SUSPICION

Bernard Jeunejean

Question d’enrichir leur vocabulaire, c’est le moment d’enseigner le mot à tous nos Diablotins, vu que cette suspicion est généralisée. Dès l’instant où une gaffe amène un but un tant soit peu folklo, voire dès l’instant où un score est plantureux même sans but vraiment folklo, le spectre de la Corruption majuscule plane sur le match concerné ! C’est parti, ça va même intégrer nos plaisanteries footeuses pour un petit bout de temps, je viens d’en recevoir la première illustration sur un obscur terrain de province : le dernier défenseur se loupe grossièrement, l’attaquant marque, l’imbibé de service est appuyé debout chope en main à la rampe de l’escalier menant à la buvette et hurle  » Corruption, referee ! « , et tout le bon peuple rigole alentour…

Tout ce caca aujourd’hui remué est évidemment nauséabond, mais le football tel qu’il se joue peut-il vraiment y échapper ? Si le dopage aime beaucoup le cyclisme, c’est peut-être qu’il y a depuis longtemps trouvé un terrain favorable pour s’épanouir, des conditions idéales pour proliférer. C’est kif en foot, non par rapport au dopage, mais par rapport à ce qu’on pourrait appeler  » l’orientation délibérée du résultat « .

D’une part le foot est un sport où l’on marque peu et où la victoire bascule sur un rien, mais moins sur un exploit miraculeux que sur une faute critiquable : en foot, sur dix buts disséqués, neuf le sont en termes d’erreur commise par l’équipe qui a morflé. La gaffe est au foot ce que l’£uf est à la poule ! D’autre part, le règlement de foot est équivoque au point que la critique, voire la suspicion, vis-à-vis de l’arbitre y sont élevés depuis des paquets d’années au rang d’habitudes consacrées… et pas toujours à tort, l’affaire RobertHoyzer n’étant en l’occurrence que le pot aux roses le plus récent !

Vous adjoignez à ce double constat l’omniprésence du fric en foot, ainsi que l’appât du gain, qui est quand même péché mignon chez nombre de bipèdes humains depuis l’invention du pognon, et vous obtenez un cocktail qui peut s’avérer merdique. Aussi Benjamin Deceuninck, le jeune ertébéen, se demandait-il récemment comment on allait désormais pouvoir faire  » pour encore se passionner pour un match de foot « . La réponse est simple, Benja, ça va se faire très facilement, c’est justement le principe d’une passion quelle qu’elle soit : nous sommes amoureux fous d’un sport follement malsain, faut juste s’efforcer de ne jamais l’oublier…

Ceci dit, les cas sont fort divers où un footballeur gaffe, où il  » ne joue pas à 100 %  » : ça mérite une exégèse, fût-ce pour mettre les yeux en face des trous des chevaliers blancs de l’info générale, type Jean-Claude Defossé, qui comprennent toujours tout mieux que tout le monde dès le moment où ils débarquent quelque part sur leur fier destrier.

Faut d’abord distinguer gaffes involontaires (innombrables) et gaffes volontaires (infiniment minoritaires) : si Vincent Kompany shoote bêtement à côté du ballon, on peut difficilement dire qu’il était à 100 % de ses possibilités, ce n’est pas pour cela qu’il l’a fait exprès ! Ensuite, quand c’est volontairement que tu ne joues pas à 100 %, quand tu ne joues pas pour gagner, voire quand tu joues pour perdre, faut distinguer le faire pour du fric et pas pour du fric. Quand ce n’est pas pour le fric, il y a trois cas de figure : tu veux faire chier, tu veux faire plaisir, ou tu as la trouille. Exemples…

1° Tu en gardes sous la pédale pour emmerder l’entraîneur qui t’a laissé moisir 80′ sur le banc, ou pour qu’une nouvelle défaite précipite son limogeage : tu es caractériel ou minable, mais pas vénal !

2° Tu joues en faisant semblant, parce que le championnat n’a plus d’enjeu pour ton équipe mais seulement pour l’équipe adverse, au sein de laquelle évoluent des ex-équipiers, des potes que tu aimes (soit qui ont procédé à un délicat chantage affectif, soit qui ne t’ont même rien demandé) et auxquels tu voudrais éviter la tristesse d’une relégation : tu es fidèle en amitié et sommaire dans tes raisonnements, mais pas vénal !

3° Tu lèves le pied, contraint par un tiers qui menace de dire à ta femme et à ton gardien que tu couches avec celle de celui-ci (chantage privé) : tu es lâche, mais toujours pas vénal ! Tous des cas de joueurs  » pas à 100 % « , des cas peu ou prou reluisants à l’image de la vie, mais où il n’est pas encore question de fric, ni de corruption…

Bernard Jeunejean

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