Tchin tchin !

Le transfert de l’attaquant africain a rapporté une fortune à Anderlecht mais il a coûté gros à l’attaque mauve. Pourquoi l’a-t-on laissé partir, alors ?

Pour Anderlecht, l’acquisition de Mémé Tchité était, au départ, essentiellement une bonne occase. L’attaquant congolais du Standard ne voulait effectivement pas rempiler chez les Rouches, en dépit d’une revalorisation substantielle de son contrat. Du coup, Luciano D’Onofrio l’avait proposé au RSCA pour la somme de 1,5 million d’euros. Un montant correct, sans plus, pour un joueur dont le bail venait à échéance en 2007 et qui eût été libre comme l’air et, de surcroît, gratuit à ce moment. Au Sporting, malgré tout, certains, en haut lieu, se tâtaient sur le bien-fondé de cet engagement. Mais tous, sans exception, eurent tôt fait de se ranger à l’avis de Frankie Vercauteren qui, lui, avait d’emblée émis un avis favorable.

La suite immédiate des événements allait lui donner amplement raison car Tchité se révéla d’emblée le sauveur de ses nouvelles couleurs à Saint-Trond, en paraphant deux buts lors des ultimes minutes de la partie, alors que le score était de 2-2 à ce moment-là. Et lors du déplacement suivant à Westerlo, le même récidiva en montrant cette fois la voie à suivre, puis en doublant l’avantage des siens. Et une semaine plus tard, l’ex-avant principautaire révéla à nouveau son caractère précieux en plantant le seul goal de la partie face au Club Bruges. Cinq buts en l’espace de quatre matches, c’était d’autant plus marquant que le Standard – nanti de deux points seulement- et les Bleu et Noir – avec six unités – étaient déjà largués à distance respectable.

Le seul bémol, dans cette euphorie initiale, c’était la discrétion du nouveau transfuge en Ligue des Champions. Une tare qu’on ne relevait d’ailleurs pas que dans son seul chef car les autres transferts de l’été, en front de bandière, Mbark Boussoufa et Ahmed Hassan, n’étaient guère plus inspirés. Des trois, à l’analyse, c’est encore Tchité qui aura été le plus saignant en délivrant deux assists à Mbo Mpenza lors du 2-2 forgé au LOSC. Le petit Marocain Boussoufa, lui, s’en était tenu à un seul caviar, pour Nicolas Frutos, à l’AEK Athènes . Quant à l’Egyptien Hassan, il cherchait toujours la bonne carburation à cette époque de la saison.

Tchité ne se signalait alors pas que sur le terrain. En dehors, il faisait également parler de lui. Il commença par étonner tout son monde en oubliant de se présenter à un point presse. Comme la direction menaça de le mettre à l’amende en cas de nouveau refus, il s’exécuta à l’occasion d’une requête d’interview ultérieure. Mais là, devant un parterre de plumitifs pour le moins médusés, il se borna à déclarer, en tout et pour tout, qu’il n’avait strictement rien à dire. Sans s’épancher, mais après avoir fait acte de présence, comme on le lui avait demandé, il claqua les talons !

En fin de saison, alors qu’il avait été primé successivement comme Soulier d’Ebène et Joueur Pro de l’Année, il oublia une fois encore les injonctions des dirigeants de son club en chargeant l’attaché de presse, Pierre Desmet, de répondre à sa place aux questions : – S’ils demandent si je suis heureux avec ces prix, tu leur réponds oui .

 » Avaler un blanc sud-africain, c’est fun « 

Au Soulier d’Ebène, dont la remise avait eu lieu dans les salons de l’hôtel Marriott, à Bruxelles, Tchité s’était distingué aussi en arrivant in extremis, alors qu’il était tout de même le grand favori du Trophée organisé par African Culture Promotion et RTL-TVI. Mais ce n’est pas tout : à la table des nominés, où avaient pris place également Ahmed Hassan, Marouane Fellaini et Adekanmi Olufade – Mbark Boussoufa, en visite à Amsterdam ce jour-là, s’était fait excuser – il détona également quelque peu en étant le seul des sportifs à tremper ses lèvres dans un Versus (vin d’Afrique du Sud) :  » Avaler un blanc sud-africain, c’est fun «  rigolait-il.

De fait, il a beau avoir un prénom musulman – Mohamed, car Mémé est une référence à sa grand-mère qui l’a élevé-, Tchité a été élevé dans la foi catholique. Par là même, les prescriptions de l’islam ne s’adressaient pas à lui et il ne s’est donc jamais privé des  » bonnes choses  » de la vie, l’alcool notamment. En janvier passé, il avait d’ailleurs subi un alcotest positif sur la route de Hal, où réside sa s£ur, après avoir fêté l’anniversaire d’une cousine. A Matonge, le quartier africain de Bruxelles, il avait ses habitudes aussi, et plus précisément à la taverne l’Archipel. Son péché mignon ? Le whisky-coca !

