TÊTE BIEN FAITE

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

L’entraîneur des champions de D2 savoure calmement le défi relevé : il fallait remonter en D1 !

Et un nouveau compagnon de route pour Dominique D’Onofrio, Emilio Ferrera, Francky Dury et Gil Vandenbrouck : José Riga (48 ans), l’homme qui vient de faire remonter Mons, obéit lui aussi au profil du coach de D1 qui n’a jamais joué au plus haut niveau. Dans quelques jours, il entamera les cours débouchant sur le diplôme d’entraîneur de première division, en compagnie de Marc Wilmots et Enzo Scifo notamment. Pas de souci, toutefois, pour la reconnaissance durant la saison prochaine : le seul fait d’assister à ces cours permet d’être considéré, pendant la session, comme coach diplômé.

Vous sortez de l’ombre à l’approche de la cinquantaine : mieux vaut tard que jamais ?

José Riga : Tout ce qui m’arrive aujourd’hui n’était pas planifié. J’ai toujours été philosophe : arrivera ce qui doit arriver. Et je sais que les places sont précaires dans ce métier, surtout quand on n’a pas évolué en D1. A part les entraîneurs connus qui tournent année après année, personne ne peut dire qu’il est installé dans la durée. Je ne vis pas avec mon passé mais je ne m’intéresse pas au futur lointain non plus : le mieux, c’est de bien vivre son présent ! Je suis content de ce que nous venons de réaliser mais je sais que je ne suis pas arrivé pour autant.

Vous risquez vous aussi de traîner éternellement cette étiquette de coach qui n’a jamais joué au plus haut niveau ?

Peut-être mais je ne m’en formalise pas. Mon parcours a été différent de celui de la plupart des entraîneurs de D1 mais il n’a pas été moins enrichissant pour autant. Ne pas avoir évolué au plus haut niveau comporte même certains avantages. Je ne me dis jamais que je connais bien ceci ou cela sous le seul prétexte que j’ai un grand passé de joueur. C’est ce qui me pousse à rester plus curieux que certains confrères. Je réfléchis, j’observe, je lis : finalement, je me suis formé moi-même. A côté de cela, j’ai appris des choses très intéressantes dans mon boulot de project manager chez AXA, à une période agitée où j’ai eu besoin de tout le soutien familial pour combiner ce poste à responsabilités et un boulot de coach dans les divisions inférieures. Des choses qui me sont utiles dans mon métier d’entraîneur professionnel. J’ai appris à gérer les relations humaines, à diriger des groupes comprenant des profils très différents. Dans les divisions inférieures, j’ai pu me familiariser avec des conditions de travail difficiles. Les infrastructures n’étaient pas au top, le staff était très limité. Si bien que je ne peux plus être pris au dépourvu quand il y a l’un ou l’autre problème pratique. Bref, si le fait de ne pas avoir connu le professionnalisme comme joueur n’est peut-être pas automatiquement un atout, ce n’est pas nécessairement un handicap non plus.

 » Un travail gratifiant mais terriblement usant  »

Vous aviez fait monter Visé en D2 avant d’amener Mons en D1. Comment compareriez-vous ces expériences ?

Il y a des points communs dans ces aventures. Dans les deux cas, j’étais arrivé dans un club qui venait de basculer après de nombreux remous, avec tous les traumatismes que cela suppose. Et un vestiaire de joueurs déçus. La saison de la descente, Visé avait accueilli au deuxième tour plusieurs joueurs du Standard, si bien que des gars du club avaient dû chercher leur bonheur ailleurs pendant ces quelques mois. Vous imaginez dans quel état d’esprit ils sont revenus. Ici, je me suis retrouvé avec des garçons qui n’avaient pas quitté Mons uniquement parce qu’ils étaient encore sous contrat. La grande différence entre les deux expériences se situe au niveau de l’objectif de départ. Les dirigeants de Visé n’avaient que le maintien pour ambition et l’appétit est venu en mangeant : après le gain de la première tranche, tout le club a visé plus haut. A Mons, c’était tout autre chose. Dès le premier entraînement, je savais que le seul bon résultat possible était la remontée immédiate. La direction l’a clamé haut et fort, ce qui nous a bombardés favoris avant même le premier match. Globalement, je peux dire que j’ai fait mieux que l’objectif initial à Visé alors qu’ici, je n’ai fait que concrétiser les ambitions des dirigeants.

