SYSTÈME D

Vilipendé pour ses innombrables fluctuations tactiques, le coach français a répondu en qualifiant les Tricolores pour les demi-finales.

« R aymondatoujoursraison « . C’était là l’une des antiennes préférées de Raymond Goethals lorsqu’il parlait ou évoquait ses choix tactiques. Dans ce domaine, il est vrai, le meilleur entraîneur que la Belgique ait jamais connu n’était pour ainsi dire jamais pris en défaut.

Le sélectionneur français, Raymond Domenech, a la particularité de porter le même prénom, mais de là à jouir de la même cote que lui, il y a manifestement une marge. En cause, un palmarès moins huppé mais aussi une prétendue absence de ligne de conduite qui fait froncer pas mal de sourcils outre-Quiévrain. Avant d’affronter le Brésil, le technicien des Bleus avait livré quelque 24 copies différentes en autant de matches. Depuis ses débuts à la tête de l’équipe de France, le 4 septembre 2004, ce ne sont pas moins de huit systèmes qui ont été essayés, avec des 11 divers chargés de les animer.

Pour beaucoup, cette situation fait désordre et explique les carences de Tricolores qui, selon leurs dires, ne sont jamais parvenus, en l’espace de deux ans, à livrer la moindre prestation convaincante. Des critiques qui n’ébranlent toutefois pas le fédéral.

Car entre le premier match sous son ère et le dernier, on ne peut décemment nier que les Bleus aient accompli plusieurs pas vers l’avant. On remarquera d’abord qu’après une multitude d’essais en défense, avec les titularisations, au tout début, de garçons comme Gaël Givet, Sébastien Squillaci ou Jean-Alain Boumsong, un quatuor a fini par se dégager autour de Willy Sagnol, Lilian Thuram, William Gallas et Eric Abidal, tous toujours en place aujourd’hui.

Hormis l’entrejeu, demeuré d’un bout à l’autre un vaste laboratoire avec trois, quatre ou cinq composantes, tout porte à croire que la division offensive de l’équipe se serait elle aussi stabilisée, avec deux hommes en pointe, si la malencontreuse blessure encourue in extremis par Djibril Cissé, à la faveur de l’ultime joute amicale contre la Chine, le 7 juin passé, n’avait singulièrement changé la donne et obligé le fédé à revoir ses plans. De quoi expliquer, durant ce Mondial, ses variations tactiques.

France-Suisse : 4-2-3-1

Les Français ont évidemment l’avantage de bien connaître l’équipe helvétique, qui s’était déjà dressée sur leur route lors des éliminatoires. A l’occasion de leur premier duel au Stade de France, le 26 mars 2005, soldé par un nul vierge, les troupes de Domenech avaient évolué en 4-4-2 : Sagnol, Boumsong, Givet et Gallas derrière ; Ludovic Giuly, Vieira, Vikash Dhorasoo et Benoît Pedretti dans l’entrejeu ; Sylvain Wiltord et David Trezeguet devant.

Lors du retour à Berne, le 8 octobre de la même année, et sanctionné par un nouveau nul (1-1), le sélectionneur avait opté pour un 4-2-3-1 avec Anthony Réveillère, Thuram, Boumsong et Gallas à l’arrière ; Patrick Vieira et Claude Makelele en pare-chocs devant la défense ; Dhorasoo, Zinédine Zidane et Florent Malouda un cran plus haut, ainsi que Wiltord dans la position la plus avancée.

La différence, d’un match à l’autre, c’était évidemment le retour des anciens, Zidane, Thuram et Makelele, opéré officiellement un mois plus tôt, le 3 septembre, pour les besoins du match France-Féroé. Tentée pour la deuxième fois, après un premier essai en Irlande, le 7 septembre (victoire des Français 0-1), l’approche en 4-2-3-1 avait été revue en fin de rencontre en Suisse suite à l’introduction au jeu de Cissé à la place de Dhorasoo, la France évoluant alors en 4-4-2.

Pour les grandes retrouvailles franco-suisses à la Coupe du Monde, c’est l’option en 4-2-3-1 qui recueille les faveurs du coach. Plus surprenantes, en revanche, sont les titularisations de Frank Ribéry, sa première sous la bannière tricolore, et l’appel fait, sur le flanc opposé, à Wiltord, qui avait accompli toute la campagne de préparation comme substitut.

Raymond Domenech :  » Pourquoi une seule pointe ? Les systèmes sont faits pour être testés en fonction des équipes et de la compétition qui avance. Il y aura d’autres options et d’autres possibilités pour les prochaines rencontres. Pourquoi les présences de Wiltord et Ribéry dans le onze de départ ? Les titulaires sont ceux qui commencent, tout simplement. Ce coup-ci, c’étaient eux. La prochaine fois, qui sait, ce seront deux autres. L’entraînement et les matches qu’on a faits devraient permettre aux 23 d’être en état d’opérer à tout moment. Aussi bien comme partants qu’en tant que substituts, c’est aussi simple que cela « .

