TIF ET TONDU

Le nouveau défenseur des Zèbres compte sur l’attaquant qui perce pour réaliser rapidement son potentiel.

La langue et leur passeport brésilien sont sans doute la seule chose qui les rapproche. Entre Orlando (25 ans), l’attaquant discret, et Dante (23 ans), le défenseur volubile, le contraste est presque aussi évident que le noir et le blanc qui zèbrent le maillot du Sporting de Charleroi. Ce qui n’empêche pas les supporters carolos d’apprécier l’apport de chacun d’eux à une équipe qui, si ce n’étaient les éclats de la direction, travaillerait dans la discrétion la plus absolue à la construction d’une base solide.

On connaissait déjà l’attaquant Orlando, auteur de six buts la saison dernière et qui s’est fondu dans un moule où aucun attaquant ne prend la vedette sur l’autre. Dante, prêté par Lille au mercato d’hiver, est censé apporter à la ligne arrière du Sporting la vitesse qui lui faisait parfois défaut, tant à la récupération du ballon qu’à la reconstruction du jeu.

Etablir un parallèle entre les deux est tout à fait impossible…

Dante : Les gens oublient parfois que le Brésil est un grand pays. Le seul Etat de Minas Gerais est aussi grand que la France, c’est vous dire. Je suis originaire de Bahia, dans le Nordeste. Salvador da Bahia, et pas São Salvador, comme je l’ai lu dans le journal. Dans ma région, de nombreuses familles sont originaires d’Afrique. La mienne aussi, peut-être, mais je n’ai jamais poussé les recherches aussi loin. En tout cas, nous n’avons pas de tradition ni de religion africaine, nous sommes catholiques.

Orlando : Je suis originaire de São Luis de Maranhão, dans le nord. A 2.000 km de Dante. Chez nous, le mélange des races est très présent, à cause de l’esclavage qui a sévi dans les plantations de café.

Vos origines sociales sont-elles comparables ?

Orlando : Je n’ai pas eu une enfance très facile. Nous n’avons jamais eu peur de ne pas pouvoir manger le lendemain, ça non ! Mais tout de même, mes parents travaillaient dur et nous n’avions rien.

Dante : Je viens aussi d’une famille très humble. Mais j’ai surtout connu la misère à 16 ans, lorsque je suis parti jouer dans un petit club de l’Etat de São Paulo où j’ai été livré à moi-même. Là, il m’est arrivé de devoir mendier de la nourriture. C’était une épreuve dont je suis sorti plus fort.

Mais pour le supporter carolo, vous êtes réunis sous la bannière brésilienne… Le succès d’Orlando vous a-t-il aidé à vous intégrer à Charleroi ?

Dante : C’est sûr que lorsqu’un Brésilien a bonne réputation quelque part, ceux qui arrivent à sa suite bénéficient d’un certain crédit. Mais c’est aussi une arme à double tranchant car on attend plus de vous. J’avais également l’avantage de pouvoir m’exprimer en français dès mon arrivée.

Le nouveau Dante de Charleroi

Et puis il y avait ce prénom, Dante, lourd de signification au Mambourg ?

Dante : On m’en a immédiatement parlé mais j’ai tout de suite fait comprendre qu’il n’y aurait pas deux Dante comme Brogno. Heureusement pour moi, je suis défenseur, pas attaquant.

A ce sujet, comment jugez-vous Orlando en tant qu’attaquant ?

Dante : C’est un joueur difficile à marquer car il décroche énormément et il est très solide au duel. Impossible de le faire tomber. Mais il a aussi une bonne technique. Il demande le ballon dans les pieds puis il y va d’un mouvement très particulier qui prend le défenseur de vitesse. Il faut être très intelligent pour jouer contre lui.

Et vous, Orlando, que pensez-vous de Dante en tant que défenseur ?

Orlando : Avant tout, il est défenseur de mon équipe et, à ce titre déjà, il m’apporte quelque chose. Depuis son arrivée, mon repositionnement est meilleur parce qu’il me dirige. Les autres le faisaient aussi mais, comme il parle en portugais, je comprends plus vite. Pour ce qui est de son rôle par rapport à l’adversaire, je dois dire qu’il a beaucoup de technique pour un défenseur. Il est également rapide et a une bonne passe. C’est vraiment le style brésilien. Il soutient beaucoup l’entrejeu. En principe, il est défenseur central mais l’entraîneur le place à gauche et il fait bien son boulot.