Au Sporting, chacun savait. Mais on y a toujours été enclin à passer l’éponge. Car son bilan plaidait en sa faveur : 20 goals et 10 assists en bout de campagne 2006-07, de quoi faire de Tchité l’élément le plus déterminant de la division offensive du club. Mais en ce début de saison, comme pour le coach, le vent a fini par tourner pour l’homme aux quatre passeports rwandais, congolais, burundais et belge. En cause, une méforme persistante. Après avoir été rendre visite à son père rwandais, l’hiver passé, Tchité avait profité de la trêve d’été pour revoir sa mère au Congo. Aussi se soucia-t-il du programme individuel qui lui avait été concocté comme un poisson d’une pomme et c’est avec un gros retard physique qu’il s’était présenté à la reprise des entraînements.

Avant son départ pour l’Espagne, il ne fut pas en mesure de résorber son handicap. D’un côté, il manquait singulièrement de jus, ce qui fit d’ailleurs dire au président Roger Vanden Stock qu’il portait plutôt bien son nom, puisqu’il avançait sur le terrain comme une mémé. D’autre part il ne joua jamais non plus à sa meilleure place puisqu’il dut remplacer Nicolas Frutos à la pointe de l’attaque, comme pivot. Or, il n’a jamais été un orfèvre en matière de conservation du ballon.

Discret en championnat, Tchité l’aura été tout autant, finalement, au troisième tour préliminaire de la Ligue des Champions, devant les Turcs de Fenerbahçe. Ce qui n’a pas empêché les Espagnols de Santander de délier généreusement les cordons de la bourse pour lui, puisqu’il fut transféré pour près de huit millions d’euros. Lui-même réalisa une bonne affaire en paraphant un contrat d’un million d’euros par an. Pour le RSCA, le bon de sortie du joueur était une occasion unique de pallier le manque à gagner en Ligue des Champions, voire en Coupe de l’UEFA, qui sait. Reste que si les Espagnols n’avaient pas fait une offre faramineuse, Tchité, avec ses qualités et ses défauts, serait toujours bel et bien anderlechtois aujourd’hui. Car s’il y avait à redire concernant sa vie en dehors des terrains, ses statistiques plaidaient pas moins en sa faveur. Et les chiffres, c’est ce qui compte à Anderlecht. L’entraîneur est d’ailleurs bien placé lui aussi pour le savoir…

Filles à gogo

Un entraîneur a patiemment ciselé ce diamant brut qu’on avait signalé à Charleroi et à Anderlecht où il passa des tests : Dominique D’Onofrio. Le Standard fut immédiatement intéressé par sa pointe de vitesse. En 2003-2004, Tchité fut versé dans le noyau des Espoirs. Daniel Boccar s’occupait attentivement de ces jeunes parmi lesquels Mémé travaillait son positionnement, son jeu sans ballon, sa technique individuelle. L’Africain avait même été pris en sympathie par une des familles les plus riches et les plus influentes de Liège, les Uhoda. Feu Etienne Uhoda l’avait à la bonne et lui facilita la vie quand cela ne rigolait pas trop pour lui. Uhoda l’a logé et nourrit gratuitement dans son restaurant, la Cantina, avant qu’il ne trouve un appartement à Liège. Il l’avait connu via un ancien du Daring, Antoine Mboyo, devenu médecin au Mans et qui aide ses compatriotes, et le présenta à Lucien D’Onofrio et à Michel Preud’homme alors directeur sportif des Rouches. Après cette saison de rodage avec les jeunes, Dominique D’Onofrio l’intégra dans le noyau de la première comme il le fit avec d’autres gamins qui firent de brèves apparitions en D1 avant de prendre la direction des divisions inférieures. Mémé Tchité avait quelque chose en plus : la vitesse, un jeu vertical et spectaculaire. Il fit deux apparitions parmi l’élite en 2003-2004. Dès le début de la saison 2004-2005, il frappa de grands coups.

