Susnjara ou Fouhami?

Quand Preud’homme changera-t-il d’avis pour le poste de gardien?

Il n’est jamais conseillé d’aller visiter des caves sans avoir l’estomac bien rempli. Avant de se rendre à Bordeaux pour le match aller du 2e tour de Coupe UEFA et après trois matches sans vaincre, le Standard avait donc bien besoin de la bonne tranche de gras que lui a procuré la victoire sur l’Antwerp.

Tout Sclessin commençait à se poser des questions: le Standard se créait peu d’occasions; sa défense, pourtant si fiable en début de saison, commençait à donner des signes de fatigue; mais surtout, son gardien ne rassurait personne, ce qui n’était plus arrivé à ce club depuis plus d’un demi-siècle.

Face à un Antwerp plein d’énergie, Michel Preud’homme a remédié au problème offensif en… enlevant un attaquant. Privé de deux éléments sur les ailes et d’un centre-avant puissant, il s’était bien rendu compte qu’il lui était devenu impossible de pratiquer son 4-3-3 favori. Il a donc misé sur un 4-4-2 des plus classiques avec, pour conséquence, un jeu davantage basé sur les combinaisons dans l’entrejeu.

Avec une ligne médiane plus efficace devant elle, la défense liégeoise devrait également retrouver son deuxième souffle, même si Eric Van Meir, son baromètre, admet avoir des difficultés à récupérer entre les matches et si elle peut encore plaider largement coupable sur les deux buts encaissés samedi dernier.

Le problème du gardien de but, lui, est beaucoup plus cruel. Depuis la deuxième guerre mondial, Sclessin ne s’est jamais imaginé sans grand numéro un. Il y eut certes un doute lorsque la lignée des grands gardiens liégeois ( Toussaint et Jean Nicolay, Piot, Preud’homme, Bodart) fut interrompue par l’arrivée d’un jeune Croate inconnu répondant au nom de Vedran Runje, mais celui-ci eut tôt fait de dissiper les doutes pour être sacré deux fois meilleur gardien du championnat en trois ans de présence au Standard.

Pour succéder à Runje, le Standard fit confiance à Filip Susnjara, un autre Croate qui, dans les équipes d’âge de son pays, était supérieur à son prédécesseur et qui avait accepté voici deux ans de venir à Liège afin de parer à toute éventualité (blessure ou exclusion du titulaire) et de préparer l’avenir. Il n’en eut toutefois guère l’occasion (Runje disputa pratiquement tous les matches), mais livra tout de même une bonne partie face à Mouscron voici deux ans.

Vint alors le dernier match de la saison dernière, face à Lokeren, où Susnjara remplaça Runje en cours de match. Ce qui devait être une récompense tourna au cauchemar avec des erreurs qui permirent la victoire des Waeslandiens. Susnjara plaida coupable mais ajouta qu’il n’était pas facile de disputer un match quand toute l’équipe était déjà en vacances et qu’on n’avait plus joué depuis plus d’un an.

Susnjara avait si bien repris

En cours de préparation, Susnjara disputa ensuite un excellent match face à St-Etienne, au lendemain duquel Runje annonça son départ à Marseille. Du coup, celui qui ne se voyait plus traîner sur le banc à Sclessin était projeté à la une de l’actualité. Le Standard annonça immédiatement qu’il se mettait à la recherche d’un autre gardien mais que Susnjara recevrait une chance. On cita Dida (AC Milan), ce fut Khalid Fouhami,… qui annonça immédiatement combien Preud’homme avait insisté pour son transfert. Et qu’il venait pour être numéro un, chiffre qui figure d’ailleurs sur sa vareuse.

Cette succession d’événements rendit-elle Filip Susnjara plus nerveux que d’habitude? Toujours est-il que, depuis, il se montre assez fébrile, commet généralement une ou deux erreurs par match et ne rassure personne, pas même ses équipiers. A Strasbourg, il faillit même compromettre les chances de qualification européennes de son équipe avant de se racheter en sauvant une balle de 3-0 face à Ljuboja.

Après la défaite face à Lokeren, le public réclama la tête de son gardien et toute la presse était convaincue que Preud’homme allait profiter du match à Beveren pour donner une chance à Fouhami. Mais Susnjara joua et aida même pour la première fois son équipe à ramener un point, même si on lui reprocha sa sortie sur le but de Zezeto, qui filait vers lui à la vitesse d’un TGV.

