TAYLOR au placard

Taylor is not rich… en minutes de jeu avec Charleroi. Anderlecht a-t-il acheté un chat dans un sac ?

Un phénomène. Le Milan Jovanovic de Montegnée. Le gars que tout le monde s’arrache. Une des plus belles histoires du foot belge. On en a plein la bouche en décembre 2009 quand l’Anglais Paul Taylor (22 ans) est transféré de Montegnée, club de P1 à Anderlecht. On dit alors que les Mauves ont fait une affaire en or, car ce Taylor était méchamment convoité. Westerlo, le Cercle Bruges et Saint-Trond le voulaient. Le Standard était aussi sur la balle. Mais c’est le Sporting qui a arraché le beau morceau.

Et depuis ? Premier couac pour le génie supposé au retour du stage hivernal d’Anderlecht : le club rompt son contrat pour lui permettre de passer à Charleroi. Sous-entendu : il sera à nouveau libre en fin de saison, il aura pris du temps de jeu entre-temps et retournera alors à Bruxelles. Deuxième couac : Taylor n’a pas encore joué l’équivalent de deux matches complets avec Charleroi. Il a été titularisé contre Courtrai, Westerlo et le Germinal Beerschot le week-end dernier, mais il fut chaque fois remplacé en cours de match. On ne l’a pas vu une seule minute dans l’équipe en mars et il n’était même pas blessé : le staff l’estimait tout simplement insuffisant.

Une imposture british chez nous ? Analyse.

Tommy Craig travaille la tête de Taylor mais c’est dur

Tommy Craig était  » déçu  » et estimait que  » Charleroi méritait mieux  » après la nouvelle défaite de son équipe contre un Beerschot qui n’avait plus gagné depuis décembre. Un discours que le sympathique Ecossais tient pour ainsi dire chaque semaine depuis son arrivée. En attendant, la saison des Zèbres est maintenant bel et bien finie même si on a encore entendu un joueur parler de qualification européenne samedi en fin de soirée…

Et le match de Taylor ?  » C’était difficile pour lui « , explique Craig.  » Habib Habibou était censé dévier un maximum de ballons vers lui mais a été exclu après une demi-heure. Dès ce moment-là, Taylor s’est retrouvé complètement isolé et on ne l’a plus vu du tout. Je n’avais plus qu’un seul attaquant, et de petite taille en plus. Il ne pouvait pas faire grand-chose.  »

Bref, ce n’est pas le week-end passé que l’Anglais a marqué des points ou justifié des chances de devenir un pion indispensable de cette équipe. Craig :  » Le principal problème de Taylor, c’est qu’il n’est pas un team player. Je lui parle beaucoup, j’essaye de lui faire comprendre qu’il doit jouer avec les autres, mais le message ne passe pas. Il veut toujours jouer seul. Il pourrait nous apporter quelque chose car il est très fort dans les situations d’un contre un, mais il doit pouvoir faire d’autres mouvements aussi. C’est dans sa tête qu’il y a beaucoup de travail à faire. Certains footballeurs comprennent vite les consignes de leur entraîneur, d’autres ont besoin de beaucoup plus de temps. Je pense que ça finira par passer un jour chez Taylor, et à ce moment-là, il aura le niveau pour être titulaire en première division d’un pays comme la Belgique. Peut-être qu’il pourra même revendiquer un club comme Anderlecht. Je serais curieux de le revoir dans un an : s’il a tout compris entre-temps, il sera sans doute un joueur très valable dans ce championnat.  »

Jan Ceulemans va de surprise en surprise

 » Quoi, il n’a pratiquement plus joué depuis fin février, quand Charleroi était venu à Westerlo ? Je suis vraiment étonné  » : Jan Ceulemans a du mal à croire que Taylor ne soit plus rien d’autre qu’un réserviste.  » Je le connaissais de réputation avant notre match contre cette équipe en février, on m’avait expliqué qu’il était terriblement rapide et quand j’ai vu son nom sur la feuille de match, j’ai dit à mes défenseurs qu’il faudrait le tenir de près. Je ne m’étais pas trompé : quelle vitesse ! Et il a du football dans les pieds, il m’a surpris par sa facilité technique. Charleroi nous a fait souffrir pendant toute la première mi-temps et aurait même pu prendre l’avance. Et Taylor était incontestablement son meilleur joueur. En trois quarts d’heure, il a prouvé qu’il méritait de jouer en D1 belge. Il est sorti en début de deuxième mi-temps et ça ne m’a pas étonné car on voyait qu’il était cuit. Ce gars a vraiment un parcours bizarre. Il ne joue plus aujourd’hui et ce n’est pas la première fois qu’il me surprend. Quand j’ai entendu qu’un joueur formé à Manchester City se retrouvait en Provinciale belge, j’ai été fort étonné. Quand Anderlecht l’a transféré, j’ai encore été surpris. Ce club n’a pas l’habitude d’acheter un chat dans un sac et je me suis dit à l’époque que Taylor avait dû réussir des trucs fantastiques avec Montegnée pour se retrouver du jour au lendemain quatre divisions plus haut, et à Anderlecht en plus. Je me suis de nouveau posé des questions quand ce club s’en est débarrassé après quelques entraînements. Et maintenant, je m’étonne que ce joueur ne soit plus qu’un simple réserviste.  »

