The Prince is back

L’Ardennais était en visite chez les Magpies à l’occasion du choc contre Manchester United.

A l’époque, guère lointaine au demeurant, où il défendait encore avec brio les couleurs des Magpies, Philippe Albert s’était juré de reprendre de temps à autre le chemin de Saint James’ Park, théâtre de ses anciens exploits avec Newcastle. Ce retour, le grand Phil l’a concrétisé pour la troisième fois en autant d’années, en notre compagnie ce coup-ci, à la faveur du match-phare de la 33ème journée de la Premier League entre les Geordies et Manchester United, samedi passé. Un sommet truffé de moult souvenirs marquants chez l’Ardennais.

« Une date est griffée pour l’éternité dans ma mémoire: celle du 20 octobre 1996 », dit-il. « Ce jour-là, nous avions atomisé les Red Devils sur le score sans appel de 5 à 0 grâce à des buts de Darren Peacock, David Ginola, Les Ferdinand, Alan Shearer et moi-même. Mon goal, un lob des 25 mètres qui avait laissé pantois le gardien adverse, Peter Schmeichel, m’a probablement valu d’entrer à tout jamais dans la légende du club. J’ai beau avoir quitté le Royaume-Uni depuis près de quatre ans, bon nombre de personnes n’ont toujours de cesse de m’interpeller à ce sujet. Récemment, dans le cadre de son émission rétro, intitulée Flash Back comme bien l’on pense, l’une des chaînes de télévision locales du Northumberland, Tyne Tees, avait dépêché un cameraman et un journaliste à mon domicile fleurusien afin d’évoquer aussi bien mon après carrière que cette réalisation pas comme les autres. J’ai cru comprendre qu’au hit-parade des meilleures ventes, aucune cassette vidéo ne s’était arrachée davantage que celle de ce match-là. Lors de mon premier come-back sur le sol britannique, en juillet 2001, elle était d’ailleurs toujours diffusée en boucle dans le fan shop, Comme quoi, cette joute aura marqué les imaginations.

Une autre, en revanche, toujours face aux Mancunians, me laisse encore aujourd’hui un goût amer: un revers concédé par 0-1 au cours de ma deuxième saison au NUFC. A un moment donné, sous la houlette de Kevin Keegan, nous avions alors compté 12 points d’avance sur la bande à Eric Cantona. Grâce à une action décisive du footballeur français, les joueurs d’ Alex Ferguson étaient finalement parvenus à mener à bon terme ce match crucial. Cette défaite avait eu l’effet d’un uppercut pour nous et, semaine après semaine, l’équipe perdit tant et plus de sa superbe, au point de terminer en définitive à la deuxième place du championnat.

Il n’est pas interdit de penser, à cet égard, que l’histoire repassera à nouveau les plats cette saison. Mais avec Arsenal, et non Newcastle, dans le rôle de l’arroseur arrosé. Car Manchester United est décidément coutumier, ces dernières années, de fins de saisons menées tambour battant. C’est pourquoi, malgré un programme corsé, avec en perspective, entre autres, une visite chez les Gunners, ce mercredi 16, je n’en fais pas moins le favori tout désigné pour le titre. Et, dans un registre similaire, je crois toujours fermement, aussi, aux chances de David Beckham et des siens en quarts de finale de la Ligue des Champions face au Real Madrid. D’accord, les Red Devils ont été balayés pendant une bonne heure. Mais à 3-0, à l’instant même où plus personne n’aurait osé miser une thune sur eux, ils ont bel et bien montré, si besoin en était encore, qu’aucune formation ne recèle autant de ressources morales que celle-là. A mes yeux, il ne fait en tout cas aucun doute que, pour se qualifier, les Espagnols devront faire trembler au moins à une reprise les filets de Fabien Barthez. Ils en sont évidemment capables, dans la mesure où l’arrière-garde des pensionnaires d’Old Trafford constitue le secteur le moins solide, avec des joueurs bons, sans plus, comme Gary Neville ou Mickaël Silvestre. Mais il n’en va pas autrement pour les MerengueMichel Salgado et Fernando Hierro ne constituent pas, ou plus, des foudres de guerre. A mon sens, les Mancunians ont une très belle carte à jouer, en tout cas ».