Dante : Je préfère tout de même jouer au centre, parce que je ne suis pas limité par la ligne de touche. J’ai un jeu à risque, c’est vrai. C’est sans doute dû au fait qu’avant, j’étais médian défensif. Mais je pars du principe que celui qui ne prend jamais de risque dans la vie n’arrive pas au sommet non plus. Et puis, on ne peut pas toujours balancer de longs ballons, sans quoi les attaquants s’épuisent trop vite. Il faut trouver une solution pour repartir. Seulement, en Europe, les gens ont peur quand on garde un peu trop le ballon. On préfère les défenseurs centraux grands, costauds, solides. A mon avis, ici, on s’est dit que j’avais davantage le physique d’un arrière latéral.

L’hiver et la période du carnaval sont toujours des moments délicats pour un footballeur brésilien en Belgique. En souffrez-vous ?

Orlando : Mon premier hiver ici a été difficile, à cause du climat. Le froid me rendait moins rapide mais je suis désormais adapté. Il est vrai, aussi, que j’ai ressenti un peu de nostalgie au moment du carnaval mais je suis ici pour travailler, pour construire un avenir meilleur. J’aurai encore le temps de fêter le carnaval plus tard.

Dante : Mon problème, en hiver, ce n’est pas le carnaval mais le fait que la saison commence à devenir longue. Le soleil me manque terriblement, je me sens très fatigué physiquement et mentalement. Je crois que je serais meilleur sur le terrain s’il faisait beau.

Découverte de la neige

Lequel de vous deux s’est le mieux adapté à la neige ?

Dante : Aucun des deux. La neige, c’est très joli quand ça tombe. J’aime beaucoup. Mais jouer là-dessus, c’est autre chose : ça colle au ballon, l’air est humide…

Orlando : Moi aussi, je préfère jouer sous le soleil. Mais c’est notre métier, on ne doit pas se plaindre.

Jouer sur la plage ne doit pas être facile non plus.

Dante : Non mais au moins, c’est chaud. Et ça ne fait pas mal quand on tombe. Moi, dans la neige, j’avais les pieds tellement gelés que je ne sentais plus le ballon.

Vous connaissiez déjà ce climat puisque vous aviez joué à Lille. Que retenez-vous de cette expérience ?

J’y suis arrivé en janvier 2004, prêté pour six mois par la Juventude. Après trois mois, Lille a levé l’option et j’ai signé un contrat jusqu’en 2008. J’ai participé à la campagne en Intertoto mais j’ai été victime d’une pubalgie et on a un peu traîné avant de m’opérer. Finalement, je suis resté huit mois sans jouer. Il me manquait peut-être quelque chose pour m’imposer à ce niveau mais je ne sais pas quoi. Toujours est-il que j’ai demandé à pouvoir partir en hiver parce qu’il fallait que je joue.

Conseilleriez-vous à Orlando d’effectuer le chemin inverse et de partir dès la fin de cette saison ?

Dante : Pour moi, il est prêt à faire le grand saut. Il ne doit tout de même pas attendre la fin de sa carrière.

Orlando vous a-t-il aidé à vous intégrer à Charleroi ?

Dante (il sourit) : Je me demande si ce n’est pas l’inverse. Vous savez, c’est un homme très tranquille. Quand il sort, c’est pour se promener en ville…

Orlando : Oui, c’est vrai, je ne suis agressif que sur le terrain, en un contre un. Et une voiture me manque. Cet été quand je rentre au Brésil, c’est décidé : je passe mon permis.

Dante : En plus, on a la chance d’avoir un véhicule du club ici. Au Brésil, c’est impensable. Tant mieux car moi, je ne sais pas rester calme. Ça doit venir de mes origines. A Bahia, si vous ne bougez pas, c’est la ville qui danse autour de vous.

Orlando n’a pas son permis de conduire

Vous faites tout de même des activités ensemble ?

Dante (même sourire gentil) : Regardez Orlando. C’est un homme au foyer ! On verra s’il sort un peu plus quand il y aura du soleil.

Orlando : Il y en a parfois, mais il ne chauffe pas.

Dante : Je bouge plus : je retourne régulièrement à Lille. J’ai aussi visité Anvers et j’aimerais voir Bruxelles.

Orlando : Moi, je vais régulièrement à la capitale, acheter des aliments brésiliens. Et un jour, je vais tout de même emmener Dante à Aqualibi. Là, au moins, il fait chaud. Ça lui rappellera un peu le Brésil. De loin…

Lorsqu’il vous arrive de rêver éveillés, à quoi songez-vous ?

Dante : Au championnat d’Espagne. J’aimerais affronter Ronaldinho, Ronaldo, Zidane, Robinho… Encore que j’ai déjà joué contre ce dernier au Brésil, avant qu’il soit aussi connu.

Orlando : De l’Italie ou de l’Espagne.

Y a-t-il loin du rêve à la réalité ?

Dante : En football, tout est une question de chance et de moment. Il faut être à la bonne place au bon moment. Alors, tout peut aller très vite, à condition qu’on ait travaillé dur chaque jour pour être prêt quand l’heure sonne.