David Vandenbroeck le compare à El Ghanassy

David Vandenbroeck, défenseur de Courtrai, a affronté Taylor en direct. C’étaient les débuts de l’Anglais en D1 :  » Craig avait choisi de faire tourner son noyau car des matches importants s’annonçaient pour Charleroi. Il avait laissé Cyril Théréau, Pelé Mboyo, Abdelmajid Oulmers et Alessandro Cordaro sur le banc, c’est peut-être ce qui a permis à Taylor de commencer aussi vite un match. Nous ne savions pratiquement rien de lui. Par exemple, nous nous demandions encore au coup d’envoi si son bon pied était le gauche ou le droit. Mais nous savions qu’il devait avoir du talent puisqu’il avait décroché un contrat à Anderlecht. Maintenant, quand on vient de Provinciale, il ne suffit pas de faire un stage d’hiver avec un grand club pour être directement opérationnel et faire la différence en D1. On l’a vu dans le match de Charleroi contre nous. Taylor est un joueur solide, un petit format mais costaud. Un vrai trapu. On voit qu’il adore toucher le ballon, qu’il en a besoin pour se sentir bien. Il cherche constamment à aller au contact avec le défenseur. Aussi bien au niveau de la corpulence que du jeu, il me fait penser à Yassine El Ghanassy. Je lui trouve aussi des points communs avec Nabil Dirar, qui est plus imposant au niveau physique. Taylor nous a fait mal par sa pointe de vitesse, ses dribbles courts, ses enchaînements, ses mouvements chaloupés. Mais il n’a pas réussi que des bonnes choses, pour deux raisons : parce qu’il était épuisé et n’avait plus toute sa lucidité quand il se retrouvait dans la zone de conclusion après avoir fait un long raid, et parce qu’il a plus d’une fois voulu en faire trop. J’ai eu l’impression par moments qu’il voulait trop se montrer, trop jouer sa carte personnelle. Mais je pense qu’il peut réussir à terme dans ce championnat. Beaucoup de défenseurs centraux sont des grands formats qui détestent affronter des attaquants de petite taille et très vifs comme lui. Sur les premiers mètres, il est très difficile à tenir.  »

Tibor Balog a découvert un Anglais très solitaire

 » Si Kaká a du mal à s’imposer au Real, c’est normal que Taylor souffre pour faire son trou à Charleroi !  » Pour Tibor Balog, adjoint de Craig, l’échec de l’attaquant anglais n’est que pure logique. Il trouve qu’il y a tellement d’obstacles sur la route de Taylor…  » S’il a le niveau pour Anderlecht ? Non, clairement non. Pas en ce moment, en tout cas. Il y a longtemps que je n’avais plus vu des Bruxellois aussi complets sur tous les plans et Taylor a encore de fameux progrès à faire pour recevoir une chance là-bas. Attention, il a certaines qualités qui sont fort développées. Sa pointe de vitesse est hors normes. Il a un rythme remarquable sur 30 ou 40 mètres, et sur les cinq ou dix premiers mètres (les plus importants dans le foot), il est carrément intenable. J’ai rarement vu une explosivité pareille. Il a une frappe lourde et efficace. C’est un vrai buteur, il est capable de marquer dans n’importe quelle position.  »

A côté de ça…  » Il lui manque encore beaucoup de choses. L’intelligence de jeu. L’expérience de la D1. La faculté de digérer la charge de travail. Le régime est trop lourd pour lui, ça saute aux yeux. Il s’est peut-être beaucoup entraîné quand il était en Angleterre, mais là, il arrive de 1ère Provinciale et il est dans un autre monde. Il a du mal à supporter le rythme d’un entraînement presque tous les jours. L’intégration est un autre gros problème pour lui. Il ne recherche pas du tout le contact avec ses coéquipiers. Il ne parle pas français mais ça ne devrait pas l’empêcher de faire des efforts pour se fondre dans le groupe. Pour qu’il y ait un contact, il faut que les autres aillent vers lui, parce que lui ne fera jamais la démarche. Et dès que le staff dit aux joueurs qu’ils peuvent s’en aller, il est le premier à monter dans sa voiture. Qu’il reste à Charleroi ou qu’il joue ailleurs la saison prochaine, il aura intérêt à être beaucoup plus sociable. Si tu n’as aucun contact avec tes coéquipiers en dehors du terrain, c’est difficile d’avoir leur confiance en match. « 

