TI FRANCK

Depuis dimanche, la France est orpheline d’un de ses héros. Zinédine Zidane, sans doute le plus grand footballeur français de tous les temps, s’en est allé. Pourtant, là où on s’attendait à voir nos voisins du sud inconsolables, on les trouve ragaillardis et confiants en l’avenir. Car cette Coupe du Monde allemande a révélé un nouveau prodige. Un gars du peuple. Une histoire peu commune comme seul le sport sait les magnifier. Une gueule loin des canons de beauté dictés par les métrosexuels que sont David Beckham ou Fabio Cannavaro. Tout cela, c’est Franck Ribéry, 23 ans, celui que l’on n’oserait pas saluer en temps normal mais qui a su conquérir le c£ur de tout un pays et surtout de toute une région. Celle du Nord-Pas-de-Calais, trop souvent mise au ban de la France.

C’est à Boulogne-sur-Mer, sur la côte d’Opale, là où l’Angleterre paraît si proche (28 kilomètres) et où la Mer du Nord se perd dans la Manche, que la nouvelle coqueluche française a grandi. Pas dans le centre. Mais sur les hauteurs de la ville. Là où le regard se perd dans l’immensité de la mer où se fixe sur les silhouettes des grues de déchargement. Boulogne est le cinquième port de pêche de France.

Cela pourrait être un paysage de carte postale et pourtant, cela ne l’est pas. Que du contraire car si on se retourne, ce sont les immeubles du Chemin Vert qui font face. Ici, sur le plateau comme on surnomme ce quartier de Boulogne qui regroupe plusieurs cités, la beauté de la mer paraît inaccessible. Les rues – parfois à peine goudronnées et entretenues – se perdent entre les H.L.M et les terrains vagues où s’égaient les enfants qui refont le match.  » Je vais te montrer comment Zidane, il a donné sa balle à Thierry Henry « , clame l’un d’eux.  » Moi, je m’en fous de Zidane. Le meilleur, c’est Ribéry « , lui répond son pote.

C’est dans cet univers que la nouvelle star s’est construite. C’est là qu’il a connu son premier problème à l’âge de deux ans (un accident de voiture ou une malformation de naissance, les versions diffèrent). Celui qui lui a valu une intervention chirurgicale à la joue et qui lui a donné cet air très Scarface. Mais c’est surtout là qu’il a testé ses gestes techniques. Dans cette cité appelée Transition qui, pour le petit Franck, n’aura jamais aussi bien porté son nom.

Il prend son envol aux Aiglons

Son premier club se niche au pied de son immeuble et se nomme le FC Conti. Club de quartier où il ne resta pas longtemps mais où il se passionna pour ce sport. Plus loin, le long du Chemin Vert, c’est le siège des Aiglons, son deuxième club où il demeura cinq ans.  » Il avait déjà du caractère « , explique son entraîneur Pascal Bonvalet,  » Cependant, on n’avait pas à se plaindre de lui. Il était assidu aux entraînements et on voyait qu’il aimait bien cela. Jusqu’à une certaine limite. Vu ses capacités, je le faisais rester un peu plus que les autres et il ne comprenait pas pourquoi ses copains partaient mais que lui devait continuer les entraînements. Dans la cité, on le voyait tout le temps avec un ballon au pied et quand on lui demandait à l’école ce qu’il voulait faire plus tard, il répondait inlassablement footballeur « .

Pascal Bonvalet est fier de la réussite de son poulain et aime aussi rappeler que deux autres joueurs des Aiglons ont percé. L’un a atteint les quarts de finale de Coupe de France avec Calais et l’autre évolue en National (D3 française) à l’US Boulogne.  » Personne n’aurait pu prévoir qu’il parviendrait un jour en équipe nationale. Cependant, on sentait qu’il avait la possibilité d’atteindre la Ligue 1. Toutes les qualités qu’on lui découvre maintenant, il les possédait déjà à l’époque, avant de partir au centre de formation de Lille. En Pupilles, on percevait déjà sa vitesse, sa technique et son endurance. Il a toujours été le meilleur du groupe et il a toujours réussi à imposer ses qualités que ce soit à Alès, Brest, Metz, Galatasaray, Marseille et maintenant chez les Bleus. Quand je regarde son jeu, je ne lui vois pas de défauts. Quand il était jeune, il savait déjà tout faire. Pendant une demi-saison, je l’ai même posté au poste de libéro. Je me souviens d’un match contre Dunkerque, il avait quitté sa position, dribblé sept ou huit joueurs pour finalement inscrire un but. Pour percer au plus haut niveau, il lui a juste fallu de la patience et un peu de chance… « .