Albert oui, Ginola non

A sa descente de l’avion, Philippe Albert est accueilli par Susan Justice, responsable du catering à Saint James’ Park. Son mari, David, un véritable fana des Magpies , ainsi que ses potes Brian, un maréchal-ferrant, Peter, un fermier, et Derek, un employé des British Telecoms, font partie de ceux avec qui l’Ardennais et sa petite famille ont gardé un contact étroit depuis leur départ pendant l’été ’99.

« Tous des gens simples, comme Phil« , observe la joviale Anglaise. « Honnêtement, bien peu le percevaient de la sorte lors de son arrivée chez nous, en 1994. A l’époque, il avait débarqué en étant précédé d’une sacrée réputation, due à la fois à ses prestations extraordinaires avec la sélection belge à la World Cup mais aussi à son appartenance à Anderlecht. Les continentaux ont beau dire que les Britanniques ne s’intéressent qu’à ce qui se passe aux Iles, je vous prie de croire que le club bruxellois ne fait plus figure d’inconnue pour nous depuis cette soirée du printemps 1970 où il nous a boutés hors de la Coupe des Villes de Foire. Dès ce moment, le Sporting a constitué une référence pour nous et, près d’un quart de siècle plus tard, c’est à la fois avec fierté et appréhension que nous avions réagi au passage de votre compatriote dans nos rangs. Car comment cette vedette du football belge allait-elle s’accommoder d’un club provincial comme le nôtre? Au départ, à l’image de bon nombre d’autres personnes, j’ai redouté le pire tant Phil semblait froid et distant. Plus tard seulement, nous avons compris que cette attitude était dictée par une certaine timidité mais nullement par un quelconque complexe de supériorité. Et, après quelques semaines à peine, il n’y paraissait déjà plus. Il a eu tôt fait d’être adopté par tout le monde à Newcastle. Et son souvenir reste toujours vivace aujourd’hui alors que d’autres, ici, sont honnis à jamais. Comme David Ginola, par exemple, qui n’avait que du mépris pour nous et qui ne s’est pas privé de le clamer haut et fort lorsqu’il rallia les rangs de Tottenham. Phil, par contre, est et sera toujours le bienvenu chez nous. La preuve: quand le président, Freddy Shepherd, a appris qu’il assisterait au match contre Manchester United, il a aussitôt décidé qu’il serait présenté au public avant le match. C’est un événement historique, en ce sens qu’aucun étranger n’a jamais eu droit à cette faveur auparavant!

Il n’y a d’ailleurs pas que le chairman qui se réjouit de revoir Phil. Ceux qui ont eu la chance d’évoluer à ses côtés et qui répondent toujours présents parmi nous, comme ses anciens team-mates Shay Given et Alan Shearer ou encore Peter Beardsley, devenu responsable des moins de 17 ans, m’ont fait savoir qu’ils désiraient à tout prix voir Phil. Sa venue a été annoncée dans les journaux, tout au long de la semaine déjà, et il fait même l’objet d’une rétrospective dans le programme officiel qui sera mis en vente dans le cadre du clash face à Manchester United. L’année dernière, beaucoup avaient été déçus en apprenant que Phil avait préféré encourager ses ex-partenaires à Stamford Bridge, lors du déplacement saisonnier à Chelsea, plutôt qu’à Saint James’ Park. Mais cette fois, il est là et bien là. Et la fête n’en sera que plus belle ».

Top-ten

Une petite dizaine de kilomètres séparent l’aéroport de Newcastle du centre-ville où est lové Saint James’ Park. A mesure que le trafic s’intensifie et que les véhicules avancent au pas, Philippe Albert suscite tant et plus de coups de klaxons admiratifs. Et l’enthousiasme grimpe encore de quelques décibels quand il descend de voiture au stade. Le premier à l’accueillir n’est autre que Peter Beardsley.

