Tell quel

Pierre Bilic

L’Ardennais est revenu de Suisse afin de relever un magnifique défi en Gaume.

Il y a toujours dans son regard quelque chose d’acéré qui rappelle le trait de l’arbalète de Guillaume Tell. Michel Renquin, 47 ans, auteur de 55 matches pour les Diables Rouges, a toujours été un homme libre. A Virton, il retrouve sa Belgique natale, à quelques dizaines de kilomètres de Wibrin, le village d’une enfance que personne n’oublie jamais, où sa maman célébrait ses 90 ans samedi passé.

José Allard, le président de Virton, a fait appel à lui afin de remplacer Michel LeFlochmoan qui s’était identifié durant sept ans aux Sudistes. L’ancien international est chargé de confirmer le rôle des Gaumais en D2 et de rajeunir le groupe. Le travail ne fait évidemment pas peur à ce baroudeur. Sa carte de visite est aussi longue qu’un jour de canicule sans Orval. Il devrait griller un paquet de Marlboro pour réciter la liste de ses succès.

S’il y avait un fait à retenir, Michel Renquin ne s’attarderait pas à un triomphe avec un de ses clubs ou à une belle campagne de l’équipe nationale.

 » Les victoires, cela se couche sur papier « , dit-il.  » On les garde dans un bouquin. Pour moi, une carrière, c’est autre chose, c’est la vie. Je retiens d’abord les rencontres ou les événements qui, finalement, constituent les véritables pics du parcours d’un homme. Le moment le plus marquant dema carrière de joueur, c’est le décès de Ludo Coeck. C’était un coéquipier, un international, un ami, et sa disparition dans un accident de la route, en 1985, m’a bouleversé. Un palmarès, à côté de cela, ce n’est rien « …

Les quatre Guy

Michel Renquin tire sur sa cibiche. Il n’a pas tellement changé. Quelques cheveux gris, peut-être, mais il a préservé sa ligne de sportif. Il cite quelques noms pour boucler le tour de sa carrière de joueur. Des personnalités qui symbolisent des étapes gagnées et une déception. Il avance d’abord le patronyme de Robert Waseige qui favorisa son éclosion au Standard. Puis, l’Ardennais ajoute le nom de ConstantVanden Stock qui le fit venir à Bruxelles. Quatre Guy garderont à jamais une place à part dans son estime : Thys, Hellers, Dardenne et Vandersmissen. Sa saison passée à Anderlecht ne lui laissa pas un grand souvenir. Il explique ce constat par un homme : Tomislav Ivic. Renquin admire son palmarès mais, en ce qui le concerne, le technicien, avance-t-il, s’était trompé. Ivic entendait en faire un arrière droit alors qu’il avait pris ses marques de l’autre côté de la pelouse.

Cela se termina par un clash qui, pendant le Mundial 82, généra un transfert au Servette de Genève. Toute une vie, ou presque, en Suisse, entrecoupée par un retour au Standard aumilieu des années 80. Le crollé y fit son chemin avant d’opter plus tard pour le métier de coach. Bardé de diplômes, il a roulé sa bosse en Suisse et un peu à l’étranger.  » Je suis un chançard « , avance-t-il.  » Mon hobby est devenu mon métier, d’abord comme joueur puis en tant que coach. Il y a 30 ans que je me consacre au football, c’est superbe. Ce bonheur-là est plus important que l’argent. Je n’ai pas de plan de carrière si ce n’est celui d’être bien dans ma peau « .

Il dirige ses premiers entraînements au Servette de Genève. Là, Renquin découvreles qualités de deux joueurs venus passer des tests en Suisse : Anderson et Neuville. Le Brésilien fera son chemin à Marseille, à Monaco, à Barcelone et à Lyon. L’Allemand se frayera un chemin jusqu’en équipe nationale et disputera même la finale de la Coupe du Monde 2002. Michel Renquin dirigea les jeunes internationaux suisses de û16 et û21 ans. On le vit encore à la tête de l’équipe fanion de Renens et de Chenois, en D3 helvétique. Avant qu’il ne gère les destinées de Delémont, la saison passée, Michel Renquin roda ses ambitions de coach lors de deux séjours à l’étranger. Nice était dans la mouise quand Milan Mandaric fit appel à lui. Les Aiglons avaient gagné la Coupe de France tout en chutant en D2. Michel Renquin y prit la succession de Sylvestre Takac en cours de saison. Il ne termina pas cet exercice car Nice était une véritable poudrière avec des montagnes de dettes.

