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THE VOICE

 » Hello ! This is Motty !  » : rien qu’à entendre le message de sa boîte vocale, on est de bonne humeur. Rencontre avec John Motson (71), commentateur de Match of the Day depuis 1971. Il est la voix du football anglais.

Un hôtel triste de Knightsbridge, le quartier chic de Londres. Au bar, des gens feuillettent leur journal, d’autres regardent à l’extérieur sur fond de musique d’ascenseur. Devant l’entrée, un homme aux cheveux gris sort d’un taxi et pénètre dans le lobby, un peu courbé. Personne ne semble faire attention à lui jusqu’à ce qu’il lance :  » Hello there ! Good morning ! How are you ?  »

A cet instant, tout le monde le reconnaît. Sa voix a fait sursauter le bar endormi. Cette voix qui, depuis des décennies, parvient à transformer le pire match de football en spectacle. Cette voix légèrement rocailleuse, toujours éveillée et qui surmonte tous les bruits de fond est celle de John Motson, la voix du football anglais.

Cela fait près d’un demi-siècle qu’il commente des matches au paradis du football. Il est devenu une institution au sein d’une autre institution, Match of the Day. La Reine Elizabeth II l’a couronné du Most Excellent Order of the British Empire, les téléspectateurs le classent chaque année au top des animateurs les plus populaires et les scientifiques ont constaté qu’il parlait deux fois aussi vite, aussi fort et avec bien plus de variations dans la voix que le commun des mortels.

Ce septuagénaire arrive aussi à rendre un but deux fois plus beau qu’il ne l’est en réalité. Sa passion se ressent jusque dans la manière dont il remercie quand on lui amène un cappuccino :  » Lovely ! Thank you !  » Il a hérité cette voix de son père, un pasteur.  » Il n’avait pas de micro mais on l’entendait parfaitement, même du fond de l’église. Il y a sans doute quelque chose de génétique. Ce dont je suis sûr, en tout cas, c’est que c’est mon père qui m’a transmis cet amour pour le football.  »

Il est né à Manchester mais comme son père était prêtre itinérant, il a parcouru toute l’Angleterre.  » Nous allions voir des matches à Arsenal, à Tottenham, dans le nord du pays… Lorsque nous habitions au sud de Londres, nous allions souvent à Charlton Athletic. Plus tard, nous avons déménagé de l’autre côté de la Tamise et mon père a eu un faible pour Chelsea.  »

Enfant, il collectionnait les tickets et les programmes.  » Au début, je ne conservais que les souvenirs des matches auxquels j’avais assisté. Par la suite, j’écrivais des lettres aux clubs avec une enveloppe timbrée pour la réponse. Quand Everton ou Preston North End me répondaient, j’étais fou de joie.  »

Moston n’allait jamais cesser de collectionner. Il possède les programmes de toutes les finales de Coupe d’Angleterre depuis 1922. Y compris, donc, celui de la Rainy Day Final de 1924, qui a vu Newcastle l’emporter 2-0 sur Aston Villa.  » C’était la deuxième finale disputée à Wembley. Il avait plu toute l’après-midi et les gens utilisaient leur programme pour se couvrir la tête. C’est pourquoi il a été très difficile d’en trouver un qui ait encore sa première page mais j’y suis arrivé. Combien croyez-vous qu’il vaut ? Huit mille livres ! (9.426 euros, ndlr). Mais il n’est pas à vendre !  »

LE JOURNALISME DANS LE SANG

Motson voulait devenir journaliste en presse écrite. A l’âge de 16 ans, il est devenu coursier au Barnet Press Weekly Newspaper. Il suffisait qu’il se passe quelque chose dans cette petite ville au nord de Londres pour qu’il se pointe.  » Des accidents, des mariages, des enterrements, des matches de foot…  » C’est cette dernière catégorie qui lui plaisait le plus. Après quatre ans, il s’est donc spécialisé dans le sport.

Il doit avoir posé sa candidature dans pratiquement tous les journaux et c’est le Morning Telegraph, de Sheffield, qui lui a donné sa chance.  » Je suivais les matches de Sheffield Wednesday et Sheffield United en alternance. J’allais aussi à Rotherham United, Mansfield Town ou Chesterfield. Je pensais avoir trouvé ma vocation.  »

C’est à cette époque que la BBC lançait ses premiers émetteurs régionaux. Elle installait une de ses stations expérimentales à Sheffield.  » Les moyens étaient minimes. On avait demandé à mon chef, au journal, de faire une émission de sport. Après les matches, les rédacteurs repassaient par le studio pour faire un petit compte rendu de la rencontre.  »

Manifestement, Motson était à l’aise devant le micro.  » Le type qui faisait la rédaction finale au journal m’a dit : John, je t’ai entendu à la radio samedi puis j’ai lu ton texte dans le journal. Tu devrais continuer en radio ! J’ai tenu compte de son conseil !  »

Lorsque BBC Radio 2 a lancé une offre d’emploi, il a réagi et a été engagé. Il devait écrire des textes d’introduction et lire des résultats. Sa voix plaisait et, en 1969, il commentait ses premiers matches. Un an et demi plus tard, une place se libérait à la télévision.  » Et c’est moi qu’on a choisi « , dit-il avec autant d’enthousiasme que s’il venait d’apprendre la nouvelle.