France-Corée du Sud : 4-2-3-1

Pour les besoins de ce deuxième match de poule, pas encore décisif mais pour le moins important, Domenech choisit de reconduire le système qu’il avait déjà utilisé lors du match d’entrée, mais avec Malouda à la place de Ribéry sur le flanc gauche, le coach estimant que le Marseillais est plus percutant comme joker – comme il l’avait démontré dans les matches de préparation – que comme titulaire ; sa prestation face aux Suisses s’étant révélée assez mièvre, au même titre que celle de l’équipe dans son ensemble, d’ailleurs.

Il n’empêche, l’option retenue ne manque pas, à nouveau de déconcerter les censeurs. Car à l’exception d’une joute amicale contre la Côte d’Ivoire, le 17 août 2005, coïncidant d’ailleurs avec le retour des trois anciens, jamais encore l’équipe de France ne s’est présentée dans une animation offensive autour du quatuor Wiltord-Zidane-Malouda- Henry. Ce qui laisse quand même un peu perplexe eu égard à l’importance de l’enjeu.

Mais plus sidérante encore est, en fin de partie, le retour au 4-4-2, avec la rentrée de Trezeguet à la place de Zizou. Si l’intention du coach était de renverser la vapeur, les Coréens ayant répliqué en deuxième mi-temps au but d’ouverture de Henry, il eût sans doute été beaucoup plus indiqué de faire appel plus tôt au puncheur de la Juventus. D’autre part, retirer Zidane à quelques minutes à peine du coup de sifflet final, n’est pas du meilleur goût. D’autant plus que le numéro 10, pénalisé d’une deuxième carte jaune, est out pour la rencontre décisive devant le Togo. Dans ces conditions, Zizou ne méritait-il pas une autre sortie ? Pour avoir snobé Domenech à sa sortie du terrain et balancé un bidon vers le banc de touche, lui-même en semblait convaincu. Mais pas le coach.

Raymond Domenech :  » Une absence de regard entre Zizou et moi ? Quelle absence ? C’est interpréter des images et spéculer sur des attitudes. La vérité, c’est qu’on en était à 1-1 à ce moment. Dans ces conditions, un champion ne sort pas le sourire aux lèvres. Pourquoi le retour à deux pointes en fin de match ? Pour préparer le match suivant, Messieurs, tout simplement « .

France Togo : 4-4-2

Le coach français ne croit évidemment pas si bien dire. Car l’absence de Zidane dans ce match et l’obligation de gagner par au moins deux buts d’écart, compte tenu des résultats forgés par les adversaires dans le groupe, induisent pareil recours. Il est même d’autant plus logique qu’au sein du noyau tricolore, il n’y a personne pour reprendre le rôle de Zizou comme dépositaire du jeu. Seul Johan Micoud possède, toutes proportions gardées, un profil similaire. Mais le stratège du Werder Brême ne fait pas partie de l’effectif.

Si la paire formée de Vieira et Makelele est logiquement conservée en tant que pare-chocs devant la défense habituelle, Domenech surprend, une fois de plus, en alignant d’entrée de jeu son soi-disant joker, Ribéry. Mais non plus à gauche, comme lors du match précédent face aux Asiatiques, mais à droite, sous prétexte que le garçon peut jouer indifféremment sur les deux flancs. Pur gaucher, Malouda, lui, n’a pas cette faculté et retrouve donc son couloir habituel, en étant appelé, comme son compère marseillais, à assurer l’animation offensive de l’équipe.

Devant, Trezeguet est logiquement couplé à Henry, comme à l’époque où ils emmenaient tous deux l’attaque de l’AS Monaco. Après le match contre la Corée, où il avait dû se satisfaire d’une apparition des plus furtives, le puncheur bianconero s’était ému que la France ne joue qu’avec un seul homme en pointe :  » Le Brésil joue avec deux hommes devant, alors pourquoi la France ne jouerait-elle pas comme le Brésil « .

Raymond Domenech (avec l’une de ces pirouettes dont il a le secret) :  » Pourquoi pas comme le Brésil ? En jaune donc ? »

Plus que Trezeguet, c’est Henry, surtout, qui se veut percutant contre l’équipe africaine. Ses 47 ballons touchés au total, pour 34 seulement contre la Suisse, en constituent une preuve. Sans le concours de Zizou, accusé de tricoter quelquefois trop entre les lignes, le jeu français, assuré par les milieux excentrés, est évidemment de nature à faire les choux gras du joueur d’Arsenal, qui n’aime rien tant qu’être servi le plus tôt possible après la récupération du cuir. Dans cette configuration d’équipe, il en a bien sûr l’opportunité. Ce qui est sans doute moins évident quand Zidane joue. En vérité, celle-ci gagne alors en maîtrise ce qu’elle perd au niveau de la vivacité.

