Tempête à Reyers

Le rapport du directeur de l’informatioN a eu l’effet d’une bombe à la RTBF.

La saison sportive de la RTBF s’est achevée comme elle avait commencé: par une douche froide. A peine remis de la perte des droits sur la Ligue des Champions, les services sportifs de Reyers sont tombés à la renverse en prenant connaissance du rapport portant sur certains dysfonctionnements dans leur chef. Un rapport commandé par le conseil d’administration et rédigé par le directeur de l’information, Jean-Pierre Gallet.

Voici un peu plus de deux ans, il avait été imaginé de créer à la RTBF un poste de rédacteur en chef des sports. Le costume semblait taillé sur mesure pour Frank Baudoncq qui, quelques semaines plus tard, décidait toutefois de partir en retraite anticipée en Bourgogne. Le conseil d’administration se tourna donc vers Roland Bruneel. Celui-ci constata rapidement certains défauts (des journalistes préféraient assurer des reportages lucratifs pour feu Eurosport 21 et laissaient à des pigistes le soin d’intervenir dans les journaux télévisés, par exemple) mais se heurta constamment à divers bastions dus aux arcanes d’une hiérarchie parfois compliquée à suivre. Lassé de ne pouvoir exercer ses fonctions, Bruneel finit par démissionner. Après avoir entendu le directeur des sports, le conseil d’administration décida alors de charger Jean-Pierre Gallet d’un audit interne. Le 29 mai, le directeur de l’information le remit en un seul exemplaire à son supérieur hiérarchique, l’administrateur général, qui le transmit au C.A. avec une note d’accompagnement. Et voici peu, le comité permanent vota son application à l’unanimité.

S’il ne changera peut-être pas notre perception de la télévision et de la radio, le rapport Gallet devrait modifier certaines façons de procéder dont la simple énumération a fait mal.

« Je suis outré », dit André Lembrée, le directeur des sports de la RTBF. « Pour moi, ce rapport contient un certain nombre de contre-vérités. Il y a bien longtemps, par exemple, que nous n’envoyons plus de pigistes au J.T. Quant à la pratique d’aide à la production d’ Eurosport 21 qui était, je l’admets, à la limite de la correction, elle a pris fin avec la chaîne ».

Lembrée estime également que les contraintes engendrées par la régionalisation, notamment concernant les affectations, « se règlent au niveau des rédactions ». Enfin, cet homme qui passe avant tout pour un gestionnaire, ne comprend pas pourquoi on veut lui adjoindre un réalisateur-producteur alors qu’il a déjà une productrice.

Le directeur des sports reconnaît tout de même que certaines critiques sont fondées. « Il est vrai que, d’une façon générale, nous sommes trop peu critiques à l’égard de certaines vedettes. Par contre, nous avons de plus en plus de rubriques consacrées à des sujets polémiques: dopage, argent, etc. Je rêve aussi de grands débats, quatre fois par an par exemple, mais c’est davantage une question de moyens techniques que journalistiques. On ne fait plus d’émission sans images et il faudrait tourner pendant cinq jours ».

Concernant la mise en évidence de sponsors, on peut se demander si cette pratique n’a pas été favorisée voir générée par la maison elle même puisque, à un certain moment, la RTBF fabriquait des émissions payantes de 26 minutes, les organisateurs revendant le produit à leurs sponsors. « J’étais plutôt un défenseur de cette formule qui nous permettait de rester attentifs aux petits sports et nous n’avons jamais écrit dans les conventions que nous mettrions les sponsors en évidence », dit André Lembrée. « Mais je dois bien avouer qu’un reportage de deux minutes dans le Week-End Sportif a autant d’impact parce qu’il n’est pas diffusé huit jours plus tard ».

Michel Lecomte, secrétaire de rédaction aux sports, est également très affecté par le rapport qu’il considère comme un tackle par derrière de la part d’un équipier.

« Franchement, si nous avions été aussi mauvais, cela se saurait et nous aurions déjà été sanctionnés par le public en terme d’audience. Or, Match 1 se maintient et le Week-End Sportif progresse. -NDLA: une affirmation qu’il convient de nuancer puisque la RTBF n’a de concurrence qu’au niveau de la Ligue des Champions. Ce qui est vexant, dans ce rapport, c’est qu’on pose le problème de la difficulté d’être journaliste sportif sans préciser qu’il a toujours existé. Cela jette sur nous la suspicion: nous sommes compromis, nous n’osons pas poser les bonnes questions… Mais nous avons tous une formation de journaliste et quelques anciens du sport sont devenus d’excellents collaborateurs du J.T. Je pense que Christian Druitte, l’administrateur général, a une appréciation plus positive et plus objective de notre travail. Et je ne suis pas sûr, non plus, que le rapport s’adresse à nous en priorité. Simplement, comme nous sommes le service central, c’est nous qui prenons les coups parce qu’on n’a pas sérié les problèmes ».