 » J’étais enchanté car il ne craignait pas la concurrence « , avance Dominique D’Onofrio.  » Or, en pointe il y avait quand même des pointures comme Alexandros Kaklamanos, Sambegou Bangoura, Jari Niemi, Wamberto, etc. Cela n’impressionnait pas du tout Mémé. J’ai fait la guerre avec tous les joueurs. J’ai eu des prises de bec à gauche et à droite car j’avais un but : les faire progresser. Je n’ai donc pas été tendre avec Mémé Tchité. Il n’a jamais bronché quand je le secouais. Si je lui bottais les fesses, même quand il était sur son nuage, c’était pour son bien. Et j’ai la prétention de dire que j’en ai fait un joueur de D1. Sa saison 2004-2005 a été très intéressante. A un tel point que Mémé fut considéré comme la révélation, pour ne pas dire la sensation du début de saison. A partir de janvier 2005, ce fut bien plus difficile. Mémé avait beaucoup travaillé en pointe et il a eu un peu de mal à digérer la masse de travail.  »

En fait, Dominique D’Onofrio est très gentil et protège la réputation de son joueur. A Liège, tout le monde savait que Mémé Tchite connaissait tous les chemins menant à Matonge, le quartier africain de la Porte de Namur à Bruxelles. Il n’y allait pas seulement pour se faire couper les cheveux ou trouver des patates douces. Là, c’est la même ambiance qu’à Kinshasa où on aime chanter, danser, profiter de la vie, boire, manger et rencontrer de belles Africaines. A son retour, il n’était pas toujours très frais. Des rumeurs ont fait état de colères du staff et on aurait entendu plusieurs fois à travers les murs :  » C’est bien de faire la fête mais pas question de te reposer sur la table de massage. Maintenant, tu files sur le terrain. « 

Le succès aidant, le football n’était plus au centre de ses préoccupations. Son entourage se modifia un peu. L’argent attire les oiseaux de proie. Ce fut le cas aussi pour Sambegou Bangoura qui avait beaucoup de succès auprès des femmes.  » C’était inouï « , dit-on encore en parlant de lui. Tchité aurait suivi cet exemple. Sapé comme un milord, il attirait les regards. Le succès est irrésistible et cela veut dire quelque chose dans une ville aussi chaude que Liège. Ne dit-on pas que les plus belles filles de Belgique défilent entre le Carré et la Place du Marché ? Il lui suffisait, dit-on, de se baisser pour ramasser celles qui le regardaient avec intérêt.

 » Nous sommes des hommes, difficile de résister mais quand même, cela allait trop loin. « , nous précise-t-on à Liège.  » Tchité n’avait pas qu’une petite amie, ses conquêtes se comptaient par dizaines.  » C’était peut-être cela la surcharge de travail qui le bloqua un peu lors de la deuxième partie de saison 2004-2005 ? En juillet 2005, les Liégeois songèrent à le prêter à un autre club. Tchité refusa, resta au Standard et signa finalement une saison de tous les diables. Mais le Standard en avait assez d’un joueur de plus en plus difficile. Poussé par ses amis, il voulait toujours plus d’argent, n’était jamais content, etc. Cela n’apparaissait pas dans ses contacts avec ses équipiers de l’époque. Mais si le Standard n’a pas réagi comme ce fut le cas plus tard avec Marouane Fellaini et Milan Jovanovic, c’est qu’il avait des raisons. On ne brade pas un grand joueur sans problèmes.

 » J’en ai tiré le maximum « 

 » Pour nous, c’était un chouette gars « , dit Philippe Léonard.  » Comme j’avais joué avec Thierry Henry et DavidTrézéguet à Monaco, il voulait savoir comment ces cracks s’entraînaient et jouaient. Les progrès de Tchité ne m’étonnent pas. Mais je ne savais pas qu’il avait des relations compliquées avec la direction. Je ne me suis jamais intéressé non plus à sa vie privée. C’est un excellent footballeur.  »

En été 2006, le ton monta encore entre le joueur et la direction. Comme il refusait de signer son contrat, le Standard décida de le vendre. Son caractère et ses frasques furent versés à son passif. Quand Anderlecht se présenta, les Liégeois firent ajouter une clause au contrat : la garantie d’obtenir un pourcentage (15 %) sur la plus-value en cas de vente, soit un gros million d’euros finalement. Une bonne affaire mais la bouteille est-elle à moitié vide ou à moitié pleine ? Les Rouches n’ont-il pas regretté son départ à Anderlecht où il contribua grandement à la conquête du titre ?

 » Non, il ne faut pas voir les choses comme cela. « , avance Dominique D’Onofrio.  » Le Standard a permis à Tchité de se faire un nom. Je suis fier de l’avoir lancé. Mais, dans notre contexte, j’en ai tiré le maximum. Mémé avait besoin d’un autre challenge sous peine de s’éteindre au Standard. Il l’a trouvé à Anderlecht. Là, après coup, on a peut-être dressé les mêmes constats que chez nous. Il a bien débuté puis sa motivation s’est peut-être flétrie, je ne sais pas. Mémé a probablement besoin de découvrir sans cesse de nouveaux horizons, d’autres challenges. C’est ce qui l’a poussé vers Santander. Il peut réussir là-bas mais devra cette fois s’inscrire dans la durée en sachant que les attentes et les exigences sont énormes en Espagne. « 

par pierre bilic et bruno govers

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