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THE GREEK FREAK

Gamin, pour ne pas souffrir de la faim, il vendait des gadgets au pied de l’Acropole d’Athènes. Aujourd’hui âgé de 22 ans, Giannis Antetokounmpo est la nouvelle sensation de la NBA. Faisons connaissance avec le Greek Freak.

« Can’t stop Gian-nis !  »  » Can’t stop Gian-nis !  »  » MVP !  » MVP ! « . Giannis Antetokounmpo est prêt, sur la ligne des lancers francs. Des cris d’adoration déferlent des tribunes du Bradley Center de Milwaukee. Il vient de marquer son 39e point, un record dans sa carrière, et les Bucks dominent aisément Washington (123-96). Il loupe son deuxième lancer franc, ce qui l’empêche d’atteindre le cap des 40 points, mais les applaudissements n’en sont pas moins nourris quand le coach Jason Kidd le remplace.

À l’issue du match, dans le vestiaire, les joueurs des Bucks songent déjà au repas de Noël du lendemain. Tony Snell plaisante avec son coéquipier :  » Demain, pas de gym, hein !  » Antetokounmpo, qui n’a pas encore pris sa douche, sourit mystérieusement. Quelques minutes plus tard, il est déjà plus de 23 heures, il conduit son SUV noir au centre d’entraînement des Bucks, comme après chaque match à domicile ou quand il revient d’un road trip. Le Grec se repasse le fil du match. Il réfléchit aux tirs ratés et aux erreurs de jugement sur certaines phases.  » Mes fautes m’énervent. Si je rentrais immédiatement à la maison, je risquerais de ne pas me délivrer de cette colère.  »

Parfois, Giannis ne quitte la salle qu’à trois heures du matin, couvert de sueur. Cette fois, il part deux heures plus tôt. Il en a le droit, après avoir marqué 39 points. La pire remarque qu’il ait entendue à son sujet en NBA, c’est quand, durant sa première saison, un entraîneur adjoint a fait remarquer que le rookie ne travaillait pas assez.  » On a le droit de dire que je ne joue pas bien mais ça, je ne l’accepterai jamais « , fulmine Antetokounmpo, qui a reporté de quatre heures la signature de son nouveau contrat de quatre ans, d’une valeur de cent millions de dollars, en septembre dernier. Parce qu’il devait s’entraîner le matin… Ensuite, le Grec a téléphoné au propriétaire des Bucks, Wes Edens, pour le remercier pour l’argent. En précisant qu’il allait travailler encore plus dur.

QUATRE FRÈRES

La source de son extrême motivation ? Sa jeunesse.  » Je ne peux pas la chasser de mes pensées. C’est comme ça que j’ai appris à travailler. Là.  » Là, c’est Sepolia, un quartier d’Athènes où ont immigré ses parents nigérians, Charles et Veronica, en 1991. En quête d’une vie meilleure. Après Francis, qui est resté au Nigeria chez ses grands-parents, ils ont encore eu quatre fils. Tous portent des noms grecs – Thanasis, Giannis, Kostas et Alexis – et, en souvenir de leur origine, un nom nigérian. Giannis s’appelle aussi Ougko.

L’existence meilleure n’était qu’une utopie : le père Charles a cumulé les petits boulots, la mère a une mauvaise santé et le couple vit dans la peur constante d’être renvoyé en Afrique par la police : ils n’ont pas de papiers officiels et ne sont pas citoyens grecs, pas plus que leurs fils.

Autre gros souci : payer le loyer et l’électricité de la maisonnette tout en trouvant assez de nourriture pour les quatre fils. Comme le père n’y parvient pas seul, Giannis et Thanasis, son frère aîné, se rendent tous les soirs à l’Acropole, après l’école. Ils tentent d’y vendre des bracelets, des montres, des lunettes de soleil et d’autres bricoles aux touristes étrangers. En fin d’année, ils entonnent même des chants de Noël. Avant de rentrer, Giannis et Thanasis font des emplettes au supermarché avec l’argent gagné. Les bons jours car s’ils ne vendent pas assez, c’est la faim. Les frères sont conscients des réalités de la vie.  » On doit réussir pour ne plus jamais connaître ça.  »

