Sur qui parier

Les rédactions de Sport/Foot Magazine et Belgacom TV jaugent les chances d’Anderlecht et du Standard dans la course au titre et se mouillent.

Plus que sept journées et le championnat 2008-09 livrera son verdict définitif. A ce stade-ci de la compétition, une seule chose est acquise : la lutte pour le titre se circonscrira à un Anderlecht-Standard. Mais avec quelle issue ? Les rédactions de Belgacom TV, représentée par Marc Delire, Philippe Hereng, Nordin Jbari et Bertrand Crasson ainsi que celle de Sport/Foot Magazine, articulée autour de John Baete, Pierre Bilic, Daniel Devos, Pierre Danvoye et Bruno Govers se sont penchées sur les forces et les faiblesses du duo.

COACHING

Pourquoi Anderlecht n’a-t-il pas la générosité offensive du Standard ?

Bertrand Crasson : Il faut distinguer le coaching en match et le coaching de préparation à un match. Dans le premier cas, je pense qu’il n’y a pas grand-chose à redire à propos d’ Ariel Jacobs, qui a souvent fait preuve de pertinence dans ses choix, voire dans ses corrections… mais qui n’interviennent quand même souvent que tard dans le match. Par contre, je serai plus réservé quant à la préparation globale du groupe. Tant à la reprise, l’été dernier, que lors de l’entame du deuxième tour, l’effectif n’était manifestement pas prêt. Avec les conséquences fâcheuses que l’on connait : une élimination en coupe d’Europe face à BATE Borisov ainsi qu’une autre en Coupe contre Malines.

Bruno Govers : D’accord, mais il faut quand même rappeler que, chaque fois, Nemanja Rnic a été impliqué au premier degré dans ces éliminations. Et en d’autres circonstances, il n’avait pas fait l’unanimité non plus. Comme à Courtrai, notamment, où il s’était fait mettre constamment en boîte par Mustapha Oussalah. Ces leçons n’ont manifestement pas été retenues, puisque dans le cadre du championnat, l’arrière serbe a à nouveau précipité la défaite au Kavé… Le coach du RSCA savait pourtant à quoi s’en tenir : Nana Asare avait déjà donné le tournis à l’ancien défenseur du Partizan Belgrade, quelques semaines plus tôt.

Marc Delire : Il n’y a pas 36 solutions lorsqu’il faut remplacer Marcin Wasilewski. Le choix se limite à Rnic ou Guillaume Gillet. Mais celui-ci répugne à jouer à cette place. D’autre part, son incorporation au back droit entraîne automatiquement une refonte dans l’entrejeu. Or, Anderlecht avait indéniablement trouvé un nouvel équilibre en passant du 4-3-3 au 4-2-3-1. Même si, compte tenu de la trame, il arrive parfois qu’on change de variante en match.

Benoît Thans : Le Standard joue par rapport à un système. Anderlecht, lui, évolue en vertu des disponibilités. Quand Tom De Sutter est absent, comme lors du déplacement récent à Mouscron par exemple, le 4-2-3-1 a cédé la place au 4-3-3 avec Mbark Boussoufa en qualité d’ailier gauche au lieu de soutien d’attaque. A Sclessin, quand Steven Defour n’est pas là, c’est Benjamin Nicaise qui le remplace, dans un registre en tous points similaire.

Pierre Bilic : Depuis le départ de Marouane Fellaini, l’animation est restée la même, en 4-2-3-1 également. Mais il y a une différence essentielle par rapport à Anderlecht : chez les Rouches, la présence offensive ne se limite pas à l’élément le plus avancé, Dieumerci Mbokani. A ses côtés, il peut régulièrement compter sur l’appui de Milan Jovanovic, Igor de Camargo et Wilfried Dalmat. Par moments, le 4-2-3-1 se mue carrément en 4-2-4. Au Sporting, on ne retrouve pas cette générosité-là.

