The Galactic One

Peu importe quelles stars vont encore débarquer à Madrid. Les Merengue ont effectué leur principal transfert fin mai : celui du Portugais.

V icente Del Bosque, Carlos Queiroz, José Camacho, Mariano García Remón, VanderleiLuxemburgo, Juan Ramón López Caro et Manuel Pellegrini. Ce sont les sept entraîneurs que Florentino Pérez a usés en autant de saisons, divisées en deux périodes, de 2000 à 2006 et depuis 2009. Les six derniers nommés n’ont rien gagné avec le Real : pas de titre, pas de Coupe, pas de trophée européen. Les sacres de 2007, sous Fabio Capello, et de 2008, avec Bernd Schuster, datent de la présidence de RamónCalderón.

Pérez a compris très vite qu’il avait embauché un drôle de gars en la personne de JoséMourinho (47 ans) : début juin, il se promenait avec le Portugais dans la salle des trophées du Real. En montrant le dernier trophée européen, la Ligue des Champions 2002, Pérez a commenté :  » Elle me manque.  » Mourinho de répondre :  » Je viens de la gagner il y a dix jours et elle me manque déjà.  »

Il faut lui reconnaître une qualité : Mourinho ne mâche pas ses mots. Pellegrini, son prédécesseur, un gentleman, aurait tout au plus adressé un charmant sourire à son président, dans cette pièce. Le Chilien n’était pas le premier choix de Pérez, qui convoitait Arsène Wenger. Après coup, on peut caricaturer en disant que Pellegrini avait été limogé avant même d’avoir été engagé. D’une manière contraire à sa nature, fin mai, après son renvoi, il n’a pu se taire et a rappelé que ses désirs étaient souvent restés lettre morte.  » Jamais on ne m’a demandé comment je voulais former l’équipe. Je trouvais Arjen Robben et Wesley Sneijder très importants mais ils sont partis… et à la fin de la saison, ils disputaient la finale de la Ligue des Champions.  »

C’est typique de Pérez : le flamboyant président madrilène achète et vend ses vedettes sans se demander si elles peuvent former une constellation. L’ancien directeur sportif Arrigo Sacchi lui avait posé une question :  » Monsieur le président, quels joueurs forment votre équipe de base idéale ? » Ayant cité trop d’attaquants, Pérez avait dû placer David Beckham à l’arrière droit et Zinédine Zidane au c£ur de la défense. Sacchi, qui n’a pas tenu longtemps le coup à Madrid, est rapidement arrivé au triste constat que Pérez n’écoutait jamais ses conseils. Par contre, chaque fois que ça allait mal, il pointait l’entraîneur du doigt. Sacchi :  » Quand un joueur arrivait ivre à l’entraînement, c’était la faute du coach. Et quand un avion s’écrasait en Colombie, c’était également la faute du coach.  »

Avec Mourinho, Pérez va devoir modifier un certain nombre de ses habitudes.

Une étoile

 » Je veux un arrière latéral, un médian central et AngelDi María.  » Le 7 juin, Mourinho a déposé sa liste sur le bureau de Pérez avant de partir en vacances. Et le président s’est exécuté. Il a débauché Di María (26 millions) et Sami Khedira (14 millions) de respectivement Benfica et Stuttgart. Il ne lui faut plus qu’un arrière mais le transfert du Brésilien Maicon est presque conclu. L’arrivée de Sergio Canales (4,5 millions, Santander) était déjà acquise en février et le temps de jeu de l’ailier droit Pedro León (10 millions, Getafe) dépendra probablement de la forme de Cristiano Ronaldo.

C’est donc une primeur : Pérez écoute son entraîneur. Le président a deux bonnes raisons de changer ses habitudes : 1. Depuis 2003, sous Pérez, le Real n’a plus rien gagné. 2. Depuis cette année-là, Mourinho a remporté au moins un prix par saison, sauf en 2008. The Special One est une garantie de succès, pour autant qu’il puisse faire ce qu’il fait toujours.  » José Mourinho restera toujours José Mourinho « , a déclaré le Portugais lors de sa présentation à la presse. Traduction : il obtient toujours ce qu’il désire. Et Pérez doit tenir compte de ses désidératas, à commencer par son salaire : dix millions par an, dans un pays qui vient de geler les pensions et de diminuer les salaires des fonctionnaires.

A l’Inter déjà, Mourinho était l’entraîneur le mieux payé du monde avec 8,5 millions par an. Il veut gagner plus que ses joueurs pour leur faire comprendre qu’il est au-dessus d’eux. Mourinho n’a pas voulu d’une présentation exubérante à la presse et aux supporters, comme c’est la tradition. Il est quand même arrivé à sa première conférence de presse à bord d’une Ferrari noire et il n’a cessé de parler de lui-même à la troisième personne. Il a beau répéter qu’il n’y a pas d’étoiles dans une équipe, le groupe étant la seule star, le Real a quand même un Galáctico : l’entraîneur.

