Terre de talents

La Bosnie tente de rattraper son retard sur ses voisins serbes et croates. Avec peu de moyens mais beaucoup de talents.

De la Bosnie, de cette région d’un peu plus de 4 millions d’habitants, on revoit les images d’une terre coincée entre la Serbie et la Croatie, déchirée par une guerre à la fois nationaliste et religieuse. On retient les dégâts causés dans le stade de Sarajevo, transformé en cimetière, ce même stade qui avait accueilli les Jeux Olympiques d’hiver quelques années plus tôt. Cela fait maintenant treize ans qu’ont été signés les accords de Dayton qui mirent fin à la guerre de l’ex-Yougoslavie (1992-1996) et qui ont institué la République de Bosnie-Herzégovine, sorte d’Etat fédéral composé de la Fédération de Bosnie-Herzégovine et de la République serbe de Bosnie. Le reste s’est évanoui. Même cette phrase de Winston Churchill qui disait de cette région  » qu’elle produisait plus d’Histoire qu’elle n’en absorbait « .

La Bosnie-Herzégovine se veut discrète, pansant ses plaies et se reconstruisant loin du brouhaha. Et on se surprend à fredonner Bosnia, des Cranberries, ou Miss Sarajevo des Passengers (duo entre Bono et Luciano Pavarotti).

 » La Bosnie est sans doute le pays qui a le plus souffert de cette guerre. Elle l’a payé au prix fort « , explique l’agent de joueurs Milan Broceta.  » Toutes les infras-tructures ont été détruites. Il a fallu reconstruire et cela s’est fait petit à petit. A Mostar, on a préféré se concentrer sur la reconstruction du fameux pont historique que sur celle des installations sportives.  »

Mostar, patrie d’ Adnan Custovic, est redevenu un petit havre de paix que l’attaquant gantois aime retrouver chaque année :  » La Bosnie ne change pas. J’y retourne dès que je peux et chaque fois, je me dis que tout est pareil. Cela permet de me sentir très vite chez moi mais en même temps, c’est un signe de stagnation. Il n’y a plus de grands projets, d’industrie. Le pays n’avance pas.  »

Pourtant, depuis cinq ans, la croissance économique est au rendez-vous, même si la crise n’épargne pas ce pays balkanique. Dans ce contexte, le football peut servir d’ambassadeur exceptionnel. La Croatie et la Serbie l’ont compris.

 » Il y a sans doute plus d’argent dans ces pays « , explique l’ancien joueur du FC Liège et du Germinal Ekeren, Cvijan Milosevic.  » Mais je ne comprends pas que la Slovénie arrive à se qualifier pour une Coupe du Monde (2002) et un Euro (2000) et pas la Bosnie qui compte un potentiel joueurs supérieur.  »

On en revient à l’argent.  » C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de moyens « , explique Custovic.  » Le championnat est faible, les installations et les stades médiocres et en Ligue des Champions, on est encore davantage à la ramasse. En Croatie, il y a encore l’Hajduk Split ou le Dinamo Zagreb qui font des coups d’éclat ; en Serbie, il y a le Partizan et l’Etoile Rouge. Je mets au défi quiconque de me citer un club bosniaque. « 

Dans ce marasme, la Fédération est montrée du doigt.  » Il y a eu beaucoup de problèmes entre les dirigeants et les joueurs. On ne reprenait pas les meilleurs éléments. Il aurait fallu donner le pouvoir à d’anciens footballeurs « , lâche Custovic.  » Cela fait des années que les réunions se succèdent pour évincer les dirigeants « , renchérit Milosevic.  » Et plus les années avancent, plus les problèmes s’amoncellent. Ces dirigeants sont entrés à la Fédération pendant la guerre et s’accrochent à leurs postes. Ce sont des fainéants mais ils restent en place. « 

Dans le café L’air pur, sur les hauteurs de Seraing, Sead Susic, l’ancienne vedette du FC Liégeois, abonde dans le même sens.  » Certains joueurs ont longtemps refusé de venir jouer pour la Bosnie. Et ce n’était certainement pas une question d’argent, ni de primes. La plupart d’entre eux évoluent à l’étranger…  »

 » Le gardien Kenan Hasagic (Istanbul-spor) et le médian Elvir Rahimic (CSKA Moscou) avaient envoyé une lettre recommandée pour dire qu’ils ne joueraient plus en sélection tant que les dirigeants actuels étaient en place « , explique Milosevic.  » Quand vous voyez que le meilleur élément, l’arrière Sasa Papac, qui évolue au Celtic Glasgow, n’a toujours pas digéré et continue à boycotter la sélection, vous avez un goût de gâchis en bouche « , renchérit Broceta.

