« Sur le terrain, il est imperturbable »

Depuis qu’il a laissé apercevoir un échantillon de son talent face à la Serbie, Kevin De Bruyne fait partie des grands. Au Werder Brême, il a passé la surmultipliée entre-temps et son employeur, Chelsea, l’attend avec impatience à présent. Le joueur, lui, poursuit tranquillement son petit bonhomme de chemin.  » Son rêve se concrétise.  »

La famille De Bruyne vit dans un quartier résidentiel tranquille de la banlieue de Gand, avec de nombreuses voies sans issues et une parcelle de pelouse devant chaque maison. Herwig, le papa de Kevin, et Anne Callant, sa maman, nous reçoivent chaleureusement. Stéphanie, la soeur, est présente également.

Chaises de jardin cassées

Herwig :  » Kevin n’avait que deux ans lorsque nous sommes venus habiter dans ce lotissement de Drongen, qui venait d’être construit. Plusieurs jeunes familles s’y sont établies en même temps que nous. Ici, les enfants pouvaient jouer à leur aise et nous ne devions jamais nous demander où était Kevin : il jouait toujours au foot dans l’un ou l’autre jardin. Au début, ils étaient deux mais, très vite, d’autres sont venus les rejoindre, comme s’ils se reproduisaient. En une demi-heure, notre jardin était rempli.  »

Anne :  » Lorsqu’il s’agissait de lui acheter un jouet, c’était facile : il fallait que ce soit rond et qu’on puisse shooter dedans. Le reste ne l’intéressait pas. Il a passé des centaines d’heures dans le jardin. Lorsqu’il était fâché, il se réfugiait dans l’abri de jardin et il boudait pendant des heures. Quand il revenait, il avait souvent oublié les raisons qui avaient provoqué sa colère. Chez nous, il n’y a jamais eu de PlayStation parce que nous nous rendions compte combien les autres enfants du quartier étaient absorbés par cela. Kevin devait jouer dehors, il n’était pas du genre à rester en place.  »

Herwig :  » Les gens nous demandent parfois comment il se fait que Kevin joue des deux pieds. Je réponds toujours qu’il utilisait le droit à la maison et le gauche chez les voisins. Parce que, chez nous, il n’y avait que de l’herbe tandis qu’ à côté, il y avait des plantations et le papa était plus strict. Il obligeait donc les jeunes à utiliser leur mauvais pied afin de ne pas tout casser. Aujourd’hui, Kevin en profite. Il est également ambidextre : il écrit de la main gauche, joue du pied droit et utilise n’importe quelle main dans les autres sports.  »

Anne :  » Ces matches dans le jardin ont duré jusqu’à ce qu’il s’affilie à La Gantoise. Là, on lui a appris des exercices plus difficiles, qu’il peaufinait dans le jardin. Cela rendait les autres gamins de notre quartier malheureux, car eux voulaient juste jouer des matches. Kevin, lui, avait une idée derrière la tête : il voulait apprendre, progresser à tous les niveaux. Et toujours gagner, bien entendu. Même au Monopoly. Pour lui, c’était une question de vie ou de mort.  »

Herwig :  » Kevin ne pensait qu’au football. Il n’allait pas aux anniversaires et ne sortait pas parce qu’il fallait s’entraîner. Pour faire sa communion solennelle, il devait aller au catéchisme. Il aurait fallu voir sa tête lorsque la responsable lui a dit qu’il ne louperait que 24 entraînements dans son club d’origine, Drongen. Il jouait tous les tournois possibles et imaginables, que ce soit au foot ou au mini-foot. Parfois, il s’alignait avec deux équipes différentes. Impossible de le freiner. A la longue, nous étions heureux qu’il soit repris en équipe nationale de jeunes car nous n’avions plus de place pour ranger les coupes et les médailles.  »

Hamburger-frites

Herwig :  » A un certain moment, les dirigeants de Drongen lui ont demandé s’il ne voulait pas rester un an de plus. Il a répondu sèchement qu’il voulait aller à Gand parce que les entraînements y étaient meilleurs. Nous n’étions pas au courant non plus. Il a toujours fait ses choix lui-même. Nous donnions notre avis mais c’est lui qui prenait la décision. Autre exemple : à Gand, on lui a demandé s’il voulait amener un copain, comme cela se fait souvent pour attirer les jeunes. Il a refusé car il savait que ce garçon ne serait pas repris sur ses qualités et qu’on s’en séparerait tôt ou tard. Et lui ne voulait pas perdre un ami.  »

Anne :  » Nous ne lui avons jamais mis la pression, il n’a jamais passé de tests. Aujourd’hui, il mesure 1,80 m mais chez les jeunes, il était toujours parmi les plus petits. Beaucoup de gens mesurent leur enfant pour savoir quelle sera sa taille à l’âge adulte. Nous, nous avons laissé faire la nature.  »

Herwig :  » Il pouvait manger ce qu’il voulait, pas seulement du riz et du poulet. S’il avait envie d’un hamburger-frites, il pouvait le manger. De toute façon, il ne tenait pas en place et brûlait immédiatement les calories qu’il ingurgitait. Quand on voit qu’à Brême il court 12 à 13 kilomètres par match… Personne dans son équipe n’en fait autant.  »

Anne :  » Dans les séries nationales d’âge, le comportement de certains parents est effrayant. Nous nous écartions souvent d’eux pour ne pas les entendre. Ils criaient tellement, mettaient une telle pression sur leur enfant. Certains leur promettaient même des primes s’ils marquaient ou taclaient… Où allons-nous ? Beaucoup de jeunes joueurs talentueux ont perdu leur amour pour le football à cet âge.  »

Herwig :  » Etrangement, à la maison, ces gens éduquaient leurs enfants de manière très stricte mais une fois au bord du terrain, ils se permettaient tout. On remarque aussi cela à la violence envers les arbitres. Quand un enfant de 12 ans se conduit mal, c’est qu’il a suivi ce mauvais exemple de ses parents. Je trouve qu’on devrait interdire au public d’assister aux matches de jeunes tant que la situation n’est pas redevenue normale.  »

Anne :  » Les enfants sont aussi parfois cruels entre eux. A l’école, en cinquième, Kevin a eu des problèmes alors qu’il était déjà à Gand et qu’on commençait à parler de lui. Même certains amis s’y sont mis. Heureusement, les professeurs l’ont vu et sont intervenus rapidement. Nous avons eu la chair de poule lorsque nous avons entendu ce qui était arrivé à ce jeune joueur du Club Bruges qui a été pris à partie par les autres. Il craignait peut-être de ne pas pouvoir rester à Bruges s’il en parlait à ses parents. Kevin n’est pas un grand bavard non plus mais heureusement, quand quelque chose ne va pas, cela se lit sur son visage.  »

Allergique à l’injustice

Anne :  » Quand il est parti à Genk, il a dû aller à l’internat. Ce fut un grand changement, pour lui comme pour nous. Quand nous l’y avons conduit pour la première fois, nous nous sommes mis à pleurer tous les quatre. C’était déchirant. Mais il ne s’est jamais plaint, même pas au début, lorsqu’il était fort seul. Tout était nouveau pour lui : l’école, les gens et même…. la langue car il ne comprenait rien au dialecte limbourgeois. Il était le seul sportif de haut niveau à l’internat et le soir, quand il rentrait, tout le monde était déjà couché. Il mangeait, étudiait et éteignait la lumière. Sa chambre était minuscule… je n’y aurais même pas mis mon chat. Mais il a continué et je l’admire.  »

Herwig :  » Il avait voulu quitter La Gantoise parce que ça n’allait plus. Beaucoup de gens pensaient qu’il opterait pour Anderlecht, qui était souvent venu aux nouvelles. Mais il préférait Genk, que ce soit pour la formation, les installations, le style de jeu…  »

Anne :  » C’est un garçon sensible. A Anderlecht, il aurait sans doute sombré car là, c’est chacun pour soi. A l’époque, il ne l’aurait pas supporté même si, sur le terrain, il ne respectait pas la hiérarchie ou l’âge des autres joueurs. Et comme ce n’est pas un grand diplomate, les gens étaient parfois choqués.  »

Herwig :  » Il ne supporte pas l’injustice, même pour des broutilles. Pour lui, nous sommes tous égaux. A l’entraînement, quand on demandait de ramasser les cônes, il estimait que tout le monde devait le faire. Et s’il voyait que Barda ne le faisait pas, il allait le trouver, même si le gars avait dix ans de plus et gagnait dix fois mieux sa vie que lui. Il ne supporte pas non plus qu’un joueur ne donne pas le meilleur de lui-même à l’entraînement. En avril de l’année dernière, à la mi-temps de Genk – Lokeren, il a hurlé sur ses équipiers devant les caméras de la télévision. On pourrait dire que ce n’est pas à un gamin de 20 ans de faire cela mais il faut savoir qu’après le 7-0 à Valence, des gars rigolaient dans le vestiaire. Kevin est un gagneur et cela le rend fou de rage. Il savait donc très bien ce qu’il faisait et les dirigeants de Genk lui ont donné raison.  »

Anne :  » C’est un passionné et, quand ça ne marche pas, il est frustré mais je n’ai jamais compris pourquoi on dit qu’il est difficile à vivre. Pas besoin de mode d’emploi pour le comprendre : s’il est fâché, il faut le laisser se calmer car il risque d’exploser. Mais la plupart des choses s’arrangent souvent avec le temps.  »

Herwig :  » C’est aussi parce qu’il est comme cela qu’il ne se cache jamais. Certains équipiers font une mauvaise passe puis on ne les voit plus. Lui, il continue à tenter des choses.  »

Anne :  » Parfois, nous nous demandons si c’est une bombe que nous avons mise au monde. Il a hérité du meilleur côté de nos personnalités respectives : mon impulsivité et le calme de son père. Nous veillons juste à ce qu’il ne tombe pas dans le je-m’en-foutisme.  »

Herwig :  » En tout cas, il n’a jamais eu le trac. Nulle part ! Pour lui, jouer à Anderlecht, à Dortmund ou avec les Diables Rouges, c’est pareil. Il ne voit pas les gens. Alors, même s’il y a 80.000 personnes, c’est comme s’il jouait dans le jardin. Pour lui, le football est resté un jeu et cela signifie qu’il sait parfois en rire. En Allemagne, tout est plus strict mais en équipe nationale, avec Mertens et Lukaku, il lui arrive de se marrer.  »

Des études réussies à l’arraché

Stéphanie :  » A neuf ans, Kevin avait déjà tracé son plan de carrière : deux ans d’études de latin, l’école pour sportifs de haut niveau et le professionnalisme. En principe, à l’adolescence, on se pose des tas de questions mais Kevin a toujours su ce qu’il voulait. Et il a atteint tous ses objectifs.  »

Herwig :  » Il n’avait pas de plan B. C’est pourquoi nous avons tellement insisté pour qu’il aille à l’école. Heureusement, il était suffisamment intelligent et en faisait juste assez pour réussir. Chaque année, il passait à l’arraché mais sans examen de repêchage et il a décroché son diplôme de secondaire.

Anne : Il était très assidu. Jusqu’à l’âge de 18 ans, il n’est jamais sorti. On peut dire qu’il n’a pas eu de vie mais c’était son choix. Sa vie, c’était le football. Et il s’est un peu rattrapé par la suite.  »

Stéphanie :  » Maintenant, il ne peut pas se permettre de faire grand-chose sans être remarqué. L’autre jour, nous sommes allés jouer au bowling et nous avons choisi la piste la plus excentrée mais il n’a pas fallu longtemps pour qu’on s’aperçoive de sa présence. Lorsque nous avons voulu sortir, des gamins faisaient la file pour avoir un autographe.  »

Anne :  » Moi, ce qui me fait peur, ce sont ces smartphones avec caméras. Des gamins comme Kevin doivent mesurer tous leurs faits et gestes, ça doit être difficile à vivre. Il y a d’ailleurs une grosse différence entre le vrai Kevin et celui qu’on voit à la télévision. Devant les caméras, il a toujours l’air sûr de lui, comme si tout était facile. Parce qu’on parle de football, de ce métier auquel il a sacrifié une grande partie de sa vie. Mais si on lui parle d’autre chose, c’est sans filet. Alors, il fait un blocage, il ne dit plus rien.  »

Herwig :  » Tout est allé si vite que même nous, ses parents, avons des difficultés à suivre. Parfois, nous aimerions l’avoir rien que pour nous, comme avant. Car aujourd’hui, il est toujours entouré de gens. Et il est donc difficile de le serrer dans nos bras.  »

Anne :  » Vieillir, c’est éduquer ses enfants mais aussi pouvoir couper le cordon même si, dans le cas de Kevin, c’est arrivé un peu plus tôt que nous l’aurions souhaité. Mais nous avons deux superbes enfants qui aiment ce qu’ils font. L’une étudie, l’autre est joueur de football. Que demander de plus ? « 

PAR JENS D’HONDT

 » Même s’il y a 80.000 personnes, c’est comme s’il jouait dans le jardin.  » Herwig, son père

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