Début septembre, le Brésilien Felipe Gedoz émettait le souhait de se produire pour l’équipe nationale d’Uruguay. Peu après, l’entraîneur brésilien des U21 le reprenait en sélection olympique. L’histoire étrange de Tikata.

Il pleut fort, la nuit du 8 au 9 avril, quand le journaliste Daniel Cassol attend le bus qui doit le conduire de Porto Alegre à Montevideo. Daniel a annoncé sa venue à un groupe de supporters de Felipe Gedoz via Facebook. Mission : assister à un match dans la capitale de l’Uruguay, à 800 kilomètres au sud. Le lendemain, Defensor, un des petits du football local, y affronte Universidad de Chile dans le cadre de la Copa Libertadores, la Ligue des Champions sud-américaine. Un nul suffit pour terminer premier du groupe et se qualifier pour le tour suivant. Alex, surnommé El Cabeça, organise le périple. Il est un ami d’enfance de Felipe. Tous deux ont grandi à Muçum, une petite ville de l’Etat de Rio Grande do Sul. Elle compte 5.000 âmes et en fait, elle n’est qu’un point minuscule dans l’immense océan qu’est le Brésil mais elle possède un atout : le plus haut viaduc du monde, 143 mètres au-dessus du sol.

Dans le bus de Montevideo se trouve aussi le père de Felipe, Dejalma da Conceição. Daniel se souvient qu’il a été footballeur professionnel.  » Un médian talentueux mais il n’a pas fait une grande carrière : il a évolué dans les divisions régionales.  » L’homme est devenu maçon. Felipe est son seul fils. Serli, la mère, n’est pas du trip : elle travaille à l’école. Dans sa vie, elle a souvent dû intervenir, s’interposer dans des bagarres en rue, quand une fête dégénérait… La compagnie du bus est variée : Daniel rencontre des parents, des amis de jeunesse, des sportifs de Muçum. Jeunes et moins jeunes se mêlent. Ils n’ont qu’un objectif : voir à l’oeuvre le nouveau héros. C’est parfait pour le reportage de Daniel sur la nouvelle étoile.

Test au Qatar

Un détail saute aux yeux : personne ne parle de Felipe. On l’appelle constamment Tikata, voire Tikta. Le surnom vient d’une chanson du groupe Cravo e Canela, sur laquelle Felipe, à quinze ans, ne cessait de danser : La vem o negao, cheio de paixao, te cata, te cata, te cata. En traduction libre : le talent arrive, plein de passion.

Daniel est attiré par l’aspect particulier de l’histoire. Jusqu’au 11 mars 2014, date du premier des deux matches contre Cruzeiro, un autre adversaire du groupe, Felipe Gedoz était un illustre inconnu au Brésil, son pays natal. Il avait grandi à l’intérieur du pays et ne pouvait avancer de palmarès étoffé. Il était fou de foot, ouvert et prêt à tout pour réaliser son rêve. La preuve, dans sa biographie, par ce test au Qatar, à l’âge de treize ans.

 » Je n’en connais pas tous les détails mais il a participé à quelques matches d’un tournoi « , raconte Daniel.  » Ce n’est pas vraiment étonnant car on trouve de jeunes Brésiliens un peu partout, surtout quand, comme Felipe, ils sont tactiquement forts. Or, il l’est, comme me l’a raconté Anderson Lima, un de ses entraîneurs de jeunes, à Guarani. Il avait entraîné Felipe en 2011 et il avait remarqué son dribble, son passing et son intelligence de jeu. Rapide, il se chargeait pratiquement de tous les coups francs car il avait l’art de les convertir. Il s’y exerçait sans relâche. En plus, on pouvait le placer partout en attaque : à gauche, à droite, au centre. Un pion majeur, donc.  »

Cap sur l’Uruguay

Malgré ces compliments, le chemin de l’élite lui reste fermé car Felipe a un point faible : il n’est bon qu’en possession du ballon. Quand il est perdu, il laisse les autres courir.

Il doit réussir en football car il n’est pas fait pour l’école. Pour tuer le temps, il dessine le logo de Gremio, le club de ses rêves, à l’arrière de ses feuilles de cours. A onze ans, il se produit pour la Juventude de Caixas do Sul, l’ancienne équipe de Fernando Menegazzo.

Il quitte le domicile parental pour emménager chez Ramiro, un coéquipier qui joue maintenant à Gremio. Il quitte Guarani à 17 ans et met le cap sur l’Uruguay. Il s’établit seul à Pocitos, dans un quartier de Montevideo, non loin de Defensor, sa nouvelle équipe, alors qu’il ne parle pas un mot d’espagnol. Les premiers mois, il n’aspire qu’à retourner chez lui mais il surmonte cette nostalgie, se mue en athlète et réussit.

Les Brésiliens ne vouent guère d’estime au football uruguayen. Une compétition faible, juge Eduardo Barraza, qui la suit depuis Buenos Aires et tient un blog, Pasion Libertadores, sur le football sud-américain, avec des copains. Barraza :  » Année après année, les meilleurs footballeurs rejoignent le Brésil, l’Argentine ou l’Europe. Le championnat uruguayen est solide, costaud, avec beaucoup de duels. C’est une bonne école pour les jeunes. Le coach de Defensor ne tarissait pas d’éloges sur Gedoz. Il marquait régulièrement et savait résister à ses adversaires. Il se distinguait même tellement que l’entraîneur des espoirs uruguayens a pensé à lui pour l’équipe nationale.  »

Trois buts contre Cruzeiro

En 2013, en effet, l’Uruguay s’est qualifiée pour le Mondial U20 en Turquie. Dans une interview accordée à Barraza, Gedoz a expliqué que Juan Verzeri, le sélectionneur des espoirs uruguayens, lui avait en effet annoncé vouloir le reprendre pour ce Mondial. Mais Gedoz de préciser :  » La Fédération a refusé car j’étais de nationalité brésilienne.  » Début septembre, il y a quelques semaines, il a toutefois répété son souhait de se produire pour l’Uruguay.

Malheureusement pour ce pays, la carrière de l’avant et médian brugeois a connu une brusque accélération en 2014. Quelques bons matches en Copa Libertadores l’ont porté au devant de la scène. Daniel Cassol a ramené un reportage culte sur le nouveau prodige de son long voyage en bus de Porto Alegre à Montevideo. Gedoz a marqué trois buts en deux matches contre Cruzeiro, le champion en titre du Brésil. Une fois de la gauche, une autre de la droite et le troisième sur coup franc. Defensor s’est hissé en demi-finales et Gedoz est devenu le seul Brésilien à pouvoir encore prétendre à la victoire. Cassol :  » Ça m’a intrigué. C’est l’histoire de quelqu’un qui a atteint l’élite par une voie différente.  »

Il rêve de l’équipe nationale. Celle du Brésil d’abord, puis de l’Uruguay. Mais ce sera peut-être bien la première.  » Il a été appelé en équipe olympique « , souligne Barraza.  » Le Brésil ne peut pas se permettre un second cas Diego Costa. Il jouera donc contre la Bolivie le 10 octobre.  » Il va sans dire que Gedoz a accepté l’invitation…

PAR PETER T’KINT – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Le Brésil ne peut se permettre un second cas Diego Costa.  » Eduardo Barraza, auteur du blog Pasion Libertadores

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire