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TARZAN ET LE LYON D’OR

Après s’être planté à Manchester, le joueur le plus cher de l’histoire de la Division d’Honneur hollandaise refait surface à Lyon. Lentement mais sûrement.

Complètement fou, génial, arrogant, phénoménal, égoïste, bosseur, showman, buteur, rebelle, altruiste, imprévisible, amateur, bon vivant, abstinent, nouveau Robben, fake de Neymar, assidu, fashion victim, nonchalant, passionné… Peu de joueurs se sont vu attribuer autant de qualificatifs différents que Memphis Depay (23) en aussi peu de temps. Il n’y a pas si longtemps, le fait de garer sa Rolls-Roys noire devant le supermarché de Moordrecht ou de porter un chapeau à la mode lui valait des tonnes d’insultes. Cinq buts plus tard, plus personne ne s’offusque lorsqu’il pose en ligne avec des gants de boxe Louis Vuitton faits main. C’est sur cette corde raide que Memphis Depay tente de retrouver l’équilibre sur les rives du Rhône. A l’Olympique Lyon, il retrouve son niveau. Lentement mais sûrement.

En 2015, les cheikhs parisiens étaient prêts à l’attirer au Parc des Princes à coups de millions mais ils s’étaient montrés moins généreux que Louis van Gaal, qui était convaincu d’avoir de l’or dans les mains. Lors du match contre Lyon, de leurs loges en forme d’Airbus A380 (une idée d’Emirates), ils ont pu remarquer que le joueur qu’ils avaient jadis courtisé faisait preuve d’énormément de détermination dans les rangs des Gones mais qu’il n’avait pas encore retrouvé toute son aura. Ce premier match dans le match entre deux joueurs arrivés en janvier a tourné à l’avantage de Julian Draxler, un ailier gauche du même âge qui a fait basculer la rencontre d’une frappe pure.

 » Memphis Depay n’a pas joué pendant très longtemps et il faut lui laisser du temps « , avait dit le coach de Lyon dès l’arrivée du joueur le plus cher de l’histoire de la Division d’Honneur hollandaise. Un choix surprenant car Everton, Fenerbahçe, des clubs espagnols et italiens étaient intéressés. Il aurait pu y gagner davantage que dans ce club qui n’a plus été champion de France depuis neuf ans. Depay explique que c’est à Lyon qu’il a eu  » les meilleures sensations  » mais ce n’est pas tout à fait vrai.

Aujourd’hui, les joueurs sont devenus des multinationales sur crampons et leurs agents veillent surtout à ne pas dilapider leur capital. La firme amstellodammoise SEG et le bureau de consultance Sci Sports ont donc cherché à savoir dans quel club leur joueur aurait le plus de chances d’évoluer. Pour cela, ils ont utilisé des méthodes statistiques tenant compte du style de jeu, de l’entraîneur et des joueurs des clubs intéressés. Et c’est le nom de l’Olympique Lyon qui est sorti de l’ordinateur.

CRISTIANO RONALDO COMME MODÈLE

Dick Advocaat, qui est donc passé à côté du joueur, comprend parfaitement :  » J’aurais aimé qu’il vienne à Fenerbahçe mais je dois dire que la Ligue 1 lui convient parfaitement. C’est un championnat très physique mais les vrais bouchers sont le plus souvent au centre du terrain. Sur le flanc, il sera souvent meilleur que ses adversaires. Je comprends qu’il n’ait pas choisi la Turquie car, à son âge, le salaire n’est pas le plus important.  »

Everton, le club de RonaldKoeman, semblait aussi intéressant mais Depay voulait éviter les tabloïds qui préféraient publier des photos de lui dans d’énormes bolides plutôt que sur un terrain.  » A United, la concurrence était terrible. A Lyon, il est indiscutable. J’imagine qu’il veut se retrouver dans la même situation qu’au PSV, où ses équipiers lui donnaient systématiquement le ballon. En fait, il aurait dû d’abord passer par Lyon quand il a quitté Eindhoven, cela aurait été plus logique « , observe l’aîné des Koeman.

