TIKI TAKA TEUTON

Dans les pas de Be TV, qui ouvrait sa saison Bundesliga par son match au sommet, nous avons assisté à la démonstration du Borussia Dortmund version Thomas Tuchel. Zoom sur l’homme du moment outre-Rhin.

Certaines choses semblent invariables à Dortmund. Un mur jaune, des dizaines de milliers d’irréductibles, de la passion et une ambiance à faire pâlir n’importe quel club européen. Et pourtant, Dortmund vit une véritable révolution. Le guide pendant sept saisons, JürgenKlopp, a laissé sa place à ThomasTuchel. La mutation est totale, Dortmund vit un changement d’époque, de style. Si Klopp, le fougueux et remuant kult coach du Borussia n’aurait pas fait tache parmi les plus chauds de la Südtribune, Tuchel au physique élancé et fluet, cache une personnalité bien plus réservée qui contraste avec l’ambition d’un jeu pétillant, offensif, fait de mouvements et de jeu court.

Pour la première de ce quadra venu de Mayence au Westfalenstadion, on n’a pas été déçu. Face à une équipe du Borussia Moenchengladbach totalement à la dérive, Henrikh Mkhitaryan, Ilkay Gündogan, Kagawa, Shinji Kagawa et Marco Reus se sont baladés face à l’entrejeu de la bande d’un LucienFavre véritablement décomposé sur son banc en première période ; la rencontre étant pliée après seulement 33 minutes de jeu (33 minutes de jeu).

Un milieu de terrain offensif et créatif bien aidé par le travail dans l’ombre du petit nouveau JulianWeigl, venu en droite ligne de D2 (Munich 1860). Pas de nouveaux noms ronflants donc mais un jeu qui permet aux techniciens du Borussia de s’en donner à coeur joie, d’autant que devant, Pierre-Emerick Aubameyang a démarré la saison en trombe.

Buteur sur le deuxième et passeur sur le troisième, l’homme le plus rapide d’Allemagne a été intenable pendant 77 minutes avant d’être sorti sous les ovations du public. De l’autre côté, ThorganHazard fut totalement absent des débats ou presque puisque l’ancien Soulier d’Or n’est monté au jeu qu’à une demi-heure d’une fin connue et posté seul devant.

Impossible pour lui, donc, de s’illustrer devant les téléspectateurs de Be TV. Par contre, Tuchel s’est quelque peu lâché devant ses nouveaux supporters qui l’ont fortement applaudi lors de son retour au vestiaire. Zoom sur un personnage qui apporte un vent nouveau au foot allemand.

UN HOMME DEBOUT

Pendant la préparation, Thomas Tuchel observait avec satisfaction le Borussia Dortmund mener 4-0 face à Lucerne. Son équipe exerçait une forte pression et multipliait les mouvements. Puis, elle a encaissé un but. Le nouvel entraîneur a commencé à gesticuler, furieux. Tuchel est le plus perfectionniste des entraîneurs allemands. Il accorde une attention maniaque au moindre détail. L’homme est devenu, l’été passé, un des coachs les plus convoités d’Allemagne alors que sa carte de visite n’est pas des plus fournies.

Il n’a jamais remporté de titres qu’avec les jeunes de Mayence, mais tout le monde semblait pourtant convaincu par son professionnalisme. A un moment donné, on l’a associé au Bayern et même à l’équipe nationale allemande. Il était également chargé de passer le balai à Hambourg mais il a préféré la Ruhr. Il veut relancer Dortmund, dans le sillage du Bayern, après que la septième saison de JürgenKlopp, presque béatifié, eut tourné en eau de boudin. Tuchel à Dortmund, c’est le thème le plus passionnant de la nouvelle saison de Bundesliga, qui a donc débuté le week-end dernier.

Le Borussia Dortmund s’était engoncé dans ses principes. Il avait l’habitude de reconquérir le ballon le plus vite possible. Oui, mais qu’en faire ensuite ? Il avait besoin d’un réformateur, de quelqu’un qui fait le jeu rapidement, qui modernise son football, qui puisse changer de système en cours de match, qui ose changer d’attaque pendant une pause boisson. En Allemagne, seul Pep Guardiola pouvait se le permettre. Thomas Tuchel est impatient. Ce fou de foot a étudié l’économie. Selon son éthique, une personne très douée doit également être très travailleuse.

Pour s’adresser à la presse, il préfère rester debout, pour mieux faire passer son message. Hans-Joachim Watzke, le CEO du Borussia Dortmund, le considère comme un intellectuel. Il y a six ans, il avait déjà été impressionné par le bonhomme. L’équipe de juniors UEFA du Borussia avait été battue 2-1 en finale par le FSV Mayence 05, malgré tout le talent de Mario Götze : elle avait été balayée tactiquement. Watzke avait alors demandé le nom de l’entraîneur adverse : Thomas Tuchel.