Bertrand Crasson : Exact. La plupart du temps, Anderlecht ne joue qu’avec une seule pointe, même à domicile. C’est une équipe de contre-attaque, à l’aise quand des gars comme Jonathan Legear ou Guillaume Gillet disposent d’espace. Pour moi, ce n’est pas un hasard si les Mauves ont réalisé le sans-faute lors du fameux triptyque formé de Charleroi, Gand et le Standard. Toutes ces formations ont tout simplement joué le jeu. Mais quand Anderlecht doit prendre elle-même le match à son compte, c’est plus compliqué. Le RSCA actuel n’a plus cette capacité. Sous cet angle-là, Ahmed Hassan n’a pas été remplacé.

Nordin Jbari : J’aime bien MbarkBoussoufa mais il n’a pas encore la taille-patron de l’Egyptien. La différence également, c’est qu’au Standard, le danger vient de partout, même des latéraux. Au Sporting, ce rendement offensif-là est négligeable.

Benoît Thans : Ariel Jacobs a tendance à s’adapter à l’adversaire alors que Laszlo Bölöni ne se préoccupe que de ses propres joueurs. C’était flagrant quand il a joué avec trois attaquants, aussi bien face à Everton que contre Liverpool.

Marc Delire : Si Ariel Jacobs avait été appelé à relayer Michel Preud’homme, aurait-il aligné trois attaquants dans les mêmes conditions ? Je ne crois pas.

ONZE DE BASE

Anderlecht a-t-il vraiment une défense passoire suite au départ de Pareja ?

Benoît Thans : On peut parler d’un onze de base au Standard mais, à Anderlecht, je suis plus nuancé. Les Mauves me paraissent aussi moins équilibrés. Le Standard utilise réellement toute la géométrie du terrain offensivement alors qu’au Sporting les Guillaume Gillet et Mbark Boussoufa aiment rentrer dans le jeu. On ne peut pas dire non plus qu’ils libèrent leurs couloirs pour favoriser les incursions des backs, vu que leur pénétration est anecdotique. Sur ce plan-là, on est plus gâté à Sclessin.

Bruno Govers : A partir du moment où un cadre fait défaut au RSCA, les problèmes surgissent. Nicolas Frutos n’était pas là en début de saison et il aura fallu patienter jusqu’au deuxième tour, avec l’engagement de Tom De Sutter pour remédier à cette lacune. Par la suite, Jan Polak a dû lui aussi renoncer, et le Sporting a pris eau de toutes parts. Enfin, si la défense a été montrée du doigt ces derniers mois, c’est probablement en raison de l’absence de Jelle Van Damme.

Philippe Hereng : C’est vrai, on a souvent mis en exergue le rôle prépondérant joué par les premiers mais Jelle Van Damme est tout aussi important. Non seulement, il est infranchissable derrière mais il est en outre d’un apport offensif important.

Bertrand Crasson : Etre menés au score à 12 reprises, comme cela s’est vérifié cette saison, c’est impensable pour un club de la dimension d’Anderlecht. Celui-ci a payé un lourd tribut au départ de Nicolas Pareja. Son transfert à l’Espanyol Barcelone a peut-être été synonyme d’opération en or pour la trésorerie, mais sur le plan sportif, il a laissé un vide qui n’a pas été comblé. Il tenait vraiment la boutique derrière et était capable aussi d’assurer une bonne relance. A présent, on est loin du compte. Comment pourrait-il y avoir unité de pensée avec un Polonais, un Hondurien, un Hongrois et un Belge, appelés à communiquer devant eux avec un Tchèque et un Argentin.

Nordin Jbari : L’un des problèmes à Anderlecht, c’est Lucas Biglia. Il joue constamment avec le frein à main. En tant qu’ancien attaquant, je n’aurais pas aimé dépendre d’un tel footballeur. Et je plains ceux qui doivent composer avec lui : chaque fois qu’ils partent en profondeur, lui préfère remiser le ballon. C’est à en devenir fou.