Le football, le sport que leur père et leur frère aîné Francis (en tant que pro), ont exercé au Nigéria, est d’abord leur seule distraction. Puis, à douze ans, Giannis prend un ballon de basket dans ses grandes mains. Comme son frère Thananis. Deux ans plus tard, il s’affilie au club local de Filathlitikos. Il passe par toutes les catégories d’âge mais il faut ramener de la nourriture à la maison et donc vendre des lunettes de soleil. Spiros Velliniatis, le premier entraîneur d’Antetokounmpo, décèle l’énorme potentiel de ce gamin aux aptitudes physiques exceptionnelles (voir encadré) et le ramène petit à petit à la salle de basket-ball.

Avec succès : à 17 ans, Giannis effectue ses débuts en équipe première de cette formation de division deux. L’enfant prodige se distingue par son jeu, son gabarit et sa jeunesse, parmi des joueurs amateurs qui ont parfois le double de son âge. Très vite, grâce à lui, la vieille salle déglinguée de Filathlitikos est comble à chaque match. Des grandes équipes européennes y délèguent des scouts. Quelques jours après ses 18 ans, en décembre 2012, Antetokounmpo signe un contrat de quatre ans à Saragosse, en Espagne, contrat qui prend cours à partir de la saison 2013-2014. Une clause stipule qu’il peut partir à tout moment aux USA car beaucoup d’équipes de NBA l’ont aussi découvert, entre-temps. Quand John Hammond, general manager des Milwaukee Bucks, le visionne trois jours en Grèce, en 2013, il est séduit.  » Sa vie va changer « , déclare Hammond aux managers d’Antetokounmpo.

Les Bucks veulent choisir l’adolescent pendant le draft de juin mais il faut régler un gros problème : Giannis n’a toujours pas de passeport grec. La demande que Thanasis et lui ont introduite deux ans plus tôt est perdue quelque part dans l’administration et bloquée par l’influence croissante du parti d’extrême-droite Aube Dorée. À l’approche des élections, les pouvoirs publics ne veulent pas faire d’exception pour  » quelqu’un qui joue au basket « . Il faudra un énorme travail de lobbying de la fédération grecque de basket pour qu’ Antetokounmpo soit enfin naturalisé en mai 2013. Un mois plus tard, il peut donc s’envoler pour les States, où les Milwaukee Bucks le sélectionnent. Il n’est que le quinzième choix de la draft car beaucoup d’équipes le trouvent encore trop vert.

Giannis n’a jamais entendu parler des Bucks mais ça ne l’empêche pas d’agiter avec enthousiasme le drapeau grec quand il entend son nom au draft. Il n’est plus un immigré inutile mais un héros national. Ses parents et lui sont reçus par le Premier ministre Antonis Samaras. Ce n’est pas au goût de Nikos Michaloliakos, le leader d’Aube dorée. Il continue à marteler que le nouveau joueur NBA n’est pas un vrai Grec et qu’il doit être expulsé. Velliniatis, l’ancien coach d’Antetokounmpo, fustige cette hypocrisie :  » Giannis a la chance que le basket soit très populaire en Grèce. Sinon, même s’il avait été un Einstein, il n’aurait jamais obtenu de passeport.  »

LA VRAIE AMÉRIQUE

A Milwaukee, la plus grande ville de l’Etat de Wisconsin, au nord, Antetokounmpo est plongé dans un cadre de vie complètement différent. Ce n’est qu’à l’aéroport qu’il apprend qu’en hiver, il gèle parfois jusqu’à moins vingt. Jusqu’à présent, il a surtout associé l’Amérique aux gratte-ciels.  » À Athènes, le bâtiment le plus élevé compte huit étages…  » Antetokounmpo, qui a appris par coeur la chanson Coming to America, découvre les hamburgers, les smoothies et le beurre de cacahuètes. Chaque fois, il pousse des cris d’admiration. Après son premier hamburger, il s’écrie :  » C’est la vraie Amérique ! ! ! N’est-ce pas merveilleux ! ! ! ?  »