Et au niveau des émotions personnelles, quelle aventure a été la plus belle ?

L’aventure montoise. Un titre est encore plus valorisant quand il est programmé car ça veut dire qu’on a su gérer des attentes très élevées. Entre dire qu’on veut être champion et arracher le titre, il y a souvent un fossé énorme. Il a fallu être à la hauteur tout au long de la saison. C’était un travail gratifiant mais terriblement usant. Attention, je n’oublie quand même pas tout le bonheur que m’a apporté la montée avec Visé : c’était mon fief, et triompher chez soi a aussi une saveur particulière.

Comment avez-vous vécu la saison du Standard ? Ne vous êtes-vous jamais dit que, vous aussi, vous auriez pu batailler toute la saison pour le titre dans le training d’adjoint ?

Je ne suis pas un nostalgique, c’est une de mes forces. Je remercierai toujours les dirigeants du Standard de m’avoir permis de devenir professionnel du foot. Ce club a complètement réussi sa saison et j’aurais été très heureux si le titre avait été au bout du chemin. Mais dès mon départ de Sclessin, j’avais tourné la page, fermé la porte. Une grande aventure se terminait et j’ai pu en commencer une autre à Mons.

Vous aviez quand même quitté le Standard dans des conditions particulières. Quand Dominique D’Onofrio a annoncé qu’il arrêtait, le club a décidé de liquider tout le staff. Puis, D’Onofrio a dit qu’il restait. Mais vous n’étiez plus là… alors que c’était lui qui vous avait amené là-bas.

Je suis lucide, je sais qu’on a peu de certitudes dans ce métier, qu’il est difficile de s’installer dans la durée. Pourtant, je suis un grand partisan du travail à long terme avec les entraîneurs car, plus le temps passe et plus un coach a des chances d’être performant dans un même club.

Comparé à Cartier, admirateur de Wenger

Vous aviez émergé à Mons alors qu’il y avait du beau linge parmi les autres candidats : Albert Cartier, Stéphane Demol, Thierry Pister, Gilbert Bodart, Manu Ferrera, etc. N’était-ce pas votre première grande victoire dans ce métier ?

Peut-être.

Pourquoi aviez-vous été choisi ?

J’imagine que mon discours et ma personnalité ont fortement pesé dans la balance. Le club doit aussi avoir pris pas mal de renseignements à mon sujet. En fait, je n’avais même pas postulé : je n’ai jamais envoyé un CV de ma vie ! Je serai peut-être obligé de le faire un jour, mais ça ne me semblait pas encore nécessaire il y a un an.

Votre discours fait penser à celui d’Albert Cartier : c’est clair, structuré.

C’est marrant, on m’a déjà fait cette remarque. Comme lui, je suis un homme de dialogue et je sais fédérer un groupe autour de moi. La comparaison est flatteuse, en tout cas !

Vous reconnaissez-vous en lui ?

Je dirais simplement que j’apprécie beaucoup son profil : Cartier est intègre, travailleur, cohérent. Mais je n’ai jamais cherché à ressembler à personne. Je préfère réussir avec mes propres convictions. Et c’est d’autant plus facile pour moi que je n’ai jamais eu l’occasion, comme joueur, de travailler avec un entraîneur du plus haut niveau. Enfin bon, si je devais vraiment essayer de ressembler à un grand coach, ce serait Arsène Wenger. Pour son parcours, son côté posé, le football qu’il prône, son art de s’installer dans la durée. Et même si je ne le connais pas personnellement, j’ai la conviction qu’il a d’immenses qualités humaines.

Jérémie Njock nous a dit que vous consacriez très peu de temps, dans votre théorie, à l’équipe adverse. Mais à côté de cela, vous êtes un féru du scouting. Pourquoi ?