Le 9 octobre 1971, les téléspectateurs de Match of the Day entendaient sa voix pour la première fois.  » C’était un match entre Liverpool et Chelsea : 0-0 sur toute la ligne. Je n’en garde pas un très bon souvenir. Il n’était pas facile de passer de la radio à la télévision. J’étais habitué à donner les noms des joueurs et leur position sur le terrain, le score et le temps de jeu mais en télévision, ce n’était pas nécessaire, les gens le voyaient. Je devais ajouter quelque chose mais je ne savais pas quoi.  »

Le déclic se produisait à l’occasion d’un match de Coupe d’Angleterre entre Hereford United et Newcastle United, en 1972. Une des plus grandes surprises de l’histoire de la Cup. L’équipe d’amateurs éliminait Newcastle et Ronnie Radford, parfaitement inconnu au bataillon, inscrivait le but de la saison. Dans la tribune, un jeune commentateur de la BBC explosait, comme si on lui brûlait les pieds. Il transmettait l’ambiance mieux que quiconque.

À L’ÉCOLE DE ROD STEWART

Quarante-quatre ans, 2000 matches et 12 manteaux en laine de mouton plus tard, sa voix légèrement rocailleuse, toujours à la limite, est la seule chose qui n’ait pas changé dans un monde en constante évolution. Motson est toujours du temps de la télévision en noir et blanc et une fois, sans le faire exprès, il lui est arrivé de dire sur antenne : « Pour ceux qui nous suivent en noir et blanc, les Spurs jouent en jaune. »

La télévision n’est pas la seule chose qui ait changé :  » A mes débuts, il n’y avait pas de panneaux publicitaires dans les stades. Je me souviens encore que, dans les années 70, un jeune collaborateur de Sheffield United s’était présenté à moi en tant que manager commercial. J’avais éclaté de rire : -C’est quoi, ça ? C’est nouveau ? Il m’avait répondu que oui et m’avait invité à découvrir le nouveau restaurant du club.

J’avais décliné parce que je n’avais pas le temps d’aller au centre-ville avant le match : je n’avais pas compris que le restaurant était dans le stade ! On en était aux tout débuts, y compris en matière de préparation physique. Alan Hansen (défenseur de Liverpool de 1977 à 1991 puis consultant pour Match of the Day, ndlr) m’a raconté un jour comment il s’échauffait lors de ses débuts à Liverpool : quatre flexions de genou dans le vestiaire, c’était tout !  »

Le métier de commentateur n’était pas toujours facile.  » La BBC disposait d’une Action Replay, une machine qui permettait de répéter une phase sur place. Mais le samedi après-midi, elle servait aux courses de chevaux qui, contrairement au football, étaient retransmises en direct. Les gens dans le studio pouvaient encore ajouter un ralenti plus tard mais moi, au stade, je n’avais rien.

Il fallait donc une très bonne vue et je n’avais pas le droit de me tromper de nom car on ne pouvait plus changer. Chaque but était une épreuve. Pendant que les joueurs faisaient la fête sur le terrain, je devais dire quelque chose qu’on allait insérer pendant le ralenti. Des choses que je ne voyais pas, donc. A chaque fois, je priais pour ne pas me tromper.  »

Motson souffle.  » J’avais peur de commettre des erreurs. Il m’arrivait de passer plusieurs nuits blanches avant un match. Cette nervosité ne m’a quitté qu’au début des années 90, lorsque j’ai été invité avec des amis à jouer au foot chez Rod Stewart. Après le match, je lui ai demandé s’il n’était jamais nerveux lorsqu’il montait sur scène. Il m’a répondu : Pourquoi ? C’est mon métier ! Ce réalisme m’a inspiré.  »

Aujourd’hui, en tribune de presse, Motson dispose de tous les ralentis qu’il veut. Ce n’est pas pour autant qu’il trouve que le métier est devenu plus facile.  » Le jeu est bien plus rapide. Avant, les joueurs portaient des numéros allant de 1 à 11, en fonction de la place qu’ils occupaient sur le terrain. Croyez-moi ou non : les ailiers jouaient le long de la ligne ! Il n’y avait qu’un réserviste et il ne pouvait entrer qu’en cas de blessure.

RÉAGIR FACE À L’IMPRÉVISIBLE

Aujourd’hui, les clubs ont des noyaux énormes et je dois surveiller 36 joueurs. Franchement, c’est le plus difficile. Les managers effectuent deux ou trois remplacements dans les dernières minutes, je dois trouver quelque chose à dire sur le type qui entre mais je n’ai pas vu qui était sorti et le jeu continue à toute allure.  »

Tant qu’il le pourra, Motson poursuivra son tour des stades.  » Je me suis un peu calmé, je ne fais plus que trente matches par an. Mais le samedi, quand j’ai congé, je vais quand même au football.  » Son contrat avec la BBC est désormais renouvelable chaque année. « Le jour où je n’éprouverai plus de plaisir, j’arrêterai. Je crains ce jour mais il n’est pas encore arrivé. Le football continue à me surprendre. On ne peut jamais prédire ce qu’il va se passer, c’est ce qui fait la beauté du sport et du commentaire : il faut pouvoir réagir face à l’imprévisible.  »

Il se lève, remercie généreusement le personnel et nous tape sur l’épaule :  » Well, well, that was great !  »

PAR GEERT-JAN JAKOBS – PHOTOS BELGAIMAGE

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