Sur le bout des doigts

Bruno Govers

Un coup d’oeil sur les notes de l’assistant d’Anthuenis lors du sommet entre Anderlecht-La Gantoise: « Elles contiennent la réalité du terrain ».

A chaque match d’Anderlecht, c’est la même rengaine: tandis que l’entraîneur principal, Aimé Anthuenis, se partage entre le petit banc et des instructions le long de la ligne de touche, son adjoint, Franky Vercauteren, prend inlassablement des notes dans un carnet. Un manège qu’il n’interrompt qu’en cas de goal des siens ou encore quand un changement s’opère. On le voit alors se lever et, carnet en main, fournir des indications à celui qui est appelé à monter au jeu, comme Gabriel Ngalula Mbuyi « Junior » contre La Gantoise, mercredi dernier…

Mais, au fond, que mentionne son outil de travail?

Franky Vercauteren : Pour le comprendre, il faut savoir que chaque adversaire fait l’objet d’un scouting à la faveur des deux matches qui précèdent notre confrontation. La Gantoise avait été visionnée à l’Antwerp, le 22 septembre et, dans ses installations, contre La Louvière, une semaine plus tard. Cette mission est attribuée à deux personnes: Daniel Renders et Gerry De Buyser, dont le programme est fixé un mois à l’avance. Tous deux établissent un rapport articulé autour des points suivants: équipe alignée, système de jeu en possession ou non du ballon, lignes de course, phases arrêtées et throw-in, changements et permutations. A partir de là, Aimé Anthuenis et moi couchons sur papier, séparément, le jour-même du match, le onze de base de l’opposant. Dans la mesure où nous-mêmes avons déjà établi, à ce moment, notre propre équipe, la deuxième étape consiste à définir les missions des chacun de nos joueurs. Tous savent à quoi s’en tenir. Notamment sur les phases arrêtées (où nous définissons à la fois clairement l’identité et le nombre des joueurs qui doivent faire écran) ou ceux chargés de la garde d’un joueur adverse. Ces lignes sont définies, en général, quatre heures avant le coup d’envoi. Dès l’instant où la feuille de match est remplie, nous confrontons la composition de la formation adverse à nos prévisions et apportons nos derniers correctifs.

Sur base de ces dernières indications, je consigne alors tout dans mon carnet. Je sais qui est censé faire quoi et dès qu’un changement est effectué je suis en mesure de dire quelles dispositions s’imposent.

Dans le cas du match contre les Buffalos, par exemple, Bertrand Crasson était commis au marquage de Djima Oyawole sur les phases arrêtées. Si pour l’une ou pour l’autre raison, Bertrand avait dû être remplacé, son substitut aurait automatiquement repris cette tâche, comme indiqué dans mes notes.

Pour ce qui est de ce match contre La Gantoise, y eut-il un élément de surprise, pour vous, au départ?

Nous avions donné aux joueurs deux théories différentes en fonction ou non de la présence de Darko Anic. Mais nous n’avions pas prévu l’absence de Nasredine Kraouche. Il est toujours très inspiré contre nous. Au cours des dernières confrontations, il s’était d’ailleurs toujours signalé en marquant l’un ou l’autre but. Dès lors, nous nous attendions à sa présence à la place de celle de Sasö Gajser. In extremis, il nous a donc fallu revoir nos batteries, vu que le Slovène est un joueur de flanc typique, tandis que le Français est plutôt un élément axial. Cette donne a eu une certaine répercussion en ce sens que nous avions prévu de confier à Alin Stoica un véritable rôle de soutien en lieu et place de le décaler sur la droite, comme à l’occasion de notre déplacement à Gentbrugge la saison passée.

Ce changement était dicté par la présence, dans nos rangs, d’Ivica Mornar, qui a tendance à privilégier les actions sur cette portion du terrain. Notre Roumain devait plutôt enrayer les montées de la paire centrale formée de Geri Cipi et Nenad Vanic. Une tâche dont il s’est bien acquitté. La double occupation des flancs, chez les Bleu et Blanc, a toutefois contraint Walter Baseggio, en première mi-temps surtout, à coulisser plus souvent qu’à son tour sur l’aile gauche pour contrer les incursions de Jacky Peeters. Cette position excentrée n’est, bien sûr, pas la meilleure, pour lui. Après le repos, nous y avons remédié puisque l’exclusion de Glen De Boeck nous a amenés à faire reculer Besnik Hasi au back droit. De cette manière, Walt a à nouveau occupé un rôle au centre de la ligne médiane, à côté d’Yves Vanderhaeghe. Ce qui lui convient mieux.

Corners rentrant

Pourquoi les corners à droite du but sont-ils réservés à Walter Baseggio, alors que les coups francs, dans la même zone, sont l’apanage de Besnik Hasi?

Sur coup de coin, notre préférence va toujours aux ballons rentrants. A droite, Gilles De Bilde était notre tireur attitré. Depuis son indisponibilité, c’est Walter Baseggio qui a pris la relève. Certains diront que nous nous passons dans ce cas d’un élément réputé pour son formidable jeu de tête. C’est vrai. Mais Walter n’est pas le seul à briller en la matière. Crasson, De Boeck, Ilic et Mornar ne sont pas maladroits non plus. Aussi, à choisir entre ses centres au cordeau ou sa faculté de s’imposer dans les airs, qu’il partage avec d’autres joueurs, nous préférons pencher pour la première solution.

Pour les coups francs, c’est différent: les ballons fuyants de ce véritable orfèvre qu’est Besnik Hasi, font davantage l’affaire. C’est sur des envois de ce type que nous avons inscrit plusieurs buts européens cette saison. Chez nous, face au Sheriff Tiraspol, par l’entremise de Crasson et De Boeck notamment.

Un détail ne manque pas d’interpeller à ce propos: autant le jeu de tête offensif des arrières anderlechtois est percutant, autant ces mêmes joueurs se font parfois surprendre en défense.

Le heading, c’est probablement ce qu’il y a de plus difficile à maîtriser. Non seulement pour un joueur mais aussi pour un coach. Comment expliquer, par exemple, que Jan Koller était impérial de la tête, dans notre surface de réparation, mais éprouvait, par contre, beaucoup plus de difficultés à tromper le gardien adverse sur ce même genre de phase? Peu de joueurs ont un bon jeu de tête, aussi bien offensif que défensif. La plupart du temps, les spécialistes n’excellent que dans un seul de ces domaines. Et au Sporting, c’est vrai que la plupart des éléments de l’arrière-garde sont plus souverains dans les seize mètres adverses que dans notre propre rectangle.

Malheureusement, il est malaisé de remédier à cette tare. Au départ, tous, sans aucune exception, respectent scrupuleusement les instructions en matière de marquage. Mais il suffit que le ballon soit dégagé dans les pieds d’un adversaire pour que, sur le centre qui suit, chacun se trouve subitement loin de son homme, oubliant la tâche qui lui était dévolue. C’est de cette façon, par exemple, que David Van Hoyweghen avait inscrit le but égalisateur de la tête des Alostois contre nous. Dans nos rangs, la plupart ont davantage les yeux rivés sur le ballon que sur l’adversaire. Seul Olivier Doll constitue une exception à la règle. Quand il est chargé de mettre quelqu’un sous l’éteignoir, on peut être sûr que cet adversaire ne touchera pas le ballon. Défensivement, il n’y a jamais grand-chose à redire chez lui. Mais contrairement à Crasson ou De Boeck, on ne le verra pas souvent, non plus, inscrire un but de la tête. Comme quoi la combinaison des deux n’est pas évidente.

Greffier, prenez note!

En cours de match, vous prenez régulièrement des notes. Qu’avez-vous écrit contre Gand, par exemple?

Pour l’adversaire, j’indique tout ce qui était inattendu: la position des joueurs sur le terrain, avec Eric Joly et Mathieu Verschuere évoluant côte à côte, au milieu du jeu, alors que l’on pouvait logiquement s’attendre à ce que l’un de ces deux garçons se charge un peu plus du marquage d’Alin Stoica, notamment. De même, je note certaines impressions pour nous. Par rapport à la rencontre à Alost, par exemple, où Ivica Mornar et Aruna Dindane avaient évolué tous deux en pointe aussi, j’ai remarqué que non seulement le Croate avait tendance à se mouvoir à droite, mais que notre Ivoirien, aussi, affichait une propension à se déplacer vers l’autre flanc alors qu’à l’Eendracht, il avait conservé une position beaucoup plus axiale. Ce qui lui avait permis, entre autres, de faire mouche à deux reprises. Dans le cas qui nous préoccupe, il est arrivé souvent, en première mi-temps, que nos deux attaquants soient beaucoup trop éloignés l’un de l’autre. Sur l’ensemble de cette période, je n’ai d’ailleurs pas noté une seule combinaison entre eux, c’est tout dire. Il fallait donc remédier à ce manquement et profiter davantage, également, de la liberté de manoeuvre d’Alin Stoica. Et force est de reconnaître que nous y sommes parvenus en deuxième mi-temps.

Durant cette période, on aura assisté à pas mal de premières: le recul de Besnik Hasi au back droit, la montée au jeu de Gabriel Ngalula Mbuyi « Junior », qui n’avait jamais disputé la moindre minute en championnat et les penalties de Walter Baseggio qui est pourtant allergique à ce genre d’exercice.

Si Glen De Boeck n’avait pas été renvoyé aux vestiaires, il n’y aurait pas eu de modification derrière. Son exclusion a eu pour effet de voir Besnik Hasi reculer d’un cran. Cette idée a germé dans la tête d’Aimé Anthuenis dès le moment où Emmanuel Pirard s’est blessé. En principe, nous avons deux possibilités pour chaque place au sein de l’effectif. En ce qui concerne le poste d’arrière latéral droit, il s’agit bien évidemment de Bertrand Crasson et de Manu. Comme celui-ci manque à l’appel actuellement, la solution de rechange provisoire, c’est le Kosovar, qui avait déjà occupé ce rôle au Racing Genk et qui s’est bien débrouillé à cet endroit.

L’entrée de Junior se concevait fort bien, elle aussi. A dix petites minutes du terme, alors que le score était de 1 but à 0 en notre faveur, l’idée consistait à préserver cet acquit. C’est pourquoi, en remplacement d’Alin Stoica, nous avons opté pour un joueur à inclination plus défensive: Junior, qui occupe le poste de demi défensif depuis le début de cette saison, alors qu’il était arrière central de formation, convenait idéalement à ce scénario. Bien sûr, il eût été possible de faire appel à un footballeur plus chevronné, tel Joris Van Hout. Mais, dans ce cas, il aurait fallu replacer Crasson au back droit et faire revenir Hasi dans l’entrejeu. Pour avoir beaucoup permuté depuis l’été, avec des fortunes diverses, nous sommes d’avis, Aimé Anthuenis et moi, qu’il convient de ne plus bouleverser l’équipe en cas de changement. Et c’est pourquoi l’appel au seul véritable médian récupérateur inscrit sur la feuille de match s’imposait ici. Junior a prouvé qu’il était prêt.

Baseggio figurait en deuxième position, derrière Crasson et devant Vanderhaeghe sur la liste des tireurs de penalty. L’identité du botteur est laissée à l’appréciation des principaux concernés. C’est toujours celui qui se sent le mieux qui se met derrière le ballon.

Trois ans en archives

Pourquoi permet-on à Junior de monter dans des conditions difficiles alors qu’on maintient sur le banc un artiste de la trempe de Yasin Karaca lorsque le score est de 3-0 contre l’Antwerp ou 1-5 à Alost?

Bonne question (il rit). C’est un aspect où ma vision des choses diffère de celle de l’entraîneur. Personnellement, il faut permettre aux jeunes de goûter au football de haut niveau dans des conditions favorables. Aimé Anthuenis, quant à lui, estime que leur tour viendra de toute façon et qu’ils doivent s’armer de patience. Il préfère contenter ceux qui sont plus proches du niveau des titulaires, comme Ki-Hyeon Seol et Ode Thompson contre La Gantoise. Cette conception se défend aussi, bien sûr, et je la respecte. Pour le reste, nous sommes souvent très proches, Aimé et moi. Quand il s’agit de décliner l’équipe du Sporting et celle de l’adversaire, les jours de match, nos points de vue concordent toujours à 95% De même, quand il faut remanier l’équipe, chacun de nous met sur papier les correctifs à apporter. Ici aussi, les solutions préconisées sont très souvent les mêmes.

Qu’advient-il de vos notes sitôt la rencontre terminée?

Elles me servent à rédiger un rapport de match. J’y mentionne les considérations d’avant-match, comme je les prévoyais pour les deux équipes, et ce qu’il en est advenu, autrement dit la réalité du terrain. Je note également les changements effectués, les goals et la manière dont ils ont été marqués. J’ajoute des appréciations personnelles sur nos joueurs et l’adversaire. Si des manquements sont constatés dans tel ou tel domaine, une ou plusieurs séances de préparation, après coup, sont toujours consacrées à les pallier. La démarche ne vaut pas que pour l’équipe fanion: elle est d’application en Réserves aussi. En général, je conserve ces notes pendant trois ans. Outre les rapports de scouting de Daniel Renders et Gerry De Buyser sur La Gantoise, j’ai donc pris soin aussi de consulter, pour la préparation de cette rencontre, le rapport concernant cette même confrontation la saison passée. Bien sûr, un certain nombre de choses changent d’une année à l’autre. Jérôme Lempereur et Jérôme Brocard étaient de la partie, et n’étaient plus là cette saison, par exemple. Il n’empêche que d’une année à l’autre, il y a toujours des constantes.

Pas de vidéo-stars

Outre vos notes, les images servent-elles aussi à gommer certaines imperfections?

Parfois. Car aussi bizarre qu’il n’y paraisse, nous n’avons pas de système vidéo à Anderlecht. Pour les images, nous sommes donc tributaires des retransmissions en direct en Ligue des Champions ou des matches de Canal+. Il s’agit toujours, bien sûr, des rendez-vous les plus importants de la saison, et nous sommes donc parés dans ces cas. Mais quelquefois, on peut retirer pas mal d’enseignements aussi d’un match face à un sans-grade. Et cette opportunité-là, nous ne l’avons pas. J’espère qu’on y remédiera un jour. Il le faut si nous voulons être réellement complets.

« Je garde mes notes pendant trois ans: il y a toujours des constantes » »Non, nous n’avons pas nos propres images vidéo »

Bruno Govers

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