 » Les Azuréens avaient besoin de temps afin de repartir du bon pied « , avance-t-il.  » L’impatience m’a coûté chermais la suite a prouvé ce que je pensais : Nice a sa place dans le paysage du football français. Mais, là, j’ai bien compris qu’un entraîneur n’était pas sans cesse aux commandes de son destin. On ne maîtrise pas toujours les événements. Un coach peut céder sa place afin, sans le savoir, de sauver la tête d’autres personnes. Aimé Jacquet a expliqué tout cela dans un livre remarquable. Il a gambergé avant de mener la France au titre mondial en 1998. Je ne suis pas Jacquet mais tout est si relatif « …

Mystérieuse Algérie

La carrière d’un entraîneur est parfois aussi fragile que le Kon-Tiki du navigateur norvégien Thor Heyerdahl. En 1947, en 101 jours, il prouva en reliant le Pérou à la Polynésie (8.000 kilomètres), à bord d’une fragile embarcation, que les Incas avaient traversé le Pacifique Sud. Le Kon-Tiki de Renquin le mena de Suisse en Algérie. Il se retrouva entraîneur de Mouloudja Alger. Plongée dans un pays au bord de l’implosion. Une expérience humaine forte qui a façonné son caractère.  » Je suis resté durant une saison en Algérie et cela m’a permis d’aller à la découverte de choses très intéressantes « , lance-t-il sans hésitation.  » Ce pays souffre en profondeur, cherche sa voie. Certains se sont jetés dans ces brèches existentielles afin de tenter d’installer un régime qui leur convienne. Je n’ai pas vu d’attentat de près. J’étais pris en charge et je ne sortais jamais seul. Cette crainte marquait visiblement les gens. J’ai lu le Coran afin de mieux comprendre ce qui se passait dans ce pays. Pour moi, catholique, ce fut une plongée intéressante dans un univers religieux et social que je ne connaissais pas du tout. Je comprends désormais le désir de certains de s’appuyer sur le Coran dans leur vie au quotidien. Le Coran, c’est comme la Bible, finalement, c’est ce qu’on en fait qui fait pencher la balance d’un côté ou de l’autre. L’Algérie compte un fort pourcentage d’illettrés et il est facile d’en abuser afin d’imposer une lecture faussée ou dépassée de ce qui se trouve dans le Coran. Cela ouvre alors la voie à une violence gratuite. Il n’y a pas de classe moyenne dans ce pays. On passe de rien à tout, de l’opulence à la pauvreté, sans transition, peut-être sans espoir. J’ai aimé ce choc des cultures. Je n’avais jamais été confronté à de telles différences. Je me suis enrichi culturellement et humainement en Algérie. Avec Mouloudja, je me suis retrouvé dans des stades de 80.000 spectateurs. Mais ce n’était finalement pas une vie pour moi. Après une saison, j’avais envie de repartir afin de vivre sans crainte. C’est probablement ce que Georges Leekens a dû ressentir très vite à la tête de l’équipe nationale d’Algérie « .

Ces deux dernières saisons, Michel Renquin entraîna Delémont, minuscule club d’une ville de 10.000 habitants dans le Jura. Cette cité était plus connue pour son église Saint-Marcel du 18e siècle, sa cimenterie et son horlogerie que pour son club de foot. Renquin le propulsa en D1, avec le plus petit budget de la série. Héroïque, Delémont prit la mesure de quelques gros cubesmais est finalement rentré dans le rang et a rejoint la D2 qui colle mieux à ses réalités dans un football suisse en crise financière. A Virton, Renquin a signé un contrat d’un an avec une option pour une saison supplémentaire. Il est sous le charme de la région et de l’ingéniosité de ce club aux moyens financiers limités. Sa famille est restée en Suisse où ses enfants sont aux études. La Gaume sera-t-elle une nouvelle rampe de lancement ? Il va cracher dans ses pognes, s’adapter, entraîner le soir, découvrir la D2 et le reste suivra…

 » Le moment le plus marquant de ma carrière fut le décès de Ludo Coeck « 

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