UN MANIAQUE DU CONTRÔLE

Tuchel a surpris ses joueurs pour la première fois pendant la tournée de promotion du Borussia Dortmund au Japon, en Malaisie et à Singapour. Il a décortiqué dans ses moindres détails le jeu de Kawasaki Frontale, un de ses adversaires. Il a également affirmé avoir décelé des carences structurelles dans le jeu de son équipe et il a prôné de nouvelles valeurs : engagement, courage et modestie.

Il veut que les vedettes courent aussi pour les autres, qu’elles assimilent la culture du labeur. Après une longue période de succès sous la houlette de Jürgen Klopp, le Borussia semblait avoir besoin d’une cure d’assainissement. Sur le terrain et en dehors. Avant le début des entraînements, Tuchel trace lui-même les lignes sur le terrain et arpente les distances jalonnées. L’habitude d’un obsédé du contrôle.

Thomas Tuchel a souvent mis le frein.  » L’excès est l’ennemi du bien « , dit-il en parlant de l’étude de nouveaux systèmes de jeux ou d’autres innovations. Il a voulu embaucher un psychologue, un expert du sommeil mais quand le livreur de pizzas qui fournissait l’équipe depuis quinze ans a vu ses commandes annulées, la presse est montée au créneau.

Le fournisseur a accordé une interview à la télévision et même Watzke a eu des doutes : après tout, nourriture malsaine ou pas, le club avait gagné plusieurs trophées. Mais il a suivi son entraîneur.

Pourtant, Tuchel avait promis de ne pas tout changer trop rapidement. Il n’en a pas moins introduit de nouvelles règles : les joueurs doivent se serrer la main tous les matins, ils ne peuvent quitter la table que quand tout le monde est rassasié, il fait filmer les entraînements, il a intensifié le diagnostic des performances grâce à la base de données gérée par l’université de Bochum.

COMME LE BARÇA

Il veut un football différent. Les arrières latéraux campent plus haut, le jeu est ouvert à partir de l’entrejeu et non plus de la dernière ligne, ce qui veut dire que l’international Mats Hummels n’a pas seulement perdu du poids en vacances mais aussi de l’importance. A l’entraînement, on doit servir les joueurs sur le pied le plus éloigné du ballon, pour qu’ils aient une vision plus large du jeu. C’est ce qu’on apprend à Barcelone, répète Tuchel. Le Borussia doit développer un football beau à voir et vif, comme le Barça sous l’ère Guardiola.

Thomas Tuchel est un produit de la Stuttgarter Schule. Une fois le ballon récupéré, on a huit secondes pour tirer au but. Il a expliqué durant une conférence de presse qu’il voulait faire briller les talents de l’équipe. Pour se mettre en évidence, un soliste a besoin d’un bon orchestre. L’équipe doit toujours jouer selon les mêmes principes, au même rythme. Ce n’est qu’ainsi que les vedettes peuvent faire preuve de créativité.

Tout ça paraît fort compliqué mais Tuchel s’empresse de donner un exemple : si Lionel Messi s’épanouit beaucoup mieux au Barça qu’en équipe nationale argentine, c’est parce que celle-ci ne forme pas un orchestre.

Thomas Tuchel se considère comme quelqu’un qui bouscule les règles. Les joueurs ne l’ont pas encore tout à fait compris mais il parvient à les convaincre. Ainsi, on disait l’Arménien Henrikh Mkhitaryan impénétrable. Tuchel lui a adressé la parole en anglais et a été stupéfait par tout ce que le médian avait saisi du club et de son vécu, de même que le fait que ses coéquipiers le prenaient pour un fou parce qu’il lit beaucoup de livres.

Mchitarjan s’est épanoui et a signé une belle préparation. Tuchel a également gagné la confiance d’un autre médian, Ilkay Gündogan. Celui-ci voulait s’en aller mais il a décidé de rester car Tuchel lui a promis de le faire progresser, d’atteindre un niveau tel qu’il pourrait briguer Barcelone. Gündogan apprécie les méthodes et le langage de son entraîneur.

Le Borussia Dortmund découvre donc un autre monde. Toutefois, comme Hans-Joachim Watzke le sait, en football, tout tourne autour d’une seule chose : gagner le plus de matches possibles. Thomas Tuchel n’échappera pas à cette règle-là.

PAR JÖRG KRAMER ET THOMAS BRICMONT À DORTMUND

A l’entraînement, on doit servir les joueurs sur le pied le plus éloigné du ballon, pour qu’ils aient une vision plus large du jeu.

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