 » Phil, c’est le plus grand dans toutes les acceptions du terme », observe l’ancien international anglais tandis qu’il pose gentiment pour la photo des retrouvailles. « J’ai joué avec bon nombre de footballeurs dans ma carrière et je n’hésite pas à dire que votre compatriote émarge parmi les meilleurs. Il fait incontestablement partie, à mes yeux, du top-ten des étrangers qui se sont illustrés en Angleterre ces dernières années, au côté de noms aussi prestigieux que Dennis Bergkamp, Gianfranco Zola, Ruud van Nistelrooy, Jaap Stam, Jari Litmanen, Ruud Gullit, Thierry Henry, Faustino Asprilla et DavidGinola. Toutefois, contrairement à ces deux derniers, qui ne se sont jamais réellement fondus dans la communauté locale, Phil, lui, a été instantanément des nôtres. Et, ce qui ne gâte rien, il nous a toujours été d’un apport précieux sur le terrain, aussi bien sur le plan défensif qu’offensif. Personnellement, les quatre années que j’ai passées ici, en sa compagnie, constituent les plus belles de ma vie de footballeur. Pourtant, dieu sait si elle fut riche puisque j’ai mis fin à ma carrière à l’âge de 38 ans à Bolton et que j’ai quand même défendu durant pas mal de saisons les couleurs des Reds de Liverpool. Mais nulle part la satisfaction d’exercer le métier de joueur ne fut aussi grande qu’ici. Le mérite en revient à Kevin Keegan dont la seule tactique consistait à nous dire, avant chaque match: – Enjoy yourself (amusez-vous). Et c’est vrai qu’on s’est régalé à cette époque, tant sur le terrain qu’en dehors des stades. Je me souviens de quelques parties de golf inoubliables en Ecosse. Dans ce domaine-là aussi, Phil avait du répondant. C’était vraiment un bon à tout faire ».

Shay Given

Après un détour par le fan shop, Philippe Albert gagne la pelouse principale où, à quelques heures du choc contre Manchester United, l’effervescence bat son plein. Les médias s’arrachent notamment deux des hommes appelés, dans le camp local, à jouer plus que vraisemblablement un rôle en vue face aux Red Devils: Shay Given et Alan Shearer. Ses obligations terminées, le gardien irlandais se hâte en direction de notre compatriote, qui a pris place dans les gradins. « Hi, room-mate », lui dit-il en guise de bienvenue. Une allusion aux nombreuses mises au vert au cours desquelles les deux compères partagèrent la même chambre. « C’est dommage qu’il n’ait pas débarqué plus tôt à Saint James’ Park », confie le grand Phil. « Auquel cas je ne me serais peut-être pas retrouvé les mains vides après cinq années là-bas. En réalité, ce qui nous a sans doute manqué pour remporter une distinction majeure, c’est un keeper de son envergure. Pavel Srnicek et Shaka Hislop, qui l’ont précédé, n’avaient malheureusement pas la même envergure que lui et leurs errances nous ont parfois coûté des points précieux dans la course au titre ».

Tandis que Shay Given s’efface pour répondre à une nième sollicitation, Alan Shearer rejoint Phil à son tour et se fend d’un « Welcome back, Prince » de circonstance. « Alan, c’est l’un des meilleurs avants que j’ai croisés sur ma route lorsqu’il évoluait aux Blackburn Rovers », précise l’Ardennais. « Dans mon top-ten, il n’est devancé que par Marco van Basten mais il précède des artilleurs comme Les Ferdinand, Andreï Shevchenko, Michael Owen, Andy Cole, Luc Nilis, Luis Oliveira, JosipWeber et Marc Wilmots. C’est assez significatif aussi ».

Ovation debout

Près de 52.000 spectateurs réservent une ovation debout inoubliable à Philippe Albert au moment où il foule la pelouse de Saint James’ Park en préambule au match entre les deux United. Une rencontre qui tourne malheureusement à la déconfiture des Magpies qui concèdent la deuxième défaite la plus mémorable de leur histoire face à Manchester United (2-6 après s’être inclinés 1-6 face aux mêmes Mancunians le 12 octobre 1907). Ce qui n’empêche nullement les inconditionnels locaux de faire la fête à leurs joueurs, auteurs d’une saison exemplaire.

« Après leur défaite imméritée à Everton une semaine plus tôt, les troupes du coach Bobby Robson comptent à présent neuf unités de retard sur Manchester United à cinq journées du terme de la compétition », observe Phil. « Inutile de dire que les carottes sont cuites pour le sacre. Une fois encore, aujourd’hui, les hommes d’Alex Ferguson ont prouvé qu’ils avaient un moral d’airain en pliant le match en l’espace d’un bon quart d’heure à peine après avoir été pourtant menés au score en tout début de partie. C’est le signe, à la fois, d’une très grande maîtrise ainsi que d’une belle maturité que Newcastle United ne possède, hélas, pas encore. Pour moi, la différence essentielle entre les Magpies, troisièmes du classement et Manchester United et Arsenal, qui les précèdent, tient tout simplement à l’expérience des joueurs. Des garçons comme Ryan Giggs, Roy Keane et Paul Scholes d’un côté ou Robert Pires, Patrick Vieira et Martin Keown de l’autre sont rompus aux matches à enjeu. Ils font partie de phalanges mûres alors que Newcastle avec des gamins comme Jermaine Jenas, Kieron Dyer, Craig Bellamy, Titus Bramble, ainsi que de jeunes étrangers tels Trésor Lua Lua, Shola Ameobi et Aaron Hughes est une équipe en devenir. Elle est au même stade que les Red Devils il y a cinq ans. Il faut donc lui donner le temps de s’étoffer.