John Baete : J’ai parfois l’impression que Jacobs tient plus facilement compte des goûts des joueurs à certaines positions (exemple : Gillet n’aime pas l’arrière droit…), que Bölöni qui impose plus radicalement ses choix. D’autre part, j’ai toujours pensé qu’aligner Gillet-Biglia- JanPolak ensemble limitait la créativité générale. Mais sans doute qu’il n’y a personne d’autre qui s’impose…

Marc Delire : Peut-être est-ce voulu, pour éviter toute prise de risque inutile. Si j’ai un reproche à formuler à ArielJacobs, c’est d’être trop prudent. Il pense plus à ne pas prendre de but plutôt qu’à marquer. Avec la défense-passoire qu’il a, il serait plus inspiré de jouer plus haut. Anderlecht a des joueurs pour épater la galerie mais son football-champagne se fait désespérément attendre. Pourtant, un aménagement suffirait pour provoquer l’étincelle. Pourquoi, par exemple, ne pas faire jouer Jan Polak devant la défense, à la place de LucasBiglia et offrir une chance à Hernan Losada ? L’Argentin, à l’image de Mbark Boussoufa, est en mesure d’apporter cette créativité qui fait singulièrement défaut depuis le départ d’ AhmedHassan.

Pierre Danvoye : S’il ne joue pas plus, c’est peut-être pour une question d’équilibre ?

Philippe Hereng : La différence entre le Standard et Anderlecht, c’est le nombre de personnalités. Chez les Rouches, on en trouve une demi-douzaine. De l’autre côté, je n’en ai dénombré que deux à peine : Mbark Boussoufa et Jan Polak. Auxquels il faut ajouter Jelle Van Damme et Nicolas Frutos quand ils sont opérationnels.

Benoît Thans : Ce qui m’épate aussi au Standard, c’est la maturité des jeunes. Des gars comme Steven Defour ou Axel Witsel semblent avoir le vécu d’un joueur de 28 ans.

FORCE DU BANC

Les réservistes du Standard sont-ils finalement meilleurs que ceux des Mauves ?

Benoît Thans : Je ne pense pas, comme l’affirment certains, que le noyau du Sporting est plus riche que celui du Standard. Les doublures anderlechtoises ne sont manifestement pas du même tonneau que les titulaires. A Sclessin, ce n’est pas pareil. Beaucoup s’accordent à dire que Mohamed Sarr est le meilleur stoppeur de la D1, pourtant, les Rouches ont pris moins de buts quand Tomislav Mikulic était associé à OguchiOnyewu. Et ce qui vaut individuellement est d’application au collectif aussi. Avant de sauver les siens face à Mons et Genk, Axel Witsel avait connu un léger creux, qui n’a pas eu le moindre impact sur les résultats grâce à la force des autres. Au RSCA, cette forme de compensation n’existe pas, ou dans une moindre mesure. C’est peut-être pourquoi, quand le Standard joue mal, il n’est pas battu. Par contre, lorsque le Sporting n’est pas dans un bon jour, il mord souvent la poussière.

Marc Delire : Je constate que le Standard se passe plus facilement d’un Dante que le Sporting d’un Nicolas Pareja. Et je préfère mille fois Tomislav Mikulic à Victor Bernardez. Qu’est-ce qui fait la force d’une équipe dans le football moderne ? Tout bonnement la participation au jeu de ses arrières. A Anderlecht, c’est le zéro absolu tant sur les ailes qu’en défense centrale. Depuis les départs de Hannu Tihinen et Vincent Kompany, le Sporting n’a plus jamais eu une paire axiale digne de ce nom. Au lieu d’acheter Dmitri Bulykin, le club aurait été nettement plus inspiré en transférant Joao Carlos. Si le Standard l’emporte, c’est parce qu’il aura pu compter sur une meilleure défense tout au long de la saison.

Pierre Bilic : C’est un élément parmi d’autres. J’estime que les remplaçants n’ont pas manqué de mérite, que ce soit Réginal Goreux, Tomislav Mikulic, Landry Mulemo ou Benjamin Nicaise. Sans oublier Eliaquim Mangala. Côté anderlechtois, par contre, je suis resté un peu sur ma faim. Les remplaçants ne m’ont pas toujours convaincu.

Bertrand Crasson : On a parlé à divers moments de dépendance concernant Ahmed Hassan, Nicolas Frutos ou même Jan Polak. C’est la preuve d’un décalage entre l’un ou l’autre incontournable et le reste. Il est surtout perceptible à l’arrière où le RSCA ne baigne pas dans l’opulence. Dès l’instant où une valeur sûre fait défaut, c’est la cata.

