TAIS-TOI ET JOUE !

Qui dit Pologne songe irrémédiablement à Robert Lewandowski, mais l’équipe d’Adam Nawalka ne se limite pas à l’attaquant du Bayern Munich. Partons donc à sa découverte.

Le 11 octobre 2014, à la veille du match de qualification pour le championnat d’Europe opposant la Pologne à l’Allemagne, rencontre toujours tendue en raison du passé, le magazine allemand Kicker propose une interview du sélectionneur polonais, Adam Nawalka. C’est la 19e fois que les deux pays se rencontrent et la Pologne n’a jamais battu la Mannschaft (12 défaites et 6 nuls). Nawalka ne part cependant pas battu d’avance.

 » Nous avons toutes les cartes en main. Le passé, c’est le passé. Ce qui compte, pour moi, c’est de mettre en place une équipe qui fonctionne. C’est notre seule chance de pouvoir faire quelque chose contre un pays comme l’Allemagne. Nous avons des joueurs de classe mondiale et nous devons afficher un état d’esprit positif.  » Et l’improbable se produit : la Pologne bat l’Allemagne (2-0) à Varsovie, devant 57.000 spectateurs déchaînés.

Le héros de la soirée n’est pas le capitaine de l’équipe polonaise, Robert Lewandowski, mais Arek Milik (22), l’attaquant de l’Ajax, qui ouvre le score à la 51e minute en lobant Manuel Neuer de la tête. Le gaucher polonais, qui était passé par le Bayer Leverkusen en 2013 mais ne s’y était pas imposé, dispute actuellement sa deuxième saison à l’Ajax. Et quelle saison puisqu’il est en course pour le titre de meilleur buteur du championnat des Pays-Bas !

Voici ce qu’il déclarait il y a peu à Voetbal International au sujet de la qualification de la Pologne pour l’Euro.  » Nous étions versés dans un groupe difficile. L’Allemagne faisait figure de grande favorite et nous savions que nous devions lutter avec l’Irlande et l’Ecosse pour la deuxième place (que la Pologne a finalement décrochée, ndlr). Notre équipe est jeune mais ses joueurs ont déjà pas mal d’expérience au niveau international et c’est essentiel lorsqu’il s’agit de se mesurer aux plus grandes nations.  »

DE L’EXPÉRIENCE À REVENDRE

De l’expérience, l’équipe en possède en effet, surtout dans l’axe central du 4-4-2 prôné par Nawalka. Le gardien Wojciech Szczesny (26), loué par Arsenal à l’AS Rome, est l’un des derniers remparts les moins perméables de Serie A. Le défenseur central Kamil Glik (28) est capitaine à Torino tandis que le pare-chocs Grzegorz Krychowiak (26) est l’un des piliers du FC Séville, détenteur de l’Europa League.

L’arrière droit Lukas Piszczek (30, Borussia Dortmund) et l’ailier Jakub Blaczczykowski (30, Fiorentina) peuvent également se prévaloir d’excellents états de service. La campagne de qualification pour l’Euro et les derniers matches amicaux ont également révélé l’importance de Kamil Grosicki (27), un ailier du Stade de Rennes qui marque facilement.

Ajoutez-y le duo d’attaquant mortels Lewandowski-Milik et vous obtenez un cocktail capable de faire exploser l’Allemagne, l’Ukraine et l’Irlande du Nord, les autres équipes du groupe C. Si celles-ci veulent savoir comment la ligne d’attaque polonaise fonctionne, elles n’ont qu’à lire les propos de Milik.

 » Robert et moi agissons constamment en fonction l’un de l’autre. Nous exploitons les espaces et, dès que nous nous attendons à une passe ou à un centre, nous plongeons en même temps dans le rectangle. Là, pas besoin de se parler : nous jouons à l’instinct. Nous nous complétons parfaitement. A mes yeux, le foot est un jeu simple que l’on peut compliquer autant qu’on veut.

Sur papier, Lewandowski joue en pointe et moi derrière. Mais sur le terrain, c’est vite oublié. Dès que le ballon est en jeu, nous recherchons les espaces qui nous permettent d’être dangereux. Parfois, c’est Robert qui se retrouve en pointe, parfois c’est moi. De plus, nous nous écartons également à tour de rôle sur les flancs.  »

UNE LONGUE DISETTE

L’histoire de la Pologne à l’Euro est facile à résumer : elle est inexistante. Le pays ne s’est qualifié que pour une seule phase finale, en 2008. Versé dans une poule avec la Croatie, l’Allemagne et l’Autriche, il a été éliminé au premier tour. Il y a quatre ans, il a co-organisé l’épreuve avec l’Ukraine mais n’a pu faire mieux que deux nuls (contre la Russie et la Grèce) et une défaite (face à la République tchèque).