A l’époque où il entraînait le PSV, Advocaat en a vu de toutes les couleurs avec Depay.  » Il était très impatient mais son rival, Dries Mertens, avait inscrit seize buts et délivré dix-sept assists.  » Un jour, alors que Depay insistait, Advocaat lui a mis De Telegraaf sous le nez.  » Il y avait un article dans lequel on expliquait tous les investissements que Cristiano Ronaldo avait faits dans son corps et dans sa carrière. Le football de haut niveau, c’est du rendement, pas des petits trucs. Memphis a très bien compris cela par la suite.  »

Chez lui, Depay passait des heures sur YouTube à regarder des vidéos d’Eden Hazard, Franck Ribéry et, surtout, Ronaldo. Il était fasciné par l’homme qui considérait son corps comme un outil mais aussi comme une image lui permettant d’obtenir des contrats publicitaires plus importants que son salaire au Real Madrid. Les marques se sont également intéressées très rapidement à Depay. Il avait à peine 21 ans qu’il s’envolait pour les Etats-Unis, où Under Armour voulait faire de lui son porte-drapeau dans le monde du football, comme la firme l’avait fait avec Andy Murray en tennis et Stephen Curry en basket. Selon les spécialistes du marketing, Depay vaudrait un jour cent millions d’euros. Il ne s’inspirait pas seulement de la façon de travailler de Ronaldo mais, comme le Portugais, il aimait faire étalage du luxe dans lequel il vivait. Malheureusement, ses prestations sur le terrain n’épousaient pas la même courbe ascendante. L’idée de se rendre au boulot en Rolls-Royce Phantom Drophead Coupé lui valait une étiquette dont il ne parvenait pas à se défaire.

 » J’en ai parlé avec lui « , dit Advocaat.  » Il n’avait pas l’impression d’avoir fait quelque chose de mal. Pour lui, c’était normal. A Sunderland aussi, les joueurs arrivent en Range Rover ou en Ferrari. Mais je lui ai dit qu’il ne devait pas se mettre lui-même en difficulté, qu’il devait profiter de la vie mais qu’il n’était pas obligé d’étaler sa richesse aux yeux du monde car quand les prestations ne suivraient pas, on n’allait pas le rater.  »

LE TARZAN TATOUÉ

Pour Advocaat, Depay est un incompris.  » Je peux vous assurer que c’est un garçon qui travaille dur pour y arriver « , dit-il. A ses débuts, il mangeait des oeufs mollets et faisait de la musculation en cachette. Aujourd’hui, il paye lui-même un staff de nutritionnistes et d’entraîneurs personnels. Son travail a porté ses fruits mais après son transfert à Manchester, l’intensité des entraînements a fait de lui une espèce de godzilla : il a pris huit kilos de masse musculaire.

Les Anglais l’appelaient le Tarzan tatoué. Cela n’empêchait pas Van Gaal de le lancer comme meneur de jeu tandis que le public se demandait si ce nouveau numéro 7 serait de la même veine que Best, Robson, Cantona, Beckham, Ronaldo. A vrai dire, tout allait beaucoup trop vite pour lui. Au fil des semaines, Van Gaal devait de plus en plus souvent le retirer de l’équipe. Et après l’arrivée de JoséMourinho, Depay ne quittait pratiquement plus la tribune.

Le PSV avait-il vendu de l’argent à prix d’or ?  » Pas du tout « , répond Marcel Brands, le directeur du club hollandais.  » Je n’ai jamais perdu confiance en Memphis. Même si, à Manchester, il ne parvenait pas à émerger.  » Brands a déclaré un jour que Depay deviendrait une star mondiale.  » Et j’y crois toujours fermement « , dit-il. Comment expliquer ce passage à vide à Manchester, dès lors ?

 » Il est difficile d’arriver à un tel niveau en aussi peu de temps. Georginio Wijnaldum a mis du temps lui aussi mais il y est arrivé. Je pense que le mieux est de ne pas brûler les étapes. Wijnaldum avait huit ans de Division d’Honneur derrière lui. Il avait été capitaine, meilleur joueur. Memphis, c’était une comète. Après deux ans, il était déjà au top. Voyez la carrière de Dries Mertens : AGOVV, le FC Utrecht, le PSV et, maintenant seulement, c’est une star à Naples. Il est rare qu’un joueur ayant peu d’expérience s’installe au sommet d’un seul coup.  »

A l’époque, déjà, il aurait pu signer en Ligue 1. Brands avait un accord avec le PSG mais Depay voulait aller en Angleterre. Aurait-il été plus raisonnable d’opter pour la France ?  » Mouais… Qu’auriez-vous fait, vous ? C’est des balivernes, tout cela. Quand Louis van Gaal vous appelle, vous sautez dans le train.  »

