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The GENERAL

Il a conduit le BC Ostende à cinq coupes et six titres d’affilée. Samedi, il entame une nouvelle saison sur la Côte, en supercoupe contre Limbourg United. Une journée dans le sillage de Dusan Djordjevic (34), la personnification du capitaine parfait.

C’est toujours la pleine saison mais en ce matin pourtant ensoleillé, Ostende n’est pas encore éveillée. Seuls quelques joggeurs et des septuagénaires qui effectuent une promenade rompent le silence.  » C’est comme ça que j’aime la plage et la digue : tranquilles, sans hordes de touristes. Le matin, je me balade parfois dans l’eau, le pantalon retroussé. C’est très détendant ! Et bon pour mes chevilles « , raconte Dusan Djordjevic du haut de son balcon, à l’Europacentrum, le plus haut building (104 mètres) de la province de Flandre-Occidentale.

Il ne se sent pas vraiment à l’aise : il a le vertige.  » Il m’arrive de lire une demi-heure ici. (Sur la table de cuisine, il y a le livre 1984 de George Orwell, ndlr) mais je ne regarde jamais en bas « , rigole le Serbe de 1m95, quand le photographe lui demande de s’appuyer à la rambarde et de regarder au loin, vers la mer. De l’autre côté de son appartement, on aperçoit le centre d’Ostende. Il a une vue fantastique.

Contrairement à la plupart des joueurs du club, Djordjevic a préféré un appartement au coeur de la ville à une maison à Bredene.  » Les maisons conviennent mieux aux familles et il n’y a pas grand-chose à faire là. Je préfère un quartier vivant, avec beaucoup de restaurants et de bars. En quatre minutes en auto, je suis à la salle de basket. Quand il fait beau, je m’y rends à vélo. Je ne passe pas beaucoup de temps dans mon flat. Je me balade, je vais boire un verre ou manger avec des copains.  »

Djordjevic prend même souvent son petit-déjeuner à l’extérieur.  » Une promenade matinale m’aide à m’éveiller.  » Il nous emmène dans un bistrot au Groentemarkt, pour un jus d’orange frais, un double café et un croissant. Il n’a pas de femme pour lui préparer ses repas : à 34 ans, Dusan est toujours célibataire.  » Le basket a accaparé ma jeunesse et comme j’ai parcouru l’Europe – la Russie, la Grèce, la Slovénie, la Bosnie -, une relation durable n’était pas possible. Bien que je sois à Ostende depuis six ans, ça reste difficile. J’ai rencontré quelqu’un mais pendant mes deux ou trois premières années, je ne savais pas combien de temps je resterais ici et je ne pouvais pas prendre d’engagement. Et si je rencontre une femme à Belgrade pendant l’intersaison, elle ne peut pas me suivre comme ça en Belgique.

En plus, comme tous les sportifs de haut niveau, j’ai mes habitudes et je suis attaché à ma liberté. Je peux faire ce que je veux quand je le veux. J’espère fonder une famille au terme de ma carrière, à mon retour en Serbie. J’en aurai alors le temps. Et non, je ne deviendrai pas entraîneur. C’est trop stressant. Je préfère mener la vie tranquille d’un entraîneur des jeunes.  »

Bien à Ostende

Sa retraite n’est pas pour tout de suite : en début d’année, Djordjevic a rempilé jusqu’en 2018 avec une option supplémentaire d’un an.  » Je n’ai pas réfléchi. Un coup de fil à mon manager a suffi, comme lors des précédents renouvellements de contrat. Je n’ai même pas parlé du salaire. Il est rare qu’un étranger reste aussi longtemps en Belgique, dans le même club (seul Veselin Petrovic a joué plus longtemps pour Ostende, de 2005 à 2014, ndlr) mais je m’y plais.