La Pologne et les grands tournois, ce n’est décidément pas une histoire d’amour, d’autant que la vodka s’en mêle souvent. La dernière grande prestation des Polonais remonte à la Coupe du monde 1982 en Espagne, où la Pologne, emmenée par Grzegorz Lato (ex-Lokeren) et Zbigniew Boniek avait décroché la troisième place.

Comment expliquer ces trente ans de disette ? Pourquoi aucun club de ce pays de 38,5 millions d’habitants n’a-t-il jamais brillé sur la scène européenne ? On retrouve peut-être un début d’explication dans cette anecdote racontée par l’ex-international Andrzej Niedzielan (37). Niedzielan était un attaquant qui a beaucoup joué dans son pays mais a aussi passé trois ans à NEC Nimègue (2004 à 2007).

 » Lorsque j’évoluais aux Pays-Bas, Johan Neeskens m’a demandé comment j’allais et m’a invité à prendre un café. J’étais perplexe. Pourquoi un joueur aussi connu me demandait-il mon avis sur un match ? J’étais habitué au régime militaire polonais. Chez nous, l’entraîneur parle et les joueurs se taisent. C’est toujours le cas aujourd’hui.  »

Dans les équipes d’âge polonaises, la relation entre l’entraîneur et les joueurs est donc basée sur la peur. Le plaisir de jouer n’existe pas.  » En Pologne, la seule chose qui compte, c’est la victoire « , poursuit Niedzielan.  » Chez les jeunes aussi. Un entraîneur qui perd trois fois de suite se fait virer. En équipes d’âge, il nous arrivait de ne plus nous entraîner à deux jours d’un match car l’entraîneur voulait que nous soyons frais. Comment peut-on dès lors progresser ?  »

Arek Radomski (38), un ex-médian qui compte 30 sélections en équipe nationale, confirme cette histoire.  » Les entraîneurs polonais veulent gagner à tout prix, ce qui engendre un stress chez les gamins de huit ou neuf ans.  » Niedzielan soupire :  » Toujours le match, toujours la victoire. Pour moi, la seule obligation sur un terrain, c’est celle de se battre. Le succès n’est qu’optionnel.  »

UN NOUVEL ÉTAT D’ESPRIT

C’est parce qu’ils veulent changer cette mentalité que les deux ex-internationaux se sont associés pour fonder leur académie à Cracovie. Comme ils ont tous les deux évolué aux Pays-Bas, leur philosophie est basée sur ce qu’ils ont appris là-bas.  » Le jour où je suis arrivé en Hollande, ma vie a changé « , dit Niedzielan.

 » A Nimègue, on m’a fait faire le tour des installations et j’ai assisté à un entraînement des jeunes. Il y avait un coach pour les défenseurs, un pour les médians et un pour les attaquants. Rien que des spécialistes qui s’intéressaient surtout aux capacités individuelles. Je me suis dit que c’était à cela qu’on devait tendre.  »

Radomski, qui a joué à Veendam, Heerenveen et NEC, est du même avis.  » A Heerenveen, Foppe de Haan ne nous faisait faire que des choses amusantes : dribbler, pied gauche, pied droit… Tout était basé sur la technique. La Pologne est un grand pays de football mais, par manque de coaches qualifiés, elle n’a pas encore pu le démontrer.  »

Une étude menée en 2013 par l’université de Cracovie tirait les mêmes conclusions : dans les équipes d’âge, en Pologne, on se soucie moins de l’évolution des joueurs que des résultats et de la place au classement. En continuant de la sorte, on risque de perdre des jeunes talentueux. La fédération polonaise, emmenée par Zbigniew Boniek depuis 2012 (il a succédé à Grzegorz Lato) commence à en prendre conscience.

A la fin du mois dernier, elle a sorti une série de directives pour les entraîneurs. Celles-ci doivent être étendues à toutes les équipes d’âge du pays.  » L’objectif est de changer l’état d’esprit des entraîneurs de jeunes, de leur donner des outils « , dit Boniek.  » La grande nouveauté, c’est que les clubs qui font appel à plus d’U21 en équipe première reçoivent des points qui se transforment en récompense financière. Plus on aligne de jeunes, plus on gagne d’argent.  »

Après la construction de nombreux nouveaux stades pour l’Euro 2012, cette approche plus moderne doit booster le football polonais. Et permettre l’éclosion de nouveaux petits Lewandowski.

PAR STEVE VAN HERPE – PHOTOS BELGAIMAGE

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