THE QUEEN OF SPEED

Elfje Willemsen est une des pilotes les plus rapides en bobsleigh. Avant une éventuelle médaille à l’EURO, petit voyage dans la tête de la figure de proue des Belgian Bullets, avant, pendant et après une descente.

LA VISUALISATION

Elfje Willemsen :  » Du mardi au jeudi, Sophie Vercruyssen et moi pouvons nous exercer sur la piste à six reprises. Je connais bien les 17 pistes du monde. Elles sont toutes différentes : certaines sont faciles, sans virages difficiles, d’autres sont ultra rapides et d’autres encore sont très techniques et peuvent faire perdre du temps.

Tous les jours, j’arpente la piste de bas en haut pour déterminer la meilleure trajectoire dans les virages pendant que les coaches prennent des photos. Je demande un plan B : quid si je sors trop bas ou trop haut de tel tournant ?

Après ces reconnaissances, je rejoue les plans A et B dans ma tête jusqu’à 50 fois par jour, en mimant les mouvements du volant avec mes mains. Je répète cet exercice de visualisation pendant l’échauffement, jusqu’au départ. Je me maudirais si je me crashais pour ne pas l’avoir fait.

Je veux m’approcher le plus possible de la course idéale. Si certaines se moquent de passer un centimètre trop haut, pas moi. Ma trajectoire doit être parfaite. C’est pour ça que je suis une des meilleures pilotes et qu’on me surnomme Queen of Speed. C’est un Anglo-Saxon qui commente le bobsleigh depuis des années qui m’a trouvé ce surnom.

Bien piloter est une qualité mais c’est moralement dur pour une perfectionniste comme moi. J’envie parfois Sophie. Après le départ, elle n’a plus de souci jusqu’au freinage après l’arrivée. D’un autre côté, je n’aimerais pas perdre le contrôle. Même en voiture, je suis nerveuse quand un autre conduit.  »

LE DÉPART

 » Sur un temps total d’une minute, ça peut sembler dérisoire, mais le départ, durant lequel nous poussons l’engin en sprintant, est crucial. Chaque centième perdu en fait trois à l’arrivée car on négocie plus lentement le premier virage et on profite moins du facteur d’accélération.

Ce départ est notre point faible : nous perdons deux dixièmes de seconde sur les meilleures et n’atteignons la même vitesse qu’à mi-parcours. Grâce à mon pilotage et la vitesse du bob, nous comblons partiellement notre retard dans le second tronçon, surtout quand la piste est longue et difficile, mais pas assez pour gagner.

La bonne nouvelle, c’est que nous démarrons de plus en plus vite. Nous avons gagné onze centièmes à Whistler par rapport à 2010. Ça paraît peu mais en quatre descentes, ça fait une demi-seconde. Nous rattrapons donc les meilleures. Sophie, qui n’a que 23 ans, a joué au basket jusqu’à l’année dernière et n’avait jamais fait de musculation ni d’exercices de sprint.

Comme elle est naturellement rapide, elle a pris la place d’Annelies Holthof avant le Mondial. Depuis l’été dernier, j’ai également progressé grâce à notre nouvel entraîneur Fernando Oliva, qui nous dispense des exercices variés et fonctionnels. Je suis devenue un peu moins lente, disons !

Nous ne gagnerons pas ces deux dixièmes pour les Jeux 2018. Nous ne serons jamais aussi athlétiques et explosives que la double championne olympique canadienne Kaillie Humphries mais si nous atteignons un temps de départ moyen, au lieu d’être les plus lentes, nous pourrons briguer le podium.  »

LE FEELING

 » Nous nous échauffons trois quarts d’heure pour ce départ de cinq secondes. Les nombreux supporters belges et le stress m’aident à faire le plein d’adrénaline. Mon pouls est à 100 au départ et à 160 après. Il faut retrouver son calme endéans les deux secondes car si les premiers virages sont souvent lents, il faut être très précis. Une faute peut nous faire passer de 50 à 40 km/h, ce qui est plus grave que de franchir la ligne à 125 au lieu de 130.

