On a conseillé à notre envoyé spécial en Asie de s’y trouver une femme et de rester. Il a quand même fait ses bagages.

Lundi 24 juin

Sur la table de chevet de notre chambre d’hôtel, il n’y a pas de Bible mais un livre épais, rempli de citations de Bouddha. La Corée du Sud n’est pas un pays très religieux. En 1995, un Coréen sur deux affirmait être croyant. La moitié d’entre eux sont bouddhistes, les autres se partageant entre le catholicisme (13%) et le protestantisme (39%). La société s’appuie sur les principes du Chinois Confucius, qui met l’accent sur l’enseignement et l’éducation et détermine les règles de la vie: par exemple, les anciens jouissent de plus de considération que leurs cadets, y compris en sport. La Chrétienté est quand même présente. De l’hôtel Samjung, nous apercevons quatre clochers d’églises, au coeur de Séoul, et tout autant en arrière-plan.

Non qu’on se marie à l’église. Les innombrables Wedding Hall plutôt kitsch ont la cote, surtout le dimanche.

Le dernier entraînement de la Corée du Sud est mouvementé. On pourrait parler d’hystérie populaire. Jan Roels, le responsable de la presse, hoche la tête: une maison de fous. Geniy Toulegenov, rédacteur en chef de Pro Sport, un journal du Kazakhstan, a emporté une caméra. En douce, il filme les entraînements de Hiddink. Fier, il explique qu’une chaîne nationale va les diffuser pour enseigner aux enfants l’approche occidentale du football. Il a déjà filmé une séance de Hiddink au Real et le programme a eu un joli succès.

Lundi soir, le restaurant « 24 Heures », qui sert la viande de boeuf la plus fraîche de Séoul à n’importe quelle heure, est animé aussi. Dimanche soir, il arborait une énorme banderole:  » Welcome Mr. Hiddink ». Nous comprenons pourquoi: de retour de Gwangju, où la Corée du Sud avait battu l’Espagne, toute la sélection est venue dîner ici. Tout fier, le manager montre les photos qu’il va faire encadrer et pendre entre celles de toutes les célébrités qui ont déjà honoré son établissement de leur visite. « Tous les gens connus viennent ici ». La preuve…

Mardi 25 juin

Sur les marches de la station de métro du centre COEX, le coeur du Séoul moderne, de charmantes dames font circuler une pétition pour qu’on accorde à Guus Hiddink le titre coréen qui correspond à notre rang de chevalier. Les feuilles, de format poster, sont vite remplies. Dans la librairie du coin, la masse d’ouvrages récents sur le management nous frappe. Le livre comporte trois travaux récents sur l’approche de Hiddink, un nouveau concept dans le management coréen. En bref, comme le  » Hiddink Leadership » peut conduire au sport dans d’autres domaines que le sport.

Ceux qui ne sont pas tout de rouge vêtus aujourd’hui se font remarquer. Tout le monde rit. Quelle puissance a le football! La plupart des Coréens ont reçu ou demandé un jour de congé et quel que soit le résultat de la soirée, le 1e juillet sera un jour de fête nationale. Et ça, dans un pays où on travaille encore le samedi matin.

Sept millions de personnes se rassemblent autour des écrans géants, dans tout le pays, pour Corée-Allemagne. La rame de métro qui rallie le stade est comble. On y voit beaucoup de parents accompagnés de leurs enfants. Tous sont en rouge. Un million de gens se sont réunis autour du stade mais même la défaite n’engendre aucun incident. Les Coréens continuent à demander aux Allemands de poser avec eux. Les fanions flottent à toutes les fenêtres des voitures, au centre. Aujourd’hui, la Corée du Sud a perdu mais elle a déjà tant gagné… Un brin de confiance, par exemple, ce qui est précieux dans le cadre de sa rivalité avec le Japon et qui éclipse les scandales de corruption politique. Markus et Ralph, d’Osnabrück, trouvent l’ambiance fantastique. Elle n’est pas du tout hostile. La Corée du Sud applique le slogan de Michel D’Hooghe: « Le foot, c’est la fête ».

Mercredi 26 juin

Eoghan Sweeney est Irlandais. Il vit depuis quatre ans en Corée du Sud et est Chief Football Writer du Korea Times, le seul journal anglophone du pays à part le Korea Herald. Il y a quelques années, lecteur frustré, Sweeney a téléphoné au journal pour demander pourquoi il n’y avait que du baseball et qu’on n’attachait aucune importance aux championnats locaux de football. La réponse est tombée, simple: personne, au sein de la rédaction, ne maîtrisait cette matière. Quand Sweeney a spontanément proposé de combler cette lacune, il s’est heurté à un problème de budget qui a été vite résolu quand la Corée a été désignée co-organisatrice du Mondial. Il a été promu Chief Football Writer. Le succès inattendu de la Corée du Sud oblige Sweeney à remplir presque à lui tout seul le journal. Il manque cruellement de sommeil.

