TEARS in heaven (*)

Pierre Bilic

Eric Clapton comprendrait le blues qui s’est emparé du médian liégeois après un drame familial.

W ould you know my name if I saw you in heaven ?

Would it be the same if I saw you in heaven ?

I must be strong and carry on,

Cause I know I don’t belong here in heaven.

La vie est belle, intéressante, passionnante mais elle ne fait pas toujours des cadeaux et peut même être très cruelle. Jonathan Walasiak l’a mesuré dans son c£ur avec la mort d’un jeune cousin et dans sa chair meurtrie par trois blessures. Au départ, pourtant, tout ne pouvait qu’être rose pour lui cette saison.

Tout le monde estimait que le jeune Borain de 22 ans ne pouvait que répéter son brillant exercice 2003-2004 : 10 buts, 10 assists, deux présences en équipe nationale face à la Croatie et aux Pays-Bas, une troisième place en championnat avec le Standard. Jonathan avait imposé gentiment sa griffe avec ses infiltrations gagnantes de la deuxième ligne, ses frappes puissantes et précises d’ancien attaquant de pointe.

 » J’étais solidement positif à la reprise des entraînements « , dit-il.  » Bien dans ma tête, certain de mon football. J’avais confirmé ma bonne saison 2002-2003. Je n’étais pas du tout effrayé par les nombreux changements au c£ur de notre noyau. Cela fait partie du football même si les départs avaient été nombreux : Emile Mpenza, Onder Turaci, Joseph Enakarhire, Roberto Bisconti, Fabian Carini, Gonzalo Sorondo, Almani Moreira, etc. L’équipe actuelle est au moins aussi forte. Elle l’a déjà prouvé « .

En changeant de visage, le Standard a évolué sur le théâtre tactique. Les Rouches ont adopté le plus souvent le 4-4-2. Sur le flanc droit, Sergio Conceiçao pèse de tout son poids et de tout son talent. A un point tel que l’équipe penche souvent du côté de l’artiste portugais, qui ne cesse de réclamer le cuir. Ce patron a besoin de porteurs d’eau, de spécialistes du ravitaillement en bons ballons. Karel Geraerts s’est parfaitement profilé dans ce rôle d’aide de camp du fougueux général Conceiçao.

 » Il est un fait que le 4-3-3 m’allait bien mais cela ne signifiait nullement que je n’étais pas ouvert à autre chose « , avance Jonathan Walasiak.  » Je ne craignais aucune évolution. Je ne pouvais même que progresser dans un cadre tactique à géométrie variable. Tous les nouveaux joueurs n’ont pas débarqué en même temps et cela a allongé la mise en place. Mais la qualité est bien présente avec des arrivées importantes comme Eric Deflandre, Vedran Runje, Ogushi Onyewu, Carlos Alberto, Philippe Léonard, Michel Garbini, Sergio Conceiçao, Jari Niemi, Wamberto, Milan Rapaic, Karel Geraerts, WistonCurbelo, etc. Je n’avais pas peur de cette concurrence. A la fin de la préparation, j’étais prêt. Hélas, lors du dernier match amical, contre Virton, je me suis blessé à la cuisse. Cette déchirure musculaire m’a éloigné des terrains durant un mois. C’était le début de mes problèmes. La saison prenait son envol et je n’étais pas là. La suite, ce fut un parcours dans le style les montagnes russes. J’ai repris le travail de terrain un vendredi, un jour avant de retrouver le noyau A. Cet entraînement s’est mal terminé pour moi : entorse de la cheville. Cela signifiait un nouvel arrêt de deux à trois semaines. J’aurais mangé du ballon en rentrant au jeu face au FC Brussels. Ce fut un bon retour même si le résultat ne fut pas positif. A Genk, je me suis rassuré dans des conditions très difficiles. Ce soir-là, les Limbourgeois ont sorti la grande faucheuse. Et ils ont dépassé les bornes. Soley Seyfo a descendu impunément Wamberto. Notre prodige brésilien a payé la note : fracture du péroné. Pour lui, le premier tour était terminé. On n’en parle pas assez mais cela a eu un impact considérable sur l’équipe. Sans lui, il a fallu chercher de nouveaux équilibres offensifs. A 11 contre 10, suite à l’exclusion du gardien de but de Genk, Jan Moons, le Standard aurait dû gagner cette rencontre. J’ai signé la passe décisive qui a amené le but de Sambegou Bangoura « .