« Susnjara a bien répondu malgré la pression que vous avez mise sur ses épaules », lança Preud’homme aux journalistes au lendemain du match. « Pourtant, je n’ai jamais envisagé de le remplacer. Et je crois qu’en matière de gardiens de but, j’y connais quand même quelque chose. Si j’ai laissé planer le doute quand on m’a posé la question la veille du match, c’est parce que je n’avais pas encore annoncé la composition de l’équipe aux joueurs et que je ne voulais pas faire d’exception. C’est peut-être un peu dur pour Fouhami, qui est un supergardien, mais il connaissait les règles en débarquant ici ».

« Je suis encore fragile »

Christian Piot, l’entraîneur des gardiens, confirme que Michel Preud’homme ne lui a jamais demandé d’avis à ce sujet et qu’il n’a jamais senti qu’un changement se préparait. Il reconnaît cependant qu’il est normal que tant le public que les médias se posent des questions: « Filip a beaucoup de qualités. Malheureusement, il supporte très mal la pression et y laisse une partie de ses moyens. Il ne nous a pas encore perdu de match mais il n’en a pas encore gagné à lui tout seul non plus. Et la confiance, c’est quelque chose qu’on ne peut pas lui apprendre, d’autant que l’entraîneur est derrière lui. J’espère donc qu’il pourra passer ce cap. L’excuse de ne pas avoir joué pendant deux ans était valable… néanmoins pas plus de trois mois tout de même ».

Pour ce qui est de points plus techniques, Piot estime que Susnjara ne commande pas suffisamment sa ligne arrière, qu’il n’a pas d’impact sur ses défenseurs. Quant à son jeu au pied, il n’est pas mauvais mais il joue très bas, ce qui peut trahir un manque de confiance en soi également.

Susnjara a donc toutes les conditions pour être le plus heureux des hommes. Pourtant, il est triste et ne le cache pas. Il ne fuit pas les critiques, tente de relativiser mais ne veut pas devenir le symbole des malheurs du Standard: « J’ai encaissé huit buts en huit matches de championnat et trois en quatre rencontres de Coupe d’Europe. Pour moi, j’ai véritablement raté deux mi-temps: la deuxième contre Strasbourg à Sclessin et la première en Alsace. Peut-on dès lors prétendre que je suis si mauvais? Pour moi, je ne suis ni bon, ni mauvais. C’est vrai qu’un grand gardien ne peut pas se contenter de ne pas commettre d’erreur, qu’il doit gagner des points pour son équipe. Et pour cela, il faut du temps. On a beau s’entraîner, travailler, jouer en Réserves: ce sont les matches en équipe Première qui vous apportent l’expérience, la confiance, la satisfaction. Aujourd’hui, je suis encore très fragile, la moindre erreur suffit à me déstabiliser ».

Filip Susnjara est un type sensible, gentil. Voici quelques semaines, une jeune supportrice du Standard constata qu’elle avait un pneu crevé. Tous les joueurs passèrent à côté avec un sourire ou une plaisanterie. Susnjara, lui, retroussa ses manches, empoigna le cric et changea la roue. Il a gagné à tout jamais une admiratrice.

Il devrait peut-être empoigner un de ses défenseurs…

Dans la foule, c’est surtout les coups de sifflet et les cris de mécontentement à son égard qu’il entend: « Je sais qu’un professionnel ne doit pas faire attention à cela mais il y a des moments où c’est inévitable. Quand je vais rechercher un ballon derrière mon but et que j’entends qu’on rit de moi, j’ai envie de tout abandonner. Je sais qu’ils ont le droit de critiquer. Cependant, j’aimerais aussi qu’on m’applaudisse quand c’est bien. En rentrant de Beveren encore, je me suis dis que ce serait peut-être mieux pour tout le monde si je quittais le Standard ».

Sa bonne éducation se retrouve également sur le terrain. Même quand il y avait 18.000 personnes à Sclessin, on entendait hurler Vedran Runje. A présent, on n’entend pas Susnjara.

« Je commande ma défense mais je n’aime pas hurler », dit-il. « Je suis un homme calme, j’estime que chacun a le droit de ne pas se comporter comme un animal. J’essaye d’être préventif. Si, sur un corner, je dis deux fois: -George, ton homme et qu’il ne le prend pas, je ne peux quand même pas aller l’empoigner. Celui qui n’écoute pas n’est pas concentré ».

Ses sorties laissent également à désirer. D’autant que, comme l’a fait remarquer Christian Piot, il ne joue pas assez haut, ce qui lui fait peut-être perdre quelques précieux dixièmes de seconde dans ses interventions.

