Annoncé et envisagé à plusieurs reprises, le retour de Nanard à l’OM est officiel depuis une semaine.

Presque sept ans après son départ forcé du club à la suite de pratiques illégales, Bernard Tapie (58 ans) revient en qualité d’actionnaire associé aux côtés de Robert Louis-Dreyfus et de responsable de toute la partie sportive. Un come-back spectaculaire, décidé dans l’urgence et qui soulève de multiples interrogations.

Entre le départ contraint de Bernard Tapie de la présidence de l’OM, en décembre 1994 (après que la fédération française lui eut interdit d’exercer toute fonction de dirigeant neuf mois auparavant), et son retour sur la Canebière se sont écoulés 2.310 jours. Un quasi-septennat d’isolement et d’éloignement que l’ancien ministre de la Ville a utilisé pour payer et expier ses fautes, mais aussi pour se refaire une virginité, réapprendre furtivement l’ombre, puis pour retrouver progressivement les lumières qu’il affectionne tant par le biais des planches, de la radio et de la télé. Avant de fomenter en coulisses un épatant coup de théâtre. Lui, le banni, revient donc en héros. Presque en martyr, même. Fort d’une popularité intacte dans la cité phocéenne, Bernard Tapie a réussi le tour de force de se rendre indispensable, parfaitement servi en cela par un enlisement olympien récurrent. Un retour qui, au-delà des inévitables questions de morale charriées par ce genre de come-back spectaculaire, suscite encore pas mal d’interrogations.

Dont la principale: comment Bernard Tapie s’y prendra-t-il pour redresser l’OM? Les plus sceptiques attendent vite des éclaircissements. Les autres, eux, se contentent pour l’instant de croire au miracle. Lesquels d’entre eux seront le plus vite rassurés?

1. Pourquoi l’OM est-il dans une position aussi inconfortable?

C’est l’histoire d’un sauveur qui a fini par lasser. Mais qui n’entend toujours pas abdiquer. Ou la pathétique résistance d’un orgueilleux qui ne veut pas entendre parler d’échec. C’est selon. Arrivé en décembre 1996 afin de redorer au plus vite un blason olympien passablement terni depuis de départ forcé de… Bernard Tapie deux ans plus tôt, Robert Louis-Dreyfus a failli dans son opération de réhabilitation puisqu’il n’a réussi à ramasser aucun titre depuis son arrivée aux affaires. En dehors d’une place de deuxième en championnat et de finaliste européen en Coupe de l’UEFA déchrochées en 1999, le bilan reste aussi triste et famélique qu’une journée sans pastis. En dépit d’une générosité jamais démentie puisqu’il aura sorti, en juin, de sa poche près de six milliards de francs belges pour son club, le boss marseillais n’a jamais semblé en position de s’imposer comme le patron qu’attendait le club.

Peu heureux -voire carrément hasardeux- dans ses choix d’hommes inexpérimentés ( Marchand, Casoni, Di Meco, Dib, Skoblar, Cano…), Louis-Dreyfus a docilement donné l’impression ces derniers temps d’accumuler les déconvenues en coulisses au même rythme que ses joueurs sur la pelouse. Président à mi-temps en raison de ses activités extra-footballistiques, il a longtemps fait de l’autogestion et de la délégation ses deux recours providentiels. Un mode de fonctionnement qui a fait le lit des diverses oppositions installées à la périphérie du club. Ses adversaires interprétant vite ses absences comme autant de signes d’indifférence ou d’insuffisance. La fréquentation du bas de tableau et la non-participation à une épreuve européenne pour la deuxième année de suite ont terminé de plomber les dernières illusions locales.

L’OM peine à retrouver un standing digne des ambitions affichées lors des débuts de saison. Lui qui aspirait à faire de l’OM « le Bayern du Sud » lors de son arrivée, Louis-Dreyfus reste très loin des belles perspectives annoncées. Plutôt que de s’avouer vaincu, il a préféré s’acheter à moindre frais un peu de crédit et surtout la tranquillité en faisant appel à son ennemi intime. Le personnage n’est visiblement plus à une contradiction près.

2. Comment expliquer le revirement de RLD?

A deux reprises, au moins, Bernard Tapie avait proposé ses services de conseiller présidentiel à Robert Louis-Dreyfus. En novembre 1999, après les soubresauts consécutifs au renvoi de Rolland Courbis, et surtout au printemps dernier. Mais, les deux fois, RLD avait refusé les offres de l’ancien occupant du fauteuil présidentiel olympien. Lassé par les remontrances à répétition de l’indécrottable donneur d’avis qu’est Tapie, Louis-Dreyfus a longtemps fait le dos rond et repoussé toute idée de collaboration. Fort d’un tour de table réussi auprès de partenaires financiers amis, Tapie croyait cependant bien il y a un an obtenir l’accord de RLD pour un retour providentiel.