Le fait qu’en Angleterre, on ait plus souvent parlé de lui pour ses Louboutin et ses bagnoles que pour ses exploits sur le terrain n’émeut pas Brands.  » C’est toujours la même chose quand les choses se passent mal. Je ne compte plus le nombre de fois où je l’ai vu porter un chapeau à Eindhoven mais quand ça n’a plus marché pour lui, on a dit : Regarde ce zouave, avec son chapeau ! Il a signé quatre contrats chez nous. A chaque fois, il venait avec de nouvelles chaussures et une belle veste. Il a toujours aimé être bien habillé. C’est un type authentique, je l’ai toujours connu comme ça.  »

UN RÊVE POUR JEAN-MICHEL AULAS

Brands n’est pas surpris de le voir refaire surface à Lyon. Il se souvient qu’à Eindhoven, il avait engagé le cuisinier du restaurant Usine pour qu’il lui concocte les plats conseillés par le PSV. Et qu’à Manchester, il avait engagé un entraîneur personnel pour l’aider à remettre son corps dans le même état que lors de la Coupe du monde 2014.

Depuis son départ, il est régulièrement en contact avec lui.  » Parfois, je lui donne des conseils, sans qu’il me le demande. Je lui dis qu’il doit continuer à croire en lui. Je sais qu’il veut retrouver son niveau, je n’en doute pas un seul instant. Memphis n’aime pas fainéanter. Je sais tout ce qu’il a fait à Manchester en dehors des entraînements et c’était énorme. Il gagnait beaucoup d’argent. Tout le monde a vu qu’il a parfois fait des folies mais il a aussi investi dans un staff, avec un diététicien.  »

Bientôt, Memphis Depay aura sa place dans la galerie des sponsors rénovée du Philips Stadion.  » Les grands noms de l’histoire du club seront mis à l’honneur « , dit Brands.  » Memphis Depay en fait partie car il nous a permis de réaliser le transfert le plus important de notre existence.  » Avec les 16 millions de l’Olympique Lyon, c’est déjà plus de 50 millions qui ont été investis en lui. Peu de joueurs de son âge ont été autant valorisés.

Jean-Michel Aulas, le président, parle  » d’un rêve.  » En trente ans, il lui est rarement arrivé d’acheter un joueur plus cher. Lyon a rompu avec la tradition et il y a longtemps qu’un nouvel arrivant n’avait plus fait couler autant d’encre sur les bords du Rhône. On le compare à Sonny Anderson, dont l’arrivée du FC Barcelone, en 1999, avait donné le signal de départ d’une ère de succès.

Bien que Depay ait parlé d’un club  » dont l’histoire est fantastique « , cela fait un bout de temps que Lyon n’a plus rien gagné. Ces dernières années, il a été dépassé par le PSG et l’AS Monaco mais il semble refaire son retard. Des Chinois ont acheté 20 % des actions du club, à hauteur de cent millions d’euros. Cela a permis au club d’engager de nouveaux joueurs et de proposer des salaires plus attractifs.

Lors de la présentation des comptes, Aulas a expliqué que l’Olympique Lyon était désormais suffisamment stable pour conserver ses stars et renforcer l’équipe en achetant un grand joueur. Pour lui, Depay est  » l’agréable surprise qui tire le club vers le haut.  » Aulas veut être champion dans les cinq ans et lutter pour un trophée européen. Entre-temps, le club doit se rendre plus populaire sur les marchés français et chinois. Le rayonnement de Depay s’insère parfaitement dans cette stratégie.

UN MILLION DE SUIVEURS SUR TWITTER

Pour sa première séance d’autographes, mille cinq cents supporters se sont rendus à la boutique : un record dans l’histoire du club. La semaine où il a été présenté, 90 % des maillots vendus portaient son nom. Pour Aulas, l’homme qui compte un million de suiveurs sur Twitter est un modèle. Il a fait exposer son maillot au musée du club et l’a complimenté à la télévision. Après son premier match, pourtant moyen, l’entraîneur l’a défendu publiquement. Cette chaleur lui a rendu la confiance dont il avait besoin.

PAR TOM KNIPPING – PHOTOS BELGAIMAGE

 » A United, la concurrence était terrible. A Lyon, il est indiscutable.  » – RONALD KOEMAN

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