Sur les traces de Cristiano Ronaldo

Il y a trois ans, un frêle footballeur de seize ans a rejoint l’Academy de Manchester United. A l’issue de sa première saison en Premier League, Adnan Januzaj est déjà proclamé  » the next Cristiano Ronaldo « .

Mercredi 15 mai 2013, Player of The Year Awards à Old Trafford. C’est une tradition annuelle mais trois semaines plus tôt, Manchester United a remporté son vingtième titre et surtout, il prend congé de Sir Alex Ferguson. Donc, la cérémonie est encore plus belle. Les joueurs se présentent en smoking, leurs WAGS en robes qui ne laissent aucune place à l’imagination. Les photographes se régalent : Wayne Rooney avec sa femme enceinte, Coleen, Robin van Persie et Bouchra, Michael Carrick et Lisa, qui fait penser à une déesse grecque dans sa robe blanche : bienvenue chez les étoiles de la Premier League.

Carrick est élu Joueur de l’Année, les supporters choisissent Van Persie pour le plus beau but de la saison, contre Aston Villa. Ben Pearson est élu Jeune de l’Année et le dernier prix, Reserve Team Player of the Year revient à Adnan Januzaj, qui marche sur les traces de Nicky Butt, Darren Fletcher, John O’Shea et Richie De Laet (2010). Le Belge de 18 ans se dirige vers le podium, élégant dans le costume du club, avec cravate rouge.

Petit entretien, bourré de clichés style  » Ce trophée me procure un bon sentiment. Mon intégration n’a pas été facile mais j’ai retrouvé mon plaisir de jouer et j’ai progressé, parce que les entraîneurs n’ont jamais cessé de me soutenir. Je suis fier de ce que j’ai atteint.  »

Au premier rang, Sir Alex sourit. Cinq jours plus tôt, en cadeau d’adieu, il a offert le maillot 44 à Adnan, aux Hawthorns de West Bromwich Albion. Il explique pourquoi à Inside United :  » Il doit gagner en puissance mais il possède une bonne technique et une excellente accélération. Les jeunes joueurs, comme Adnan, par exemple, doivent former la base de ce club durant les cinq ou six années à venir. Ce jeune Belge est très bon. Peut-être convaincra-t-il David Moyes la saison prochaine.  »

Au nom du père

Début mars 2011. Les U17 d’Anderlecht affrontent à Neerpede leurs homologues de Charleroi. Le match a commencé depuis deux minutes quand un frêle garçon offre l’avantage à l’équipe locale. Il vient d’avoir seize ans, il a un an de moins que les autres talents mauves mais il est élu homme du match. Sur la ligne de touche, quelques parents entourés de scouts hochent la tête. Tout le monde sait que ce gamin, Adnan Januzaj, est en partance pour Manchester United. Pourquoi donc l’aligner encore ? Pourquoi ne pas accorder leur chance à ceux qui restent au Sporting ? Un homme revêtu d’un maillot mauve évite de se mêler à la conversation. C’est Abedin, le père du BelgianBeckham, comme Alan Nixon, un journaliste du Daily Mirror, l’a appelé il y a un mois.  » Enfin un transfert qui fait bouger les choses. Ça n’a pas été confirmé officiellement, puisqu’il s’agit d’un jeune mais un salaire annuel de 125.000 euros pour un gamin de seize ans, c’est exceptionnel. Il devient un des enfants les mieux payés d’Old Trafford. La famille a visité plusieurs clubs mais le père a jugé qu’United constituait la meilleure option.  »

Le père… Anderlecht connaît bien Abedin. Yannick Ferrera, le coach d’Adnan en U15, déclare au journal The Observer qu’il est déterminant.  » Nous avons immédiatement remarqué le talent d’Adnan mais c’est la combinaison de ce don et de la résolution de son père qui a permis au jeune de se distinguer. C’est un homme courtois. Exigeant, mais c’est nécessaire avec les jeunes joueurs. Il était au bord du terrain à chaque entraînement, à chaque match. Même quand Adnan avait bien joué, il lui expliquait en quoi il devait encore s’améliorer. Ce n’est pas un père typique qui trouve toujours que son fils est le meilleur. Il trouve qu’on peut toujours progresser. C’est ainsi qu’Adnan est devenu fort mentalement.  »

Trois temps d’avance

Peut-être mus par la jalousie, les autres parents, à Neerpede, se demandent ce que ce gamin aux jambes maigrichonnes va faire à Manchester. L’argent… Non, selon le père : Adnan possède la technique requise pour réussir mais ça ne suffit pas. A l’Academy, où règne une concurrence mortelle, il va se fortifier.

Ses débuts ne sont pas une réussite. Il se blesse rapidement durant sa première saison en U18, un problème auquel sont souvent confrontés les jeunes footballeurs, explique son coach, Paul McGuiness, à BBC Sport.  » Surtout les étrangers mais il ne faut pas se fixer sur les carences. Moi, j’ai surtout vu un jeune qui, quand il sera guéri et intégré, joue avec contrôle. Ses mouvements me rappellent Bobby Charlton. Il peut réussir « , analyse le premier entraîneur de Januzaj, fils de Wilf McGuinness, qui a succédé au légendaire Matt Busby à United en 1969. L’entraîneur veille à ce que les joueurs ne planent pas, écrit TheRepublik of Mancunia, un des blogs les plus populaires du club.  » Ces jeunes sont des élus mais ils sont obligés de jouer avec des chaussures noires car plus il y a de couleurs, plus ils se prennent pour Cristiano Ronaldo.  »

Il effectue ses débuts en équipe fanion durant un match amical contre Aberdeen en août 2012 mais c’est prématuré, selon Ferguson. Il manque de vitesse mais il compense ce manquement par sa vista et son pied gauche.  » Il pense trois fois plus vite que les autres et il adore le football « , explique Warren Joyce, coach de l’Antwerp de 2006 à 2008 et entraîneur de Januzaj à Manchester en U21.

Selon Joyce, c’est son amour du jeu qui l’a aidé à surmonter sa première saison. Le joueur le confirme en avril 2013, lors de sa première interview pour United Inside.  » Une pensée m’animait : demain, je pourrai peut-être encore jouer. La période a été frustrante car avant, je n’avais jamais été blessé. J’ai beaucoup travaillé à la salle de musculation pour me renforcer.  »

La tête et les jambes

20 mai 2013. Cinq jours après son élection au titre de Reserve Team Player of the Year, Warren Joyce l’aligne en attaque, durant la finale de la Barclays Under-21 Premier League contre Tottenham Hotspur. C’est un rôle inhabituel, relève le site web, mais :  » Même à ce poste, le jeune Belge a fait impression.  » Tottenham mène 0-2 et semble promis au titre mais durant une fabuleuse deuxième mi-temps, les Reds marquent trois buts – dont un de Marnick Vermijl – et conservent la coupe. C’est un grand jour pour Januzaj, Vermijl, CharniEkangamene et Andreas Pereira, les quatre Belges du onze de base.

 » Les supporters qui avaient suivi l’équipe toute la saison ne comprenaient pas pourquoi Joyce avait aligné Januzaj seul en pointe mais après quelques matches, ils ont réalisé que celui-ci était capable de tenir à distance des défenseurs grands et puissants, même dos au but. Il se sentait vraiment bien à ce poste. Mieux même, Joyce a déclaré que le neuf était sans doute sa meilleure position « , commente la Republik of Mancunia.

Joyce, un ancien défenseur impitoyable de Bolton, fait figure d’exception à Carrington, le complexe d’entraînement du club. Il est toujours en short, même quand il gèle. Il passe son temps à crier mais l’homme, âgé de 49 ans, connaît parfaitement les exigences de l’élite.  » Il faut se mouvoir plus vite, renvoyer le ballon plus précisément, dominer.  » Il est un guide de rêve vers l’équipe-fanion, comme le souligne ManUtd.com, le site officiel du club, auquel il parle du jeune Belge en 2013.  » Adnan n’a pas achevé sa progression. Il possède le cerveau du foot et une bonne touche de balle. Nous devons l’affûter physiquement mais il commence à comprendre ce que représente le style de jeu de Manchester United. Une bonne technique et la volonté de réussir, ce sont déjà de fameux atouts.  »

Une pluie d’éloges

David Moyes entend parler du garçon et l’emmène en tournée en Asie. Januzaj, qui n’a encore que 18 ans, fait forte impression pendant la préparation. Il marque contre Kitchee SC, le champion de Hong-Kong, il délivre un assist durant le testimonial de Rio Ferdinand, et après une brève entrée au jeu à la place de Robin van Persie, il gagne à Wembley le FA Community Shield, la Supercoupe d’Angleterre.

Adam Crafton, journaliste du Daily Mail, parle déjà du prochain Cristiano Ronaldo.  » Un médian moderne, qui peut jouer dans l’axe comme sur les flancs et qui plonge dans les brèches, comme Shinji Kagawa. Il possède une excellente lecture du jeu, même quand il est sous pression, et il est bon sur les phases arrêtées.  » Arthur Albiston, qui a disputé près de 500 matches en équipe première de 1974 à 1988 et est devenu commentateur de MUTV, qualifie le petit Belge d’eyecatcher.  » Je le suis depuis ses débuts. Il est impressionnant. Il se meut si aisément. Il donne à l’adversaire le sentiment qu’il peut lui chiper le ballon, mais en fait, ça arrive rarement. Il contrôle tout, comme s’il jouait en slow motion.  »

14 septembre 2013, Adnan Januzaj débute en cours de deuxième mi-temps contre Crystal Palace. Il est bon, sans plus. Mais un mois plus tard, au Stadium of Light de Sunderland, il fête sa première titularisation et il convainc les derniers sceptiques. Victoire 1-2, deux buts de Januzaj. Le 5 octobre 2013 entre dans l’histoire comme le jour de l’éclosion définitive d’Adnan Januzaj mais les commentateurs TV et radio ont du mal à prononcer son nom. Geoff Shreeves, Sky Sports, parle tout le match de Yan-You-Sigh, d’autres inventent une variante : Janussaj, Janussigh, Yanoossajh…  » Pourvu que Manchester United prolonge rapidement son contrat, qui arrive à terme en fin de saison « , écrit Phil McNulty, chief football writer de BBC Sport.  » Un brillant footballeur.  » Est-il le premier à inscrire deux buts lors de ses débuts pour United ? Non, un certain Ruud van Nistelrooy y est parvenu.

Leçons de vie

La famille Januzaj se sent bien à Manchester. Deux semaines après son début de rêve, le fiston signe un nouveau contrat de cinq ans.  » Le début a été difficile mais j’ai toujours eu le sentiment d’être dans le bon club. Tout va si vite… La préparation en Asie, la Supercoupe à Wembley, deux buts à Sunderland. C’est presque un rêve.  » David Moyes remarque :  » Son équilibre et la façon dont il se défait de ses adversaires est exceptionnelle pour un joueur de son âge. Il me surprend tous les jours. Le fait qu’il comprenne que ce club possède une longue tradition dans la formation des jeunes footballeurs et qu’il constitue la meilleure option pour lui en dit long sur sa maturité.  »

Il n’a que dix matches dans les jambes quand il est nominé pour la BBC Young Sports Personality of the Year. C’est trop tôt, selon beaucoup d’observateurs. Les tabloïds se jettent sur le nouveau phénomène de Manchester United.  » Il tombe encore plus facilement que Luis Suarez. (…) Il plonge, il trompe.  » Moyes vole à la rescousse.  » C’est arrivé quelques fois et nous avons expliqué à Adnan qu’il valait mieux l’éviter mais j’ai également vu des matches durant lesquels on le bousculait d’un côté à l’autre du terrain sans que les arbitres bronchent. Faut-il un accident avant qu’ils réagissent ?  »

La route vers le nirvana est constellée d’obstacles. À la mi-janvier, The Sun publie l’histoire de Melissa McKenzie, une étudiante de 25 ans, qui a fait la connaissance du jeune footballeur sur un réseau social. En résumé et en traduction libre : Adnan Januzai, le wonderboy de Manchester United qui gagne 37.000 euros par semaine, a invité une étudiante à Nando, un restaurant économique, et a dépensé 22 euros pour un plat de poulet. Son  » amie  » a dû payer elle-même le parking – six euros.  » Je me réjouissais de ce rendez-vous « , explique McKenzie.  » Je m’étais bien habillée, maquillée mais lui, il s’est présenté en survêtement et en chaussures de sport.  » Ce sont des leçons de vie importantes pour Januzaj, durant sa première saison en Premier League. Le club et sa famille le protègent encore un peu plus du monde extérieur.

Le nouveau Ronaldo

Le fameux FourFourTwo analyse les statistiques du joueur et Michael Cox procède à l’évaluation du garçon.  » Il est étonnant qu’il joue un rôle aussi essentiel pour son équipe alors qu’avant cette saison, il n’avait pas encore joué une minute et n’avait été repris dans aucune présélection. Plus que ses dribbles, ses tirs et ses passes, c’est son jeu de position qui m’impressionne. Avant même d’avoir le ballon, il cherche déjà des brèches et ses trajectoires de course sont excellentes. Il sait quand reculer ou jouer en profondeur, ce qui requiert généralement plusieurs années d’expérience.  »

Même Eric Harrison est impressionné. L’entraîneur de 76 ans est toujours porté aux nues. Il est le cerveau de la Class of 92, l’année durant laquelle David Beckham, Nicky Butt, Ryan Giggs, Gary et Phil Neville, et Paul Scholes ont joué en équipe-fanion, pour la première fois.  » Il m’a sauté aux yeux. Il est très fort homme contre homme « , déclare Harrison à Mike Keegan, l’observateur d’United pour le Manchester Evening News.  » Il me fait penser à Cristiano Ronaldo, qui avait également 18 ans lors de ses débuts en 2003.  »

PAR CHRIS TETAERT – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Il contrôle tout, comme s’il jouait en slow motion.  » Arthur Albiston

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