Marc Delire : Désolé mais des gars comme Arnold Kruiswijk ou Victor Bernardez n’ont pas le niveau. Je ne comprends pas qu’un club de la dimension d’Anderlecht ait jeté son dévolu sur eux. S’il ne possède pas, ou n’est pas capable de former des joueurs de cette trempe, autant sacrifier son école des jeunes. Ceci dit, ces deux-là font figure d’exception. Le reste a quand même de la gueule. A Anderlecht, le onze du banc peut fort bien battre le onze de base. Le Standard n’a pas ce luxe.

Bruno Govers : Par rapport au Standard, Anderlecht a vraiment l’embarras du choix pour certaines positions. Sur le flanc droit offensif notamment où Jonathan Legear, Thomas Chatelle, Stanislav Vlcek voire même Sacha Iakovenko entrent en ligne de compte pour une place de titulaire. Mais aucun d’entre eux ne pouvait rivaliser avec Joachim Mununga lors des deux Malines-Anderlecht en ce début 2009. Aussi, je me pose quand même certaines questions sur la richesse en profondeur des Mauves.

John Baete : Finalement, quand Bölöni a dit après la défaite à Anderlecht que le Standard devait continuer à jeter des jeunes dans la bataille pour les aguerrir, ce n’était pas un rideau de fumée. C’est vraiment la politique du Standard et elle paye.

GESTION DU GROUPE

Le Standard est beaucoup plus autoritaire. A-t-il raison ?

Benoît Thans : Au Standard, l’emprise est totale, à chaque niveau de pouvoir. Avec Luciano D’Onofrio et Pierre François, un contrat est toujours à prendre ou à laisser. Michel Preud’homme et Aragon Espinoza, pour ne citer qu’eux, en savent quelque chose. Et quand, après le départ de Marouane Fellaini, l’entraîneur, Laszlo Bölöni, a choisi de redistribuer les rôles pour Steven Defour et Milan Jovanovic, notamment, il n’était pas question pour ce duo de tergiverser. Finalement, tout le monde est logé à la même enseigne, vedette ou non.

Pierre Bilic : Dès que quelqu’un s’écarte de la norme, il est recadré. La preuve par la bisbille entre Dieumerci Mbokani et Milan Jovanovic. En deux temps, trois mouvements, l’incident était aplani. Naguère, face à Genk, le Congolais a été snobé sur une phase par Igor de Camargo. Il aurait pu se révolter mais n’a pas bougé. Une bonne leçon lui a suffi.

Bruno Govers : Le Sporting n’a pas su comment s’y prendre avec Mbokani et c’est un phénomène récurrent. Autrefois, il avait soi-disant tiré les enseignements de l’échec de Nii Lamptey. Mais après le Ghanéen, il y a eu JamesObiorah et Dieumerci, justement. Ce sont de lourdes pertes.

Bertrand Crasson : A Anderlecht, on est beaucoup trop laxiste. Désolé, mais en tant que dirigeant de ce club, je ne ferais pas le moindre cadeau à des footballeurs à qui j’offre la possibilité de devenir millionnaires en euros au bout de quelques années. Pour moi, ce serait la tolérance zéro. En lieu et place, je constate que la direction se met à plat ventre devant certains. Comme Nicolas Frutos qui, sous prétexte qu’il est blessé, ne sera pas mis à l’amende pour les propos vexatoires qu’il a tenus envers le staff médical. Encore une fois, c’est surréaliste. Personnellement, j’ai vécu lors de ma deuxième période anderlechtoise un autre cas, qui l’était tout autant : après une boulette à Saint-Trond, notre gardien, Tristan Peersman, était dans le trou et a été pris en charge journellement par le psychologue. Et au lieu de tourner la page, on ressassait constamment la même scène. Dingue. Et il faut m’expliquer l’utilité de casser des £ufs sur une plage. A mon avis, on n’en devient pas meilleur. Je trouve aussi qu’on est trop permissif envers la jeune classe au Parc Astrid. Elle se prend déjà pour Dieu-le-Père. Quand j’ai fait mon apparition dans le noyau, jadis, sous les ordres d’ Aad de Mos, j’avais tout juste le droit de me taire. Pas question, non plus, de passer sur la table de message. C’était pour les valeurs confirmées. A la fin de ma carrière, j’ai connu un entraîneur, à Anderlecht, qui m’obligeait à porter les ballons et les filets, au même titre que les juniors. Inutile de dire qu’ils se payaient royalement ma tête. Et je ne pense pas que la situation ait évolué.