Je ne panique pas quand je commets une erreur. C’est mon fameux plan B ! Je ne suis quand même pas à l’abri des fautes, comme lors du crash en Coupe du Monde à Whistler. Après un virage difficile pourtant bien négocié, je ne me suis pas reconcentrée assez vite. Les risques du métier…

Une telle erreur semble minime. On pilote le bob avec des rênes qui passent à travers des anneaux et sont fixées en bas du bob. L’engin ne bouge que de deux ou trois centimètres vers le bas ou le haut. On le dirige du bout des doigts. C’est pour ça que je n’enfile pas de gants car je pilote au feeling, en regardant la fin du virage, pas l’avant du bob.  »

LA HANTISE

En neuf ans, je dois avoir dévalé un millier de pistes mais j’ai toujours peur des accidents, surtout sur les pistes dangereuses. C’est un sentiment horrible, qui ne s’améliore pas avec l’âge. Au départ, je dois m’insuffler du cran car j’ai parfois envie d’être à mille lieues de là : -Elfje, si les autres sont descendues sans casse, tu dois y arriver, avec ton talent.

Il n’y a rien de pire que le stress de perdre du temps à cause de ses erreurs… à part le crash, comme à Whistler. L’instant où on réalise qu’on décolle, puis la réception sur le dos n’est pas non plus agréable. Ça dure une éternité. Le bob craque contre la glace. Ma première pensée est : comment va ma freineuse ? Car c’est moi la responsable du crash. Jusqu’à présent, je n’ai eu que sept accidents. Si, comme d’autres, j’en avais eu trente, j’aurais raccroché.

Pourtant, dès que la descente commence, la peur s’atténue. Jusqu’au tournant très difficile qu’on appréhende. Si je le négocie parfaitement, je suis soulagée, même si je ne suis vraiment libérée qu’après l’arrivée, surtout si j’ai réussi un bon chrono.

Ensuite, monter sur le podium, partager ma joie avec Sophie, ça efface les mauvais souvenirs. C’est pour ça que je pilote, plus que pour la descente stricto sensu. Certaines pilotes vivent pour ça et il y a quelques années, ça me procurait un kick aussi mais à 31 ans, je réalise que la vie compte.  »

LES BOBOS

 » Le bobsleigh, c’est de la souffrance, surtout après un crash. Nous portons un survêtement de protection en kevlar et un casque mais les blessures sont inévitables, surtout pour la freineuse, qui n’est pas protégée par la capsule du bob. Vous auriez dû voir le dos de Sophie à Whistler : gonflé, rouge, bleu, un mélange de brûlures superficielles et d’hématomes.

Même sans accident, chaque descente abîme le corps. Mes jambes sont pleines de coups bleus et de cicatrices, à force de glisser en sautant dans le bob. Souvent, l’adrénaline m’empêche de les sentir avant la fin de la course. La force G nous plaque contre les tournants et fait descendre nos organes.

Notre corps prend un coup à chaque tournant et nous devons charger nous-mêmes l’engin de 165 kilos dans le camion, ce qui met notre cou et notre dos à rude épreuve. Nos séances de sprint nous valent de fréquentes blessures de surcharge : élongations des ischiojambiers, tendinites…

Heureusement, le régime est moins pénible que l’année dernière. Le poids du bob et des dames était limité à 340 kilos mais Spanky, notre bob, était lourd — 183 kilos — et Annelies, mon ancienne freineuse, était aussi lourde que moi –75 kilos. Nous étions donc trop proches de la limite et devions perdre cinq ou six kilos. Le jour de la compétition, je ne déjeunais pas et je ne buvais même pas pour exclure tout risque de surpoids.

La fédération ayant ramené le poids à 325 kilos, nous avons abandonné Spanky pour Maximum, qui ne pèse que 165 kilos et Sophie fait dix kilos de moins qu’Annelies : nous devons même ajouter des poids au bob. Nous pourrions aussi nous transformer en ogresses mais nous ne serions plus très rapides. Au moins pouvons-nous nous gréer un dessert, maintenant…  »

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS IMAGEDESK – JONAS LAMPENS

 » Le départ est notre point faible : nous perdons deux dixièmes de seconde sur les meilleures.  » ELFJE WILLEMSEN

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