The soccer rat

Qui est la nouvelle recrue américaine ? Pour ses coaches, il ne va peut-être pas s’imposer immédiatement mais potentiellement, il peut devenir le patron d’Anderlecht.

Après de multiples tentatives de prise de contact avec les dirigeants de Club Deportivo Chivas USA, mercredi dernier le message tombe :  » Pour l’instant, rien n’a été finalisé entre Chivas USA et tout autre club concernant le transfert de Sacha Kljestan (24 ans). Quand ce sera officiel, je vous mettrai en contact avec les bonnes personnes « , signé Eduard Cauich, le responsable des communications externes du club.

On a beau être rompu au strict respect des règles et de la procédure des Américains, on reste étonné à chaque fois. Surtout que dans ce cas, la nouvelle du transfert est dans l’air depuis plusieurs jours.  » Attention, il se peut aussi que les responsables de Chivas ne soient pas vraiment au courant des tenants et des aboutissants du transfert « , précise Nick Green, un journaliste spécialisé installé à Los Angeles.  » Il faut savoir que les contrats des joueurs de Major League Soccer (MLS) sont signés avec la ligue elle-même et non pas avec les clubs. C’est donc avec elle qu’Anderlecht a traité. C’est ainsi, par exemple, que les salaires des joueurs sont du domaine public. On sait ainsi que celui de Sacha en 2009 était de 200.000 dollars (166.000 euros) par an.  »

La chronique de Green est reprise par une petite dizaine de journaux dont le puissant Los Angeles Daily News. Il suit les rencontres des clubs de la région, le Galaxy, rendu célèbre par David Beckham et Chivas USA, qui partagent le même stade (27.000 places), établi à Carson, à une dizaine de kilomètres au sud de la Cité des Anges.

 » Kljestan est un excellent joueur. Il utilise bien les deux pieds et ça lui sert pour la rapidité de son jeu. Il est aussi véloce avec ballon que sans « , explique-t-il.  » Mais son atout principal est sa lecture du jeu et la faculté qu’il possède de trouver des solutions, parfois surprenantes. C’est véritablement un joueur créatif. Il ne possède pas un gabarit impressionnant (1,85 m pour 77 kg), mais il sait être physique tant il a du caractère. C’est aussi un infatigable travailleur. Une qualité probablement héritée de son papa, Slavko.  »

 » Avec un Kljestan à la baguette, tout le monde joue mieux « 

Manfred Schellscheidt, l’entraîneur en chef de Seton Hall University depuis 1988 :  » Je l’ai vu pour la première fois en Californie, à Chula Vista, où il évoluait dans une sélection des -17 ans. Il a livré un bon match, mais sans pour autant impressionner. J’ai vu chez Sacha une belle fluidité des mouvements et une grande lucidité. Je l’ai immédiatement approché après la rencontre et lui ai proposé de nous rendre visite. Il est venu et pour le recruter, nous lui avons offert une bourse couvrant 70 % des frais scolaires. C’est un joueur très talentueux avec une superbe compréhension du jeu et une vision du terrain tout aussi impressionnante. J’aime particulièrement sa façon de conduire le ballon des deux pieds et de manière très naturelle. Vous savez, pour beaucoup de joueurs, le ballon devient une gêne, un frein. Pour lui, il devient une arme. Pour le dire plus poétiquement, son corps et le ballon sont devenus des instruments maîtrisés pour exécuter ses brillantes idées. J’ai remarqué au fil des années qu’il a passées chez nous qu’il avait le don de bonifier ses équipiers. Avec un Kljestan à la baguette, tout le monde joue mieux. Un exemple : lors de sa dernière année à Seton Hall, il jouait au centre dans un rôle assez libre où je ne lui imposais pas trop de tâches défensives et où il avait un coéquipier très rapide à sa droite dont le bilan final fut de 6 buts et 4 assists. Quand ce joueur s’est retrouvé sans Sacha à ses côtés, il n’a ni marqué, ni délivré d’assist. Je ne crois pas que ce soit un hasard. De plus, Sacha possède une bonne mentalité et un esprit conquérant. Dès le premier jour, il a déclaré devant tous ses coéquipiers que nous allions gagner le championnat Big East. Quelques mois plus tard, nous étions en finale ! Cela ne veut pas dire qu’il va s’imposer immédiatement en tant que tel à Anderlecht, mais potentiellement, il peut devenir un patron.  »