Le plus important, c’est toujours de maîtriser son propre système, son animation, ses hommes, ses forces individuelles et collectives. Mais il est aussi indispensable de savoir quel genre d’équipe on va rencontrer : son animation, sa façon de gérer les phases arrêtées, ses points forts, ses faiblesses. J’essaye de récolter un maximum d’informations sur l’adversaire, puis j’en communique un résumé concis à mes joueurs. Trop parler de l’équipe adverse n’est pas bon, surtout quand on entraîne le club qui est favori de la série. Je voulais que mes joueurs se sentent forts, c’est pour cela que j’évitais de trop parler des atouts de nos adversaires. Nous n’avons jamais snobé personne mais nous avions nos convictions, nos certitudes. Et je prenais bien soin d’éviter le bourrage de crâne : je donnais quelques informations de scouting au compte-gouttes tout au long de la semaine plutôt que d’imposer à mes joueurs un très long discours sur l’adversaire lors de la théorie d’avant match.

 » J’ai transformé le sentiment d’injustice en envie de révolte  »

Pourquoi le club n’avait-il pas prévu de champagne à Dessel, pour le match décisif ?

Les dirigeants me connaissent, ils pensaient bien que je n’y tenais pas. Quand ils m’ont dit qu’ils ne prévoyaient pas de champagne, je leur ai répondu que c’était très bien comme ça. Je préfère me passer de champagne et savourer que regarder les bouteilles après un résultat décevant.

Avez-vous suivi minute par minute l’évolution du score dans l’autre match pour le titre, Oud-Heverlee-Louvain – Overpelt-Lommel ?

Oui.

Et vos joueurs étaient tenus au courant ?

Quand Overpelt-Lommel était mené 2-1 et que c’était toujours 1-1 dans notre match, je leur ai crié qu’il fallait y aller… De toute façon, je tenais à terminer le championnat par une victoire. Je voulais prouver que ce groupe avait encore des ressources après la décision de l’Union Belge de nous retirer les points pris contre Beringen-Heusden-Zolder.

Comment avez-vous re-motivé vos joueurs après cette décision ?

J’ai simplement rappelé qu’ils avaient signé un pacte en début de saison : on ferait tous notre boulot à fond jusqu’au dernier jour, même s’il y avait des obstacles sur notre route. Le groupe a accueilli la volte-face de la Fédération comme une injustice profonde et j’ai cherché à transformer ce sentiment en envie de révolte : -On nous met des bâtons dans les roues, on ne veut pas que Mons y arrive mais nous allons montrer sur le terrain ce que nous avons dans le ventre. Tout le monde a adhéré. Moi, en tout cas, j’étais persuadé que la justice sportive finirait par triompher.

Mathématiquement, vos chances étaient pourtant minimes après le retrait des points.

C’est clair. Mais mes joueurs étaient tellement conditionnés qu’ils ne voulaient pas laisser la porte ouverte à la moindre critique. Ils tenaient à finir le championnat en trombe, à être au-dessus de la mêlée. Leur tempérament a payé.

Comment expliquez-vous leur relâchement après la première décision de l’UB, celle qui vous laissait les points ?

Cette décision paraissait tellement acquise ! Le comité exécutif avait tranché à la majorité, en notre faveur. Il ne pouvait donc plus rien nous arriver de fâcheux, et comme nous avions un petit matelas de points d’avance, il y a eu un peu de laisser-aller. Pourtant, j’ai tout fait pour que ce syndrome ne se produise pas. Je n’ai pas arrêté de les préparer au scénario le plus négatif, à la suppression finale de ces fameux points.

 » Tous nos adversaires ont reconnu que nous étions les plus forts  »

Votre équipe était-elle la meilleure de D2 ?

Oui. Tous nos adversaires l’ont d’ailleurs reconnu. Si on tient compte des matches contre Beringen-Heusden-Zolder, nous avons la meilleure attaque. Nous possédons aussi la meilleure défense. Nous avons pris 6 points contre Malines, 4 contre Overpelt-Lommel (en ayant fait une démonstration chez eux : 0-4), l’Antwerp et Courtrai (avec une victoire 6-1 chez nous). Bref, nous avons répondu à l’attente dans tous les grands rendez-vous. Nous avons aussi battu La Louvière en Coupe de Belgique, puis Mons a été le vainqueur moral à Mouscron, malgré l’élimination. Nous n’avons finalement gagné qu’un seul match que nous ne méritions pas de remporter : à Eupen. Nous n’avions peut-être pas le meilleur groupe sur un plan purement qualitatif, mais certainement le meilleur état d’esprit. La force du groupe est d’avoir été conscient dès le départ qu’il y avait sans doute plus de qualités chez quelques adversaires. N’oublions pas non plus que nous étions attendus partout comme l’épouvantail de la série. Tout le monde jouait ses matches de l’année contre nous. Je ne voulais pas que mes joueurs souffrent de ce traitement particulier, je mettais l’accent sur le côté positif en leur expliquant que c’était valorisant d’être considérés comme les plus forts.