John Baete : Au Standard, il y a énormément de compétence au sommet, mais en plus beaucoup d’autorité et de sévérité. Luciano D’Onofrio suit les entraînements mais ne se montre jamais dans les vestiaires, sauf pour dire ses vérités. Et Bölöni n’est pas un tendron non plus…

Benoît Thans : Laszlo Bölöni est un orgueilleux : nous d’abord et puis les autres. Il se garde toujours de mettre son groupe dans une position d’attente ou d’infériorité.

Pierre Bilic : Laszlo Bölöni est un coach international, ArielJacobs est un coach national, voilà toute la différence.

Benoît Thans : Au Standard, les joueurs doivent répondre présents à 8 h 45 lorsqu’il y a entraînement le matin. Et ils prennent le petit déjeuner ensemble. Quiconque se présente en retard est mis à l’amende.

Bertrand Crasson : Au Sporting, ils sont encore tous sur la route à cette heure-là car ils viennent des horizons les plus divers. Une heure et demie dans les files, ce n’est pas vraiment l’idéal. Et ça ne favorise pas l’esprit de groupe. Je n’ai jamais compris pourquoi, contractuellement, Anderlecht n’exige pas de ses joueurs qu’ils habitent à proximité du stade ou de Neerpede.

FORCE MENTALE

Comme Defour, faut-il tout accepter au nom du collectif ?

Benoît Thans : Anderlecht a été mené à la marque à une douzaine de reprises cette saison et il est parvenu, malgré tout, à redresser la barre la plupart du temps. Cela dénote une force mentale certaine. Mais le Standard est tout aussi bien paré en la matière. La preuve par ses victoires à l’arraché. J’observe également chez ses joueurs un grand sens du sacrifice. Comme dans le cas de Milan Jovanovic par exemple qui s’est livré corps et âme ces derniers mois alors qu’il était limite. La même chose pour Steven Defour. Au nom du collectif, il accepte tout.

John Baete : Je me souviens que quand Michel Preud’homme commençait à l’aligner, il nous avait dit qu’il ne savait pas quelle serait sa meilleure place mais qu’il le voyait bien évoluer vers un poste de n°6. MPH avait très bien vu…

Benoît Thans : Il peut jouer indifféremment comme numéro 6, 8 ou 10.

Nordin Jbari : Il n’y a que René Vandereycken qui voit en lui un joueur de flanc.

Benoît Thans : Pas d’accord. Dans l’optique du coach fédéral, ce sont toujours les meilleurs qui doivent jouer. Comme il est paré avec Jan Vertonghen et Marouane Fellaini dans l’axe, il décale tout simplement Steven Defour sur le côté. Et le bougre s’y débrouille.

Nordin Jbari : D’un point de vue collectif, Anderlecht ne dégage plus la même assurance qu’à l’époque où j’y étais joueur. En ce temps-là, le club et l’équipe se sentaient réellement supérieurs. La question n’était pas de savoir si on allait gagner mais par combien de buts d’écart on allait l’emporter. Cette confiance-là, je ne la vois plus. Le Sporting se contente du strict minimum. En déplacement, par exemple, un point c’est déjà bien. On joue toujours en fonction de l’autre aussi…

Benoît Thans : Normal, Ariel Jacobs cherche davantage à protéger un résultat qu’à faire un résultat.

John Baete : Et ça déteint forcément sur des individualités qui ne respirent déjà pas la sérénité, comme un Arnold Kruiswijk ou un Victor Bernardez, par exemple.

ENCADREMENT MÉDICAL ET PHYSIQUE

Y a-t-il eu un effet Frutos à Anderlecht ?

