.  » Il a gagné la finale à lui tout seul. J’avais prévu un réveil musculaire à 11 heures. C’est lui qui a fait en sorte que tout le monde soit à l’heure. Il a clairement tiré ses coéquipiers vers le haut « , se souvient Samuel Petit, son coach depuis les U13.

 » C’est un jeune dont je me sers souvent pour pouvoir motiver les miens. Il a toujours été exemplaire. Avec nous, il évoluait en 6 ou en 8. Il avait de la percussion, savait s’infiltrer vers l’avant. On le laissait s’exprimer. Il n’était pas nécessairement au-dessus du lot, mais c’est la plus belle progression que j’aie connue. Je ne veux surtout pas qu’on se dise qu’il a fini par percer uniquement grâce à son courage et sa mentalité.  » Castagne se démarque aussi par sa faculté à faire son autocritique.

Dans la voiture de ses parents, qui l’emmène de son village arlonais de Waltzing à Virton, il fait ses devoirs. Sans bruit, comme toujours. Mieux, il organise des séances supplémentaires avec son père.  » Il a toujours voulu faire ça, il se comportait déjà comme un pro « , assure Thibaut Lesquoy, pote et coéquipier de l’époque qui évolue aujourd’hui pour l’équipe fanion de l’Excel.

 » Quand je dormais chez lui, le lendemain matin, on allait faire un décrassage. Son père nous levait pour qu’on aille courir. C’est normal chez eux. Mais moi, c’est le seul endroit où j’ai vu ça « , sourit-il. Malgré un certain retard physique, Timothy bosse. Si bien qu’il est appelé en équipe nationale  » future  » et peut rejoindre le  » foot-élite  » à Liège, grâce à des tests réussis.

 » Il en a à peine parlé donc on n’a même pas relevé « , se rappelle son père.  » Il est venu nous dire qu’il était pris et on était tous surpris. Il avait quinze ans, il fallait qu’il parte en internat à Liège, on lui a juste dit : Mais t’es pas un peu jeune ?  »

Un gros mental

Au final, Timo enchaîne les aller-retours. Des Ardennes à Liège, de Liège à Virton. Merveille Goblet, son aîné d’un an, désormais portier de Waasland-Beveren, le croise à l’internat.  » On faisait beaucoup de mini-foot. On jouait dur sur l’homme. Et lui, quand il recevait des coups, il râlait et il montait direct dans sa chambre. Il était quand même assez maigre. Puis, j’ai vu qu’il commençait à s’endurcir, à râler de moins en moins… Quand je l’ai revu ensuite avec les Espoirs, ce n’était plus un petit garçon, il était devenu un homme. Il avait pris de la masse et de l’assurance.  »

Discret de nature, Castagne développe son côté chambreur. Classé parmi les  » tard matures « , il finit par s’affirmer malgré le peu de paris misés sur sa tête.  » C’était l’un des plus assidus, des plus à l’écoute. Si on avait dû en sortir un du lot, ça aurait été lui « , coupe Gaëtan Englebert, qui l’entraîne à l’époque.  » J’arrête tout de suite ceux qui pensent pouvoir prédire l’avenir. C’est très difficile de dire qui va faire quoi. Il y a une grosse partie qui se joue au mental et lui, il en a beaucoup. Il a toujours eu la volonté d’y arriver.  »

De l’avis de tous, ou presque, Timothy Castagne n’est pas  » le plus grand des techniciens « , donc pas  » celui qui tape forcément dans l’oeil au premier regard « . C’est aussi là qu’il puise sa force.  » Le problème, c’est que les enfants font souvent ce que les parents veulent, pas ce que eux veulent vraiment. Tim, lui, a toujours respecté son ‘plan’ « , explique son paternel, qui bosse dans l’ingénierie informatique mais qui place le sport comme sa vraie passion (voir cadre).

En 2011, il observe son rejeton partir en famille d’accueil, avec Sandy Walsh, à Genk. Le deal est simple :  » RolandBreugelmans (le directeur des jeunes, ndlr) m’a dit qu’il avait clairement un niveau inférieur aux autres mais qu’il allait le prendre et qui si on voyait que ça ne marchait pas, on ferait marche arrière en décembre « .

Carottes et châtaigne

Timo reste, apprend le flamand et s’intègre vite. Son coach dès les U17, Dimitri de Condé, évoque un gamin  » tout mince  » mais qui a explosé la concurrence le deuxième jour, lors des tests physiques.  » Après quelques mois, c’était déjà mon capitaine. Je ne peux en dire que du bien. Timo, c’est un travailleur. La seule chose qu’on ne savait pas le concernant, c’était sa meilleure place.  »

Dans l’axe de la défense ou devant elle, il est seulement repositionné latéral en espoirs. Où il s’impose au forceps, encore.  » Il n’était pas comme les autres jeunes qui s’entraînent et qui, quand ils ramassent des coups, filent aux vestiaires pour se faire soigner « , poursuit De Condé.  » Parfois, je lui disais qu’il valait mieux qu’il s’arrête. Il ne voulait rien entendre. Il continuait. Il avait de la force physique mais aussi une grosse force mentale. Sur le terrain, il était très engagé. Il boîtait deux ou trois minutes mais il continuait toujours.  » Comme quoi, les mini-foot à l’internat lui servent de leçon.

Après le départ de McLeish en mai 2015, il connaît quelques moments difficiles avec Peter Maes, moins protecteur, et surtout une blessure à l’oeil qui l’écarte plus de quatre mois des prés. Un mal qu’il traîne depuis tout petit, entre migraines et flashes récurrents.  » On m’a répété pendant des années que j’aurais une bonne vue si je mangeais régulièrement des carottes. J’y ai longtemps cru avant qu’on m’opère l’an dernier d’une exophorie parce que mes yeux partaient vers l’extérieur « , nous confessait-il en novembre 2016.  » D’ailleurs, c’est bien simple, je mange beaucoup moins de carottes que par le passé…  »

Ça tombe bien. En italien, Castagne veut dire châtaigne.

par Nicolas Taiana – photos Photonews

 » Le problème, c’est que les enfants font souvent ce que les parents veulent, pas ce que eux veulent vraiment. Tim, lui, a toujours respecté son plan.  » Pierre Castagne, son père

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