» T’as beau t’appeler Benteke ou Hazard, si t’es pas bon, t’es pas bon « 

Il est évidemment question du grand-frère, mais aussi du mouroir de la D2, du génie absolu, de policier, de top-chef, et d’amitié. Surtout d’amitié.

« On sait pourquoi vous êtes là. Et ce n’est certainement pas pour ce qu’on a montré en D1. Avec 5 minutes disputées en championnat, on fait rarement des interviews.  » Kylian Hazard (19 ans) en rigole mais reste lucide, le chemin est encore long, très long. Même chose pour Jonathan Benteke (19 ans) autre  » frère de  » qui n’a que quelques minutes en plus en D1 au compteur mais qui a inscrit son premier but pour Zulte Waregem lors du match retour en Coupe face à Anderlecht. Pas de quoi pavoiser donc. Nos deux convives – qui passent leur premier examen média -, en sont les premiers conscients. Et si au-dessus il y a un frère qui a réussi, il y a surtout un entourage qui les pousse à se dépasser.

L’an dernier, vous étiez en D2 dans des univers compliqués (Kylian au White Star et Jonathan à Visé que détenait un groupe indonésien). Que retenez-vous de cette expérience ?

Jonathan : Mon but était de jouer face à des adultes et malgré un début difficile, j’ai accumulé les matches et mis quelques buts, je suis donc satisfait de cette expérience même si tout n’était pas rose. Au final, ça m’a beaucoup appris, plus que si j’étais resté en réserve au Standard et malgré tout ce qui se passait autour.

Et qu’est-ce qui se passait autour ?

Jonathan : J’ai été payé au début mais à la fin, ça s’est compliqué. Mais bon, comme je vivais chez mes parents, l’argent n’était pas une priorité. Par contre pour les autres, c’était plus galère.

Kylian : Mon but aussi était d’avoir une expérience avec des adultes. Mais le White Star, c’était encore autre chose que Visé. Tout se passait bien au début puis quand on (ndlr, la famille Hazard) a arrêté de travailler avec John Bico (directeur général et coach du White Star), ça s’est compliqué. Bico m’avait vendu du rêve en disant qu’il allait faire jouer les jeunes. Mais en arrivant, on était plus de 40, voire 50 dans le groupe. Et à tous ces joueurs, il avait dit qu’ils allaient jouer. Sauf qu’au final, personne ou presque ne jouait. L’équipe a rapidement été divisée. C’était vraiment n’importe quoi. Je suis redescendu en réserve où c’était bien pire que les U19 de Lille. On avait deux entraînements par semaine qui duraient 40 minutes, on faisait des petits tournois, chacun se barrait de son côté. On peut dire que j’ai perdu une année. Je dois donc rattraper le rythme et ça risque de prendre du temps. Heureusement en fin de saison dernière, je me suis entraîné deux semaines à Zulte Waregem et Francky Dury a décidé de m’accorder une chance. Et puis mon père a beaucoup de considération pour le travail de Dury surtout suite à ce qu’il a réalisé avec Thorgan qui venait de nulle part. Quand Thorgan est arrivé à Zulte, on disait déjà que c’était grâce à son nom qu’il était là. Je crois que depuis, il a réussi à faire taire les critiques.

Jonathan : La différence entre Visé et Waregem est incroyable. Au final, c’est bien d’avoir vécu ce qu’on a vécu, ça nous permet de réaliser la chance qu’on a de se retrouver dans un si beau club.

Kylian : Ici on a un planning pour la semaine, voire pour deux-trois semaines. Au White Star, on posait la question la veille de savoir s’il y avait entraînement le lendemain. On nous répondait :- On vous appellera sauf qu’ils oubliaient d’en appeler certains. C’était une petite année… sympathique (il rit), une petite année de perdue, une année de vacances.

Quelles étaient vos espérances en arrivant à Zulte Waregem ?

Jonathan : Progresser le plus vite possible. Sauf que j’ai été victime d’une pubalgie durant la préparation qui m’a freiné deux-trois mois. Depuis que je suis de retour, j’ai bien repris et j’ai été récompensé (ndlr, il fut buteur lors du match de Coupe retour face à Anderlecht).

Kylian : J’ai connu un an de galères. Donc j’essaie de revenir dans le coup petit à petit et de prendre le temps de jeu que je sais prendre. C’est surtout au niveau mental que je dois progresser. Mais comme je suis entouré par des gens sérieux, j’apprends vite.

 » J’aime prendre le foot comme un jeu  »

Les critiques te concernant ont souvent pointé un problème de mentalité.

Kylian : Je sais que c’est mon métier mais j’aime prendre le foot comme un jeu. Je sais que je souris beaucoup. Et que je dois être beaucoup plus sérieux, je suis encore trop jouette on va dire. Mais je me rends compte que les plus anciens sont tous les jours impliqués par leur métier, je prends conscience que c’est cette voie-là que je dois suivre.

Jonathan : Et avec le coach qu’on a, on a intérêt à être sérieux (il rit).

Ton frère, Eden, a lui aussi longtemps été critiqué pour son manque de sérieux aux entraînements.

Kylian : On nous compare souvent d’autant qu’on a un peu le même physique et qu’on aime bien rigoler. Sauf que lui, en match, il devient une autre personne. Moi le problème, c’est que je rigole beaucoup, que je prends des risques à l’entraînement, que je tente des gestes qu’il ne faut pas faire, et que… je ne joue pas en match. Je sais que je ne suis pas un joueur simple.

Jonathan : Ce qu’il a là, il doit le garder car peu de joueurs ont cette folie dans leur jeu. Faut savoir l’utiliser surtout. De mon côté, je dois être plus dur dans les duels et plus tueur. Mon frère avait ce même problème à ses débuts, il était trop gentil.

Ces comparaisons avec vos frères vous pèsent-elles ?

Jonathan : Je suis très heureux d’avoir un frère comme Christian. Il a une belle situation, il réussit dans sa vie, c’est un exemple, je ne peux être que content.

Tu t’attendais à ce qu’il réalise une telle carrière ?

Jonathan : Je savais qu’il allait réussir même s’il a connu beaucoup de problèmes très jeune. Au Standard, ils en ont peut-être trop attendu surtout que la concurrence à l’époque était féroce.

Kylian : On me compare à un des meilleurs joueurs du monde mais pour moi, il reste mon frère. Qu’il réussisse dans le foot ou pas, ça ne change rien pour moi. Ce qui me rend heureux, c’est pas le foot, c’est sa réussite personnelle, ses deux enfants, sa femme. Pour le moment tout lui réussit, tant mieux mais s’il venait à se blesser, à connaître des complications, mon regard sur lui ne changerait pas.

Comment vivez-vous le fait d’évoluer dans deux mondes différents, d’une part le faste de la Premier League et de l’autre l’anonymat de Zulte Waregem ?

Jonathan : Ça ne peut être qu’une motivation. Le seul problème, c’est qu’on voudrait qu’on soit aussi fort que notre frère au même âge. Mais je n’en connais pas beaucoup qui percent à 19 ans. Un jeune  » normal  » commence seulement à avoir sa chance en D1 à cet âge-là, on n’est donc pas en retard. Mais on porte ce fameux nom de famille et on fait avec.

 » Je ne suis pas un génie comme lui  »

D’après vous, c’est un inconvénient ou un avantage de s’appeler Hazard ou Benteke ?

Jonathan : Ça a plus de désavantages. Les attentes sont trop hautes. Depuis que je suis à Visé, on me parle tout le temps de Christian et j’essaie de ne pas y penser. Par contre, j’écoute ses conseils et ça c’est une chance, un réel avantage.

Kylian : Mon frère a été élu meilleur joueur du foot français à 17 ans. Moi on me regarde et on me dit : Tu fais quoi à 19ans ? On pourrait peut-être me laisser le temps. Moi, je ne suis pas un génie comme lui et je l’assume pleinement.

A l’inverse, après une saison de disette comme tu as connue au White Star, un joueur  » normal  » a peu de chance de rebondir, surtout dans un club de D1.

Kylian : Ouais, après une saison pareille, si je ne m’appelle pas Hazard je crois que j’arrête le foot. Si je m’appelais euh…  » Jean Dujardin « , ce serait pas la même chose.