Autre obstacle, selon Balog : une concurrence que Taylor n’a pas été capable de surmonter.  » Ce ne sont pas les attaquants qui manquent dans notre noyau. Et il y en a qui se débrouillent bien. Théréau a beaucoup marqué. Mboyo a fait de bonnes choses depuis qu’il est souvent dans l’équipe. Moussa Koïta est arrivé en janvier, c’est un concurrent de plus. Habibou est aussi toujours proche d’un poste de titulaire. Taylor doit accepter la hiérarchie. Par rapport à tous ceux-là, il a encore le handicap de devoir apprendre le football belge. En Angleterre, on court et on tape dans le ballon. Ici, on essaye de combiner, de jouer au sol. Ce n’est pas nécessairement la tasse de thé de Paul. C’est un joueur typique de contre-attaque. Si on lui offre un boulevard, il peut faire très mal grâce à sa vitesse et sa frappe. Mais dans les défenses belges, les boulevards sont rares ! Tout ça, c’est nouveau pour lui. Mais il travaille bien et il est à l’écoute. S’il continue comme ça, il aura encore du temps de jeu cette saison. Les play-offs 2, c’est bien pour donner des opportunités à des joueurs pareils : il n’y a pas de pression, ce n’est pas un vrai championnat. Taylor doit en profiter. Il râle comme n’importe quel footballeur quand il est sur le banc mais il n’a sûrement pas le droit d’être malheureux. Quand on est en Provinciale en décembre et dans le noyau d’un club professionnel de D1 quelques semaines plus tard, on ne peut pas faire la tête.  »

Cyprien Baguette voit sa frappe lourde et flottante

 » C’est clair que Taylor n’est pas très expressif et qu’il ne se fond pas dans la masse « , lance Cyprien Baguette, le gardien des Zèbres.  » Mais il salue tout le monde quand il arrive et quand il part. Il n’a de problèmes avec personne dans le groupe, sur le terrain ou en dehors. Ce n’est pas un gars méchant, je le considère comme un bon collègue. J’ai essayé de l’intégrer à son arrivée, j’ai discuté en anglais avec lui. Il m’impressionne par sa vivacité mais aussi par ses qualités devant le but. Il n’est pas maladroit du tout. Et il a une frappe très spéciale, difficile pour les gardiens : c’est lourd, instinctif, flottant. Les trajectoires sont souvent surprenantes et c’est compliqué pour un gardien. Je comparerais Taylor à Wayne Rooney : un autre petit Anglais robuste et massif qui ne lâche rien.  »

Dominique Henin comprend Anderlecht

Le préparateur physique des Zèbres a directement compris le point de vue anderlechtois dans le dossier Taylor.  » Charleroi était censé le préparer pour le futur en lui donnant un maximum de temps de jeu « , dit Dominique Henin.  » Si Taylor avait joué chaque semaine de janvier à mai, il aurait peut-être été capable de supporter une période de préparation estivale avec toute la charge de travail physique que cela suppose. Mais ça ne s’est pas passé comme prévu parce que Charleroi avait absolument besoin de points, et dans ce cas-là, un entraîneur aligne en priorité des joueurs sur lesquels il est sûr qu’il peut compter. Je vois qu’il a déjà progressé depuis son arrivée mais il n’a pas eu ce dont il avait besoin pour passer plus vite des paliers : des minutes en D1. Les qualités d’explosivité et de vitesse de course de Taylor n’étaient pas suffisantes, il devait d’abord passer par un travail d’endurance pour être opérationnel. Il n’est pas encore capable d’enchaîner les efforts, il a encore besoin d’un trop long temps de récupération. En plus, son style de jeu est fait d’efforts individuels, donc il doit toujours être au top physiquement pour offrir le meilleur de lui-même. Avec lui, on doit partir du principe qu’il faut faire un travail à moyen terme, voire à long terme. Il est déjà costaud, il ne se laisse pas facilement bousculer, mais il doit encore prendre de la masse musculaire. Pas trop, quand même, car cela aurait des conséquences négatives sur sa vivacité.  »

par Pierre Danvoye

Je parle beaucoup à Taylor mais le message ne passe pas. (Tommy Craig)

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