« L’entraîneur m’a dit que je devais être plus agressif, plus déterminé », avoue-t-il. « J’essaye mais je ne vais pas y arriver en deux matches. Contre Beveren, j’étais révolté par tout ce que j’avais entendu sur mon compte en cours de semaine et cela s’est vu sur le terrain. On a dit que j’aurais dû sortir plus vite ou rester sur ma ligne lorsque Zezeto est venu vers moi. C’est vrai que j’ai hésité parce qu’il est très rapide et je voulais éviter le carton rouge qui nous aurait mis dans une position plus délicate encore ».

Une exclusion aurait également obligé Susnjara à céder sa place de titulaire, peut-être définitivement, à un Khalid Fouhami qui commence à avoir des fourmis dans les mains: « Il est tout à fait normal que chacun défende sa place, comme Lukunku, Goossens et Mornar l’ont fait l’an dernier lorsque Aarst a débarqué. Tout était beaucoup plus clair entre Vedran et moi. Ce n’est toutefois pas cela qui fait que mes relations avec Khalid sont différentes. Vedran était un compatriote et un ami de jeunesse avec qui je suis toujours en contact au moins une fois par semaine. Bien sûr que j’ai parlé de mes difficultés avec lui. Il m’a dit de ne pas m’en faire. Que peut-on dire d’autre à un ami? »

Pas d’immunité pour l’international marocain

S’il n’avait pas été lui-même gardien de but, Michel Preud’homme aurait sans doute été moins compréhensif envers Susnjara pour s’affirmer. L’ancien gardien des Rouches n’a sans doute pas oublié qu’après sa suspension, au milieu des années 80, Michel Pavic ne lui laissa pas le temps de revenir dans le coup et lança un certain Gilbert Bodart qui s’affirma tellement vite que l’un des deux avait été obligé de partir.

Et puis, Khalid Fouhami se montrerait-il immédiatement à la hauteur? Un statut d’international marocain ne lui confère aucune immunité et s’il a livré de bonnes prestations la saison dernière avec Beveren, il n’y a pas particulièrement brillé par sa régularité non plus.

Son arrivée à Sclessin a été marquée par des problèmes administratifs (le passage d’un employeur de la Région Flamande à la Région Wallonne exigeait un nouveau permis de travail que le Standard a mis trois semaines à obtenir) puis par une blessure à un testicule.

« Il a beaucoup travaillé pour revenir et il est prêt mais c’est la vérité du match qui comptera toujours », dit Christian Piot.

La semaine dernière, en tout cas, Fouhami n’a pas hésité à aller frapper à la porte de Preud’homme pour lui dire qu’il se tenait à sa disposition.

« Je pense qu’il a apprécié ma démarche, qu’il attendait même que je le lui dise », explique-t-il. « La façon dont le Standard joue, très haut, me plaît beaucoup. J’ai connu cela au Dinamo Bucarest et je pense avoir suffisamment de vécu pour assumer ce rôle sans problème ».

Il a emménagé dans l’ancienne maison de Runje à Boncelles. Il affirme ne pas être superstitieux et ne pas craindre l’héritage du gardien croate non plus. « Runje a fait beaucoup de bonnes choses ici et c’est tant mieux pour lui mais j’ai été 30 fois international marocain et je me suis imposé à Beveren, ce qui n’était pas gagné d’avance, vous pouvez le demander à Bodart ».

Il était donc déçu de ne pas avoir joué au Freethiel mais fit preuve de beaucoup de dignité dans sa réaction: « Je reste de tout coeur avec l’équipe. Je suis déçu mais je respecte la décision du coach. Cela ne m’empêche pas de dire que je suis venu au Standard pour jouer et que je vais continuer à travailler, à préparer chaque match comme si j’étais titualaire, afin d’être prêt lorsque ma chance viendra ».

Pas de grande équipe sans grand N°1

Sa situation le chagrine davantage encore lorsqu’il songe à l’équipe nationale du Maroc. A quelques mois de la Coupe d’Afrique des Nations, ne pas être titulaire dans son club n’est jamais une bonne chose.

« On ne peut pas assumer ses responsabilités en équipe nationale quand on ne joue pas chaque semaine », avance-t-il. « Je l’ai expliqué au sélectionneur avant le tournoi préparatoire au Mali, pour lequel j’ai moi-même décliné ma sélection, comme je l’avais fait la saison dernière lorsque je ne jouais pas avec Beveren pour des raisons d’ordre administratif ».

La succession de Runje reste donc ouverte. Mieux vaudrait toutefois pour le Standard qu’un gardien s’y impose définitivement le plus tôt possible car il n’y a pas de grande équipe sans grand numéro un. Elie Baup, qui peut compter sur Ramé en toutes circonstances, ne nous démentira pas.

Patrice Sintzen

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