Jean Dujardin, c’est pas le meilleur exemple…

Kylian : On est d’accord. On est plus vite mis en avant, je suis par exemple passé à Téléfoot, seulement pour mon nom.

Jonathan : Peut-être mais dans le foot, t’as beau t’appeler Benteke-Hazard, si t’es pas bon, t’es pas bon.

Eden a parfois raconté dans des interviews que tu étais le plus doué de la famille. Ça t’a desservi ?

Kylian : De mon côté, je dis que le plus doué c’est Ethan (11 ans), c’est un peu un jeu dans la famille. On a cette mentalité de pouvoir dire n’importe quoi. C’est flatteur qu’il dise ça mais bon si c’était vrai, je ne serais pas ici. A 17 ans, c’était le meilleur joueur de France. D’ailleurs, j’étais où moi à 17 ans ?

 » Etre comme mon père  »

Jouer un jour avec votre frère aîné, c’est réaliste ou utopique ?

Jonathan : C’est possible d’après moi.

Kylian : Oui je jouerais peut-être un jour avec Eden à… Braine-le-Comte (il rit).

Jonathan : Je crois que si mon père voit mon frère et moi dans une même équipe, il pourrait pleurer, enfin il pourrait pleurer à l’intérieur car c’est un dur. Maintenant c’est à moi de réaliser ce rêve en bossant. Mon frère a toujours été un gros bosseur et sans ça, il ne serait surement pas à Aston Villa. Malgré ses fréquentations, il a toujours su faire la part des choses même s’il a fait des conneries en étant trop gentil et en aidant des amis. Mais c’est quelqu’un d’intelligent et surtout quelqu’un de bien qui me répète sans cesse qu’on ne réussit qu’à la sueur de son front.

Kylian : Mon frère me dit de prendre exemple sur Thorgan et pas sur lui. Et il a raison car ça n’a pas beaucoup de sens de s’inspirer d’un génie. Tu savais petit qu’il allait réussir, le foot ça coulait de source pour lui, il est né avec un ballon. Mais bon, c’est sûr qu’il travaille aussi.

Eden et Christian jouent-ils le rôle du  » grand-frère  » ?

Kylian : Eden ne parle plus comme un enfant, il parle comme un père de famille. J’ai l’impression parfois d’avoir un deuxième père même : il me demande si je suis bien chez moi et pas dehors.

Jonathan : C’est normal. Christian a toujours été très mature. Et sans le foot, je suis sûr qu’il aurait réussi. Mon père nous a toujours poussés dans les études. Si je n’avais pas connu le foot, j’aurais fait l’unif comme beaucoup de jeunes, j’ai d’ailleurs obtenu mon diplôme de secondaire.

Kylian : Moi je préfère pas parler d’école. C’est comme au foot, j’étais jamais sérieux (il rit).

Vous pourriez arrêter le foot et bosser pour votre aîné comme c’est le cas de pas mal de  » frère de  » dans le foot. Est-ce que ça vous a déjà traversé l’esprit ?

Kylian : Oui je me suis déjà dit que je pourrais me la couler douce mais ce serait choisir la facilité et c’est pas un trait de famille. Et puis il y a le boss derrière, le  » padre « , et pour lui chacun doit travailler pour manger.

Jonathan : Je dis toujours que Christian est mon exemple, mais en fait c’est mon père. C’est un ancien militaire et policier du Congo, c’est un peu la même chose que le coach (il rit). Jeune, ça a été dur avec lui car il voulait qu’on s’en sorte. L’objectif, c’était de ne dépendre de personne. Et même quand ça n’allait pas, qu’on n’avait rien, il a toujours gardé les mêmes valeurs. Et maintenant que Christian gagne bien sa vie, il ne demande rien. Parfois, je lui dis : Pa, achète quelque chose. Il me répond qu’il est bien comme ça. Il ne voulait même pas quitter sa maison à Droixhe. Je suis tellement content d’avoir un père comme le mien.

Kylian : On me parle toujours de mon frère, mais si un jour je suis comme mon père, j’aurais tout réussi dans la vie.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: BELGAIMAGE/ WAEM

 » Je jouerais peut-être un joueur avec Eden à… Braine-le-Comte.  » Kylian Hazard

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