Viré du centre de formation de Lille

Repéré par l’entraîneur de l’équipe Première des Aiglons, José Pereira, il est emmené à 14 ans au centre de formation de Lille.  » Mon fils évoluait déjà à Lille « , explique Pereira,  » et j’ai proposé au directeur du centre de formation de tester Franck. Il est resté une semaine là-bas et il a tout de suite convaincu. J’en ai parlé aux parents du gamin qui ont accepté qu’il parte. Pour lui, il s’agissait d’une aubaine « .

Pourtant, son séjour à Lille prit fin brutalement, après trois années difficiles. Pereira :  » A 14 ans, il n’avait déjà peur de rien. Il ruait dans les brancards et c’était un écorché vif. Il avait des qualités au dessus de la moyenne mais cela restait un gamin des rues qui n’avait connu que des quartiers difficiles. Il s’est vite rendu compte des contraintes et des règles à respecter quand il est arrivé au centre de formation. Du jour au lendemain, il devait avoir de la discipline. Et puis, ses résultats scolaires n’étaient pas du tout bons. Il ne voulait pas aller à l’école. Il ne voyait pas à quoi cela pouvait servir. Il n’y avait qu’une chose qui l’intéressait : le football. Jacques Santini, qui était à l’époque l’entraîneur de l’équipe Première de Lille, m’a raconté qu’après ses entraînements, Ribéry allait assister à ceux des pros et qu’il se plaçait derrière les buts pour ramasser les ballons « .

Pourtant, son indiscipline scolaire va conduire le chef de l’établissement à se séparer du gamin. Commence alors une période de doute et de galère. Un retour à 17 ans à Boulogne-sur-Mer où il fera vite son trou en équipe Première.  » On a directement vu qu’il avait de la technique. Et puis, c’était un teigneux. Il en fallait beaucoup pour qu’il lâche prise « , affirme Joël Duchêne, qui s’occupe de l’US Boulogne.

Un premier contact avec le monde pro le mène ensuite à Alès d’où il reviendra quelques mois plus tard parce qu’il n’était pas payé.  » Il a fallu qu’il s’accroche « , continue Bonvalet.  » Il s’est rendu compte que ses qualités de footballeur ne suffisaient pas. De retour à Alès, on a cru qu’il ne jouerait jamais à un haut niveau. Il s’est même mis à travailler avec son père, ouvrier aux travaux publics, durant trois mois. Il revenait du boulot tellement fatigué qu’il allait dormir à 19 h. Il est passé par un centre de formation mais on ne peut pas dire qu’il ait suivi la filière empruntée par les autres grands joueurs. Il n’a pas connu l’équipe Première d’une formation de L1, il n’est pas passé par les sélections nationales chez les jeunes. Bref, il y a été au forceps « .

José Pereira abonde dans le même sens :  » Quand vous êtes virés d’un centre de formation, c’est très difficile de refaire surface. Des joueurs qui ont réussi après cela, je n’en connais pas beaucoup « .

Il redonne de la fierté à la cité

Son vrai départ de Boulogne servit de déclencheur. Première étape : Brest (National) où il décrocha le titre de meilleur passeur et où il impressionna Jean Fernandez qui le débaucha en une journée pour le compte de Metz. Le conte de fées se mettait en route. Le voilà en Ligue 1 en juillet 2004. Ses débuts furent tonitruants. Elu joueur du mois d’août, il réalisa un premier début de saison époustouflant, suscitant les convoitises des cylindrées européennes. Auréolé d’une place de meilleur passeur, il partit à mi-championnat pour Galatasaray. Marié à une Algérienne de la cité voisine à la Transition, il s’était converti à l’islam, ce qui avait convaincu les Turcs, persuadés que son intégration n’en serait que plus facile. Sa première expérience étrangère se termina pourtant rapidement, suite à des retards de paiement.

Retour en France. A Marseille, en juillet 2005. Celui qui s’était accroché si fort à son rêve de gosse ne lâcha plus rien. Sur les bords de la Méditerranée, il éclata au point de décrocher le nirvana en mai dernier : sa première convocation chez les Bleus et une participation à la Coupe du Monde.