A Genk, les Liégeois présentèrent le quatuor médian suivant : Jonathan Walasiak, Carlos Alberto, Wamberto (en soutien direct pour Sambegou Bangoura et Mémé Tchité) et Conceiçao. Trois mois plus tard, cette ligne est généralement animée par Conceicao, Karel Geraerts, Juan-Ramon Curbelo et Milan Rapaic. Au cours de cette mutation, il faut aussi noter l’opération au ménisque du Portugais. Avec la suspension d’ Alexandros Kaklamanos et les soucis offensifs ( Gonzague Vandooren fut aligné en pointe), le chantier de Dominique D’Onofrio devint aussi imposant que la percée du tunnel de Cointe ou l’installation du TGV entre Bruxelles et Liège. Au fil du temps, les nouveaux et les anciens s’habituèrent à jouer ensemble. Cela a un prix visible au classement actuel de la D1. Geraerts trouva ses marques dans cette aventure, imposant son calme, sa disponibilité, son état d’esprit, sa bonne lecture du jeu, etc. Le ciel de Jonathan Walasiak ne se réduisait-il pas ?

 » Je ne crois pas « , affirme-t-il sans hésiter.  » Je suis différent de Karel. Mon équipier limbourgeois est plus spécialisé que moi dans le travail de récupération entre les lignes. De mon côté, j’adore surgir de la deuxième ligne. A mon avis, nous sommes complémentaires. Conceiçao assume un rôle ultra important à droite. Le Portugais est très fort et apporte beaucoup à l’équipe. J’ai été en déficit de confiance mais il n’a jamais cessé de m’encourager, que ce soit à l’entraînement ou en cours de match. Je n’ai que 22 ans et j’ai tout à apprendre au contact d’un joueur comme lui. Je note sa hargne, sa façon de se placer sur un terrain, son art de centrer, etc. C’est intéressant. Sergio peut jouer en pointe, en décrochage axial, à gauche. Même avec lui, je peux me payer une place dans l’équipe à condition d’être performant. En équipe nationale, j’ai occupé deux fois le couloir droit dans un 4-4-2 comparable à celui du Standard actuellement : cela ne m’a pas embarrassé « .

Le staff technique ne lui a jamais mesuré sa confiance. L’avenir passera probablement par un duo Geraerts-Walasiak au centre de la pelouse. Walasiak se secoue. Jeune homme sensible, il a été marqué par ses problèmes sportifs.  » Mais ce n’est rien quand je songe à la mort de mon cousin. Valentin n’avait que 14 ans quand il a choisi de quitter ce monde. Mes soucis de sportif ne représentaient rien par rapport à ce drame familial. J’ai une s£ur, Roxane, et Valentin était comme un petit frère pour moi. Je sais que la vie continue mais ce ne fut pas évident à vivre « .

Would you hold my hand if I saw you in heaven ?

Would you help me stand if I saw you in heaven ?

I’ll find my way through night and day,

Cause I know I just can’t stay here in heaven.

A 22 ans, ces épreuves laissent forcément des traces. Réservé, il n’est pas du genre à tout oublier au profit de ses seules ambitions sportives. Même s’il habite à Liège depuis des années, Jonathan Walasiak a besoin de retrouver régulièrement sa famille établie dans le Borinage. C’est son élixir de vie. Il suffit d’avoir passé quelques heures à Tertre avec son papa, Alain, et sa maman, Miranda, pour comprendre tout ce qui le lie à cette terre de travail. Là, ce petit-fils d’un soldat polonais s’étant engagé dans l’armée britannique durant la Deuxième Guerre mondiale avant de participer entre autres à la bataille de Monte Cassino et de se fixer en Belgique, n’oublie jamais d’aller saluer ses amis, sa famille. C’est son sang, son coeur, sa région, sa fierté, sa raison de réussir. Puis, un jour, la mauvaise nouvelle est tombée, une semaine avant le match de Coupe de Belgique contre Maasmechelen.

