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TERMINATOR ET RAMBO À LA FOIS

En sport, y compris en cyclisme, c’est un peu comme dans  » The Voice  » : il suffit de quelques notes pour reconnaître un super talent. Ce fut le cas en 2010 lorsque, à 19 ans, Peter Sagan a chanté ses premiers couplets au Tour Down Under. Sept ans plus tard, le coureur le plus rock and roll du peloton, est à nouveau au départ de la course australienne. Cheveux au vent.

19 juin 2008. Au championnat du monde juniors de VTT, Peter Sagan, 18 ans, relègue ses adversaires au rang de gamins avec des stabilisateurs. Le deuxième, Arnaud Jouffroy, termine à une minute trente. Le quatrième arrive cinq minutes plus tard. Lors de la conférence de presse, le coureur grommelle quelques clichés en slovaque – il ne parle pas anglais – avant de laisser le sélectionneur fédéral répondre aux autres questions.

Le vocabulaire de Sagan est inversement proportionnel au nombre de chevaux qu’il a dans le moteur. De plus, c’est un coureur tout-terrain. Cette année-là, il a terminé deuxième du championnat du monde de cyclo-cross à une seconde… d’Arnaud Jouffroy, deuxième de Paris-Roubaix (derrière Andrew Fenn)et deuxième de la Course de la Paix (après un duel avec Michal Kwiatkowski, son rival chez les jeunes).

Ces prestations n’ont pas échappé à Rudy De Bie, le sélectionneur fédéral belge qui parle d’un super talent.  » On va utiliser les superlatifs pour parler de ce bonhomme « , annonce-t-il.  » Il peut tout faire et je ne serais pas surpris qu’il remporte un jour toutes les classiques. Notez bien son nom : Peter Sagan.  » Patrick Lefevere, toujours à la recherche de jeunes talents, l’a déjà noté depuis longtemps. Après le championnat du monde de VTT, le manager de l’équipe Quick-Step invite le Slovaque pour un test chez Peter Hespel, le physiologiste de l’effort de l’université de Louvain. Sagan fait pratiquement exploser les appareils.  » Il fait partie des 5 % des meilleurs juniors que nous ayons vu ici depuis quinze ans « , dit Hespel. Mais la communication avec le timide Slovaque est difficile, son attitude est peu professionnelle (il oublie d’emmener son équipement) et sa cupidité (quand il ouvre la bouche, c’est pour parler d’argent) font reculer Lefevere.

Très déçu, Sagan envisage d’arrêter. C’est alors que Stefano Zanatta, le manager de Liquigas, entre dans la danse. En septembre 2008, après un test, le coureur signe un contrat de deux ans. En 2009, il est encore membre de l’équipe espoir Dukla Merida Trencin et du Canondale Factory Racing Team pour les courses de VTT. Sagan déménage aussi vers le port d’attache de Liquigas à San Dona di Piave, en Vénétie. Un pas difficile car il ne parle pas un mot d’italien. Il fait néanmoins forte impression sur ses équipiers du CFR qui le surnomment Terminator car il est tellement puissant qu’il casse littéralement ses VTT.

Fin 2009, après quelques victoires au GP Kooperativa et au Mazovia Tour, Sagan est invité pour la première fois au stage des professionnels de l’équipe Liquigas. Ses équipiers sont bouche bée. Lors de la mise en place d’un train pour le sprint, Sagan se place volontairement en tête pour bien montrer à tout le monde qu’il est fort. Et ils n’ont pas encore tout vu : il bluffe Vincenzo Nibali par son habileté. L’Italien fait un wheeling mais le Slovaque fait pareil avec son VTT dans une descente en lâchant les pédales et en jouant avec ses freins.

