STYLE maison

JÜRGEN KLINSMANN, l’ex-joueur devenu sélectionneur, explique comment, depuis son domicile californien, il donne au foot allemand sa propre identité. La Coupe des Confédérations est son premier test grandeur nature.

Jürgen Klinsmann (40 ans) a été champion du monde en Italie (1990) et d’Europe en Angleterre (1996). Après son 108e match pour l’Allemagne, qui s’est soldé par une défaite 0-3 contre la Croatie en quarts de finale du Mondial 1998, il a rejoint Los Angeles. Il y a entamé une nouvelle vie avec sa famille mais le voici de retour comme Bundestrainer, avec une mission : devenir champion du monde dans son pays.

Comme Marco van Basten, votre collègue néerlandais, vous vous êtes longtemps tenu à l’écart du foot après votre retraite comme joueur. Votre retour au poste de sélectionneur est d’autant plus étonnant que vous n’avez jamais eu envie d’être entraîneur…

Jürgen Klinsmann : A la fin de ma carrière active, je me suis intéressé à l’entraînement. Avant, j’étais trop occupé par mon jeu. Je me fixais sur chaque match et sur la nécessité de marquer. En 1998, j’ai émigré en Californie pour me trouver d’autres centres d’intérêt. J’ai suivi des cours universitaires en informatique, un domaine qui m’avait toujours intéressé, et j’ai consacré plus de temps à notre fils, qui avait un an. J’ai fait la connaissance de deux hommes qui possédaient une société de consultance en business du sport. Ils m’ont conseillé alors que je me plongeais dans différentes disciplines et en 2003, je suis devenu le troisième associé de la société et je me suis occupé de projets qui s’accordaient bien au diplôme d’entraîneur décroché en 2000 avec quelques autres internationaux. J’ai approfondi mes connaissances en management, coaching et business sans imaginer qu’elles me viendraient à point dans mon poste actuel d’entraîneur. Précision : avant moi, Franz Beckenbauer et Rudi Völler étaient teammanager, car ils n’avaient pas de diplôme d’entraîneur, contrairement à moi.

Comment la Fédération allemande a- t-elle pensé à vous pour succéder à Rudi Völler ?

J’ai assisté à deux matches au Portugal avant de rentrer. Un jour, Berti Vogts m’a téléphoné pour m’expliquer qu’il effectuait un voyage en camping-car avec son fils à travers la Californie. Je les ai invités à dîner chez nous et nous avons parlé de l’EURO, qui s’était achevé de manière très décevante pour l’Allemagne. La Fédération avait déjà discuté avec Ottmar Hitzfeld mais il avait signifié qu’il se sentait vidé après six ans au Bayern. La DFB avait aussi approché Otto Rehhagel, qui ne voulait pas quitter la Grèce : -Ils me tueraient. Quand Berti m’a demandé si j’avais déjà songé à ce poste, j’ai répondu que cela me plairait, sous certaines conditions. J’avais le sentiment que nous bavardions comme deux supporters le feraient, sans plus. Rien ne me passionnerait davantage que diriger l’Allemagne en Coupe du Monde sur ses propres terres. Berti m’a demandé : – Verrais-tu un inconvénient à ce que j’en parle à Horst Schmidt, le secrétairede la DFB ? J’ai donné mon accord mais sans savoir où cela me mènerait…

Rondement mené

La réaction a été plus rapide que prévu…

Schmidt m’a téléphoné deux jours plus tard pour demander si nous pouvions parler. J’ai compris que c’était sérieux. Nous nous sommes vus à mi-chemin, dans un hôtel situé sur l’aéroport de New York. J’ai demandé conseil à ma femme. Elle m’a dit que je ne recevrais plus jamais pareille chance dans ma vie et que je devais suivre mon instinct. Pendant le vol de New York, j’ai eu le temps de coucher sur papier mes idées, la façon dont je pensais pouvoir le mieux remplir cette mission sur base de mes connaissances. J’étais donc bien préparé ! Quand j’ai exposé mes idées à Horst Schmidt et à Gerhard Mayer-Vorfelder, le président de la DFB, ils ont levé les mains au ciel, en criant : – Oh, attends un peu ! Ils ont réalisé que je n’étais plus l’ancien joueur dont ils gardaient le souvenir et que j’avais évolué depuis notre dernière rencontre au Mondial français. Nous avons parlé pendant quatre ou cinq heures. Leur dernière question fut : – Quand peux-tu venir en Allemagne pour mener des négociations sérieuses et discuter des aspects financiers et autres ? J’ai répondu : – Laissez-moi le temps de rentrer à LA, d’en parler avec ma famille et on verra. Dix jours plus tard, nous avons débarqué à Francfort pour mettre les points sur les i.

Quels étaient ces points ?

Je voulais la responsabilité complète du staff technique et le choix des personnes qui pouvaient apporter un plus au groupe. La DFB a réagi : – C’est bien, si tu peux nous expliquer pourquoi tu veux Joachim Löw, Oliver Bierhoff, un psychologue du sport et des préparateurs physiques américains. Je me suis exécuté et nous avons suivi mon plan.

Qu’avez-vous entrepris en premier lieu ?

J’ai engagé Joachim Löw comme adjoint et Oliver Bierhoff comme teammanager administratif. L’étape suivante a été d’exposer le projet aux joueurs : nous leur avons expliqué quelle serait notre approche, ce que nous attendions d’eux et nos objectifs. Nous avons discuté du style de jeu, de qui et de quoi nous avions besoin pour développer un style proactif, offensif, agressif. Nous avons consulté les leaders du groupe : le capitaine Michael Ballack, Oliver Kahn, Jens Lehmann, Bernd Schneider et Torsten Frings.

Cela vaut-il aussi pour les supporters allemands ?

Naturellement. Nous voulons qu’ils puissent à nouveau dire : – Voilà comment notre équipe doit jouer. J’espère que nous signerons des résultats en trouvant un style de jeu qui nous convienne. Nous ne sommes pas l’Italie, qui s’appuie sciemment sur sa tactique et peut guetter une occasion, qu’elle saisit immédiatement. Nous ne sommes pas davantage le Brésil avec son beau jeu. Nous devons trouver notre propre identité. Nous allons jouer le Mondial dans notre pays et les supporters nous soutiendront dès le premier coup d’envoi. Nous ne pouvons nous cantonner dans un jeu défensif en misant sur le contre, même contre le Brésil ou l’Argentine. Les attentes, la pression seront énormes. Les fans vont nous pousser à l’attaque. A l’EURO 2004, l’Allemagne a joué avec un attaquant puis avec deux et comme ça ne marchait pas, elle en a ajouté un troisième au match suivant. Nous travaillons à un 4-4-2 et à un 4-3-3 souples et adaptables.

Les jeunes sont là

Etes-vous convaincu que les joueurs seront vite pénétrés de ce style ?

Nous ignorons à quelle vitesse ils développeront le style voulu : les clubs pratiquent divers styles de jeu. Il faut donc tout répéter sans arrêt. Après huit mois, nous constatons que l’équipe s’adapte progressivement à notre style. Ce n’est pas encore parfait, mais nous avons au moins une base. En outre, nous avons donné à de jeunes joueurs la chance de faire leurs preuves. Pendant des années, on a critiqué l’Allemagne parce qu’elle n’avait pas de relève. Ce n’était pas vrai mais on pouvait le croire car les jeunes étaient classés avant même d’avoir reçu leur chance.

Comment fonctionnent les Espoirs pour le moment ?

Nous avons modifié le staff en nommant Dieter Eilts sélectionneur. Il bâtit un pont vers le noyau A. Nous avons examiné attentivement notre sélection élargie et signifié à quelques anciens joueurs qu’ils devaient effectuer un pas en arrière, le temps de voir où les jeunes en étaient. Nous conservons toujours une forte ossature mais à chaque match, nous sélectionnons une série de jeunes talentueux et nous sommes impressionnés par leurs prestations. Nous savons que nous pouvons nous fier à Andreas Hinkel, Robert Huth, Thomas Hitzlsperger, Lukas Podolski et Philipp Lahm, qui était déjà repris à l’EURO 2004. Nous allons observer leur évolution dans les douze prochains mois pour effectuer la sélection pour le Mondial. Certains auront déjà le niveau requis.

Vous avez un problème de luxe dans le but avec Oliver Kahn et Jens Lehmann.

Nous sommes très heureux d’avoir deux gardiens de classe mondiale. C’est extrêmement rare. La presse a disséqué le sujet mais l’affaire a évolué positivement. Oliver Kahn est notre numéro un et Jens Lehmann son challenger. Cela a donné un surcroît de motivation, d’inspiration et de concentration aux deux gardiens. Oliver, surtout, avait des problèmes, il avait l’impression qu’on voulait tout lui prendre. Il a d’abord perdu son brassard au profit de Michael Ballack puis sa position de premier gardien a été remise en cause. Nous lui avons clairement signifié qu’il était notre premier choix mais que Jens recevrait l’occasion de faire ses preuves. Quand vous remportez le doublé avec Arsenal et restez invaincu 49 matches, vous méritez aussi la confiance du sélectionneur. Les premières semaines ont été difficiles pour les deux hommes mais ils ont appréhendé la situation avec professionnalisme û nous en sommes fiers û et se reparlent. Ils s’encouragent et ont progressé au cours des huit derniers mois.

Vous avez aussi demandé d’être scindé du bureau fédéral DFB où siègent les deux présidents, Gerhard Mayer-Vorfelder et Theo Zwanziger.

Une de nos premières exigences était d’avoir notre propre bureau. Jusque-là, l’équipe nationale avait toujours été liée aux autres équipes représentatives mais c’était une structure trop lourde. Nous voulions notre propre espace au siège de la DFB, avec notre personnel.

Vous avez demandé à vos joueurs s’ils savaient comment ils pouvaient progresser. Vous êtes-vous posé la même question à votre propos ?

Je considère tout ce projet comme une expérience fantastique. Le monde des affaires m’a appris que quand on n’a pas soi-même les connaissances requises, il faut s’entourer de gens qui les ont. Je voulais un psychologue du sport parce que je n’ai jamais étudié la psychologie à l’université. Tout le monde parle de l’aspect mental d’un match mais de quoi parle-t-on ? Le système allemand a toujours été composé d’un Bundestrainer, assisté de quelques adjoints, d’un entraîneur des gardiens etc. Nous avons dit que ce ne serait pas notre méthode de travail. Nous voulons former une équipe et exploiter pleinement les atouts de chacun. Joachim Löw est capable d’expliquer en 30 secondes une tactique, sur le terrain. Je le laisse faire. Je ne vais pas m’en occuper simplement parce que je suis l’entraîneur en chef ! Oliver Bierhoff a le don de s’exprimer devant une caméra et d’entretenir des contacts avec les clubs de Bundesliga, les journalistes et les sponsors. Si un préparateur physique me dit qu’il peut obtenir 10 à 20 % de plus de mes joueurs, je lui réponds : -Explique-moi ça et fais ton travail. Mes collègues m’apprennent quelque chose tous les jours parce que nous travaillons en équipe.

Vous avez joué dans différents pays. Cette expérience vous est-elle précieuse dans votre travail actuel ?

En jouant dans plusieurs pays, j’ai appréhendé les choses sous différentes perspectives. Mon séjour aux Etats-Unis m’a ouvert l’esprit bien plus encore. C’est le cas de mes collègues aussi : Joachim Löw a travaillé en Turquie et en Australie, Oliver Bierhoff a joué en Italie et Andreas Köpke en France. Nous l’avons expliqué aux joueurs, nous leur avons dit que nous suivions leurs prestations au sein de leur club mais que ce n’était pas le seul critère. Ils ne doivent pas trembler pour leur place en équipe nationale au moindre passage à vide en championnat. Nous voulons plutôt qu’ils progressent constamment en prévision du Mondial et par la suite, je l’espère.

Pensez-vous que les supporters allemands acceptent que leur sélectionneur vive en Californie ?

Nul ne savait vraiment si cela marcherait. Il y avait beaucoup de points d’interrogation et des doutes, style û Il n’a aucune expérience d’entraîneur et vit en Californie. Nous savions qu’il nous faudrait du temps pour convaincre les gens mais en football, tout tourne autour des résultats et, surtout, du style de jeu. De ce point de vue, nous avons pris un bon départ : les joueurs se sont retrouvés dans le projet et ont disputé quelques bons matches. Les critiques ont donc cessé de s’interroger sur mes navettes entre la Californie et l’Allemagne. Je ne suis pas le seul. Zico entraîne le Japon et se partage entre Tokyo et Rio de Janeiro. Otto Rehhagel entraîne la Grèce et a un abonnement pour le trajet Düsseldorf û Athènes. Tous les internationaux brésiliens de Carlos Alberto Parreira évoluent en Europe alors que leur entraîneur vit à Rio. C’est faisable. Ce qui compte, c’est la qualité du travail fourni.

Quel est votre schéma ?

Je fais la navette deux fois par mois. J’arrive une semaine avant un match et j’effectue aussi un saut de quatre ou cinq jours pour régler les détails de l’organisation. Je me concentre sur l’essentiel et ne prête plus attention à tous les ragots. Un sélectionneur n’a pas à commenter ce qui se passe dans les championnats nationaux ou dans le football européen en général. Je suis en contact quotidien avec Joachim Löw et le reste du staff. Mes collègues peuvent me téléphoner ou m’envoyer un mail quand ils le veulent.

Comment suivez-vous le football allemand depuis la Californie ?

Je vois trois matches par week-end grâce au satellite et je reçois deux chaînes allemandes. Je vois les faits saillants de la Bundesliga, quatre matches complets de la Premiership par week-end et la Série A via RAI International. Si je le voulais, je pourrais voir du foot 24 heures sur 24.

L’Allemagne va-t-elle gagner la Coupe du Monde ?

Après tous ces efforts, je l’espère de tout c£ur !

Keir Radnedge et Niels Wiertz, ESM

 » Nous avons OLIVER KAHN ET JENS LEHMANN. Aucun autre pays ne bénéficie d’un tel luxe  »

 » Je ne peux rien imaginer de plus passionnant que de DIRIGER L’ALLEMAGNE AU MONDIAL  »

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