Las. Préférant miser sur les compétences de Marchand, le boss marseillais renvoya alors l’acteur sur ses planches… jusqu’à ce qu’il finisse malgré tout par céder devant les coups de boutoir répétés de Tapie.

« Le retour de Bernard, ce n’est pas seulement une bonne solution, commente d’une manière autorisée Courbis, c’est la seule solution pour un retour au calme dans les plus brefs délais. Louis-Dreyfus a dû finir par le comprendre. Je ne vois personne d’autre que Tapie capable de faire taire tout le monde et de ramener un peu de sérénité en très peu de temps ». L’entreprise d’usure et de persuasion opérée auprès de RLD a donc fonctionné. Tout comme l’entêtement du candidat au retour. « Mais il n’y a là rien très étonnant, commente un des dirigeants de l’OM. Avec Dreyfus, c’est toujours celui qui a parlé en dernier qui a raison ». En dehors des indéniables qualités de mangeur de cervelle -selon l’expression usitée dans la région- de Tapie, sans doute faut-il voir ailleurs la principale cause du revirement de position du tout frais ex-patron d’Adidas. Pris au piège d’une gestion aussi fantaisiste que dangereuse, Louis-Dreyfus a profité de ces derniers jours pour se laisser convaincre par le recours indispensable que représentait Tapie. Par qui? Sans doute par Pierre Dubiton, membre de l’Association OM et surtout conscience olympienne incontournable.

« Cela fait plus d’un an déjà que je répète qu’il faut un véritable chef de clan à l’OM, concède l’expert en finances, un macho qui sait se faire respecter, dans le genre de Tapie. Pendant longtemps, on ne voulait pas m’écouter. Dreyfus a seulement fini par prendre conscience des évidences. Rien de plus ».

Lassé par les errements à répétition de son président, Dubiton a servi de bonne conscience et accessoirement de relais à Tapie, venu quelques jours plus tôt le rencontrer pour obtenir son appui et son concours. « J’ai besoin de vous », a ainsi déclaré sans rancune Tapie au juge enquêteur qui avait oeuvré lors du dépôt de bilan de 1993 et qui est réputé pour son intransigeance et sa grande intégrité. « Je ne peux pas revenir sans vous! » Une supplique que le courtisé ne prit toutefois pas trop au sérieux. « Je ne suis pas suffisamment naïf pour croire que Tapie a autant besoin de moi pour revenir à l’OM », note Dubiton. « Il en avait tellement envie que ma venue n’était que secondaire ».

Il n’empêche. Celui qui n’a de cesse de pourfendre les dérives de RLD a également été invité par la mairie à venir se joindre au projet de relance, son indéfectible honnêteté servant de gage de sécurité. Un organigramme, avec Laurent Blanc en tête de proue, devait d’ailleurs être proposé à RLD par un des proches de Gaudin dans les jours suivants. Sans doute alerté, RLD a préféré court-circuiter l’initiative et prendre les devants. Histoire de maîtriser encore quelque chose. Ou d’en donner l’impression tout du moins. « Mais il ne faut pas se leurrer », lâche Dubiton. « Le retour de Tapie ne change rien à propos de Dreyfus. Il me donne toujours autant l’impression d’avoir débarqué sur la lune lorsque l’on évoque avec lui l’avenir de l’OM. Mais désormais, à ses côtés, figurera quelqu’un qui connaît tout de même le ballon et Marseille. Ça peut aider, non? » Sans compter que, d’un point de vue purement stratégique, RLD a probablement trouvé l’occasion de se tirer d’un mauvais pas. « Si cela ne marche pas, ce sera la faute de Bernard et Robert s’en sortira. Et puis, si la formule fonctionne, les deux seront associés au succès. Que risque-t-il? », confirme Courbis. On se le demande, en effet…

Il y a pratiquement quinze ans jour pour jour, lorsqu’il avait débarqué à Marseille, en avril 1986, pour succéder à Jean Carrieu, Bernard Tapie avait hérité d’une situation au moins aussi épineuse. Sinon pire, puisque les caisses de l’OM sonnaient encore davantage creux. Si, pour son retour sur le Vieux-Port, Bernard Tapie ne sera pas obligé de jouer les mécènes bienfaiteurs -son désormais collègue RLD remplissant jusqu’à présent à merveille ce rôle-, il n’en reste pas moins qu’il arrive au club en qualité d’actionnaire associé. C’est-à-dire à la tête d’un capital réuni grâce au concours de plusieurs intervenants extérieurs. Une manne que Louis-Dreyfus a jugé indispensable à toute arrivée, vu la situation exsangue de son club.