Orlando : Celui qui travaille dur a le droit de rêver tout haut.

Qu’avez-vous le plus appris depuis votre arrivée en Belgique ?

Orlando : A jouer sur la neige et dans le froid. Au début, j’ai cru que je n’y arriverais jamais mais maintenant, j’ai appris à tenir sur mes jambes.

Dante : C’est évidemment très proche de ce que j’avais connu à Lille. Je n’ai donc pas fait de grandes découvertes. Sauf que les gens sont nettement plus chaleureux ici.

Quel est le plus beau stade dans lequel vous avez évolué ici ?

Orlando : Celui de Genk : une belle pelouse, un public proche. De bonnes conditions pour jouer au football. (Son fils Markleudson, 9 ans, qui assiste sagement à l’interview intervient dans un français parfait, bien qu’il ne soit chez nous que depuis 5 mois : -Moi, mon préféré, c’est celui d’Anderlecht. J’aime bien aussi celui de Bruges « . )

Dante : Bruges ? Non ! Il ne m’a pas plu, celui-là. Je n’en ai pas encore vus beaucoup. Pour le moment, mon préféré, c’est celui de Charleroi. J’ai aussi vu celui du Standard. C’est Michel Preud’homme qui me l’a fait visiter. Car l’été dernier, j’avais discuté avec lui.

Vandenbergh impressionne Orlando

Quelle qualité d’un attaquant ou d’un défenseur belge aimeriez-vous posséder ?

Dante : Je n’ai pas encore eu le temps de bien voir. Vous m’avez bien eu, avec votre question. Reposez-la-moi en fin de saison.

Orlando (après longue réflexion) : Celui que j’aime le mieux, c’est Kevin Vandenbergh. Il est toujours très calme mais, quand il a le ballon dans le rectangle, il y a danger.

Quel est votre joueur brésilien préféré ?

Orlando : Impossible d’en choisir un seul. J’adore Ronaldinho et Adriano. Mais c’est de Ronaldo que j’essaye de m’inspirer le plus.

Dante : C’est trop facile de dire Ronaldinho : c’est le joueur du moment. J’aime beaucoup Steve Gerrard, de Liverpool.

Et votre musicien préféré ?

Dante : De Java. Son style, c’est la MPB : musique populaire brésilienne.

Orlando : Alcione, de la samba. Il est de ma ville.

La saison dernière, Charleroi fut la révélation du championnat. Est-ce plus difficile cette année ?

Orlando : Ce qui faisait notre force, la saison dernière, c’était l’homogénéité du noyau. Nous avons perdu quelques éléments et il a fallu les remplacer. Les nouveaux ne sont pas plus mauvais que ceux qui sont partis mais il leur a logiquement fallu un temps d’adaptation. Notre deuxième tour est meilleur que le premier et il nous reste la Coupe, dont nous avons fait notre objectif principal. Car nous voulons démontrer que notre cinquième place de la saison dernière n’était pas un accident.

Dante : Je ne sais pas ce qui s’est passé la saison dernière mais je peux vous dire que le niveau de jeu atteint par Charleroi en ce moment me satisfait. On sent qu’il y a de la structure derrière tout cela et c’est important si on veut arriver en Coupe d’Europe.

Le coach a affirmé que le noyau manquait de concurrence. D’accord avec cette analyse ?

Dante : Encore une fois, c’est difficile à dire car je n’étais pas là en début de championnat mais c’est vrai que, depuis que je suis arrivé, je n’ai pas l’impression qu’il faut tout écraser sur son passage pour être titulaire.

Orlando : La concurrence, c’est bien mais à condition qu’elle soit saine. La force de Charleroi, c’est aussi que tout le monde s’entend bien.

Comment jugez-vous votre parcours personnel jusqu’ici ?

Orlando : Mon début de saison n’était pas bon. Je manquais de confiance en moi. Pourquoi ? Je n’en sais rien mais ce n’était pas bien grave. Je pense que tout joueur de football passe par des moments pareils. Le coach m’a beaucoup aidé, il n’a cessé de me parler. Depuis quelques semaines, je marque à nouveau des buts importants pour l’équipe. Je ne suis plus qu’à une réalisation de mon total de la saison dernière.

Dante : On peut évidemment toujours faire mieux mais j’ai chaque fois quitté le terrain avec la satisfaction d’avoir donné le maximum de moi-même. Pour couronner le tout, il me manque juste un but. Oui, même les défenseurs aiment marquer. C’est une preuve de leur apport offensif, tout comme un attaquant doit savoir défendre. Je sens aussi que je manque encore un peu de rythme. A cet égard, les semaines à trois matches me font beaucoup de bien.

PATRICE SINTZEN

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