Une famille

En tapant  » Materazzi Mourinho  » sur YouTube, on peut voir une séquence tournée à Madrid la nuit de la finale de la Ligue des Champions. Le coach vient d’annoncer qu’il quitte l’Inter. A ce moment, son transfert au Real est un secret de polichinelle. Le Portugais monte dans sa voiture puis l’arrête, en sort et court, tête baissée, vers un homme en chemise blanche, qui pleure, appuyé contre un mur. Il l’enlace : c’est Marco Materazzi, qui était pourtant réserve à l’Inter sous Mourinho. Au bout d’une dizaine de secondes, The Special One lâche le défenseur et s’en va, les larmes aux yeux. Mourinho a toujours été très proche de ses joueurs.

Au Real aussi, il a d’emblée déclaré qu’il voulait muer l’équipe en une grande famille. Il oblige les joueurs, les staffs médical et technique à dîner ensemble à midi.  » Il ne fait aucune différence. Il s’adresse à tous les joueurs comme s’ils étaient égaux et pourtant, il envoie un message différent à chacun « , remarque l’arrière gauche brésilien Marcelo après quelques semaines d’entraînement. Les séances durent exactement 90 minutes, pas une de plus ni de moins. On raconte qu’il possède une farde reprenant 250 exercices différents et que ses sessions, qui se déroulent toutes avec ballon, sont très variées. Cela ne l’empêche pas d’être dur. Marcelo :  » Il nous a dit que pour gagner, il fallait souffrir. Il pense que si nous donnons tout à l’entraînement, nous pourrons également tout donner en match.  »

Mourinho a amené tout son staff portugais à Madrid : l’entraîneur des gardiens Silvino, le préparateur physique Rui Faria et son bras droit José Morais. Faria et Silvino l’ont suivi de Porto à Chelsea et de Chelsea à l’Inter. Détail piquant : Mourinho n’aimant pas conduire, Silvino est son chauffeur privé.

Il veut muer Valdebebas, le centre d’entraînement du Real, en bunker, pour protéger l’équipe du monde extérieur et, surtout, de la presse. La salle VIP a déjà été transformée en espace de détente pour les joueurs, avec TV et playstations. Le Portugais a refusé le stage déjà programmé en Irlande, où le Real s’était déjà rendu la saison précédente. Il voulait les Etats-Unis et ce fut donc l’Amérique. Il jugeait pouvoir y travailler plus discrètement et pensait que ses joueurs y effectueraient du shopping sans être reconnus en rue. Pour la première fois depuis des lustres, les journalistes n’ont pu emprunter l’avion de l’équipe. La semaine dernière, à Los Angeles, le Real a joué contre les Mexicains du Club América, dans les installations du Los Angeles Galaxy. Vendredi, il affronte le Bayern et mardi de la semaine prochaine, les troupes de Mourinho seront à Liège, contre le Standard.

Deux saisons

La presse espagnole pense que le Portugais va procéder dans une de ses deux configurations préférées : le 4-4-2 ou le 4-3-3, avec une préférence pour cette dernière. Il reste plusieurs points d’interrogation. Kaká, qui n’était pas en pleine forme au Mondial, souffre toujours d’une pubalgie et devra passer sur le billard pour être opéré du ménisque. Mourinho devrait être privé de lui pour une période de deux à trois mois. Autre souci, Karim Benzema, impliqué dans la fameuse affaire de sexe avec une prostituée mineure. Pour l’instant, le Français jouit toujours du plein soutien de Mourinho – à l’entraînement, il est un des joueurs les plus encouragés – mais s’il ne se ressaisit pas rapidement, il pourrait perdre ses privilèges.

Entre-temps, The Special One essaie de tempérer les attentes, très élevées. Dans une interview accordée à El Mundo, il déclare :  » Je dis toujours que mes équipes atteignent le sommet de leur art lors de la deuxième saison. Heureusement, j’ai toujours gagné quelque chose durant la première année. Mais pour remporter la Ligue des Champions, il est normal de devoir attendre la deuxième année, quand l’équipe a des automatismes et a fait sienne la philosophie de son entraîneur. Durant la première année, un entraîneur a des surprises. Lesquelles ? Souvent, les joueurs que je pensais être les plus mauvais sont les meilleurs et vice-versa.  »

Ceux qui pensent être les meilleurs sont donc prévenus, de même que les supporters qui rêvent déjà de la Ligue des Champions et le président, qui se voit déjà tenir la coupe aux grandes oreilles…

par steve van herpe

« Il s’adresse aux joueurs comme s’ils étaient tous égaux alors qu’il envoie à chacun un message différent. (Marcelo) »

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