Giannis passe son permis de conduire et refuse à chaque plein d’appuyer sur le bouton automatique, tant il est heureux de pouvoir le faire lui-même. Le Grec est surpris de pouvoir revenir en arrière, quand il suit une émission TV en direct et quand il peut jouer au basket sur une PlayStation – pour 399 dollars, la somme la plus élevée qu’il ait jamais dépensée. Des cacahuètes pour quelqu’un qui gagne 1,8 million de dollars – le montant d’un contrat de rookie en NBA – mais il a un sentiment de culpabilité à l’idée de s’amuser avec un truc aussi cher. Au point qu’il revend sa PlayStation à un entraîneur adjoint. Il ne se procure une nouvelle console que trois mois plus tard, quand ses frères et ses parents reçoivent enfin l’autorisation d’immigrer aux États-Unis.

Il continue néanmoins à mener une existence sobre, tant il a peur de manquer un jour d’argent. Quand son frère et lui se retrouvent dans un restaurant chic, ils commandent une… salade et quand il va manger avec un analyste vidéo dans un McDonald’s, celui-ci doit payer sa part. Giannis n’en est pas moins fier de pouvoir assurer le bien-être de sa famille, alors que quelques années plus tôt, il devait vendre des bricoles pour survivre.  » A crazy story.  »

LE PLUS GRAND DISTRIBUTEUR

Sa progression est tout aussi crazy. Après une année d’adaptation (6,8 points et 24 minutes de moyenne), Antetokounmpo passe la vitesse supérieure. En 2014-2015, il conquiert ses galons de titulaire dans le cinq de base du nouvel coach, Jason Kidd. Il ne connaît pas le légendaire ancien joueur, numéro deux du classement des assists, et il s’énerve quand Kidd le renvoie sur le banc. Jusqu’à ce qu’il cherche son palmarès sur son smartphone :  » Jesus Christ, je ne lui arriverai jamais à la cheville ! Je ferais mieux de la fermer.  »

Kidd a été un des meilleurs distributeurs de tous les temps mais il avait un handicap : il ne mesurait que 1m93.  » J’ai toujours été jaloux de Magic Johnson, qui, du haut de ses 2m06, effectuait une passe comme s’il était dans un hélicoptère.  » Kidd retrouve cette vision du jeu dans le Grec de 2m11. Après le début de saison désastreux des Bucks, il décide, en février 2015, d’aligner Antetokounmpo au poste de distributeur contre Atlanta. L’expérience est une réussite : 19 points, 3 assists et la victoire. Kidd est convaincu : The Greek Freak peut devenir le plus grand point guard de l’histoire. Un des joueurs les plus polyvalents, aussi, car ses qualités physique et son instinct le rendent capables de presque tout : tirer, passer, défendre, sauter…

Ça ressort des moyennes d’Antetokounmpo cette saison, durant laquelle il éclate vraiment : 23,4 points, 8,7 rebonds, 5,5 assists, 2,0 blocks et 1,8 steal par match. Aucun joueur de NBA n’atteint de telles statistiques dans les cinq catégories en même temps. Chez les Bucks, aucun autre joueur n’est meilleur, ne fût-ce que dans une catégorie. Les trois derniers basketteurs de NBA à y être parvenus ? LeBron James (2008-2009, Cleveland), Kevin Garnett (2002-2003, Minnesota) et Scottie Pippen (1994-1995, Chicago). À respectivement 25, 26 et 30 ans. Le 6 décembre, Antetokounmpo a fêté ses 22 ans…

Le Grec n’a plus qu’un seul défaut : son manque d’efficacité dans les tirs à trois points (30%). Mais il peut s’améliorer : Holger Geschwindner, le légendaire shooting coach de Dirk Nowitzki, le buteur allemand de 2m12 de Dallas, a invité Antetokounmpo à suivre un cours l’été prochain. Jason Kidd, l’entraîneur des Bucks, a réagi avec enthousiasme :  » Imaginez ça : une combinaison de la puissance, de la vitesse et de la vista de LeBron James et de la précision de tir de Nowitzki. Cool, non ?  »

Et surtout impossible à neutraliser.

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS GETTY

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