Pourquoi m’en aller ? Je réfléchirais si je pouvais gagner 50 % de plus ailleurs. Et encore. Plus d’argent ne changerait pas ma vie. Je préfère un club stable comme Ostende, qui joue pour des trophées chaque saison, à une équipe qui moisit en bas de classement, à un club qui change d’entraîneur tous les cinq mois et où on n’est pas sûr d’être payé…

Je ne veux pas non plus abandonner la vie sociale que je me suis créée ici. Signerais-je pour rester jusqu’à 38 ans ? Immédiatement ! Même si j’aimerais achever ma carrière dans un club de Belgrade, le temps d’une saison. J’ai l’intention d’y retourner. Je suis parti il y a 14 ans. Ma famille et mes amis me manquent. Mes parents ne rajeunissent pas et un jour, je devrai m’occuper d’eux.  »

Djordjevic compte pourtant acheter un bien immobilier à Ostende.  » Comme investissement mais je laisse mon frère, avocat, s’occuper de ces choses-là. Je peux louer le bien ou y séjourner quand je reviendrai, ce qui sera fréquent. Ce pays et cette ville m’ont conquis. Anvers, Bruges, Bruxelles, Knokke, Gand : je les ai souvent visitées. Comme je vis ici depuis six ans, je pourrai bientôt demander la nationalité belge. Je vais suivre des cours de néerlandais car je ne parle encore que quelques mots. J’ai engagé un professeur qui s’adaptera à mes horaires.  »

Ces horaires sont serrés avec, comme aujourd’hui, une séance à dix heures et un match amical à Wevelgem à 17 heures. L’entraînement à la Versluys Arena est surtout destiné à inculquer la tactique aux jeunes et aux nouveaux joueurs. Le coach Dario Gjergja, qui est avec Djordjevic le fil rouge des succès du BCO depuis six ans, prodigue son enseignement, avec Dusan en régulateur pendant un shadow game, sans défenseurs.

Après 40 minutes, il y a une séances de tirs, conclue par un mini-match durant lequel chaque joueur doit tenter de marquer depuis la ligne médiane. Celui qui y parvient recevra 20 euros de chaque coéquipier. C’est une initiative de Djordjevic et c’est devenu une tradition le jour des matches.

Aussi gentil qu’exigeant

 » Dusan sait ce qu’il fait : il gagne la moitié du temps « , sourit Tim Lambrecht (19 ans). Cette fois, après trois essais, c’est bingo pour le jeune : 200 euros.  » Dusan m’aide beaucoup à franchir le gouffre qui sépare les U19 de l’équipe première. Il m’apprend comment courir, comment m’y prendre avec les arbitres, comment gérer le stress et l’entraîneur car il est aussi gentil qu’exigeant. Tout ça n’est pas facile pour un jeune.  »

Gjergja ne tarit pas d’éloges sur son capitaine.  » Après six ans, notre relation dépasse celle qui unit un joueur à un entraîneur. Dusan est un type bien : honnête, modeste, engagé. Le parfait capitaine. Il est un ciment pour l’équipe, même en dehors du terrain. C’est le leader qui organise et arrange tout. Pas en parlant sans arrêt car il n’est pas très bavard mais quand il dit quelque chose, c’est to the point. Tout le monde l’écoute.

Je parle souvent tactique avec lui et en match, il est mon bras droit : un regard nous suffit. Ma confiance en lui ? Infinie ! Il n’a pas besoin de marquer vingt points. D’ailleurs, ses statistiques personnelles ne l’intéressent pas. Il ne pense qu’à gagner et à diriger ses coéquipiers. Il est leader en montrant l’exemple. Il est sur le parquet trois quarts d’heure avant le match et le soir, avant une partie, il effectue souvent une séance de tirs. Même le dimanche matin, il est là, quand il a mal cadré ses tirs. Un professionnel pur-sang, qui a perdu en vitesse et en explosivité avec l’âge mais qui compense ces pertes par sa mentalité. D’ailleurs, il soigne son corps comme peu de joueurs le font.  »

Nous le remarquons après la séance. Djordjevic nous emmène au restaurant Dalmacija, du nom de la Dalmatie, en Croatie. La gérante, Jasenka Misetic, a travaillé six mois à Gand en 1991, après ses études. Quand la guerre a éclaté, elle est restée en Belgique avec son époux. 26 ans plus tard, Jasenka prépare à Ostende des spécialités yougoslaves. Depuis quatre ans, elle est la cuisinière privée de Djordjevic.  » Je viens ici pour le lunch et souvent aussi pour le repas du soir « , raconte Dusan.  » C’est sain et toujours frais. Pas de conserves, ici.  »

Au menu du jour, poulet, riz et poivrons farcis mais cette fois, Djordjevic prend son repas dans son appartement et sans journaliste car ensuite, il veut faire une sieste.  » Elle dure entre une heure et une heure et demie lorsqu’il y a deux entraînements ou un match. Je dors vraiment, oui. J’en ai besoin, à 34 ans. Ça me fait du bien, comme ma nourriture saine, car jusqu’à présent, j’ai été épargné par les blessures graves. Évidemment, j’ai un corps solide.

