Superstition : les Loups en tête!

Le Tivoli est peut-être le terrain le plus propice aux incantations…

Le monde du football se complaît dans la superstition. Les exemples foisonnent. De cette petite statue de la vierge, enfouie quelque part dans la pelouse de la Juve, aux séances de Macumba précédant les rencontres du Flamengo. Partout dans le monde, on cherche à conjurer le mauvais oeil. A s’attirer les regards bienfaisants de Dame Chance. Partout dans le monde… y compris à La Louvière!

Dans ce coin du Hainaut, il semble même que les forces invisibles soient extrêmement sollicitées. Chacun y va de son couplet. Du jardinier à l’entraîneur, en passant par les joueurs et le délégué! Dans certains cas, les intéressés ont même énormément de boulot afin d’assumer leurs manies.

Le jardinier tond avec arrière-pensées

Prenons le cas de Piero Rizzo. Depuis 24 ans, pour le compte de la firme « Espaces Verts », il tond la pelouse du Tivoli. Fort bien d’ailleurs. Cette surface passe pour être l’une des plus belles à regarder du royaume. Les coupes proposent souvent des ornements différents. « Trop souvent! », précise Piero.

Explications : « Je choisis un motif avant le match. Nous gagnons, je le maintiens semaine après semaine. En cas de défaite, je change. Durant le tour final dont nous sommes sortis vainqueurs, j’avais dessiné des cercles que je n’ai en aucun cas modifiés jusqu’au premier revers essuyé en D1. Ensuite, j’ai eu énormément de travail. Principalement durant le premier tour. Je me creusais les méninges. Je m’arrangeais pour regarder les émissions télévisées consacrées au foot à l’étranger. J’en discutais avec mon patron, Daniel Masse.

Ainsi, je puisais des idées. Notez, il y a déjà moyen de voir venir. On peut faire des lignes horizontales, verticales. Des diagonales dans un sens, puis dans l’autre. Il m’est même arrivé de ne pas toucher au rond central alors que le reste de la surface était strié ».

Malgré le maintien, La Louvière a baissé pavillon lors de l’ultime journée disputée face à Mouscron. Piero espérait être tranquille jusqu’à la fin du mois d’août. Il fut le tout premier au Tivoli à envisager la reprise. Il devait innover. Encore.

« Contre Anderlecht, je cible deux objectifs. Primo, éviter de reproduire le look conçu lors de la visite des Mauves puisqu’ils ont gagné 0-1. Deuzio, changer par rapport à Mouscron. Des joueurs m’ont demandé de dessiner une tête de loup. Je crois qu’ils ne se rendent pas compte. Ce n’est pas de la peinture, hein! Les différences de couleurs s’obtiennent en passant la tondeuse dans un sens et dans l’autre. Une tête de loup, vous imaginez. Pour la première fois, je pense tracer des losanges. Je ne l’ai jamais fait. Où alors, il y a longtemps. Si cela marche, ce serait un signe que la campagne sera bonne! J’adore mon boulot. Je le fais avec passion. Parfois, pourtant, il m’arrive d’envier le jardinier d’Anderlecht. Au cas où il partagerait mon obsession, il lui arrive d’être tranquille durant toute une saison. A cet égard, je suis heureux de l’arrivée de Monsieur Leclercq. Depuis qu’il est là, je respire un peu! »

Même Leclercq et Thans craquent

Daniel Leclercq, parlons-en. Son pull, offert par Filippo Gaone est désormais célèbre. Ras du cou. Avec le drapeau américain tricoté sur la poitrine. Utilisant cet humour un peu froid qui le caractérise, l’entraîneur français lâche : « Mathématiquement sauvés, les gars ont bien fait de perdre l’ultime étape. Sans quoi, pour peu que la canicule sévisse, j’aurais méchamment transpiré sur le banc ».

Quel sera son nouveau grigri? Mystère! Juste consent-il à dire : « Il y aura une accroche vestimentaire. C’est un peu la même chose pour chaque footballeur. On se fidélise à un objet rappelant le bien-être. A des petites habitudes immuables les jours de match ».

En fin de compte, à quoi cela rime-t-il? La compétence et la connaissance du métier devraient suffire, non?

« Ne croyez pas cela », répond le Druide. « Je constate que nombre de personnes ayant de lourdes responsabilités cherchent à se rassurer. Il en va de même pour les boulots un peu spéciaux à l’image du nôtre. Je pense notamment aux artistes de théâtre, de cinéma, de la chanson ».

Est-ce dû au fait qu’à l’instant d’affronter le public on se sent terriblement seul?

« Peut-être », répond Benoit Thans. « Pour ma part, je sais que la défaite survient malgré la prise de précautions spéciales. Ne le faisant pas, je me dirais que c’est à cause de cela que ça n’a pas marché! »

A 37 ans, l’ex-prodige de Rocourt reste attentif à divers détails : « Depuis mon passage à Westerlo, je veux jouer avec le 14 dans le dos. Hormis les gardiens, je suis le premier à sortir du vestiaire pour l’échauffement. Avant le coup d’envoi, au moment du toss, je ne touche pas le ballon. Au début, mes équipiers me le passaient, je faisais un écart de manière à ne pas entrer en contact avec le cuir. Maintenant, ils ont compris. Aussi, l’utilité de déconner lorsque nous nous déshabillons. Cela m’est nécessaire. Besoin abstrait d’évacuer le stress. A La Louvière, nous avons un rituel. Dès que le silence règne, je répète la même phrase au groupe : -Les gars, je ne le sens pas, le match aujourd’hui. On va perdre. 5-4. Mais je vais marquer nos quatre buts, alors je m’en fous! On rigole, on se tape dans les mains, on fonce ».

Des gousses d’ail derrière les buts!

Lors de la campagne qui propulsa les Loups en D2, le maillot bleu était à la mode. Et pour monter en D1, La Louvière aurait dû porter un maillot bleu. C’était une idée du président Gaone qui, en plus en tant qu’Italien, éprouve une certaine sympathie pour l’ azzurro. Mais il n’était pas facile de faire entrer cela dans toutes les têtes, surtout que le président n’avait pas d’explication rationnelle à donner. Alors il s’aligna sur la majorité qui aimait rappeler que les couleurs du club étaient le vert et blanc. Depuis, Filippo Gaone a changé d’avis concernant l’adjuvant qu’apportait le bleu. Avec un peu de mauvaise foi, il dit même : « C’était surtout Marc Grosjean qui insistait. Moi pas ». Soit!

Par contre, le président admet posséder son porte-bonheur. « Il se trouve dans ma poche. Personne ne sait de quoi il s’agit. Rien à faire, je ne vous le dirai pas. Sachez juste que cet objet ne me quitte jamais durant les 90 minutes de jeu ».

Le bouillant patron du Tivoli accepte de faire une autre concession à l’information: « En D3, nous étions mal embarqués. Un moment, le spectre de la relégation en Promotion plânait au-dessus de nos têtes. J’ai fait venir un prêtre. Il a béni le terrain et arrosé l’armature des cages d’eau bénite ».

L’exorcisme ne s’est pas arrêté là : « Nous placions des gousses d’ail derrière les buts. Nous nous sommes sauvés avant de monter ». La Louvière-Satan 1-0!

Bonbon, téléphone et cierge

Il ne faut pas croire que la superstition grandit avec l’âge. Le benjamin de la bande, Silvio Proto, 18 ans, s’avoue prisonnier d’habitudes récurrentes. Notamment : « Je porte toujours le même slip. Attention! Il est quand même lessivé », rassure-t-il naïvement. C’est pas tout : « Je dépose une casquette aux couleurs du club au fond de mon but. Avant de la lancer dans les filets, je lui donne un bisou. Dans un autre coin de la cage, j’installe un essuie éponge. Sans cesse le même. En bouche, j’ai un bonbon au goût de fruits. Je m’arrange pour qu’il ne fonde pas car je le lance au-dessus de la latte. J’indique aux ballons le chemin à suivre ».

Partout où il est passé, Manu Karagiannis s’est imposé trois attitudes précises auxquelles il se refuse à déroger: « Sortir le dernier des vestiaires. Sauter en touchant l’herbe. Me situer en deuxième position dans la file. Le reste varie en fonction des prestations. Cela étant, je manque rarement de téléphoner à mon épouse en me garant sur le parking ».

Pendant ce temps, Corrado Mattioli, le délégué, se recueille devant la minuscule chapelle du Bois Havré. « J’y fais brûler un cierge. Il en va de même pour les parties disputées par l’Italie. Vous savez, nous sommes très croyants ».

N’est-ce pas là une des raisons pour lesquelles la ville elle-même est sensible à une forme de fétichisme?

« Possible. La population louviéroise recense de nombreux immigrés venant du Sud. Or, légendes et autres fables appartiennent à notre culture. Le plus bel exemple de notre foi vient d’être administré en Sicile. Connaissez-vous énormément d’endroits où l’on compte sur un prêtre pour arrêter la fureur d’un volcan? », interroge Corrado.

Avis confirmé par un autre enfant du soleil, Eric Scalia : « Houlala! Je regarde à tout. Pas casser de miroir. Pas passer sous une échelle. Pas croiser de chat noir. Par contre dans le foot, je ne pense à rien. Seulement à jouer ».

« Juste comme moi », intervient Frédéric Tilmant sous le regard désapprobateur de Benoit Thans. « Non, c’est sérieux. Je n’attache aucun importance à tout cela. Tant que nous attaquons du côté droit en deuxième mi-temps ». Eh oui! Faut pas être superstitieux, ça porte malheur!

A en croire Honoré de Balzac : un homme n’est pas tout à fait misérable quand il est superstitieux. Une superstition vaut une espérance.

Alors, les Loups n’ont pas fini d’espérer! Même les soirs de pleine lune…

Daniel Renard.

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