PAS PEUR D’ARMSTRONG

Quelques semaines plus tard, le 17 janvier 2010, Sagan, 19 ans, effectue ses débuts professionnels à l’occasion du critérium qui, traditionnellement, précède le départ du Tour Down Under. C’est à cette occasion qu’un certain Lance Armstrong effectue son come-back qui a fait couler beaucoup d’encre. A la plus grande joie de Sagan :  » Si Armstrong démarre, je ferai en sorte de le suivre « , dit-il à ses équipiers.  » Comme ça, on parlera de moi.  » Courageux, il tient parole et quand The Boss attaque, il prend sa roue.  » En principe, j’aurais du rester sagement dans le peloton mais rouler avec Lance, c’était quelque chose de fantastique « , dit-il.  » Quand j’étais petit, je le regardais au Tour de France à la télévision. Et là, j’ai roulé à ses côtés. C’était bizarre. Malheureusement, le peloton ne nous a pas laissés partir.  » Dans la même interview, il ajoute :  » Je sais qu’Armstrong a 19 ans de plus que moi et j’espère que j’aurai une carrière aussi longue que la sienne. J’aime le vélo.  » L’Américain encense également le Slovaque, même s’il se trompe de nationalité en parlant du  » jeune Slovène.  »

Le début du Tour Down Under est moins bon. Lors du premier sprint massif, emporté par André Greipel, le coureur de l’équipe Liquigas termine à la 80e place. Le lendemain, il chute. On lui place dix-huit points de suture au genou et au coude mais pas question d’abandonner. Lorsque Mike Turner, le directeur de course, passe à ses côtés, il l’attrape par le bras et dit : Tomorrow, I start ! Il craint que le médecin du tour le lui interdise. Ses équipiers lui trouvent un nouveau surnom : Rambo.

Dès le lendemain, il roule des mécaniques lors d’un finish en côte à Stirling, terminant quatrième derrière le Portugais Manuel Cardoso et des champions comme Alejandro Valverde et Cadel Evans. Lors du sprint massif suivant, il se classe dix-septième mais il effectue son véritable coming out lors de la cinquième étape, qui passe par la célèbre Willunga Hill. Lorsque Cadel Evans accélère dans la deuxième ascension, trois coureurs se lancent à sa poursuite : Luis Leon Sanchez et Alejandro Valverde, équipiers chez Caisse d’Epargne, ainsi que Sagan, qui aide les deux Espagnols à refaire leur retard sur le champion du monde. Sagan ne sait pas qui ils sont mais il collabore. On n’entend pas parler d’Armstrong ni de Chris Froome, qui effectue ses débuts chez Sky.

Pendant 20 km, les quatre hommes résistent au retour du peloton, emmené par les équipiers d’André Greipel chez Columbia. A deux kilomètres de l’arrivée, Sagan attaque mais il ne peut rien faire contre le jump du rusé Luis Leon Sanchez dans le dernier kilomètre. Il termine cinquième derrière Luke Roberts (qui est sorti du peloton), Valverde et Evans. Greipel conserve son maillot de leader mais on ne parle que du Rambo slovaque aux cheveux encore courts. Trois jours plus tard, il fête son 20e anniversaire.

DÉBUTS EN BELGIQUE

Un mois plus tard, de retour en Europe, Sagan se classe respectivement quinzième et seizième du Grand Prix de la Côte Etrusque et du Trophée Laigueglia – qui se terminent chaque fois par un sprint massif. Il s’apprête également à faire ses débuts en Belgique, au Circuit Het Nieuwsblad et à Kuurne-Bruxelles-Kuurne. Il a certes déjà remporté un cyclo-cross en juniors à Diegem en 2007 mais il ne connaît pas encore les Ardennes Flamandes. Cela se remarque d’ailleurs et il en paye le prix dans les monts. Il termine 66e à Gand, dans un groupe qui arrive cinq bonnes minutes après le vainqueur, Juan Antonio Flecha. Le lendemain, à Kuurne, il n’atteint pas l’arrivée mais cela n’a rien d’étonnant puisque, lors de cette édition historique marquée par les chutes de neige et remportée par Bobbie Traksel, 80 % du peloton abandonne.