 » L’idole devint soft et a mis très longtemps à retrouver la forme « 

Quelques faiblesses peut-être, dissimulées dans ce florilège ?  » Sacha n’est pas le plus rapide ni le plus explosif des joueurs, mais il possède une grande endurance « , poursuit Schellscheidt.  » Il peut jouer à un haut niveau pendant les 90 minutes. Les tests physiques qu’il a réalisés avec l’équipe nationale le placent dans le top 5. C’est remarquable. Son jeu de tête n’est pas sa tasse de thé, mais il se débrouille bien grâce à un excellent placement et un bon timing. Il peut aussi améliorer son jeu défensif mais à sa décharge, tant à Seton Hall qu’au CD Chivas, on ne lui a jamais demandé de jouer les garde-chiourmes ou les récupérateurs. S’il fait banquette en Belgique, je crois qu’il se donnera plus encore pour gagner sa place. C’est un passionné. Un soccer rat (un accro du foot) comme on dit. Je ne pense pas qu’il créera problème.  »

Toutes ces qualités ne lui ont pourtant pas valu sa sélection pour l’Afrique du Sud ?  » Non, c’est vrai. J’ai moi-même été surpris et déçu « , explique le coach.  » Mais, sans connaître exactement les raisons de sa mise à l’écart, il faut savoir que l’équipe, c’est un ensemble échafaudé par l’entraîneur. Il est possible par exemple que Bob Bradley estime qu’il a davantage besoin de milieux défensifs que de créatifs car les adversaires sont trop forts. Tout ça pour dire que le Sacha n’a pas nécessairement été éliminé sur sa valeur intrinsèque mais qu’il a été sacrifié au nom de la tactique et de l’intérêt du groupe.  »

Nick Green, lui, met cette déconnexion sur le compte de la concurrence mais aussi d’une baisse de régime après des tests au Celtic Glasgow en janvier 2009.  » Sacha a passé 6 jours plutôt creux en Ecosse : quelques entraînements, un petit match insignifiant gagné 8-0 et c’est tout. Il est rentré le vendredi et le lendemain, il était aligné en équipe nationale, dans son stade Home Depot Center. Les USA l’ont emporté 3-2 contre la Suède avec… 3 buts d’un brillant Kljestan ! Tout le monde à ce moment pensait que c’était dans la poche. Ce fut tout le contraire. L’idole devint soft et mit très longtemps à retrouver la forme. Il a bien marqué le but de la victoire 2 à 1 contre le Salvador en février, mais ça n’a pas suffi. A-t-il cru que c’était arrivé ? A-t-il mal géré ce choc des extrêmes : la désillusion de ne pas avoir été engagé par le Celtic et la griserie d’être devenu le buteur de l’équipe nationale ? Mystère, mais en tout état de cause, il n’a jamais plus été le même. « 

 » Il a joué la triple carte : salaire, prudence et patience « 

Kljestan a-t-il fait le bon choix ? Green est ambivalent à ce sujet.  » Le niveau du championnat belge est un cran au-dessus de la MLS mais il reste malgré inférieur à beaucoup d’autres. Je pense que Sacha aurait pu viser plus haut. Il a par exemple été approché par Monaco après les JO de Pékin. En signant à Anderlecht, il a joué la triple carte : salaire, prudence et patience. Même si je ne connais pas les chiffres, j’imagine qu’il va sérieusement améliorer son quotidien. Le club belge va lui permettre de se tester et de voir où il se situe réellement. Enfin, rien ne sert de brûler les étapes. Si tout ce passe comme prévu, la Belgique lui servirait de tremplin. On a connu ce scénario avec Oguchi Onyewu, passé du Standard à Newcastle puis à l’AC Milan.  »

Schellscheidt est plus catégorique :  » Anderlecht est un excellent choix. Bien meilleur que ne l’aurait été Glasgow ! Je pense que Sacha va y faire son trou car ce club possède la culture du beau jeu et de l’offensive qui lui conviennent parfaitement. Comme je l’ai dit, Sacha est un travailleur dur au mal, mais il est aussi et surtout un constructeur, un créateur. « 

A peine installés dans leur appartement de Santa Monica, Sacha et sa petite amie, la Britannique Jamie Lee Darley, top modèle pour Victoria Secret, vont devoir quitter la côte du Pacifique pour les rives de la Senne. Depuis qu’il a 10 ans Sacha Kljestan voulait devenir footballeur pro. Le rêve continue. Quoi qu’il advienne, il ne le quittera jamais. Sur son avant-bras, un tatouage, réalisé au retour de Pékin, arbore, sous une couronne de lauriers stylisée, un simple mot : Somnium (le rêve, en latin). l

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