A terme, je suis persuadé qu’elle pourra obtenir les mêmes résultats enviables que la génération précédente à laquelle j’appartenais et qui s’articulait autour d’éléments qui comptaient précisément pas mal de planches, comme Steve Watson, John Beresford, Robert Lee, David Batty, David Ginola, Les Ferdinand et j’en passe. Après le match, à la table d’honneur, on m’a demandé si Daniel Van Buyten ne serait pas un renfort appréciable. Je pense que Big Dan est effectivement susceptible de prendre une nouvelle dimension au contact du football anglais. Mais je n’ai pas l’impression que Saint James’ Park serait le point de chute idéal pour lui, en ce moment. Le Marseillais a manifestement besoin d’un guide à ses côtés, tel qu’un Frank Leboeuf à l’O.M., pour donner la pleine mesure de son talent. Moi-même, je bénéficiais ici, des précieux conseils d’un meneur d’hommes hors pair en défense, Darren Peacock. Ma réussite, je lui en étais redevable dans une certaine mesure. Aujourd’hui, ce boss n’est malheureusement pas présent chez les Magpies car ni Titus Bramble ni Jonathan Woodgate n’ont pour le moment cette même aura. C’est pourquoi, dans les circonstances actuelles, j’ai un doute sur l’apport du Diable Rouge. Mais dans deux ou trois ans, quand il aura pris du galon, cette option est à retenir, pourquoi pas. Reste à voir si Daniel n’aura pas changé d’orientation entre-temps. A la place des dirigeants de Newcastle, je ne modifierais pas grand-chose. La troisième place en championnat, c’est le maximum auquel les Magpies peuvent prétendre pour le moment. Et ils occupent justement cette position avantageuse, qui devrait une nouvelle fois leur ouvrir les portes de la Ligue des Champions la saison prochaine. Que souhaiter de plus? »

Strawberry

Après avoir pris congé de la direction, Philippe Albert se rend au Strawberry, l’un des pubs situés à proximité de Saint James’ Park. A sa vue, les supporters des Magpies entonnent aussitôt l’hymne à sa gloire qu’ils avaient concocté pour lui près d’une décennie plus tôt. Phil a beau vouloir payer sa pinte, il n’y parvient pas. Les fans locaux ne sont que trop heureux de pouvoir la lui offrir.

« Ces gens-là sont franchement uniques », lance-t-il, admiratif. « Nulle part ailleurs au monde, une équipe menée à un moment donné 1-6 au score n’aurait joui du même appui vocal que les Magpies aujourd’hui. Cette communion-là fait la beauté du sport. Et c’est la raison pour laquelle j’aime me retremper dans cette ambiance. Newcastle aura toujours une place dans mon coeur et si je reprenais le collier un jour, dans le monde du football, ce sera là et nulle part ailleurs. J’ai toujours dit que je ne serais jamais entraîneur dans un club. Et je me fais fort de tenir parole. En revanche, si les Magpies me faisaient un appel du pied pour m’occuper par exemple de l’intégration des étrangers, je ne dirais pas non. Je n’écarte pas l’idée de revenir un jour pour peu qu’on m’offre certaines perspectives. Car la vraie vie, comme je l’entends, on la vit ici ».

Phil a à peine prononcé ces paroles que l’ambiance est soudain à son comble dans le pub. En cause: la défaite de l’ennemi juré, Sunderland, à Birmingham City. Un revers qui coûte cher puisqu’il est synonyme de relégation pour le club voisin, au grand bonheur de la communauté locale. Malgré la correction infligée par Manchester United, la nuit sera longue et joyeuse sur les bords de la Tyne.

Bruno Govers, envoyé spécial à Newcastle

« Philippe est l’un des meilleurs étrangers de tous les temps en Angleterre » (Peter Beardsley)

« La différence entre Manchester, Arsenal et Newcastle, c’est la maturité » (Philippe Albert)

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