Une semaine plus tard, le froid ne semble pas avoir d’impact sur ses jambes : lors du prologue de Paris-Nice, sur 8 kilomètres, seuls Lars Boom, Jens Voigt, Levi Leipheimer et Alberto Contador sont un peu plus rapides que lui. Un départ prometteur pour le Slovaque, que la direction sportive de Liquigas a soumis à un test : elle veut voir comment il se débrouille dans des épreuves d’un niveau plus élevé (au Tour Down Under, l’étape la plus longue ne faisait que 150 km). Sa mission principale est cependant de se mettre au service de coureurs comme Roman Kreuziger, qui vise le classement général, ou Francesco Chicchi, le sprinter qui s’est déjà imposé trois fois aux Tours du Qatar et San Luis.

Lors de la deuxième étape, avec arrivée en côte à Limoges, l’Italien ne peut cependant pas suivre Sagan qui termine… deuxième à un souffle du Français William Bonnet. Râlant…. Le lendemain, dans une finale venimeuse vers Aurillac, Sagan prend les choses en mains. A trois kilomètres de l’arrivée, il démarre dans une côte avec Contador, Voigt, Nicolas Roche, Tony Martin et Joaquim Rodriguez. Le benjamin du peloton s’accroche dans les roues, laisse intelligemment Voigt faire le travail et bat tout le monde au sprint. Triomphant, il se frappe la poitrine du poing droit. Sur le podium, il serre la main du maître de cérémonie, Bernard Hinault. Il ne sait pas qui c’est mais il n’en a pas moins le sourire.

Chez Liquigas, on pense qu’il va payer ces efforts lors des dernières étapes mais c’est le contraire qui se produit. Le lendemain, il termine 19e de la Montée Laurent Jalabert à Mende – 3 km à 10 % – à une minute seulement de Contador, grimpeur pur sang. Lors de l’étape suivante, Terminator frappe encore en plaçant une attaque foudroyante dans un tronçon de deux kilomètres d’ascension avant l’arrivée à Aix-en-Provence. Dans la voiture, Mario Scirea, son directeur sportif, s’énerve :  » Qu’est-ce qu’il fout ? « Le Slovaque souffre mais il franchit la ligne avec deux secondes d’avance sur le peloton, après quoi il se couche sur l’asphalte pendant une minute, à la recherche d’oxygène comme un poisson qu’on aurait sorti de l’eau. Il a toutefois encore suffisamment de souffle pour dire au cours de l’interview qui suit que son ambition est de gagner le plus d’argent possible. La déclaration fait froncer les sourcils mais il semblerait que c’était un pari avec ses équipiers, qui lui avaient dit qu’il n’oserait jamais affirmer cela. Peter le fait, ça lui rapporte 25 euros.

Chez Liquigas, on comprend seulement qu’on a affaire à un coureur exceptionnel. Dès la fin de Paris-Nice, on lui propose un contrat nettement meilleur. Par contre, à sa grande colère, on estime qu’il est trop jeune pour participer à Milan – San Remo et on lui prescrit quatre semaines de repos, jusqu’à Paris-Roubaix, sa seule classique printanière. L’Enfer du Nord, il le connaît depuis tout jeune mais il ne va pas plus loin que le deuxième ravitaillement. Comme au Circuit Het Nieuwsblad, c’est le métier qui entre.

Aux tours de Romandie et de Californie, Rambo montre qu’il a retenu la leçon : il remporte trois étapes et se classe deux fois deuxième. En Romandie, il devance notamment Philippe Gilbert qui, après l’arrivée, envoie un SMS à Dirk De Wolf disant :  » Sagan sera bientôt mon principal rival.  »

Le Slovaque a une autre idole :  » Je veux être aussi fort que Jan Ullrich « , dit-il après une victoire d’étape en Californie.  » J’admirais sa façon de rouler sur le grand plateau en montagne. Je veux gagner autant de courses que possible, peu importe lesquelles.  » Il ne deviendra jamais un coureur de tour comme Ullrich. Par contre, la prévision de Gilbert s’est avérée exacte. Plus que le Belge et l’Allemand ensemble, Sagan est devenu la rock star du peloton. Une rock star qui, le week-end prochain, sept ans après sa première apparition, ne sera plus un artiste inconnu mais la tête d’affiche du Tour Down Under. Avec de meilleures jambes encore. Et des cheveux beaucoup plus longs.

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS BELGAIMAGE

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