C’est pour cela qu’il manque la conférence de presse des Allemands. De toute façon, les mesures de sécurité qui entourent le Sheraton Walker Hill Hotel où logent les Allemands sont plus que rebutantes. Quand un journaliste belge et un reporter britannique, à la recherche de la salle de presse, se voient montrer le chemin des étages par une hôtesse qui ne parle pas anglais mais comprend Germany, ils sont arrêtés par des policiers armés qui ne trouvent pas leurs noms sur la brève liste des cinq personnes qui ont le droit de franchir le barrage. Amicalement, les deux hommes sont sommés de prendre place dans une limousine qui attend Marco Bode.

L’amitié, comme le désir de venir en aide aux gens, résume tout notre séjour en Corée du Sud. Les touches d’humour ne sont pas rares. Quand nous partons, le jeune employé ne comprend pas pourquoi nous voulons porter nous-même le sac qui contient notre ordinateur portable. Il contre vite notre argument(« Que vais-je faire s’il est abîmé et que je ne peux plus travailler? »): « Cherchez une jolie Coréenne et habitez ici ».

Jeudi 27 et vendredi 28 juin

Le vol de Séoul au Japon arrive juste à temps pour le dernier train de Tokyo à Yokohama, à une heure de la capitale. Malgré l’heure tardive, il est rempli d’employés somnolents en costume strict. La plupart d’entre eux vont reprendre le chemin du travail dans sept heures.

Paul est un jeune cuisinier de Singapour qui souhaite visiter l’Europe de l’Est, sac au dos, cet été. Il parle japonais. Pendant les vacances, il rend visite à sa femme japonaise, qui vit ici, mais il se tracasse. Il lui avait promis d’arriver avant minuit. C’est impossible. « Or, ma femme est comme les trains japonais: incroyablement ponctuelle ».

Dans le métro, autant parier sur la touche qui délivrera le bon ticket mais ce n’est pas grave: ceux qui ne paient pas assez peuvent rectifier le tir lors de l’arrivée: les distributeurs automatiques calculent la différence entre le prix payé et le coût réel du trajet. Les Japonais en ont l’habitude: ils prennent un ticket au hasard et s’acquittent du solde après.

Samedi 29 et dimanche 30 juin

La saison des pluies a commencé. Yokohama, une ville portuaire de 3,4 millions d’habitants, ressemble encore plus aux beaux quartiers de Londres. Les autos roulent à gauche, sur des routes étroites mais parfaitement entretenues et propres. Des employés revêtus d’uniformes impeccables règlent la circulation, les pelouses sont bien tondues. Les hôtels proposent des parapluies en plastique pour affronter la pluie.

Ici, pas de danger de mourir de faim: Chinatown, ville dans la ville, n’est qu’un gigantesque restaurant. Le choix est large: petits déjeuners français, restaurants italiens, et même un grec, un espagnol, un russe et un danois. Ils contredisent la réputation du Japon: ils sont relativement bon marché. Un repas italien au moderne New York Dining coûte 23 euros pour une entrée, un plat et un verre de vin. Même les collègues italiens trouvent les linguine et les lasagne aussi savoureux qu’au pays. On comprend pourquoi en recevant la note: le chef est un Napolitain pure souche.

Par comparaison avec la Corée du Sud, le Mondial est à l’arrière-plan, ici. Un grand magasin, dans une rue piétonnière, propose des articles de merchandising, avec la mention: moins 50%.

La une du Daily Yomiuri et du Japan Times, des journaux anglophones, ne s’occupe plus de football. Comme d’habitude, les cinq pages sportives de Yomiuri s’ouvrent sur le baseball, le football étant relégué aux pages quatre et cinq. Au petit déjeuner, la télévision ne parle plus de football non plus. Ceux qui n’ont pas de billet pour la finale doivent acheter une télévision. Les écrans géants, à la mode en Corée, sont interdits par le JAWOC, le comité d’organisation, qui craint des incidents. Les magasins hi-fi ne peuvent pas non plus montrer des matches de football en devanture car ça pourrait provoquer des attroupements.

A part ça, comme en Corée, il n’y a rien à dire sur l’organisation. Le premier Mondial en terre asiatique s’est parfaitement bien déroulé, sans incidents et avec le sourire, exception faite des grimaces de quelques mauvais perdants. Le comité d’organisation du prochain Mondial, en Allemagne, sait qu’il sera difficile de faire mieux.

Après cette Coupe du Monde, il faudra se réhabituer à des rues dénuées de renforts policiers et à des bâtiments sans détecteur de métaux.

Geert Foutré, envoyé spécial en Asie.

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