 » Valentin n’a pas supporté le divorce de ses parents « , raconte-t-il.  » Il a fréquenté la même école primaire que moi. Avant de rentrer chez lui, il passait très souvent à la maison. Ses parents venaient le chercher en rentrant de leur boulot. Son papa, mon parrain, est coiffeur. Je ne peux pas dire que j’étais l’idole de Valentin car il n’était pas spécialement passionné par le sport. A 14 ans, l’avenir lui appartenait. Il a hélas choisi une autre voie. Même si un divorce est forcément une brisure, personne ne pouvait imaginer qu’il souffrait au point de mettre fin à ses jours. Valentin ne pouvait supporter son nouveau mode de vie et s’est pendu. Après, on a trouvé des dessins symbolisant son mal-être et ses intentions. Valentin était un adolescent très attachant comme mes autres cousins : Fabio, Massimo et les deux Steve. Malgré cette tragédie, j’ai tenu à jouer en Coupe de Belgique contre Maasmechelen pour rendre hommage à Valentin. Je voulais trop bien faire et j’ai forcé. J’ai plongé. Mentalement, j’accusais le coup. Mes parents m’ont évidemment soutenu. Je tenais à m’en sortir pour moi, pour eux, pour Valentin. Mon parrain a aussi trouvé les mots justes. Malgré la mort de son fils, il m’a incité à penser à mon football. Il m’a beaucoup touché. Au Standard, je n’ai trouvé que du réconfort. Mais c’était à moi de réagir et de transformer ces problèmes en énergie positive « .

Perdu face à Bochum, en Coupe de l’UEFA, anéanti par le départ de Valentin, bloqué par une deuxième entorse, Jonathan revint petit à petit dans le coup.  » Je me suis souvenu d’une autre épreuve « , lance-t-il.  » A 13 ans, j’avais été victime d’une fracture de stress à la malléole. Cela m’avait coûté une saison mais j’étais revenu « .

Les hésitations de cet espoir du football belge ne passent pas inaperçues. Marc Wilmots lança un ballon d’essai en affirmant que St-Trond avait besoin de ce type de joueur. Autrement dit, Walasiak intéressait vivement les Canaris. Sur cette lancée, son nom circula à Mons et surtout à Feyenoord dans le cadre d’un échange avec Thomas Buffel. Est-ce que cela ne lui aurait pas permis de revenir à la une de l’actualité ? Sa réponse fuse :  » Les propos tenus par Marc Wilmots m’ont fait plaisir. Mais ce ne furent jamais que des rumeurs. Je suis sous contrat jusqu’en 2008. Ma situation n’est pas la même qu’en début 2002-2003. Il avait alors été question d’un prêt à La Louvière. J’étais inexpérimenté. Depuis lors, j’ai fait du chemin au Standard et je suis devenu international. Aimé Anthuenis ne m’a pas retenu cette saison parmi les Diables Rouges. C’est normal car je me suis cherché. Je me sens parfaitement bien au Standard. C’est ici, et pas ailleurs, que je dois retrouver tout mon football. Le jour où je partirai, ce sera pour découvrir, j’espère, un autre pays, un club d’un grand championnat. Je ne veux pas rêver : c’est pour plus tard. Je ne veux pas vendre la proie pour l’ombre. Un jeune doit bâtir sa carrière dans la patience. Beaucoup de promesses ont quitté Sclessin trop vite, ont suivi des managers en Italie ou ailleurs et sont aujourd’hui perdus dans la nature. Je n’ai plus d’agent. Je sais faire mes choix, ne pas accorder d’importance à ce qui n’en a pas. Ainsi, on a écrit sur un site Internet que ma copine, Monique, m’avait quitté, et que cela m’avait perturbé au point de me faire perdre mon football. Faux et ridicule. Je dois avancer sur le terrain et dans la vie. Ce n’est pas évident mais j’ai la chance d’exercer le métier que j’aime. Cela mérite des efforts. Je penserai encore souvent à Valentin, c’est évident, car il restera à jamais dans mon coeur « .

Time can bring you down, time can bend your knees

Time can break your heart, have you beg in peace, beg in peace

Beyond the door there’s peace I’m sure,

And I know there’ll be no more tears in heaven.

(*) Tears in heaven (Des larmes au paradis) est un des grands succès d’Eric Clapton.

Pierre Bilic

 » Je voulais trop bien faire et j’ai forcé ; J’AI PLONGÉ «  » Je peux jouer AVEC CONCEIÇAO « 

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