Super Mario vs Super Mario II

Tout ce qu’il faut savoir sur le clash de Varsovie, jeudi.

LE COACH DE L’ALLEMAGNE

Joachim Löw fait un carton depuis qu’il est à la Fédération comme adjoint de JürgenKlinsmann (troisième du Mondial 2006) puis T1 (finaliste de l’EURO 2008, bronze en Afrique du Sud). Il arrive donc en demi-finales d’un tournoi pour la quatrième fois d’affilée, aucun entraîneur de la Mannschaft n’avait fait aussi bien. L’homme de la Forêt Noire est la zenitude par excellence. Jamais un mot plus haut que l’autre, froid, Allemand jusqu’au bout des ongles. Klinsmann s’excitait quand il y avait des commentaires négatifs dans la presse, son successeur fait le mort. Il exige aussi d’avoir des joueurs qui réfléchissent, qui parlent d’autre chose que de foot et donnent leur avis, même sur les sujets sensibles. Il leur a demandé de ne pas avoir de préjugés sur l’Ukraine et les a encouragés à s’exprimer sur l’emprisonnement de Ioula Timochenko, par exemple.  » Je veux des hommes, pas simplement des footballeurs « , dit-il.

Dans le jeu, il a adopté la philosophie de Klinsmann, qui avait décrété que cette équipe devait arrêter de gagner sans convaincre. Même si cette philo a été plus facilement appliquée en Afsud qu’ici. Point de vue spectacle exceptionnel, on reste un peu sur sa faim. Sans doute aussi parce que l’Allemagne avait pratiqué le plus beau football à la Coupe du Monde et qu’on attendait une confirmation automatique. Mais les résultats suivent avec, face à la Grèce, une quinzième victoire consécutive en match officiel : record national. Mis à part contre le Portugal, le traditionnel 4-3-3 de Löw n’a jamais semblé menacé. C’est l’équipe qui a la plus grande emprise sur les événements depuis le début du tournoi.

LE COACH DE L’ITALIE

Le premier mérite de Cesare Prandelli (invaincu lors de ses 14 derniers matches à enjeu) est d’avoir su relever très vite une Squadra traumatisée par ses deux derniers tournois. Mais l’équipe était dans le creux quand elle a débarqué en Pologne, marquée par trois matches de préparation décevants (défaites contre l’Uruguay, les Etats-Unis et la Russie). Au contraire de Löw qui avait un système et une mécanique bien huilés, Prandelli a dû provoquer un électrochoc. Il a étonné en abandonnant son 4-1-3-2 pour un 3-5-2 contre l’Espagne et ça a fonctionné avec Daniele De Rossi qui n’était subitement plus médian mais défenseur. Le coach de Manchester City, Roberto Mancini, n’est pas étonné :  » De Rossi est un des rares joueurs qu’on pourrait intégrer dans n’importe quelle équipe du monde et à plusieurs postes différents.  »

Le coach a confirmé le 3-5-2 face à la Croatie. Puis, il est revenu à son système habituel contre l’Irlande et l’a maintenu dans le choc avec l’Angleterre. Ses intentions ont quand même varié pour le quart de finale : c’était moins prudent que précédemment, et alors qu’on s’attendait à un match cadenassé des deux côtés, les Italiens ont cherché à prendre les Anglais directement à la gorge. Souvent via des tirs lointains, pour ainsi dire le seul espoir de tromper le bloc hyper compact de Roy Hodgson. En une seule soirée, l’Italie s’est débarrassée de son étiquette d’équipe attentiste, très italienne. Elle a marqué des points dans le public.

Face à l’Allemagne, les espaces seront bien plus importants. Prandelli a dit en arrivant :  » Je veux une Italie qui joue au foot.  » Sur ce plan, son équipe monte en puissance.  » Un des mérites de l’entraîneur est d’avoir su fabriquer un team qui peut être fort offensif dans certaines occasions « , dit Klinsmann, consultant pour la BBC.

LE CERVEAU DE L’ALLEMAGNE

Mesut Özil, qui sort d’une saison pleine avec le Real, a été élu homme du match contre le Portugal et la Grèce. Ceux qui élisent le meilleur joueur de chaque match ne sont pas manchots : il y a Fernando Couto, Christian Karembeu, Predrag Mijatovic, PeterSchmeichel, Allan Simonsen, Davor Suker, Patrick Vieira,… Özil rayonne à la pointe du triangle médian, beaucoup d’actions passent par lui, il appelle, distribue latéralement ou en profondeur, envoie des caviars à Mario Gomez ou Miroslav Klose, il en est à trois assists en quatre matches. Après sa révélation en Afrique du Sud, ce tournoi devait être pour lui le rendez-vous de la confirmation. Réussite totale.

Sur le papier, le match contre la Grèce promettait d’être le plus difficile pour lui vu la solidité défensive de l’adversaire. Özil avait en permanence un, deux ou trois Grecs sur le dos mais il a chaque fois trouvé des solutions.

LE CERVEAU DE L’ITALIE

Le face-à-face entre Özil et Andrea Pirlo sera à coup sûr une des clés de la demi-finale. Pirlo rayonne aussi depuis le début de l’EURO. Il est le relais de Prandelli sur la pelouse, l’homme qui touche le plus de ballons et couvre un nombre impressionnant de kilomètres. Contre les Anglais, il a distribué 117 passes, dont une cinquantaine à destination des attaquants en zone de conclusion ! Pirlo ne se contente pas de faire déjouer les créateurs adverses, il pistonne continuellement pour aller créer du danger devant, Joe Hart a dû s’employer deux fois pour éviter que ses tirs débloquent le match. Il allie aussi la propreté à l’efficacité : il n’a pas commis une seule faute face à l’Angleterre. Et sa Panenka réussie a fait basculer la séance des tirs au but en assassinant psychologiquement les Anglais. Son trophée d’homme du match tombait sous le sens.

Et Prandelli en avait plein la bouche en fin de soirée :  » Pirlo est une star mondiale et ça ne me choquerait pas si on lui donnait le Ballon d’Or.  » Il faut maintenant voir si le vieux joueur de la Juve, à 33 ans et après une saison pleine, sera capable d’exercer le même contrôle sur l’entrejeu allemand. La menace anglaise se limitait essentiellement à Steven Gerrard alors que dans le triangle allemand, le danger surgit de partout. Quand Özil souffle, Sami Khedira monte pour porter le danger, ou c’est Bastian Schweinsteiger qui s’y colle.

L’ATTAQUE DE L’ALLEMAGNE

L’Allemagne a marqué au moins une fois lors de ses 20 derniers matches : elle n’avait plus aligné une série pareille depuis le début des années 90. Quatre joueurs en sont à trois buts dans ce tournoi. Le Russe Azan Dzagoev n’est plus là, le Croate Mario Mandzukic non plus. Restent Cristiano Ronaldo et Mario Gomez, les tueurs du Real et du Bayern. Voir un des deux terminer meilleur buteur du tournoi résulterait de la plus élémentaire logique ! Et après quatre matches, c’est l’Allemagne qui a de loin l’attaque la plus percutante.

Cette réussite ne se résume pas à Gomez. On a eu du mal à y croire quand on a découvert la compo de Löw pour le quart face à la Grèce. Tout le trio d’attaque était sur le banc : les flancs ThomasMüller et Lukas Podolski, et l’attaquant de pointe Gomez. Une intervention au couteau de boucherie plutôt qu’au scalpel. A leur place : André Schürrle et Marco Reus sur les côtés, et la légende Klose tout devant. Evidemment, ça a aussi marché, les Grecs ont dansé comme les Hollandais et les Danois l’avaient fait avant eux. Le coach s’est justifié :  » J’avais l’impression qu’après nos trois victoires dans les matches de poule, quelques joueurs avaient besoin de souffler, qu’il fallait remettre de la vie dans l’équipe.  »

Il peut se permettre ces changements parce qu’il sait qu’il a du bon matériel sur son banc. Klose en est à plus de 60 buts en sélection. Reus a été la révélation offensive de la Bundesliga avec Mönchengladbach (21 buts et un transfert à 15 millions vers Dortmund). Schürrle n’a pas encore énormément joué mais il tourne à une moyenne d’un but tous les deux matches internationaux. Ils ont directement saisi leur chance contre la Grèce. Le bémol pour l’Allemagne : l’Italie encaisse très peu depuis deux ans dans les matches officiels : deux buts lors des éliminatoires, deux en quatre rencontres dans le tournoi.

L’ATTAQUE DE L’ITALIE

C’est moins évident dans l’équipe de Prandelli. Elle n’a marqué que quatre fois. Personne ne s’impose dans le rôle du buteur, les goals sont venus de quatre joueurs différents : Pirlo, Mario Balotelli, Antonio Cassano et Antonio Di Natale. Les trois derniers, purs attaquants, ont réussi une très bonne saison avec leur club mais ça coince en équipe nationale. Pourtant, les occasions sont nombreuses dans certains matches. Les Italiens ont tenté 35 fois leur chance contre les Anglais, ce n’est pas rentré une seule fois. Le meilleur duo théorique, c’est Cassano-Balotelli. Avec le premier dans le rôle du donneur d’assists et le second comme tueur – Di Natale est plus considéré comme un joker. Mais ça ne veut pas fonctionner. Peut-être parce qu’ils n’avaient pratiquement jamais joué ensemble avant l’EURO.

Ce sont aussi deux des enfants terribles du football italien et c’est pour cela que Marcello Lippi les avait laissés au pays pour le Mondial en Afrique du Sud. En première mi-temps contre l’Angleterre, Cassano et Balotelli ont essayé de combiner. Face à l’échec, Balotelli a ensuite changé ses plans et est devenu fort individualiste. Il a énormément frappé au but, à distance ou de près. Mais à nouveau, ça n’a pas marché.

L’EXPÉRIENCE DE L’ALLEMAGNE

L’équipe a la moyenne d’âge la plus basse de l’EURO, ce pays n’avait jamais envoyé un groupe aussi jeune dans un tournoi. Ce qui est paradoxal, c’est que ce groupe est aussi – avec celui de l’Espagne – le plus aguerri aux rendez-vous de fins de compétitions. Dans le 11 de départ contre le Portugal, il n’y avait qu’un changement par rapport à l’équipe-type de la dernière Coupe du Monde : Arne Friedrich, qui a pris sa retraite internationale, était remplacé par Holger Badstuber. Trois titulaires de ce soir-là ont disputé la finale de l’EURO 2008 : Philipp Lahm, Schweinsteiger et Podolski. Ces trois joueurs et Klose étaient déjà internationaux lors de l’édition 2004. Dans cette équipe, tout le monde ou presque sait de quoi il parle.

L’EXPÉRIENCE DE L’ITALIE

C’est fort différent. Lors du dernier tournoi réussi des Italiens (Coupe du Monde 2006), il y avait déjà Gianluigi Buffon, De Rossi, Andrea Barzagli et Pirlo dans le noyau, mais le reste est nouveau. Ceux qui étaient à l’EURO 2008 et/ou à la Coupe du Monde 2010 connaissent surtout une culture de l’échec, ils ne sont pas habitués aux dernières lignes droites et à la pression qui l’accompagne.

Alors que les Allemands semblent dominer leur sujet et donnent l’impression de ne rien craindre (toute l’équipe est restée bien en place pendant la domination du Portugal), les Italiens paraissent plus nerveux quand ça ne tourne pas comme ils le souhaitent. Les initiatives individuelles et les regards interrogatifs vers le banc se multiplient, des joueurs changent occasionnellement de position, etc.

L’AGITATEUR GHANÉEN DE L’ALLEMAGNE

Dans le camp allemand, le gai luron est l’arrière droit du Bayern, Jérôme Boateng. Il a ses racines au Ghana. Les joueurs d’origine africaine qui ont joué pour l’équipe allemande sont très rares. Dans le groupe actuel, il y a encore Khedira, de père tunisien. Lui aussi a l’art de dévier du droit chemin. Lorsqu’il s’est fait photographier pour un magazine allemand avec son amie en petite tenue, le reportage a abouti en Afrique du Nord et ça a fait scandale. Le directeur de la publication et deux journalistes ont eu des soucis, on leur a reproché d’attenter aux bonnes m£urs.

Boateng, lui, a fait la bringue en boîte de nuit juste avant le début de l’EURO. Löw l’a mal pris et l’a recadré publiquement. Et ses coéquipiers sont aussi intervenus : ils l’ont isolé pendant quelques jours. Mais cette touche africaine, le coach y tient, même avec ses inconvénients :  » Le multiculturel peut apporter quelque chose à mon équipe, un côté artistique qui n’était pas la marque de fabrique de l’Allemagne dans le passé. « 

L’AGITATEUR GHANÉEN DE L’ITALIE

Dans le camp azzurro, ce n’est pas tout à fait la même chose, c’est un rien moins calme. A cause de l’énigme Balotelli, évidemment. Prandelli avait édicté un code éthique. Il veut une équipe nationale clean et avait même dit avant le tournoi que s’il était préférable que la Squadra ne vienne pas à l’EURO à cause du scandale des matches truqués, il comprendrait et se plierait sans problème à la décision. Pour lui, c’était  » une question d’intérêt supérieur du foot.  » Encore ceci :  » Celui qui joue avec la Squadra ne représente pas une équipe mais tout un pays. Ceux qui distribuent des coups, jouent avec les coudes, crachent ou envoient le ballon plus loin quand l’arbitre a sifflé, je ne les veux plus en sélection.  »

Il a aussi dit qu’il voulait  » rendre l’équipe nationale au peuple italien « . Balotelli n’obéit pas exactement au profil ! Un Ghanéen d’origine, comme Boateng, mais lui a du mal à se calmer. Provocations verbales et physiques, utilisation d’armes à feu, liens présumés avec la Camorra, le premier black de l’histoire de l’équipe italienne peut se permettre beaucoup de choses à Manchester mais il n’a pas la même liberté en sélection. Prandelli l’avait écarté pour un match de préparation avant l’EURO, l’a titularisé contre l’Espagne et la Croatie, puis l’a mis sur le banc face à l’Irlande. Balotelli est monté en fin de match, a marqué et voulu exprimer sa rage : un coéquipier est vite venu la bâillonner mais n’avait pas pu empêcher les téléspectateurs de le voir hurler :  » Vous êtes des fils de p…. « .

L’incident était évité de justesse mais Balotelli reste une bombe à retardement. Une photo prise à l’entraînement, pendant le tournoi, résume beaucoup de choses : alors que ses coéquipiers suent dans un exercice au sol, il les regarde gentiment avant de jouer avec un piquet de corner. Un autre bon résumé, entendu dans la bouche du commentateur de RTL France, au stade olympique de Kiev, juste avant la séance des tirs au but contre les Anglais :  » Pas sûr que Hart devra faire quelque chose sur l’envoi de Balotelli. Ça peut être imparable et transpercer les filets, ou partir 10 mètres au-dessus de la transversale.  »

Super Mario a marqué ! Ou encore ceci, venant de Patrick Vieira qui est dans le comité de direction de Manchester City :  » Personne ne doute de son talent, c’est un match winner mais il doit encore grandir. Il doit comprendre à quel point il est bon. A City, on aide les gens qui ont envie d’être aidés. On a le devoir de l’installer. Mais je ne suis pas son baby-sitter. J’essaie de lui faire comprendre qu’il a un rôle d’exemple. Je travaille beaucoup à l’académie du club et il y a plein de gamins qui ont envie de lui rassembler.  »

Balotelli est l’Italien le plus médiatisé depuis le début de l’EURO. Ses photos sont partout et Prandelli l’emmène parfois aux conférences de presse alors que rien ne l’y oblige. Mais si on ne prend que les chiffres, son bilan avant les demi-finales est négatif alors qu’on le présentait comme une des stars potentielles du tournoi.

PAR PIERRE DANVOYE, EN UKRAINE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » De Rossi est un des rares joueurs qu’on pourrait intégrer dans n’importe quelle équipe et à plusieurs postes.  » (Roberto Mancini)

15 victoires consécutives en matches officiels pour l’Allemagne, 14 matches à enjeu sans perdre pour l’Italie !

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