Benoît Thans : Dans le cadre de la Licence Pro, j’ai été amené à visiter l’antenne médicale du Standard. Par rapport à mes années à Sclessin, tout s’est fortement professionnalisé. De nos jours, chez les Rouches, aucun joueur ne reprend le collier avant d’être revenu à 100 % de ses moyens. A mon époque, c’était quasi le coach, et non le médecin, qui estimait quand un tel ou un tel était bon pour le service. Résultat des courses : le Standard a fait appel à une bonne vingtaine de joueurs cette saison, alors que les Mauves en ont utilisé près de 30. Avec la différence, il y a moyen d’acheter deux ou trois bons joueurs.

Bertrand Crasson : Je me pose quand même certaines questions concernant le suivi médical à Anderlecht. Notamment dans le cas de Nicolas Frutos. C’est franchement dingue : il va se faire soigner en Argentine et, à partir de ce moment-là, les échanges entre le club et le joueur se limitent à des mails. Pendant des semaines, personne ne sait où il en est exactement et ce qu’il fait. Rebelote en janvier avec le même joueur qui a perdu 7 kilos en raison d’un virus et dont le talon d’Achille est à nouveau en compote suite à une mauvaise médication. Le tout, sans la moindre présence d’un médecin d’Anderlecht à ses côtés. Mais où va-t-on ?

Pierre Bilic : Au Standard, les jeunes dorment parfois à l’Académie Robert Louis-Dreyfus. Une manière comme une autre d’éviter qu’ils ne s’éparpillent dans le Carré.

Daniel Devos : Au retour de Braga, tout l’effectif a même pris ses quartiers là-bas afin de récupérer au plus vite.

Bertrand Crasson : A Neerpede, on est loin du compte. Là-bas, les joueurs doivent se reposer sur des transats récupérés de la salle des fêtes de la commune. Et comme si tout ça ne suffisait pas, leur repos est perturbé par les aboiements des chiens de la brigade canine située à l’entrée du site ( il rit).

John Baete : A Anderlecht, le responsable du service médical vient d’être remplacé ; il a reçu son bâton de maréchal et fait dorénavant partie du conseil d’administration. C’est une transition élégante mais le fait est là : on change. Au Standard, on va au fond des choses : Jova a mal réagi récemment à un test très invasif. Mais il fait partie du faible pourcentage à qui ça arrive… cela dit, va-t-on reprocher à un staff médical de ne pas utiliser toutes les techniques existantes ? Ici aussi, on note la différence de mentalité : au Standard, on fait ce qu’on doit faire. Il y a de la discipline. A Anderlecht, le staff conseillait l’opération à Frutos, mais le joueur a toujours refusé… avant de se rendre à l’évidence !

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Pourquoi Anderlecht se fait dépasser ?

Nordin Jbari : Lors du Standard-Anderlecht décisif pour le titre en 2008-09, j’ai vraiment eu pitié pour les dirigeants du Sporting. Les Rouches avaient mis les petits plats dans les grands avec les présences de Bernard Tapie et de ZinédineZidane. Et les Mauves avaient été assassinés sur le terrain par Dieumerci Mbokani, qui faisait encore partie de la maison mauve quelques mois plus tôt.

Benoît Thans : Le Standard baigne dans l’euphorie depuis le début de la saison et s’est débarrassé pour de bon de son complexe d’infériorité par rapport à Anderlecht.

Pierre Bilic : A raison. Anderlecht a sans conteste été un précurseur pendant bon nombre des années mais aujourd’hui, il est à la traîne. Neerpede, c’est un outil de travail obsolète par rapport à l’Académie Robert Louis-Dreyfus.

Marc Delire : Les dikke nekken ont changé de camp. Avant c’était à Anderlecht qu’on trouvait les gros cous. A présent, c’est au Standard qu’on se pousse du col. Je relève en tout cas une grande assurance, pour ne pas dire plus, dans certains propos. Telle l’ambition d’ Axel Witsel de remporter un jour le Ballon d’Or après le Soulier. Voire la remarque de StevenDefour qui fait la fine bouche quand on évoque Everton. Il y a eu un shift. Le Standard et ses joueurs sont en train de prendre de la hauteur. Idem en ce qui concerne la direction. A un moment donné, je me suis posé des questions sur les choix de Luciano D’Onofrio. Comme quand il avait engagé David Brocken… Mais il a régulièrement tapé dans le mille ces derniers mois, avec ses joueurs et ses entraîneurs. Il a très bien su s’entourer aussi. On peut dire ce qu’on veut de Pierre François mais il ne laisse rien passer. Guillaume Gillet se flatte d’avoir bien joué le coup à Mouscron, sur la phase du penalty ? Ah, voyons ce qu’on peut faire ! Il y a dans ce club une dynamique de tous les instants que je ne retrouve plus à Anderlecht.