Débarqué en joker, il incarnait le nouvel élan que devaient prendre les Français s’ils voulaient réussir un bon Mondial. Son premier match dans la peau d’un titulaire, face à la Suisse fut décevant mais suscita déjà une ferveur particulière dans sa cité natale. Là où le chômage atteint un taux de 60 %, Ribéry symbolise une lueur d’espoir. La cité Transition reprenait vie et deux écrans furent installés pour ses débuts en Coupe du Monde. Le plateau, qui renferme de 12.000 à 15.000 habitants, s’enflammait.  » Cela a tout changé dans le quartier « , souligne Jean-Claude Vigreux, serveur au bar-tabac Le Fontenoy.  » Cette réussite est valorisante. On la vit comme un honneur car le coin est considéré comme un peu délicat. On n’est pas en banlieue parisienne mais ce n’est pas rose tous les jours. On a l’impression qu’il y a davantage d’ambiance que lors du titre de 1998. Car, c’est d’ici que vient Ti Franck comme on le surnomme encore « .

Ces propos sont repris en c£ur dans toute la ville.  » Cela a permis d’avoir un impact sur les jeunes du cru. On a notre Zidane à nous « , lâche Duchêne.  » En France, tout le monde s’identifie à lui « , ajoute Bonvalet,  » et il n’a jamais renié son quartier. Tout ce qui transite autour du Chemin Vert constituait une honte pour Boulogne. Désormais, on voit que la ville s’investit plus. Elle avait décidé de mettre deux écrans géants dans la salle de sport pour la première rencontre et avait organisé un barbecue géant avec un match entre les personnalités de la ville et les jeunes de la cité. Cela aurait été inimaginable avant ! De plus, on voit que sa popularité ne change pas le caractère de Ribéry. Cela reste un gars du peuple et c’est cette facette qui plaît le plus. Les gens du quartier se disent que cela pourrait être le destin de leur frère, de leur fils. C’est un peu comme le Lotto. Cela peut arriver à tout le monde « .

Ribérymania

La ville vit désormais dans la Ribérymania. Si la surenchère médiatique commence à irriter certains –  » On a déjà tout dit sur Ribéry. TF1, Libération, France 2 et L’Equipe sont déjà passés  » – , la majeure partie des Boulonnais profite de cette publicité. Les affiches, annonçant le match contre le Portugal sur écran géant, ornent tous les abribus et les devantures des magasins. Pour les rencontres face au Brésil et au Portugal, tout le quartier du Chemin Vert est descendu dans le centre. Les écrans géants du premier match ont eu trop de succès. Pour les quarts et demi-finales, tout se passe dans les jardins du Nausicaa, à côté du grand cen-tre nautique. Plus de 7.000 personnes se sont massées pour assister au festival Ribéry. En ouverture de la demi-finale, toute la foule s’est même mise à entonner la chanson écrite en l’honneur du joueur de Marseille :  » Ti Franck, Ti Franck, Allez hop, tu vas pousser les Bleus, Ti Franck, Ti Franck, celui qui n’a pas froid aux yeux, c’est qui ?, c’est qui ?, c’est qui ? C’est Ribéry « .

Les maillots flanqués du 22 sont légion et lorsque Ribéry apparaît à l’image, une clameur s’élève du parc. Nonante minutes plus tard, la France tient sa qualification pour la finale. Les feux de Bengale et d’artifices secouent le ciel de la ville portuaire. La foule remonte vers la cité Transition où les badauds sont sortis sur les trottoirs pour saluer le concert de klaxons qui déchire la nuit boulonnaise, comme on applaudit la caravane du Tour de France.

Ribéry n’a jamais oublié son quartier. Ses parents, sa s£ur et ses deux frères ont quitté la cité Transition pour un quartier tout proche mais ses cousins y vivent encore :  » Il est venu dire bonjour à Noël « , affirme Jean-Claude Vigreux.  » Et c’est ici qu’il s’est marié en décembre. Il avait loué une salle de la cité. Pour la Coupe du Monde, il a invité à ses frais dix jeunes du quartier « . Et sa ville le lui rend bien. Le maire de Boulogne est parti le soutenir à Francfort et une fête en l’honneur de la nouvelle star est déjà prévue après l’événement allemand.

STÉPHANE VANDE VELDE, ENVOYÉ SPÉCIAL À BOULOGNE

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