Voici quelques semaines, à l’occasion du match HeninClijsters à Roland Garros, Eric Krol lança sur antenne un appel aux sponsors en vue de la couverture des tournois suivants. Un dérapage survenu après la rédaction du rapport mais qui apporte de manière flagrante de l’eau au moulin de Jean-Pierre Gallet. « Eric a commis une erreur et reçu les réprimandes d’usage au travers de notes de service mais il convient de ne pas en profiter pour faire une fixation », dit Michel Lecomte. « Dans la chaleur du direct, il arrive que l’on dépasse les bornes et il n’y a pas de garde-fou. Mais quand on parle d’aménagements de prises de vues, je réponds que nous avons résisté à la tentative d’obligation du Sporting de Charleroi de passer les interviews devant des panneaux publicitaires ».

La publication dans la presse de différentes phrases choc du rapport a également fait tiquer Michel Lecomte. « D’accord pour des explications et des remises en question en interne mais celui qui a organisé la fuite n’a pas la culture d’entreprise et est un lâche ».

Ce rapport n’a en tout cas pas fait que des mécontents. Si personne n’en sort véritablement grandi, certains y voient au moins une reconnaissance de leurs mérites. C’est le cas de Roland Bruneel dont on pourrait dire qu’il se voit décerner une médaille à titre « posthume », la plupart de ses constatations ressortant aujourd’hui de manière officielle.

« Je n’ai pas lu le rapport dans son intégralité mais, pour ce que j’en ai vu dans la presse, j’estime que Jean-Pierre Gallet a bien compris les problèmes que j’avais rencontrés. De nombreux points corroborent ainsi les motifs de ma démission ». Dans ses conclusions, Gallet estime pourtant qu’un poste de rédacteur en chef des sports n’est pas utile et prône plutôt un renforcement du pouvoir de la direction des sports, avec laquelle Bruneel n’entretenait pas spécialement de bonnes relations.

« Je devais chapeauter deux rédactions séparées avec, en plus, de nombreux produits venant des centres régionaux. Finalement, j’ai davantage entendu parler de problèmes de territoire que de qualité », observe-t-il.

C’est d’ailleurs cela qui le poussa à démissionner. Bruneel souhaitait qu’en radio, des journalistes de Bruxelles puissent commenter un Standard-Charleroi, par exemple. Devant le refus des centres, il décida alors que Guy Géron (Mons) ne pourrait couvrir le Tour de France car l’international « appartient » à la rédaction de Bruxelles. Une décision que l’intéressé tenta d’annuler par la voie politique. Pour Bruneel, c’en était trop. « On en a profité pour dire que j’étais tombé sur un problème de radio mais c’est faux: c’est la façon dont on concevait le rôle de rédacteur en chef qui m’a poussé à reprendre ma fonction de secrétaire de rédaction à la radio. Je n’ai eu de conflit ouvert avec personne mais si la structure me l’avait permis, j’aurais pu mieux faire ».

C’est surtout en radio que l’on regrette le départ de Bruneel. Parce que cet homme des ondes veillait à sauvegarder les intérêts d’un média en voie d’extinction. C’est également l’avis de Jean-Pierre Gallet, qui prône la séparation entre les deux médias.

« C’est ce que nous souhaitons tous », dit Jean Duriau, avec sa franchise habituelle. « Dans la structure actuelle, nous sommes trop dépendants de la télévision. Nous n’avons pas pu aller aux J.O. de Sydney parce que la télé n’y allait pas à cause du prix des droits de retransmission. Or, en radio, il n’y avait pas de droits et notre budget était de deux millions. Cela risque d’être pareil pour la Coupe du Monde alors qu’il s’agit d’événements ayant lieu lorsqu’il fait nuit chez nous et pour lesquels la radio a encore un petit avantage ».

Dominique Delhalle, coordinateur pour la radio à la Direction des Sports, ne veut pas poser le problème en termes de dualité. « Cet audit n’épargne personne. Nous en prenons aussi pour notre grade lorsqu’on dit qu’on regarde plus dans l’assiette du voisin qu’on ne cherche à innover. Il est sévère mais juste dans ses grandes lignes et peut-être salutaire car il va nous inciter à réfléchir. Le côté passionnel est sans doute un phénomène propre au sport mais la proximité est-elle uniquement l’apanage des journalistes sportifs? Pour ce qui est des centres régionaux, je suis favorable à la redistribution mais il ne faudrait pas non plus que nous soyons uniquement au service des journaux. Je constate aussi que le chauvinisme national a tendance à faire place au chauvinisme communautaire, voire local. Nous devons veiller à cela » .

Patrice Sintzen

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire