Sur les traces du MONSTRE

Samedi, Bentegoal a rendez-vous avec l’Histoire. Celle qui peut graver son nom au palmarès de la FA Cup, dans le mythique stade de Wembley. Une dernière occasion aussi pour l’enfant de Droixhe de faire briller les couleurs d’Aston Villa.

« Tu te souviens, on jouait dans le parc à Droixhe et maintenant, on est dans un jet privé pour signer en Angleterre…  » Après des années au quartier, du petit club de Pierreuse à Genk, en passant par l’amertume au Standard, Christian Benteke et Kismet Eris, son agent, se congratulent. C’est le dernier jour du mercato d’été 2012 et les voilà qui débarquent en Perfide Albion, à Birmingham. Au bout de la piste d’atterrissage, Aston Villa, la Premier League et son jeu qui colle si bien à Big Ben, qui a depuis toujours dépassé ses potes par le talent et par la… taille.

Benteke, souffre justement assez tôt d’une croissance précoce.  » Vers 10 ans, il était déjà plus grand que beaucoup de jeunes de son âge « , raconte son cousin, Joseph Olongo.  » Il était intimidé par le regard des autres, surtout par celui des parents qui le soupçonnaient de mentir sur son âge. C’est pourquoi il hésitait à aller au contact.  » Alors que ses parents habitent dans le quartier d’Amercoeur à Liège, on le retrouve souvent à quelques encablures de là, à Droixhe, pour tâter le cuir entre amis, parmi lesquels on compte un certain Mehdi Carcela.

Le duo partageait les bancs de l’école primaire Saint-Remacle avant la pelouse de Sclessin.  » Il aurait pu choisir de se laisser aller comme plein de jeunes au quartier mais non, lui, ça a toujours été travail, travail, travail « , insiste Jawad, qui faisait lui aussi partie de la fratrie de  » Sarajevo « , le doux surnom de l’école.  » Déjà à 10-11 ans, il ne sortait pas de chez lui parce qu’il allait jouer au foot après.  » Et chez lui, Benteke bosse, encore et encore.  » Dans sa chambre, il avait une petite télé dans un coin. Il s’asseyait sur son lit et commençait à jongler de la tête, tout en regardant du foot. C’est comme ça qu’il travaillait ses têtes « , se marre son cousin,  » Jojo « .

 » Son père a jeté ses chaussures dans la Meuse  »

Dès neuf heures du matin, il arrive que  » Jojo  » retrouve même Christian en train de travailler ses enroulés dans le jardin.  » Depuis toujours, il adore ça parce que son joueur préféré, c’était Thierry Henry. Moi je ne pouvais pas le sentir et Christian me montrait tout le temps des vidéos de lui (il rit). Mon jardin fait un creux (il mime une sorte de L) alors il posait un casier de bières de sorte à ce qu’il ne le voie pas. Et du coin opposé, il enroulait ses frappes pour qu’elles touchent le casier.  » Partout où il passe, Benteke joue. Dans la rue, où il marche avec un ballon en équilibre sur la tête, ou dans la maison de ses cousins où les carreaux s’en souviennent encore.

Mais à vouloir tout donner au Dieu football, Benteke oublie parfois les études. Ce qui n’est pas du goût du daron, Jean-Pierre, ancien policier qui a fui le Congo pour venir chercher le rêve européen à Bressoux-Droixhe.  » Quand il a appris que Christian avait raté sa quatrième primaire, il est venu chez moi où se trouvaient Christian et ses affaires de foot « , raconte Jojo.  » Il a alors pris ses chaussures de foot, a coupé le bout, puis les a jetées dans la Meuse.  » Papa Bentek’ réitère la carotte en deuxième secondaire.

Insuffisant pour Anderlecht

A ce moment-là, Big Ben a 14 ans et explose sous les couleurs de la JS Pierreuse.  » Il donnait une telle impression de facilité… C’était l’un des seuls à savoir enchaîner une amortie-poitrine en suspension, un contrôle orienté et filer droit vers le but « , s’en émerveille encore Joseph Raniolo, son coach de l’époque.  » C’était un centre-avant né. J’ai adapté mon système et je misais tout sur lui. Christian pouvait gagner une rencontre à lui seul. Je me rappelle un match à domicile où il boudait. Il se plaignait de ne recevoir aucun ballon et ne jouait pas. Je l’ai alors fait sortir. C’était la première et la dernière fois. Sur le banc, il ne tenait pas en place. Je l’ai fait re-rentrer et il a marqué plusieurs goals. On avait retrouvé notre Christian habituel.  »

Déjà, Benteke a le goût des ciseaux, des têtes plongeantes et des gestes techniques. Avec son pote Murphy Landu-Tubi, qui l’abreuve de galettes, ils forment un duo de choc. Au point d’attirer l’oeil des scouts d’Anderlecht et du Standard.  » A l’époque, je jouais pour l’Espanola (club de Grivegnée, autre quartier de la Cité Ardente, ndlr) « , se souvient Jawad.  » On s’est retrouvé l’un contre l’autre. Anderlecht était là. Je devais le tenir mais je lui ai laissé trois occasions. Il a mis les trois (il sourit).  » Insuffisant malgré tout pour le recruteur bruxellois qui conseille à Kismet Eris de placer son poulain dans une équipe  » intermédiaire « … à Tongres.

Mais Christophe Dessy, qui représente le Standard, ne passe pas à côté de la pépite. Les premières foulées de Benteke devant un scout principautaire sont pourtant désastreuses.  » Dans l’équipe d’en face, il y avait un petit à lunettes, le genre de mec qui doit ramasser des claques tous les jours à l’école « , rigole Jojo.  » Mais c’était leur meilleur joueur. Il mettait des coups d’épaule à Christian qui ne faisait que tomber. Tout le monde lui gueulait dessus. Il pleuvait et il a fait un match catastrophique. Il était tellement énervé… Finalement, Monsieur Dessy est revenu le voir contre Lambermont et Christian a dû marquer trois ou quatre goals.  » Après des essais infructueux à Genk et à Maastricht, le fils prodigue de Droixhe rejoint dès lors les Carcela, Witsel et Fellaini à l’Académie.

 » Un long tout mince  »

 » Il a toujours été surclassé « , souligne Jojo.  » A 15 ans, il était déjà dans les vestiaires avec Wamberto et ÉricDeflandre. Il jouait tout le temps. Le vendredi avec la réserve et le samedi, en jeunes avec Marouane (Fellaini) et Axel (Witsel) « . Réginal Goreux, ami de longue date, se remémore que  » dès son arrivée au Standard, il basait tout sur sa technique mais il ne marquait pas. Physiquement, ce n’était pas non plus un molosse, plutôt un « long tout mince« , mais il était très lourd dans les duels et tenait déjà bien sur ses jambes « .

 » Il est arrivé chez moi dès sa première saison au sein d’une génération exceptionnelle « , abonde Arnold Risjenburg, son boss chez les U19.  » Il ratait encore trop d’occasions. Mais on voyait que c’était un diamant brut qu’il fallait encore polir. Avec Mehdi (Carcela), ils étaient inséparables. Un peu trop même. J’avais un système d’amendes, entre 5 et 10 euros. Eh bien, eux deux, ils en ont ramassé (il rit). Il y avait aussi leur crew de Droixhe qui les accompagnait à chaque match de jeunes. Quand j’en sortais un des deux, ils étaient 6-7 à me regarder bizarrement (il rit).  » La même bande qui chauffe Christian avant les matches.  » A Malines, on le chambrait : ‘Cousin, tu joues que de la tête !‘. On l’appelait Brandão (il rit). Ça l’énervait. Alors pendant un match, il n’a fait que de dribbler « , s’amuse Bouzi, un autre pote d’enfance.

 » Le plus sous-estimé du pays  »

Au Standard, Christian mène une vie trop vouée au football selon son père, toujours soucieux de la scolarité de son fils.  » C’est pour ça qu’il est parti pour Genk alors que tout le monde prétendait que c’était une histoire de sous. Genk lui permettait de s’entraîner une fois par jour alors que le Standard dispensait deux séances quotidiennes « , précise Jojo.  » A chaque fois que Genk l’alignait, ils avaient une amende. Il a dû attendre le jour de ses 16 ans pour signer son contrat. Le Standard ne comprenait pas qu’il avait des cours, qu’il ne pouvait pas s’entraîner 24 sur 24.  » Mais Benteke n’a même pas le temps de suivre ses cours qu’il est déjà en équipe première et en concurrence avec Jelle Vossen.

Premiers bouts de matches en Jupiler League, premier but, proposition de contrat : tout s’enchaîne. Mais Benteke ne joue pas assez selon lui et son agent. Le contrat de 100.000 euros (incluant 70.000 de primes) ne les satisfait pas non plus. Retour alors à la case départ : Sclessin. Pour 6 mois, où ses trois goals, qui apportent leur petite contribution au titre de 2008-2009, l’envoient en… prêt à Courtrai. Où s’opère la rencontre avec son père spirituel, Georges Leekens.  » Il allait vite mais ne se trouvait pas à la bonne place. Il aimait un peu trop le jeu pour le jeu « , analyse  » Papa Georges « qui l’appelle chez les Diables un an plus tard.

 » J’étais très sévère avec lui, il fallait qu’il comprenne. Je me rappelle lui dire : « Tu as fait tes exercices ? Sinon je te frappe ».Et puis il me regardait tout penaud avec ses lèvres de bébé. C’était un garçon bien trop sage sur le terrain, maintenant c’est une bête.  » Marc Wilmots dresse le même constat :  » Christian m’énervait. Il est fort comme un ours mais il utilisait son corps comme une fillette. Je lui disais : « Si tu ne t’imposes pas, tu ne réussiras jamais mon petit. »  » Risjenburg se souvient lui du potentiel de la bête.  » Lors d’un entraînement, Miguel Dachelet lui avait dit qu’il allait le défoncer. Il n’a jamais réussi. Quand les gens l’observent, ils ne pensent pas qu’il est aussi doué techniquement. Quand il évoluait en Belgique, il était le joueur le plus sous-estimé du pays.  »

 » Christian s’est fait tout seul  »

Que ce soit à Genk ou au Standard, Benteke tient cette image de joueur hors-circuit et mal-aimé. Alors qu’il revient de Courtrai avec 16 banderilles dans sa besace, le Standard le trouve encore trop léger pour assurer le front rouche, délesté des Jovanovic, De Camargo et Mbokani. Leye et Tchité arrivent tandis qu’il est échangé de force avec Aloys Nong pour rejoindre Malines. Benteke qui  » a surtout besoin de se bouger le c… « , dixit Lázsló Bölöni à l’époque, et qui s’était dit touché par ces remarques, est pourtant sur les tablettes de Rennes.  » Je le voulais absolument. On le suivait depuis longtemps « , avoue Pierre Dréossi, alors manager des Rouge et Noir.  » Les avants-centres sont tellement rares… Lui, il avait toutes les qualités d’un avant-centre moderne.  »

A l’hiver 2010, tout était pourtant réglé avec le Stade Rennais. Un contrat de 45.000 euros par mois et une transaction d’environ deux millions pour une place de choix au sein de l’attaque bretonne. Mais le transfert capote suite à une blessure au genou. Revenu de son prêt, Big Ben prend le temps de remettre les pendules du Standard à l’heure européenne avant d’être, une nouvelle fois, poussé vers la sortie. Un retour réussi à Genk et c’est au tour de Krasnodar, Montpellier et Dortmund de se manifester.  » On était prêts à rester un an de plus « , insiste Kismet Eris.  » Mais les clubs anglais sont venus taper à la porte et Christian est venu me trouver pour me dire qu’il pouvait enfin réaliser son rêve.  »

Genk lâche finalement son prodige pour 9 millions à Aston Villa.  » Dans le foot, Christian s’est fait tout seul « , continue Goreux.  » C’est un gars simple qui n’est pas du genre à faire de vagues.  » Parce que Benteke sait d’où il vient.  » Ce petit bout de chemin, je le dois à moi-même. Je n’ai pas été pistonné. Je viens de loin aussi car je n’ai pas eu un parcours classique.  »

Après la déception de la Coupe du Monde, Benteke jouera samedi le match le plus important de sa carrière. Et là encore, il pourra compter sur le soutien de ses  » frères « .  » On y va tous ! « , sourient en coeur Jojo, Jawad et Bouzi.  » C’est lui qui nous a payé le trajet, l’hôtel, tout. Quoi qu’il arrive, on sait qu’il ne va pas nous décevoir.  »

PAR THOMAS BRICMONT ET NICOLAS TAIANA – PHOTOS : BELGAIMAGE

 » Christian m’énervait. Il est fort comme un ours mais il utilisait son corps comme une fillette.  » Marc Wilmots

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