TERRE PROMISE

Pierre Bilic

Revenu d’Israël cet été, le médian brésilien veut retrouver le niveau de ses conquêtes de trophées avec Genk et les Loups.

Il y en a qui roulent des mécaniques après un dribble réussi et quelques matches en D1. Rogerio De Oliveira, 27 ans, n’imitera jamais Aldo Maccione. Il préfère la discrétion alors que personne à La Louvière, et dans pas mal d’autres clubs, n’affiche le même palmarès que lui : un titre de champion de Belgique (1998-99) et une Coupe de Belgique (1999-2000) avec Genk, un deuxième triomphe au Stade Roi Baudouin avec les Loups en 2002-2003.

Doté d’un excellent pied gauche, cet ancien joueur de football en salle est plus un élément d’axe que de couloir. Ses idées de gauche sont les bienvenues mais, trop timide, Rogerio tarde à se rendre indispensable dans le 11 de base des Loups. Gilbert Bodart et son adjoint, Frédéric Tilmant, lui parlent beaucoup et le poussent dans ses derniers retranchements.

 » J’espère répondre à leurs attentes car je me sens bien dans ce club « , dit-il.  » Avec un peu de chance, j’aurais pu et dû être plus loin. Des blessures, dont une fracture de la pommette, m’ont immobilisé durant de longues périodes. J’ai également été gêné par un problème de dérèglement de la thyroïde qui minait déjà mon potentiel physique à Genk. J’étais souvent très fatigué et je prenais pas mal de poids. Le staff médical de la Louvière a heureusement posé le bon diagnostic. N’empêche, je me suis quand même beaucoup inquiété alors que mon corps était en panne d’énergie « .

Malgré ces pépins, le médian brésilien a traversé tous les orages et toutes les évolutions au Tivoli. Et il y en a eu pas mal depuis janvier 2001. En quatre ans, les Loups ont connu l’ère des crocodiles de l’élite ( Benoît Thans, Manu Karagiannis, etc), la première vague des joueurs français et autres trouvailles ( Maâmar Mamouni, Mickael Murcy, Mario Espartero, Eloi Wagneau, Geoffrey Toyes, Michaël Klukowski, Manaseh Ishiaku, Gunter Van Handenhoven, etc.), le tout nouveau noyau actuel.

La période Bodart

 » Ce sont des périodes très différentes l’une de l’autre « , constate-t-il.  » A mon avis, c’est le lot des clubs n’ayant pas des moyens financiers énormes. Ils doivent sans cesse s’adapter, vendre, recruter. Moi, cela ne me dérange pas. Chaque époque est intéressante. Je m’adapte. L’équipe qui a gagné la Coupe de Belgique contre Saint-Trond était une machine bien huilée. Elle était unie, bien en place, redoutable dans ses contres. La Louvière a même posé des problèmes à Benfica en Coupe de l’UEFA. Ariel Jacobs avait façonné un très bel ensemble. Albert Cartier a très vite bâti autre chose. Le premier tour de la saison passée fut de toute beauté. Je ne faisais hélas pas partie de ses plans. Non je n’ai jamais demandé d’explications : à quoi bon ? Ce n’est pas mon style. Je n’étais pas du tout résigné. Chaque coach a ses idées. Je suis un professionnel et je respecte les avis de mes entraîneurs même si je ne suis pas d’accord. Je me suis évidemment interrogé mais j’ai continué à travailler. L’équipe était très performante et il y avait peu d’espace d’expression pour moi entre Espartero et Van Handenhoven.

Bodart est mon quatrième entraîneur à La Louvière après Ariel Jacobs, Albert Cartier et Emilio Ferrera. Un seul autre joueur est dans le même cas que moi : Olivier Guilmot que j’ai vu débarquer dans le noyau A. Nous faisons partie des meubles. A 27 ans, je suis l’ancien. Ce groupe a beaucoup travaillé avec Emilio Ferrera. Il fallait lier la sauce et cela prend pas mal de temps. Tout était nouveau. Cela s’est ressenti sur le terrain où nous n’avons pas eu beaucoup de chance. Personne ne résiste à une telle poisse. Gilbert Bodart est parvenu à renverser le cours des choses. Il a su forcer la chance et le climat a tout de suite changé dans le vestiaire. Le but d’ Alexandre Potier a tout éclairé. Il a battu le gardien du Lierse de la pointe du soulier. C’est un détail mais cette nouvelle équipe avait besoin de cela pour prendre ses marques. La veine n’avait jamais été avec nous comme quand le Standard s’imposa au Tivoli en fin de match alors que nous méritions au moins le nul. Ce groupe recèle du talent. Le vestiaire est heureux et le coach communique bien sa confiance, la certitude d’y arriver via le travail « .