Bertrand Crasson : Il ne faut pas noircir le tableau non plus. Le Standard est en plein boum depuis un an et demi seulement, Anderlecht a été une référence pendant des années. Et il a perdu de sa superbe alors que ses participations répétées à la phase finale de la Ligue des Champions auraient dû lui permettre de faire la différence en Belgique. Sa gestion n’a pas été optimale. Au lieu d’investir dans les hommes grâce à l’argent rapporté par la vente de joueurs hors-pair tels Jan Koller, VincentKompany ou Tomasz Radzinski, sa direction a préféré opter pour la sagesse et s’en mord les doigts aujourd’hui.

Bruno Govers : Quand on dispose d’un budget de 40 millions d’euros, il n’est pas normal de trembler face à Westerlo ou Lokeren, qui ont une enveloppe financière dix fois moindre. Et, dans la mesure où les Bruxellois doivent encore rencontrer ces deux formations, cela leur promet du plaisir…

Pierre Bilic : Le Standard ne peut pas rivaliser au plan pécuniaire avec Anderlecht. Et pourtant, il paraît avoir pris le dessus sur son rival dans bon nombre de domaines : équipe première, jeunes, infrastructure. Il fourmille de projets alors que le Sporting semble au point mort. A mes yeux le club de Sclessin va s’inscrire dans la durée comme le Sporting jadis.

Benoît Thans : Ce n’est pas impossible. Je perçois en tout cas un décalage entre un Standard hyper-ambitieux, qui veut la mainmise sur tout -joueurs, presse- et un Anderlecht qui se repose sur son vécu. Le Sporting n’a jamais été poussé dans ses retranchements ces dernières années et a sans doute cru que rien de très fâcheux ne pouvait lui arriver. Et il n’est pas interdit de penser que le Club Bruges, Genk ou d’autres imiteront le même exemple. Moi, je crois en un avenir radieux pour La Gantoise, par exemple. Je suis convaincu que Michel Preud’homme mènera cette équipe au sommet.

CALENDRIER

Et si la pression était plus sur Anderlecht ?

Pierre Bilic : Le degré de difficulté est pour ainsi dire le même des deux côtés. Le Standard a encore deux déplacements corsés à Zulte Waregem et La Gantoise. A domicile, il lui reste un gros match contre le Club Bruges. Anderlecht, de son côté, a trois matches à l’extérieur qui ne s’annoncent vraiment pas de tout repos : Lokeren, Westerlo et Genk. Sans compter qu’il reçoit le Club Bruges lui aussi.

Benoît Thans : Westerlo s’annonce ardu. Les Campinois demeurent des giant-killers. A l’époque où je jouais encore là-bas, je me souviens de deux matches mémorables contre Anderlecht : 6-0 d’abord quand Arie Haan était aux commandes des Mauves et 5-0 l’année suivante avec Aimé Anthuenis. N’est-ce pas, Bertrand ?

Bertrand Crasson : J’étais là… Toutefois, la tendance s’est quand inversée, même si Westerlo n’est jamais une rencontre de tout repos. L’avantage, avec les Jaune et Bleu, c’est qu’ils jouent le jeu. Le RSCA aura dès lors des espaces et pourra procéder par contres. En revanche, une visite à Lokeren lui sourira moins. Les hommes de Georges Leekens sont des spécialistes du nul et ne dérogeront pas à leurs habitudes.

Marc Delire : Anderlecht et le Standard répondent toujours présents dans les grands moments. Le danger, pour eux, ce seront les petits matches, comme les Rouches en ont eu un aperçu à Mons. Dans cet ordre d’idées, le Sporting doit éviter toute forme de relâchement contre des équipes comme Dender, Tubize ou Roulers.

Bruno Govers : Les deux formations vont encore perdre des plumes. Je prévois une lutte jusqu’à la dernière journée. Avec Michel Preud’homme comme arbitre lors de La Gantoise-Standard.