France-Espagne : 4-5-1

Ceux qui croient à un retour au 4-2-3-1, compte tenu de la récupération de Zizou, en sont pour leurs frais. Le coach français se prononce cette fois pour un 4-5-1 tout à fait inédit dans ce Mondial. Le quatuor médian, qui avait officié contre le Togo, est maintenu mais c’est Trezeguet qui paie le retour du numéro 10 français, aligné comme acolyte dans le sillage immédiat de Henry.

Une variante tactique aux incidences pour le moins nombreuses : avec quatre médians déployés sur toute la largeur du terrain, Domenech trouve d’une part la parade à la montée des backs espagnols, Sergio Ramos et Mariano Pernia, très incisifs depuis le début de la compétition.

D’autre part, en alignant Zidane à une position plus avancée, il s’assure un point d’ancrage utile pour la conservation du ballon devant, loin du but défendu par Fabien Barthez. Enfin, en resserrant très fort les lignes médiane et arrière, Domenech contribue aussi à réduire les espaces dont les Espagnols sont friands et à les priver, de ce fait, de ballons.

Malgré le but d’ouverture de l’équipe ibérique, qui aurait logiquement dû la mettre sur un nuage, entendu que les Bleus sont nettement moins performants lorsqu’ils ne marquent pas les premiers (57 % de revers), l’équipe de France n’en donne pas moins une réplique cinglante en disputant, après la pause, sa meilleure mi-temps du Mondial jusque là. Henry et Zizou, tous deux dans leur style, font en définitive plier le match en faveur des Bleus, en fin de deuxième période, après que Ribéry eut ramené l’égalité à la marque au bout des 45 premières minutes.

Raymond Domenech :  » Pour gagner, vous n’avez pas forcément besoin d’avoir plus de ballons que les autres. Et, en admettant que ça soit mieux, il n’y en a jamais qu’un seul sur le terrain. L’important, justement, c’est de mettre celui-là au fond. Le nouveau style de jeu ? Il n’y a pas de style de jeu, sauf celui qui gagne. Pour arriver à mes fins, je ne suis pas figé sur une seule organisation. On a peut-être des attaquants qui vont vite, mais ce n’est pas pour ça qu’il faut expressément jouer en contres. J’ai tous les choix, toutes les variantes par rapport à mes joueurs. Ce sont donc les qualités de ceux qui se trouvent sur le terrain qui dictent la marche à suivre « .

France-Brésil : 4-5-1

Historique : pour la première fois en l’espace de 25 joutes sous ses ordres, Domenech opte de reconduire le onze de base qui a assuré sa qualification pour les quarts de finale au détriment de l’Espagne. Ce qui peut se comprendre : d’un côté, la France avait livré jusqu’alors sa meilleure performance du Mondial contre l’équipe ibérique. De l’autre, la maîtrise technique des Brésiliens, qui visent à époumoner tant et plus leurs opposants en les faisant courir après un ballon insaisissable, à l’image des troupes de Luis Aragones, dicte évidemment une même approche.

En réalité, ce coup-ci, c’est le sélectionneur brésilien, Carlos Alberto Parreira, qui s’écarte de la norme en disposant son entrejeu en losange, avec Kaka en tant que soutien d’une paire d’attaquants new look formée de Ronaldo et Ronaldinho. L’idée, à l’évidence, consiste à alerter tant et plus le Milanais entre les lignes et d’exploiter la vitesse et les astuces techniques de l’attaquant du Barça dans un registre plus avancé. D’autre part, Juninho, préféré à Emerson, est censé jouer en zone contre Zidane chaque fois que celui-ci recule pour quémander des ballons.

Marquer pas de chance pour le Lyonnais, car Zizou livre son match le plus enthousiasmant de la compétition. Pas de chance non plus pour le coach brésilien, dont les innovations s’assimilent à des bides. Kaka, étroitement surveillé par Makelele, ne parvient jamais à imposer sa griffe. En pointe, Ronaldinho est sans cesse pris en tenaille par le tandem constitué de Sagnol et Vieira. Le danger ne vient pas, non plus, des arrières latéraux, Roberto Carlos et Cafu car au même titre que ce qui s’était passé contre l’Espagne, Ribéry et Malouda ferment très habilement la porte sur les ailes. Du coup, c’est la France, par l’entremise d’un Zidane des grands soirs, qui a la mainmise sur la rencontre et l’emporte méritoirement. Après l’Espagne, le Brésil : qui a encore dit que le coach français n’avait pas de suite des les idées ?

Raymond Domenech :  » J’ai toujours soutenu que nous étions engagés dans une bataille en cinq sets. Les deux premiers, en 1998 et 2000, nous les avons gagnés. Les deux suivants, en 2002 et 2004, nous les avons perdus. Nous en sommes à la belle où tout est encore possible. Certains, pour ne pas dire beaucoup, m’ont ri au nez quand j’ai affirmé que l’objectif, c’était Berlin, le 9 juillet prochain. Désormais, nous n’en sommes plus très loin. Tous, je répète bien, tous, nous devons y croire jusqu’au bout à présent !  »

BRUNO GOVERS, ENVOYÉ SPÉCIAL EN ALLEMAGNE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire