Super Sups oui, hooligans non

Bruno Govers

En prélude au sommet de la 8e journée, la confrontation entre les responsables des supporters des deux clubs.

Rarement, dans le cadre des matches entre Anderlecht et Bruges, la différence, d’un rendez-vous à l’autre, fut-elle aussi prononcée qu’au cours de la défunte compétition. Le premier affrontement, soldé par une victoire étriquée 2-1 des Clubmen sur leurs terres au tout début du mois de décembre 2002, s’était mué très tôt, vu l’écart de huit points entre les protagonistes, en un vil combat de chiffonniers, marqué notamment par les exclusions de Birger Maertens, Glen De Boeck et Nenad Jestrovic, ainsi que par un nombre incalculable de fautes et autres actes d’antijeu.

Revenus à de meilleurs sentiments en fin de campagne, à une époque où le championnat était plié en faveur des Flandriens, les éternels rivaux, qui avaient revêtu pour la circonstance un maillot frappé du sigle Go for fair-play, eurent le bon goût de privilégier le beau football avec, à la clé, un succès probant du Sporting : 5-1. Qu’en sera- t-il dimanche prochain, à l’occasion du nouveau clash entre ces deux géants ?

C’est la première question que nous avons posée aux chevilles ouvrières des clubs de supporters du RSCA et du FCB, Johan Ceuppens et Bart Uyttersprot.

Bart Uyttersprot : Pour la première fois depuis longtemps, les rôles seront inversés au Parc Astrid. Ces dernières années, les joueurs brugeois s’étaient rendus dans la capitale nantis d’une avance substantielle. A présent, les Mauves mènent le bal. Franchement, je ne m’attendais guère à cette situation. Compte tenu des programmes respectifs des deux équipes en cette entame de championnat, je prévoyais un coude à coude l’espace des sept premiers matches. Si le Sporting a respecté scrupuleusement son tableau de marche, le Club a malheureusement gaspillé plusieurs unités précieuses contre La Louvière, La Gantoise et St-Trond. A mes yeux, il s’agit vraisemblablement du tribut payé à leur accession en phase finale de la Ligue des Champions au détriment du Borussia Dortmund. Timmy Simons et ses partenaires ont, sans aucun doute, usé beaucoup d’influx nerveux dans cette double bataille. Avec les conséquences que l’on sait au niveau de leurs prestations à l’échelon national. Dans ces conditions, ils ne peuvent évidemment plus se permettre le moindre faux-pas dans la course au titre. La défaite est donc absolument interdite au stade Constant Vanden Stock. Si l’écart ne subit pas de fluctuations ou, mieux encore, s’il s’amenuise, un retournement spectaculaire reste toujours possible. A cet effet, je rappellerai qu’il y a deux ans, au moment d’aborder le RSCA sur son terrain, Bruges avait six points d’avance sur son adversaire. Un mois plus tard, après une série de matches nuls, il en comptait subitement quatre de retard. Comme quoi, il ne faut pas baisser trop vite les bras.

Johan Ceuppens : Si la coupe d’Europe a coûté l’un ou l’autre point précieux au Club sur la scène nationale, nous avons connu le phénomène inverse : l’euphorie en Belgique a cédé le pas à un couac regrettable lors de notre sortie initiale en Ligue des Champions, à Lyon. L’équipe a, certes, d’emblée remis les pendules à l’heure en infligeant une sérieuse gifle à Westerlo, au Parc Astrid. Il n’est toutefois pas interdit de penser que sa tâche aurait été beaucoup plus ardue si, en lieu et place de donner la réplique aux Campinois dans la capitale, elle avait dû se produire au Kuipje où elle n’a jamais été réellement à la fête ces dernières années. C’est pourquoi, même si Anderlecht a entamé l’exercice actuel sur les chapeaux de roues, ses joueurs ne sont pas à l’abri d’une perte de points inattendue, comparable à celle que Bruges face à des adversaires théoriquement à sa portée.

Pas un sport de fillettes

En raison des regrettables incidents survenus l’année passée au match aller, tant sur la pelouse que dans les gradins, le retour, au Parc Astrid, avait été placé sous le signe du fair-play à l’instigation des partenaires financiers des deux entités, Fortis pour Anderlecht et Dexia côté brugeois. En tant que responsables des clubs de supporters, aviez-vous été associés à cette démarche ?

Bart Uyttersprot : Pas du tout. Elle émanait des deux organismes bancaires, avant tout soucieux de restaurer leur image de marque, sérieusement ébranlée après la sinistre partie à l’aller. De toute façon, je ne pense pas que l’entreprise aurait été un franc succès si les deux banques avaient tenté d’y impliquer étroitement les supporters des deux camps. Qu’on le veuille ou non, une confrontation entre Anderlecht et Bruges dépassera toujours le cadre d’une simple rencontre, tant chez les acteurs qu’auprès de leurs sympathisants. Le foot, à ce niveau, n’est pas un sport de fillettes. Nous en avons d’ailleurs fait plusieurs fois l’expérience, à nos dépens, en coupe d’Europe et même en coupe du Monde ces dernières années. Pourtant, tout le monde prêche dans le même sens ici. En Angleterre, personne ne s’offusque qu’un fan d’Arsenal s’affiche avec un maillot anti-Tottenham. C’est inscrit dans la rivalité ancestrale entre ces deux clubs. A Bruges, tout supporter qui revêt un t-shirt anti-Anderlecht, peut écoper d’un procès-verbal à présent. C’est une nouvelle règle, en vigueur depuis le début de la saison, car pareil slogan incite soi-disant à la provocation. Chaque année, l’étau se resserre un peu plus sur nous. Dans quelques mois, je suis prêt à parier que nous ne pourrons plus enfiler une vareuse noir et bleue, au nom d’Alin Stoica, sous prétexte que ce sera une manière déguisée d’allumer nos homologues anderlechtois.

Johan Ceuppens : Je me demande pourquoi certains tapent toujours sur le même clou. Ils s’en prennent invariablement aux supporters alors que d’autres personnes méritent sûrement d’être montrées du doigt aussi. Quand Birger Maertens affirme ni plus ni moins qu’il hait Anderlecht, il attise inévitablement les passions. Pour en revenir au match aller de la saison passée, je suis d’avis que jamais les événements ne se seraient à ce point dégradés si les footballeurs eux-mêmes avaient eu un comportement modèle sur le terrain et même après le match. Ils ne peuvent se permettre d’effectuer des bras d’honneur ou à pointer le majeur en direction de l’assistance. Dans de telles conditions, il est difficile d’éviter des débordements et autres dérapages au sein même du public. Et c’est regrettable car tant du côté brugeois que chez nous, j’ai le sentiment que nous tablons sur des chouettes sympathisants. Des super sups, comme je les appelle. Je demeure persuadé, aussi, que pas mal de problèmes seraient évités si, dans le cadre des matches, des mesures beaucoup plus souples étaient prises par les forces de l’ordre. Lors des rencontres à risques, nos supporters sont chaperonnés depuis qu’ils montent dans le car et ce, jusqu’au moment où ils en redescendent, sitôt la partie terminée. Dans l’intervalle, il leur est interdit de consommer des boissons alcoolisées et les arrêts pipi, sur l’autoroute, sont proscrits également. Tout cela est-il bien souhaitable ? J’ai mes doutes à ce sujet.

Bart Uyttersprot : Moi, je me fais souvent la réflexion que les animaux que l’on emmène à Veeweyde sont mieux traités que les sympathisants brugeois, acheminés non loin de là au Parc Astrid. Nous ne sommes tout de même pas des criminels, que je sache ? Au lieu de mobiliser des centaines de policiers pour encadrer les supporters, je crois qu’on serait nettement mieux inspiré en focalisant toute son attention et son énergie sur les véritables hooligans. Ils sont peut-être 200 en Belgique et la plupart sont fichés. Mais ils n’en sévissent pas moins comme bon leur semble, sans être inquiétés. A mes yeux, il n’y a qu’une seule méthode pour les contrer : obliger ceux-là à se rendre au commissariat à l’heure où leurs favoris montent sur le terrain. D’aucuns ont cru que la carte de supporter allait séparer le bon grain de l’ivraie. Mais c’est une hérésie. Quiconque se voit refuser l’accès au stade aura toujours les moyens de contourner cette difficulté. En faisant établir une nouvelle fancard au nom d’une copine ou d’un parent, par exemple. Car à quoi riment les contrôles d’accès au stade ? Il suffit de présenter un ticket d’entrée pour pénétrer dans l’enceinte. Jamais, depuis que j’accompagne Bruges dans tous ses déplacements, on ne m’a demandé de présenter mon billet, ma carte de supporter et ma carte d’identité, en tout cas. Or, ce n’est qu’au prix de cette triple vérification qu’un club peut avoir tous ses apaisements sur l’identité de ceux qui répondent présents dans son stade.

Psychologie des foules

Quelles mesures prenez-vous, dans le cadre de vos fédérations respectives, vis-à-vis des trublions ?

Johan Ceuppens : Chaque club de supporters, chez nous, comporte un responsable, censé veiller à son bon fonctionnement ainsi qu’au comportement irréprochable de ses membres. Mais ce n’est pas parce que quelqu’un présente un certificat de bonne vie et m£urs irréprochable qu’il ne sera jamais poussé au-delà de certaines limites par pure passion pour son club. Je n’en veux pour exemple que l’envahissement du terrain qui a eu lieu à Beveren, en mai passé, à l’occasion du dernier match de championnat. Malgré la défaite, les gens étaient tellement heureux de savoir le Sporting qualifié pour les éliminatoires de la Ligue des Champions que certains ont voulu manifester leur joie sur la pelouse. D’autres leur ont emboîté le pas, avec le résultat que l’on sait. Loin de moi l’idée de cautionner leur attitude. Mais je puis comprendre que par souci d’imitation, un supporter absolument irréprochable singe les autres. C’était notamment le cas, au Freethiel, de ce père de famille auquel, en temps normal, on aurait donné le bon dieu sans confession. Jamais, auparavant, il n’y avait eu le moindre incident avec lui. Mais dans ces circonstances-là, la psychologie des foules a eu un impact sur sa personne. Il a éprouvé des regrets et s’est amendé. Au nom de son comportement irréprochable par le passé, l’affaire a été classée. Mais cet exemple démontre à quel point un individu peut sortir de son rôle quand il est absorbé par la masse.

Bart Uyttersprot : Chacun est libre de pouvoir adhérer à un club de supporters. En cas de problème, l’intéressé se met le plus souvent hors-jeu lui-même, sans que la direction du groupement ou la fédération de tous nos cercles ne doive intervenir. Le plus souvent, toutefois, les problèmes qui surgissent sont collectifs. Comme le fait remarquer mon collègue, des personnes sans problème se laissent parfois entraîner par les événements. Nous avons par exemple vécu un tel cas lors de l’inauguration de la nouvelle tribune de Gand, dans un passé guère lointain. Un quidam avait eu la lumineuse idée de dévisser un siège et de le propulser sur le terrain. Il n’en fallut évidemment pas plus pour que d’autres l’imitent. Notre fédération a payé la note, en demandant à chacun des clubs de supporters une participation aux frais au prorata de ses membres. C’est à la fois normal et râlant car les sympathisants brugeois n’étaient sûrement pas les seuls coupables, ce jour-là. Grâce aux caméras qui balayaient la tribune, on aurait pu déterminer les responsabilités de chacun. Mais on n’en est jamais arrivé là. Pourquoi ? Je me le demande. Il ne faut pas s’étonner alors que certains continuent à sévir dans ces conditions.

Quels rapports entretenez-vous avec la direction de vos clubs ?

Johan Ceuppens : Tous les derniers lundis du mois, une réunion est mise sur pied, au club-house du stade, entre les responsables des clubs de supporters et la direction du RSCA, représentée par Michel Verschueren et Herman Van Holsbeeck. Nous passons alors en revue les événements des quatre semaines écoulées tout en projetant un regard sur les matches à venir. Ces débats sont toujours très constructifs. A l’occasion du dernier d’entre eux, il fut notamment question des cas posés par Besnik Hasi, Mark Hendrikx et Ki-Hyeon Seol. Pour des raisons qui échappent à l’entendement, ces trois éléments ont quelquefois été pris en grippe ces derniers mois par le public. Les deux managers du club ont demandé de remédier à cette situation. Et force est de constater que cette attitude n’est plus de mise aujourd’hui.

Bart Uyttersprot : Nous effectuons quatre fois par an un tour de table avec la direction. Au cours de notre dernière entrevue, il fut notamment question de la création d’un coaching destiné aux accompagnateurs dans les cars, afin qu’ils sachent comment réagir en cas de problèmes posés par certains supporters surchauffés ou éméchés. Indépendamment de ces échanges avec la direction, toutes les six semaines, les clubs de supporters se réunissent entre eux. A l’ordre du jour figurent alors, entre autres, les soirées au cours desquelles les joueurs sont à l’honneur. Chez nous, tous les clubs sont obligatoirement parrainés par un des éléments du noyau. Et celui-ci est appelé à faire acte de présence, en compagnie de l’un ou l’autre coéquipier, à ces manifestations. Elles avaient lieu traditionnellement le lundi soir, jusqu’ici. Mais évidemment, nous devons composer, ce qui n’est pas facile, avec notre implication en Ligue des Champions, avec des matches programmés le mardi et le mercredi..

Un pronostic pour dimanche ?

Bart Uyttersprot : Le rêve, ce serait une victoire par 0-1, obtenue en toute dernière minute sur un penalty non mérité, transformé par Alin Stoica. Quel beau pied de nez au Sporting !

Johan Ceuppens : 5-0, un meilleur résultat que l’année passée. S’il se vérifie, Bruges aura toutes les peines du monde à le digérer. Et ce sera tout profit pour nous.

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