Daniel Devos : Au même moment, Genk-Anderlecht risque d’être capital aussi.

Pierre Danvoye : Si le Standard est champion, il aura encore plus de mérite que la saison passée. En 2008-09, chacun avait envie de ce dénouement, par sympathie vis-à-vis d’un club qui n’avait plus été à la fête depuis un quart de siècle. Par après, la plupart des observateurs ne donnaient plus cher de ses chances suite aux départs de Michel Preud’homme d’abord, puis de Marouane Fellaini. Mais ils sont toujours dans le coup.

Philippe Hereng : Y a-t-il réellement une grosse différence entre les deux équipes ? Je remarque que l’une et l’autre n’ont plus que le seul championnat pour sauver leur saison et qu’en matière de chiffres, elles se tiennent de près.

John Baete : Tout ceci me fait penser à ce que D’Onofrio nous disait encore à l’automne dernier : -Notre but est de terminer dans les deux premiers. Point barre… A la limite, Anderlecht est plus anxieux pour le titre, non ? Il est persuadé de devoir sauver sa saison comme ça après ses échecs en coupes d’Europe et de Belgique. Et c’est beaucoup de pression.

STABILITÉ

Et si le Standard avait déjà commencé à se détricoter ?

Bertrand Crasson : Si le Sporting s’est fait éliminer par BATE Borisov, c’est en partie en raison d’un manque d’automatismes dû à l’introduction des nouveaux. Le Standard, lui, a pu continuer sur sa lancée de 2008-09 et les résultats européens ne se sont pas fait attendre.

Philippe Hereng : Le mérite de LaszloBölöni est quand même d’avoir su trouver la parade au départ de Marouane Fellaini.

Pierre Bilic : Pour moi, le Roumain est l’homme-clé. La direction a intérêt à le faire rempiler au plus vite. Il n’est pas seulement un bon coach mais aussi un partenaire idéal pour la direction car il sait comment s’y prendre pour introduire du sang neuf. Avec lui, le Standard peut voir venir.

Nordin Jbari : Peut-être, mais pour combien de temps ? En France, il mettait à un tel point la pression sur les joueurs qu’au bout de deux saisons, la plupart en avaient marre.

Benoît Thans : Un entraîneur est et sera toujours tributaire du matériel humain mis à sa disposition. A Sclessin, plusieurs éléments ont laissé entendre qu’ils aimeraient tenter leur chance ailleurs la saison prochaine. Je songe à des garçons comme Axel Witsel, Dieumerci Mbokani et Milan Jovanovic, notamment. Personne, peut-être, n’est irremplaçable mais je me demande tout de même comment le Standard et son coach s’y prendront pour pourvoir à la succession de l’attaquant congolais. A mes yeux, le footballeur le plus important du Standard, c’est lui. D’ailleurs, les joueurs ne s’y trompent pas. Quand on demande à chacun d’entre eux quel joueur du noyau les impressionne le plus, ils répondent tous Mbokani. Pour retrouver un joueur de ce niveau, ce sera dur.

Pierre Danvoye : Un coach, c’est sans doute plus facile. Laszlo Bölöni n’a-t-il pas remplacé Michel Preud’homme sans problème ?

Benoît Thans : Oui, mais il faut tout de même veiller à une continuité. La Belgique est le pays où on liquide le plus facilement les entraîneurs. Pourquoi ne pas les laisser aller au bout de leurs projets ? Les résultats n’ont peut-être pas suivi immédiatement à La Gantoise cette saison, mais l’investissement lié à Michel Preud’homme sera rentable la saison prochaine.

Bruno Govers : Les Buffalos n’ont jamais remporté quoi que ce soit dans leur histoire. Une année de plus ou de moins ne change dès lors pas grand-chose pour eux. A Anderlecht, c’est différent : si Ariel Jacobs ne décroche pas le titre aura coûté 10 millions suite à l’élimination face à BATE Borisov.

Pierre Bilic : Si Anderlecht veut vraiment frapper un grand coup, il n’a qu’à s’assurer les services d’ Eric Gerets. Il est peut-être cher mais quel rendement !l

recueilli par bruno govers

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