3. Dans quelles conditions Tapie revient-il à l’OM?

Le départ du sponsor principal, Ericsson, acquis, RLD s’était mis à la recherche depuis plusieurs mois de capitaux extérieurs. Après avoir essuyé dernièrement un refus du côté de chez Adidas, frileux à l’idée de se joindre à un projet de relance, le patron marseillais s’en est donc remis aux propositions de Tapie. Lequel a obtenu en contrepartie les coudées franches pour le secteur sportif. « Il s’agit en fait, ni plus ni moins, de l’officialisation de son ancien statut », confirme Courbis. « Tout le monde savait bien que Bernard était à l’époque davantage manager général que président. Désormais, au moins, il aura un titre davantage en rapport avec ses activités. Reste à savoir s’il saura s’habituer aux nouvelles exigences car il s’agit désormais d’une autre époque pour lui ».

En ayant terminé depuis 1996 avec sa peine de deux ans d’interdiction d’exercer, à quelque titre que ce soit, une fonction officielle dans le football français, plus rien n’empêche Tapie de reprendre une licence. Puisque le nouvel homme fort de l’OM a décidé de garder le silence sur ses futures intentions jusqu’à la conférence de presse de lundi dernier, pas facile d’esquisser les projets du bonhomme. Sauf à aller surfer sur le site Internet de son fils, Laurent, free-goal, l’autre grand vainqueur du remue-ménage de printemps: -Tapie va être responsable de tout ce qui touche directement et indirectement à la partie strictement sportive du club. Il considère cette opportunité comme un gros pari, c’est clair : « Mais j’aime ce genre de défi! » Des déclarations de bonnes intentions qui ne sauraient toutefois dissimuler les incertitudes planant encore sur le mode de fonctionnement du duo. D’ailleurs, les contours flous de leur prochaine collaboration nécessitent encore quelques ajustements. D’accord sur le principe d’une restructuration en profondeur du département sportif de l’OM, ils n’avaient pas encore trouvé tous les hommes recherchés. Mais il se pourrait bien que l’ère Tapie II corresponde à une vague de purges et de restrictions. Dubiton : « Il faut diviser par deux le personnel Rue Negresko. Il y a beaucoup trop de monde inutile. Cela fait perdre du temps et surtout de l’argent au club ».

4. A quels changements faut-il s’attendre?

De façon à mener bien cette opération de toilettage, Tapie compte s’appuyer sur les services de Dubiton. Lequel n’a jusqu’à présent pas voulu rendre sa réponse. Pas par souci d’éviter un fatal emballement ni pour jouer les divas. Mais tout simplement parce que le courtisé attend une réparation et des excuses publiques depuis les attaques proférées par Dreyfus à son encontre lors de l’émission Tout le monde en parle, il y a quinze jours : « Je me vois mal travailler avec quelqu’un qui croit que je suis antisémite. S’il ne corrige pas ses propos, je ne pourrai pas collaborer avec lui. Moi, je suis un homme d’honneur avec des principes ». Dans la vie quotidienne, mais aussi sur le plan professionnel, comme en atteste cet aveu en forme d’avertissement: « Je suis très honoré d’entendre un peu partout autant de monde me réclamer. Mais je ne suis pas prêt à me laisser aveugler par un poste à l’OM. En plus du litige qui m’oppose à Dreyfus, je ne viendrai qu’avec l’assurance d’un fonctionnement clair du club. Je ne veux pas cautionner d’éventuels dérapages. En qualité de contrôleur général des Finances, je ne voudrais pas avoir à signer trois ou quatre chèques à de nébuleux intermédiaires dans le cadre d’un transfert. Moi, je ne fonctionne pas ainsi. Si on m’engage, que tout le monde sache que les mesures les plus draconiennes seront prises au niveau de nos finances. Finis les généreux gaspillages et les bienveillances ».

La restructuration concerne également le terrain. Clemente vit certainement ses dernières heures à la Commanderie. Non pas parce que les joueurs n’en veulent plus; le club ne souhaite-t-il pas lui-même le renvoi de la plupart de ses troupes? Surtout parce que RLD et Tapie sont convaincus qu’il n’est plus l’homme de la situation. Dans cette optique, Louis-Dreyfus ayant ainsi rencontré pendant plus de six heures Vahid Halilhodzic il y a deux semaines. Sans grand emballement au final. En charge désormais du dossier, Tapie n’a pas traîné pour faire avancer ses idées. Jean-Pierre Papin a ainsi été un des premiers contactés par son ex-boss. Reste toutefois à définir le rôle exact réservé à l’ancien joueur, la charge d’entraîneur semblant encore un peu l’effrayer.

En ce qui concerne le contenu du prochain vestiaire, l’incertitude ne plane plus trop. Tapie s’est déjà mis d’accord avec son président sur l’utilité de procéder à l’intersaison à un vaste coup de balai. A leurs yeux, trois joueurs sont intransférables: Skoro, Bernardi et Stankovic. Convaincus de la nécessité de se trouver quelques leaders qui ont cruellement fait défaut cette saison, Tapie et Louis-Dreyfus envisagent d’apporter en priorité de l’expérience à leur effectif. Dans cette optique, Desailly constituerait une priorité dès à présent. Bâtir l’avenir sur des souvenirs, fallait y penser, non?

Pascal Ferré, ESM

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