Avez-vous senti tout au long de la saison que ce serait une catastrophe si Mons ne remontait pas ?

Et comment ! Et si je ne le sentais pas, on se chargeait de me le rappeler régulièrement. (Il rigole). Toutes mes discussions avec la direction se terminaient invariablement par les mêmes phrases : -Il faut monter. On doit monter.

Et que se serait-il passé si Mons n’était pas remonté ?

Dominique Leone est un homme de paris et je ne pense pas qu’il aurait abandonné le navire. Mais le club serait redevenu semi professionnel et les contrats auraient été revus.

Vous êtes-vous parfois senti menacé ?

Pas vraiment.

Vous n’avez jamais pensé à Marc Grosjean ou Jos Daerden, qui ont été virés après avoir fait de bonnes choses avec ce club ?

Il faut vivre avec… Si je vivais d’états d’âme, je ne pourrais pas aller loin.

 » Plus facile de faire six efforts avec ballon que trois sans ballon  »

Vous avez triomphé avec un football positif, construit, souvent agréable à voir : c’est rarement ce jeu-là qui permet de quitter la D2 pour la D1.

Je sais. Mais ma conception du foot passe par le beau jeu et la possession de ballon. Le football attentiste et défensif n’est pas pour moi. Nous avons eu un nombre très élevé d’occasions de but dans chaque match. Si nous les avions toutes concrétisées, nous aurions marqué dix fois plus ! Mais bon, je vois le côté positif : c’était déjà bien de se les créer… J’ai toujours martelé à mes joueurs qu’il n’y avait qu’un seul ballon sur le terrain et que, plus longtemps on l’avait, plus on avait de chances d’être dans le coup défensivement et offensivement. C’est plus facile, aussi, de faire six efforts avec ballon que trois sans ballon.

Sentez-vous que la direction de Mons n’est plus prête à commettre les mêmes erreurs qu’à l’ère Brio en confiant tout le recrutement à son entraîneur ? Limite-t-on votre marge de man£uvre à cause de cette période noire ?

Le grand mérite du président est d’avoir reconnu ses erreurs et je sens depuis mon arrivée sa volonté de ne plus se tromper dans le recrutement. Maintenant, il va falloir gérer des paramètres annexes. En D2, Mons n’intéressait plus grand monde. Aujourd’hui qu’il retrouve la D1, ce club va se redécouvrir des amis d’autrefois, des gens rarement désintéressés, des gars qui ne sont pas nécessairement connaisseurs mais qui vont chercher à profiter de la situation. Il faut que la cellule mise en place continue à fonctionner comme elle l’a fait depuis un an. Tous les transferts sont des décisions concertées, mûrement réfléchies. Les coups de tête, c’est terminé. On verra dans les prochaines semaines si les leçons du passé ont bien été tirées. Le mercato d’hiver m’a en tout cas donné mes apaisements. Ce fut très ciblé : seulement trois départs, pas plus de trois arrivées, mais toutes des réussites.

Que vous manque-t-il pour tenir votre place en D1 ?

De la vitesse. C’est dans ce sens qu’il faudra transférer. J’ai aussi besoin d’un joueur confirmé de D1 dans chaque ligne. Mais nous allons essayer de garder l’ossature en place car les gars le méritent. Enfin, on verra : près de deux joueurs sur trois sont en fin de contrat.

On cite Alex Teklak, Jonathan Walasiak, Cédric Roussel.

Je n’avancerai aucun nom aussi longtemps que tous les joueurs de cette saison n’auront pas été mis au courant de la décision du club à leur égard.

PIERRE DANVOYE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire