« STOPPE! STOPPE! NO DRIBBLING! »

Le coach espagnol transmet avec ferveur sa vision. Il demande au noyau d’avoir le courage de changer. Après la saison la plus brillante de son histoire, c’est comme si le Bayern devait réapprendre à jouer au football….

Durant une conférence de presse du Bayern, un journaliste a demandé à Jérôme Boateng les différences entre Pep Guardiola et Jupp Heynckes. Le défenseur central était assis à une grande table, aux côtés de son nouvel entraîneur. Le Bayern effectuait un stage sur les rives du lac de Garde, le soleil brillait et plus de cent journalistes avaient envahi la salle. Boateng a sursauté. Que devait-il donc répondre ? Après un bref silence, Boateng a bredouillé :  » Son approche est un peu différente de celle d’Heynckes, ici et là.  »

Il voulait dire complètement différente. Dès les premiers matches de préparation, Guardiola a testé un tout nouveau système de jeu, offensif, empreint de risques. Le jeu du FC Barcelone, l’ancien club de Guardiola. Avec un seul médian défensif devant la dernière ligne, des arrières latéraux qui opèrent dans le camp adverse, beaucoup de footballeurs dans l’axe mais sans véritable attaquant, avec des trajectoires de course inhabituelles, soit toutes les idées qui constituent l’ADN de Barcelone, des concepts que Franck Ribéry a jugés  » quand même un peu bizarres « , au terme du stage.

Fin juin, quand Pep Guardiola a été présenté par le Bayern, on s’attendait à ce que l’Espagnol poursuive sur la trajectoire de Jupp Heynckes. Celui-ci avait posé les fondations, l’équipe était ambitieuse, développait un football rapide, attrayant et discipliné, elle venait d’ajouter à la vitrine déjà bien remplie du Bayern un titre, une Coupe et la Ligue des Champions, tout en développant un excellent football. Ce formidable triplé inaugurait une ère nouvelle pour le Bayern et Pep Guardiola semblait être le pilote idéal pour l’accompagner plus avant sur la route du succès. Pendant sa présentation, le nouvel entraîneur, dans un élan de modestie, avait déclaré qu’il s’adapterait au groupe.  » Le football est aux mains des joueurs, pas de l’entraîneur.  » A ses côtés, les dirigeants du Bayern rayonnaient de satisfaction. Uli Hoeness, Karl-Heinz Rummenigge et Matthias Sammer n’imaginaient absolument pas que Guardiola allait modifier radicalement le cap du meilleur club d’Europe.

Une foire

Ils se trompaient. Pep Guardiola a subi un choc culturel au lac de Garde, quand des milliers de supporters ont assisté aux entraînements, muant l’environnement en une sorte de foire. Ce n’est pas évident pour quelqu’un qui avait l’habitude de s’entraîner à huis clos. Mais Guardiola n’a pas eu le temps de s’énerver à ce propos. Il avait autre chose à faire. Sur le terrain, il se comportait comme un possédé. Le nouvel entraîneur ne pénétrait pas sur le terrain, non, il courait d’un coin à l’autre, gesticulant et donnant des consignes dans un mélange d’espagnol, d’anglais et d’allemand. Il avait l’air débordé, comme s’il ne disposait pas de suffisamment de temps pendant les séances pour transmettre aux joueurs ce qu’il voulait. Il ne cessait de les corriger, s’adressait aux vedettes sur un ton professoral, comme si le vainqueur de la Ligue des Champions devait encore apprendre l’abc du football. Certains entraîneurs laissent le travail de terrain à leurs adjoints pour observer la manoeuvre mais Guardiola a tout pris en charge. S’il l’avait pu, il aurait disposé les cônes lui-même. Il se tenait tout près des joueurs, comme un pitbull qui n’a pas l’intention de lâcher sa proie.

Un moment donné, un joueur a effectué un crochet. Guardiola a immédiatement arrêté l’entraînement :  » Stoppe. «  On ne joue pas comme ça. Un jeune footballeur veut faire impression et effectue un dribble. On dirait qu’il a mordu Guardiola :  » Stoppe ! No dribbling ! «  Quand un défenseur, en perte de balle, n’avance pas sur le champ pour placer son adversaire sous pression, il hurle encore :  » Stoppe ! «  Quand le ballon circule trop lentement, alors que le Bayern travaille les combinaisons, le Catalan est presque victime d’une crise cardiaque :  » Stoppe, stoppe, stoppe. «  On recommence, on s’interrompt, il corrige et ça repart. Chaque fois, il crie :  » Stoppe ! Again ! New ! «  Entre les coups, Pep Guardiola prend des notes et il explique même à un jeune ramasseur de balles où se tenir pendant l’entraînement pour renvoyer le ballon le plus vite possible.

La voix de Dieu

De fait, on s’en doute, un club sacré champion vainqueur de la Coupe et de la Ligue des Champions fait tout de travers. À chaque séance, Matthias Sammer, le manager sportif, se tient debout au bord du terrain. Quand on lui a demandé quels étaient ses rapports avec Pep Guardiola, il a répondu, un peu irrité.  » Délicats mais bons.  » Sammer est impressionné par la motivation de Guardiola mais il ajoute :  » Il a besoin de temps pour tout mettre en forme.  » L’objectif, selon l’ancien international dont on vante l’intelligence footballistique, est de rendre l’équipe plus souple et d’améliorer des détails, de sorte que les adversaires aient encore plus de mal à s’opposer au Bayern.

Pep Guardiola n’a jamais fait mystère de sa philosophie. Il a conféré une dimension nouvelle au jeu de Barcelone. Le club catalan a joué plus vite, plus efficacement, avec plus de précision et de beauté sous ses ordres. Guardiola admire les entraîneurs qui développent un football offensif et orienté sur le ballon. Dans une de ses rares interviews, il a fait référence à Marcello Bielsa, Louis van Gaal et surtout à Johan Cruijff. C’est celui-ci qui a déclaré qu’on ne gagnait pas de matches devant ni derrière mais avec un homme de plus dans l’entrejeu. Guardiola a mémorisé cette remarque. Elle est devenue son credo et fait partie de ceux de Barcelone depuis des années. Celui qui domine l’entrejeu domine le match. C’est à partir de ce compartiment qu’une équipe se lie.

Il a opiné quand on lui a demandé s’il allait séparer le bloc défensif qui devance la défense, Bastian Schweinsteiger et Javier Martinez, pour poster l’Espagnol plus en arrière, dans une autre occupation de terrain. C’est étrange car son prédécesseur avait précisément réclamé l’arrivée de Martinez, qui était selon lui le pion manquant dans l’entrejeu. Mais Pep Guardiola a d’autres conceptions du jeu. Quand on lui demande s’il a l’intention de jouer avec un faux numéro neuf, il opine encore : c’est une option. Cette variante, explique-t-il sur le ton d’un professeur d’université, permet à l’avant de se replier dans l’entrejeu pour y attirer les défenseurs, les contraindre à quitter leur poste et donc créer des brèches, brèches qu’il faut exploiter, précise-t-il.

Une voix douce, une poigne de fer

C’est comme ça que Pep Guardiola veut procéder. C’est comme s’il démolissait les fondations posées par Jupp Heyckes pour ériger un nouveau bâtiment. Même s’il couvre le noyau de compliments et loue son intelligence de jeu, en externe, il n’est en fait jamais content. Le Bayern a enlevé la Telekom Cup et a donné le tournis, dans des matches de 60 minutes, à Hambourg (4-0), et au Borussia Mönchengladbach (5-1), ne cessant de permuter. À la mi-temps de ce dernier match, Guardiola a rejoint le vestiaire en compagnie d’Arjen Robben, en discutant avec véhémence. Il s’est même arrêté pour faire comprendre quelque chose au Néerlandais, d’un geste. Robben était bouche bée, comme s’il écoutait le Messie.

Aucun footballeur du Bayern n’est assuré de sa place sous la férule de Guardiola. Tous les postes sont doublés et dans l’entrejeu, le coach a même l’embarras du choix entre onze footballeurs pour cinq, voire six places. L’entrejeu du Bayern fait penser à une horde de touristes qui attend à l’entrée d’un avion surbooké. Ils ont tous un ticket valable mais certains ne pourront pas monter à bord. On parle à peine de Mario Götze, transféré de Dortmund pour 37 millions d’euros mais blessé. On s’attend à ce que Guardiola pratique la rotation, même si le président Uli Hoeness émet des doutes à ce propos. Selon lui, une équipe a besoin d’automatismes. Il rappelle la période de Guardiola en Catalogne : il limitait ses changements au minimum et huit joueurs étaient assurés de leur place. Il doit en être de même au Bayern, selon Hoeness. Ses propos résonnent comme un avertissement.

Pep Guardiola n’en tiendra guère compte. Il est le patron et il veut qu’on accepte ses décisions. Il parle et se comporte en boss. Il parle d’une voix douce mais a une poigne de fer. Il a l’air décontracté mais il impose sa volonté. Une qualité rare. Il sait qu’un noyau étoffé peut susciter des remous mais il préfère cela à un petit groupe qui le prive d’alternatives en cas de blessures. La saison sera longue et pénible. Guardiola a calculé que le Bayern va disputer 60 matches cette saison et le calendrier des internationaux est encore plus chargé.

Plaidoyer pour la variété

Pep Guardiola n’est pas un entraîneur miracle mais sa réputation le précède. Quatorze trophées en quatre ans avec Barcelone, ce n’est pas rien. Guardiola se contente de prêcher son évangile au Bayern. Reste à voir si cela fonctionnera. Il a en tout cas atteint un objectif : on parle différemment du football. Les journaux publient des graphiques pour illustrer le système de l’Espagnol, avec moult chiffres et flèches. Le 4-3-3 ou le 4-1-4-1, qu’est-ce qui convient le mieux au Bayern ? Guardiola plaide surtout en faveur de la variété, jugeant qu’un système doit être un point d’appui plutôt qu’une tactique aveugle. Les joueurs doivent assimiler ce mode de pensée. Ils sont partagés quant au fonctionnement de leur entraîneur, qui a même posté, en début de saison, le capitaine Philipp Lahm dans l’entrejeu alors que celui-ci est arrière latéral depuis des années. Dans la philosophie de Guardiola, les joueurs doivent être multifonctionnels. Un moment donné, il a même déclaré que Mario Mandzukic, l’attaquant au si bon jeu de tête, devait pouvoir évoluer en défense, compte tenu de son gabarit. Nul n’a osé lui demander s’il plaisantait.

Pep Guardiola va imposer son sceau au Bayern, qui va modifier son style de jeu. Après deux semaines d’entraînement, on a demandé à l’entraîneur comment il se sentait.  » Je suis très satisfait.  » Au même moment, il se rendait auprès de la direction pour exiger le transfert de Thiago Alcantara, le grand talent de Barcelone, âgé de 22 ans et transférable pour 20 millions. Il a motivé sa requête : il n’a pas besoin d’expliquer à Thiago Alcantara comment il doit jouer. En plus, on peut l’aligner à cinq places différentes. La direction ne pouvait-elle donc pas l’engager dans les plus brefs délais ?

Pepe Guardiola a collaboré : il a communiqué le numéro de téléphone du manager de Thiago Alcantara : son frère Père, qui dirige un important bureau de management à Barcelone. La direction du Bayern a été stupéfaite mais elle a accepté la requête. Le fanatisme de Pep Guardiola suscite l’admiration mais aussi une certaine inquiétude. Et si ce changement de cap radical ne produisait pas l’effet escompté ?

Un voile de tristesse

Pep Guardiola évite de se poser certaines questions, par exemple quand le Bayern s’est incliné 4-2 en Supercoupe contre le Borussia Dortmund. Pour lui, ce n’était qu’un instantané, une étape de son processus d’apprentissage. Il n’a même pas mentionné l’absence d’une série de valeurs sûres. À juste titre d’ailleurs car pour lui, il n’y a pas vraiment de titulaires. Pourtant, à l’issue de ce match, une image a frappé : alors que ses joueurs étaient déjà dans le vestiaire, Pep Guardiola regardait les footballeurs du Borussia faire la fête sur le terrain. Son regard était voilé de tristesse.

Depuis que l’Espagnol a signé un contrat modeste à Barcelone en 2008, succédant à Frank Rijkaard, beaucoup de chose ont changé. Par exemple, son contrat compte maintenant neuf pages. Pourtant, on continue à se demander si Pep Guardiola est en mesure d’offrir d’autres succès au Bayern. Les sceptiques rétorquent qu’avec des footballeurs comme Messi, Xavi et Iniesta, n’importe quel entraîneur est capable de gagner des titres. D’ailleurs, Frank Rijkaard a enlevé la Ligue des Champions 2006 avec Barcelone mais maintenant, il n’est plus qu’un pauvre hère oublié du football.

C’est le risque que court Pep Guardiola au Bayern : peut-il surpasser le maximum ? On ne découvre le vrai visage des gens que dans la défaite. Or, Guardiola ne la connaît pas. Cela peut changer à Munich car il peut perdre. Surtout contre lui-même, bien que peu d’observateurs le pensent. Le quotidien Bild a effectué un sondage pour savoir qui serait Entraîneur de l’Année. 35 % des lecteurs ont misé sur Pep Guardiola. Ce n’est pas vraiment étonnant : depuis que l’Espagnol a signé au Bayern, le quotidien à sensation consacre chaque jour une pleine page aux activités de Guardiola.

PAR JUAN MORENO ET JACQUES SYS – PHOTOS: IMAGEGLOBE

Hoeness, Rummenigge et Sammer n’imaginaient pas que Guardiola allait modifier radicalement le cap du meilleur club d’Europe.

Guardiola explique même à un ramasseur de balles où se tenir pendant l’entraînement pour renvoyer le ballon le plus vite possible.

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