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Temps additionnel

On me l’avait recommandé à mon arrivée en Belgique comme un habitué conseille un plat sur la carte de son restaurant favori. Avec l’assurance et la sérénité que tout ça me procurerait des sentiments, moi qui déteste l’insipide. Ça n’a pas loupé. Parmi les matches que l’on avait vendus au nouveau suiveur de Jupiler Pro League que je suis figurait donc le derby de Bruges. En ce dimanche pluvieux, que Julian Alaphilippe finissait de transformer en dimanche arc-en-ciel, je prends le conseil au pied de la lettre, sans trop me douter que l’émotion n’avait pas tout à fait fini de parcourir mon corps.

Adrien Trebel est le jaune d’oeuf dans la carbonara : un liant simple, mais sans lequel le pecorino et la guanciale ressemblent à du gruyère et des lardons.

Masque noir sur le visage, sa main droite de gardien de but confortablement lovée dans celle de son épouse, Miguel Van Damme avance pas à pas vers le rond central du stade Jan Breydel. Le coup d’envoi donné, le portier disparaît ensuite un instant dans la nuée de coéquipiers qui vient le serrer dans ses bras, comme pour rappeler que le Cercle n’est pas un simple nom d’équipe. Puis, il repart vers les tribunes, le bras autour du cou de sa meilleure coéquipière, laissant aux spectateurs et téléspectateurs une larme au coin de l’oeil et un paquet de choses auxquelles penser. L’arbitre n’a pas encore sifflé le début de la rencontre que le jeune homme, né en 1993, nous rappelle à tous que la vie est un perpétuel temps additionnel, et que la seule différence pour certains, frappés par le sort, est qu’on leur annonce que la rencontre sera plus compliquée que prévu. Alors qu’il a annoncé, sur ses réseaux sociaux,  » continuer à y croire tant qu’il y a de l’espoir « , je profite de cet espace qui m’est gracieusement réservé pour adresser à Miguel, son épouse, sa famille, ses amis, ainsi qu’à tous ses coéquipiers, une sincère pensée dans ce combat quotidien.

Sans savoir qu’ils seraient embués quelques heures plus tard, mes yeux étaient grands ouverts à l’heure du goûter pour un Anderlecht-Eupen qui avait une bonne tête de tartine de Nutella. Les semaines passant, vous découvrez – et regrettez peut-être, mon goût pour les petites anecdotes. Je ne vous épargne donc pas celle qui conte le fait que les Mauves sont la première équipe de Belgique sur laquelle j’ai posé un oeil. Nous sommes au milieu du mois de mai 2004, je le sais, car je me souviens de la finale de C3 perdue par l’OM face à Valence (2-0), et je dispute un tournoi international U13 sobrement appelé le  » Mondial Pupilles « , à Plomelin, en Bretagne. Mon équipe avait croisé les Jaune et Noir de Namur en phase de groupes, mais je me souviens surtout avoir regardé, en tant que spectateur, les jeunes d’Anderlecht marcher sur tout le monde. Pour moi, gamin de la région parisienne, plutôt habitué à voir la supériorité des jeunes de mon coin, ce fut un moment assez marquant.

De fait, vous comprendrez aisément la raison pour laquelle la potentialité de voir des jeunes faire la pluie et le beau temps des Mauves en Jupiler Pro League me donnerait le sourire. Quelque part entre la nostalgie et le football auquel je crois, non loin des valeurs de méritocratie évoquées par Vincent Kompany en zone mixte la semaine passée. Évidemment, malgré les quelques tentatives de Jérémy Doku ou la prise d’épaisseur d’ Albert Sambi Lokonga, tout ne s’est pas passé comme prévu pour les joueurs de Vince the Prince. La faute à un match moyen, comme il en existe beaucoup dans une saison, mais que l’on passe sous silence quand la victoire est au bout. La faute à l’absence d’un Adrien Trebel dont on se rend compte, semaine après semaine, qu’il sera le jaune d’oeuf dans la carbonara : un liant simple, mais sans lequel le pecorino et la guanciale ressemblent à du gruyère et des lardons. La faute à un énième but concédé en fin de rencontre, qui a fait perdre aux Anderlechtois un sixième point depuis le début de la saison. Un monde. À ce sujet, Kompany parlait de l’importance d’être dans le même état mental du début à la fin de la rencontre. Encore une question d’expérience, donc. Encore une question de temps. Pourtant, la force de la jeunesse peut aussi résider dans le fait de ne rien gérer, qui est d’ailleurs souvent un excellent moyen de gérer.  » Les résultats ne se conservent pas. Un résultat se préserve en essayant de continuer à faire ce que l’on a fait pour mener au score « . Les mots sont de Marcelo Bielsa, un homme pour qui le temps additionnel n’est qu’un temps comme les autres. Où il faut faire de son mieux, se battre, prendre du plaisir et en donner. La vie, quoi.

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