 » Blazevic a créé un esprit de famille « 

Et pourtant, le football bosniaque semble revivre. Un bon résultat contre la Belgique placerait ce pays dans la course à la deuxième place du groupe. Inscrite à la FIFA en 1996 et membre effectif depuis 1998, la Bosnie est actuellement 58e au classement mondial, position autour de laquelle elle gravite même si elle s’est hissée à la 25e place en août 2007. Dans cette campagne qualificative, la Bosnie ne s’est inclinée que d’extrême justesse face à l’Espagne (1-0) et la Turquie (2-1), atomisant tous ceux qui sont passés par son antre de Zenica, à savoir l’Estonie (7-0) et l’Arménie (4-1).  » L’Espagne ne devait jamais gagner chez nous. Un 0-0 aurait été plus équitable « , commente Broceta.

L’organisation et le début de révolution portent un nom : Miroslav Blazevic, l’ancien sélectionneur de la Croatie.  » Il a directement imposé du respect par ses références : il a conduit la Croatie à la troisième place de la Coupe du Monde 1998, il a entraîné Nantes, il a été récemment champion avec le NK Zagreb « , explique Milosevic.  » Et même s’il a longtemps conduit la Croatie, il est Bosniaque d’origine.  »

Blazevic a déjà marqué des points en convainquant certains joueurs de revenir en équipe nationale, comme Hasagic et Rahimic.  » Son discours passe très bien « , continue Milosevic.  » Il est très malin et intelligent. Il sait motiver ses joueurs et met une bonne ambiance dans le groupe. C’est de cette façon qu’il fut champion avec le NK Zagreb.  » Susic est du même avis :  » Il parvient à créer un esprit de famille, à unir ses joueurs. Un des secrets de la Croatie en 1998 fut justement ce côté décontracté. Blaz Sliskovic, le précédent sélectionneur, était un gentil garçon mais il ne boxait pas dans la même catégorie.  »

A 73 ans, Blazevic n’a donc rien perdu de ses qualités.  » Il prend son travail très au sérieux « , ajoute Broceta,  » Il aime changer sa tactique et réserver des surprises à l’adversaire.  » Certains lui collent l’étiquette de football organisé. Susic :  » Avec la Croatie, il pouvait compter sur une défense solide avec des joueurs comme Slaven Bilic ou Igor Stimac mais c’était une formation qui attaquait avant tout avec des Davor Suker, Robert Prosinecki, Zvonimir Boban ou Aliocha Asanovic.  »

Pour passer un palier, Blazevic peut puiser dans un groupe homogène et talentueux.  » Même si l’argent manque, les jeunes continuent à percer parce qu’en Bosnie, on continue à beaucoup jouer dans la rue « , affirme Susic.  » Le Velez Mostar, Banja Luka, Sarajevo ou Zeljeznicar étaient réputés pour leur formation « , continue Broceta.  » La génération 1972-1974 comportait pas moins de 16 joueurs formés dans ce dernier club. Les joueurs bosniaques ont le même pedigree que tous ceux de l’ancienne Yougoslavie. Ils sont vifs et techniques. « 

Dans ce groupe, pratiquement tous les éléments évoluent à l’étranger.  » Cette saison, des garçons comme Edin Dzeko ou Vedad Ibisevic ont percé en Allemagne « , explique Custovic.  » Sejad Salihovic (Offenheim) ou Zlatan Muslimovic (PAOK Salonique) confirment. Le championnat russe accueille également de nombreux éléments comme Rahimic ou le capitaine Emir Spahic. Les bons résultats du CSKA et du Lokomotiv profitent à ces joueurs.  »

 » Spahic est très discipliné et très fort sur l’homme « , détaille Milosevic.  » Rahimic est un milieu de terrain moderne qui travaille beaucoup pour l’équipe. Salihovic est un technicien hors pair. Semir Stilic, un jeune médian de 21 ans, a été élu meilleur étranger du championnat de Pologne.  » Susic ajoute :  » Senijad Ibricic a 23 ans mais un talent fou. S’il prenait un club plus sérieux que le NK Zagreb, il éclaterait. Et puis, n’oublions pas le joueur de Lyon, Miralem Pjanic. Il fut longtemps blessé mais il revient !  »

L’équipe repose sur un potentiel offensif impressionnant.  » Tout le monde parle de la blessure d’Ibisevic mais l’attaque est tellement forte que même lui n’était pas sûr à 100 % de sa place « , dit Broceta.  » Quand vous voyez la capacité offensive de cette formation, la défense n’a pas besoin d’être de haut niveau. Elle doit juste s’accrocher.  »  » Si la défense tient, on a nos chances contre les Belges « , corrobore Custovic.

La Bosnie rêve d’une première participation à un grand tournoi. Cela passe par deux bons résultats contre les Belges.  » On part de loin et on risque d’arriver un peu juste. Ah, si Ibisevic avait éclaté un an plus tôt… « , conclut Milosevic.

par stéphane vande velde – photos: reporters

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