 » Je me suis relancé en Israël  »

Rogerio est revenu à la Louvière après avoir passé six mois en Israël, à Hapoël Beer-Sheva.  » Ce fut une expérience fabuleuse. Ostende m’avait contacté mais ne disposait d’aucune liquidité pour payer une location à la Louvière « , raconte le médian.  » Au départ, j’ai eu une hésitation car Israël vit des moments délicats. Les attentats suicides m’avaient quand même marqué. Est-ce que je devais exposer ma femme, Fernanda, et notre fils, Felipe (5 ans) à de tels dangers ? Je ne regrette rien. A Beer-Sheva, la population est assez mixte et il n’y a pas de problèmes entre Israéliens et musulmans. J’ai fréquenté les marchés sans jamais m’inquiéter. Il y a pourtant eu un attentat dans une autre ville. J’ai visité Jérusalem. Pour un chrétien, ce sont des moments émouvants. Il y a 2000 ans, le Christ était là. Les Brésiliens sont très croyants et j’ai beaucoup prié là-bas. Je me suis aussi baigné dans la Mer Morte mais j’étais surtout là pour jouer au football. J’avais passé six mois sur le banc à La Louvière et j’avais faim de ballon. En décembre 2004, je ne pouvais pas deviner que mon club allait céder pas mal de joueurs à l’occasion du mercato. Si j’étais resté, Albert Cartier m’aurait peut-être fait confiance. Je me suis requinqué à Beer-Sheva. L’équipe était une véritable tour de Babel avec des joueurs venus des quatre coins du monde. Nous avions souffert avec, entre autres, quatre gardiens différents. J’ai apprécié la qualité de ce championnat plus technique qu’en Belgique. Le rythme est souvent très élevé. J’ai beaucoup joué et cela m’a permis de retrouver le rythme : c’est ce que je recherchais. Je me suis relancé en Israël. La confiance est revenue. Il y a du monde dans les stades, surtout à Tel-Aviv. Je serais bien resté mais c’était impossible car mon fils devait entamer sa scolarité. Il était préférable que cela se fasse en français et c’est pour cela que nous sommes rentrés en Belgique. J’avais encore un an de contrat à La Louvière « .

 » Je dois beaucoup à Aimé Anthuenis  »

Rogerio et la Belgique, c’est déjà une vieille histoire. Au Brésil, il joua surtout au futsal.  » Cela se voyait dans mon style « , précise-t-il.  » Quand je suis arrivé en Belgique, je jouais beaucoup avec la semelle. Les entraîneurs n’aimaient pas cette habitude. Après avoir joué à Denderhoutem, je me suis retrouvé au top, à Genk. J’avais été recruté par Aimé Anthuenis qui appréciait ma technique. Je dois beaucoup à Aimé. J’ai vécu des moments assez inoubliables dans le Limbourg. Genk ne détenait pas un noyau hors normes. Nos deux vedettes jouaient devant : Branko Strupar et Souleymane Oulare. C’est l’unité et l’ambiance qui ont fait la différence. Ce groupe pouvait aller à la guerre. L’entente était parfaite et, en fin de saison, cela peut faire la différence. J’ai eu moins de chance par la suite en ne bénéficiant pas de la confiance de Jos Heyligen et de Johan Boskamp. En 2000, j’ai été loué à Alost. Pour moi, il ne s’agissait nullement d’un pas en arrière. L’univers n’était pas le même. Genk faisait la course en tête, Alost luttait pour sa survie : et alors ? Moi, je voulais jouer et j’ai apprécié mon passage à Alost où Manu Ferrera remplaça Wim De Coninck en cours de saison. Quand je suis revenu à Genk, le ton avait changé. Sef Vergoossen était le nouvel entraîneur et la ligne médiane était occupée par Bernd Thys, Josip Skoko et Koen Daerden. Il n’y avait plus de place pour moi. Genk, c’était terminé « .

Le temps passe vite. Dans quelques années, Rogerio reprendra la route du Brésil. Il ne restera pas en Belgique comme c’est le cas d’ Edmilson, d’ Isaias et de quelques amis.  » Je garderai un souvenir ému de la Belgique « , avoue-t-il.  » C’est un chouette pays où il fait bon vivre. Je m’y suis toujours senti comme chez moi, bien entouré par des amis, des coéquipiers, des entraîneurs. On m’a donné une chance et j’ai ou m’adapter, progresser, vivre des moments très intenses. La Belgique, c’était ma Terre Promise, ma porte de l’Europe. Chez nous, beaucoup rêvent d’avoir ma chance. Je n’ai pas joué en Espagne ou en Italie mais je suis content de mon petit palmarès. Tout le monde n’a pas été Champion de Belgique, moi oui. Mais je suis et je reste Brésilien. Sao Paulo ou Rio de Janeiro, c’est incomparable. J’ai besoin de voir ma famille, de vivre dans ma région natale. Ce sera pour plus tard. Il me reste du pain sur la planche à La Louvière où mon contrat se terminera en juin prochain. Tout doit forcément passer par un bon championnat avec mon club « .

PIERRE BILIC

 » TOUT LE MONDE N’A PAS ÉTÉ CHAMPION DE BELGIQUE, MOI OUI « 

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