Je ne le laisse pas s’avachir pendant l’été. Après cinq jours de repos, je m’adonne à toutes sortes de sports à Belgrade. Je joue au football avec des basketteurs, je joue au tennis, je cours… Deux semaines avant la reprise des entraînements à Ostende, je travaille avec un coach privé, pour prévenir les blessures.  »

Question d’expérience

Djordjevic tient à ses habitudes. On le remarque avant le match contre Nanterre, à Wevelgem.  » Dans le car, un quart d’heure avant d’arriver, Dusan boit un ou deux cafés « , raconte le manager sportif Philip Debaere.  » Il sera le premier à sortir du vestiaire, bientôt, pour s’échauffer et faire du stretching, à part.  »

Nous y assistons quelques minutes plus tard. Ce qui est frappant, c’est son expression, sa concentration avant un simple match amical.  » J’éprouve une saine nervosité avant chaque partie. Quand je ne me sens pas au top physiquement ou mentalement, je me motive pendant l’échauffement. Si je perdais cet état d’esprit, j’arrêterais immédiatement. Je ne pourrais jamais accepter de ne me livrer qu’à 90 %.  »

On comprend aussi pourquoi le Serbe est surnommé The General. Il est un leader en dehors du terrain, en applaudissant ou en tapant des poings quand Tim Lambrecht, le meilleur buteur avec 19 points, réussit des actions, ou quand il console son compatriote Marko Kuridza, que Gjergja a remplacé immédiatement après un dunk raté. Sur le parquet aussi, il est le boss. En 17 minutes, il délivre huit assists et marque onze points mais surtout, il détermine le rythme de l’équipe. Ce n’est pas un hasard si Ostende creuse l’écart dans les cinq minutes suivant la pause sous ses ordres (de 35-36 à 50-39).

Autre qualité du point guard : il est présent dans les moments cruciaux, en fin de partie, comme il l’a montré dans la dernière finale de coupe et dans les play-offs.  » Dusan vit de ces moments-là « , s’exclame Dario Gjergja.

 » Vous vous demandez si mon sang est de glace ? « , sourit le Serbe.  » Non, c’est une question d’expérience. J’ai vécu mille fois ce genre de situations. Je sens instinctivement ce que je dois faire tenter une action ou céder le ballon à un partenaire bien placé. J’ai un gros atout : même si je suis mauvais pendant 38 minutes, je suis capable de bannir toute pensée négative. Je veux le ballon dans le money time. Cette responsabilité ne m’effraie pas. Maintenant, n’allez pas m’encenser. J’ai aussi raté des tirs décisifs et ruiné des matches. Mais apparemment, les gens se rappellent surtout mes bons moments « , rit-il après la large victoire d’Ostende (80-59).

 » Je suis satisfait car ce n’est qu’un premier match. Nous avons joué en équipe, avec la bonne attitude et nous ne déplorons pas de blessure. Je n’ai joué que 17 minutes sur 40 ? Parfait, je sais ce que j’ai à faire. Il vaut mieux que l’entraîneur accorde plus de temps de jeu aux nouveaux joueurs, pour qu’ils se fassent à notre système. J’ai délivré huit assists. C’est bien mais mes deux pertes de balle m’ennuient beaucoup. Je suis perfectionniste, que voulez-vous « , explique Djordjevic avant de monter dans le car pour rentrer à Ostende. Il a très faim. Jasenka a-t-elle préparé quelque chose ?  » Non, mais je connais un restaurant qui est ouvert jusqu’à minuit. Heureusement car je rêve d’un bon steak.  »

par jonas creteur – photos belgaimage-christophe ketels

 » Je ne pourrais jamais accepter de ne me livrer qu’à 90 %.  » Dusan Djordjevic

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