Stop aux critiques

L’attaquant débarque avec, dans ses valises, un titre de champion d’Angleterre et une coupe aux grandes oreilles. Portrait d’un joueur que beaucoup considèrent comme le meilleur du monde.

Le fait que Cristiano Ronaldo enchante Moscou lors de la finale de la Ligue des Champions n’aura surpris personne. Cela fait deux ans que le virtuose du ballon fait preuve d’une telle classe que ses admirateurs ne trouvent plus les mots pour l’encenser. Le footballeur portugais semble parfait. Une touche de balle et un passement de jambes lui suffisent à faire éclater les défenses, quand il n’inscrit pas lui-même des buts superbes. En avril dernier, la prolongation de son titre de Footballeur de l’Année en Angleterre, un titre décerné par ses pairs, n’a pas fait l’objet de la moindre contestation. Lors du match à Wigan Athletic (0-2), il a porté son nombre de buts personnels en championnat à 31. Seul Dennis Violet, une légende du club, a fait mieux, inscrivant 32 buts au cours du championnat 1959-60. En attendant, Cristiano Ronaldo a égalé le record de la Premier League : en 1995-96, Alan Shearer avait également marqué à 31 reprises pour le compte de Blackburn Rovers. Mais Cristiano Ronaldo s’est également montré productif dans d’autres compétitions : ses 41 buts en 48 matches officiels font de lui le troisième buteur de l’histoire de Manchester United sur une même saison, derrière Dennis Law (46) et Ruud van Nistelrooy (44).

Dans les années 90, le Français Eric Cantona fut le dernier joueur à être aussi indispensable au système de jeu des Red Devils. On comprend, dès lors, le lyrisme dont fait preuve Sir Alex Ferguson, le manager, lorsqu’il parle de Ronaldo.  » C’est le meilleur joueur du monde et le plus doué que j’aie vu depuis que je suis à Old Trafford. Cantona était fantastique mais Ronaldo est encore meilleur. Ce qu’il a démontré tout au long de la saison est incroyable. Son talent est inné mais il arrive à présent à le dompter et à se montrer constant. Après le Mondial 2006, il a beaucoup évolué sur le plan mental. C’est la clef de son succès : aujourd’hui, Ronaldo est adulte « .

L’an dernier déjà, John Terry, le capitaine malheureux de Chelsea en finale de la Ligue des Champions, ne tarissait pas d’éloges à l’égard de Ronaldo.  » J’aime voir jouer Manchester United et Cristiano Ronaldo… à condition de ne pas être sur le terrain et de ne pas devoir le surveiller. Son style et les actions qu’il entreprend font de lui un joueur unique. Quand il est en forme, nul ne peut l’arrêter « .

La revanche

Sa métamorphose est remarquable. Il y a deux ans encore, les connaisseurs du football anglais doutaient du Portugais. Il était davantage décrié qu’admiré. Pour eux, il ne méritait pas de porter le numéro 7 de George Best et de Cantona. C’était un artiste de cirque et les supporters adverses détestaient ses aptitudes de Serial Diver, ses plongeons dans le rectangle dès qu’on le touchait. Au cours du Mondial allemand, il fut même victime d’une campagne de dénigrement dans la presse anglaise.

Au cours du match Portugal -Angleterre, il aurait en effet incité l’arbitre Horacio Elizondo à exclure son équipier de club Wayne Rooney. Le Portugal l’emporta aux tirs au but et Ronaldo fut désigné comme responsable de l’élimination anglaise.

 » Ce fut un moment crucial de ma carrière « , explique aujourd’hui Cristiano Ronaldo.  » On m’en voulait énormément. J’ai d’abord songé à quitter Manchester pour aller au Real Madrid ou à Barcelone. Mais après quelques semaines, j’ai décidé de rester et de prendre ma revanche. Alex Ferguson et son adjoint portugais Carlos Queiroz m’ont tellement soutenu que j’ai eu la force de le faire. Je ne me suis jamais tracassé parce que le public m’en voulait. Au contraire : les insultes me donnaient de l’énergie « .

Le Portugais put aussi compter sur son expérience de vie et son caractère. Son père n’avait-il pas souhaité qu’il s’impose à Manchester ? Alcoolique, Dinis Aveiro était décédé le 5 septembre 2005, des suites d’une cirrhose. C’est pour lui que Ronaldo décida de rester en Angleterre, même si l’homme qui l’inspira tellement au cours de ses jeunes années n’était plus là pour le voir.

Cristiano Ronaldo est né le 5 septembre 1985 sur l’île de Madère. Il est le rejeton d’une famille qui compte déjà un fils, Hugo, et deux filles, Elma et Liliana Cátia. Tous sont nés au milieu des années 70. Sa mère, Maria Dolores, fait des ménages tandis que son père entretient des jardins et le terrain du club de football local, Andorinha. Encouragé par son père, un fanatique, Ronaldo découvre donc très vite le football. Et il semble tellement doué qu’à l’âge de six ans, tout le monde l’admire. Il parvient à conserver le ballon aux pieds même sur des terrains pleins de poussière, de fosses et de bosses.  » Je sais qu’on dit souvent des grands joueurs qu’ils sont nés avec un ballon au pied mais, dans le cas de Ronaldo, c’est plus vrai que jamais « , raconte Fernão Sousa, un ami de la famille, à la BBC.  » Il avait un corps parfait. Il était petit mais son contrôle de balle et sa capacité de dribbler tout en conservant l’équilibre étaient du jamais vu « .

Une bête d’entraînement

Ronaldo avait huit ans lorsqu’il s’inscrivit à Andorinha, où tout le monde se souvient évidemment de lui.  » Il détestait perdre, ce qui était très rare chez les gamins de son âge « , rappelait Rui Santos, le président du club, en 2006.  » Après une défaite, il pleurait pendant des heures ou était très fâché « .

En 1995, son talent l’amena au Nacional, le deuxième club de l’île, derrière Marítimo. Son séjour y fut de courte durée. Deux ans plus tard, à l’âge de douze ans à peine, il débarquait au Sporting Lisbonne, à qui le Nacional devait encore de l’argent pour le transfert d’un ancien joueur. Ronaldo servit de monnaie d’échange mais ses parents marquèrent leur accord.

 » Ils m’ont laissé le droit de choisir « , confirme le joueur.  » Il ne m’a fallu que cinq minutes pour réfléchir. Bien sûr que j’étais prêt à aller à Lisbonne, même si je savais à peine ce que cela représentait. Au cours des premières semaines, j’ai eu beaucoup de chagrin. Madère, c’est petit et je n’étais jamais allé dans une grande ville. Lisbonne me faisait peur, avec toute cette agitation et tous ces gens. J’avais le mal du pays « .

Son accent de Madère, que tout le monde raillait, rendit encore les choses plus difficiles.  » Même les professeurs me ridiculisaient. Je trouvais cela injuste et je réagissais mal. Un jour, j’ai jeté une chaise à la tête d’une prof et j’ai été expulsé de la classe. De toute façon, je n’avais pas l’impression d’être fait pour l’école « .

Au sein des écoles de jeunes du Sporting, il développe son style, ne s’arrête jamais de dribbler. Des entraînements de musculation intensifs le rendent plus fort et, à partir de 2001, il ne songe plus qu’à devenir professionnel. Le salaire qu’il perçoit lui permet d’offrir une cure de désintoxication à son frère Hugo, drogué, et cela lui fait prendre conscience de l’importance que son éventuelle réussite peut avoir pour sa famille : il devient une véritable bête d’entraînement.

Le 7 octobre 2002, il effectue des débuts magistraux en championnat du Portugal. Le Sporting mène 1-0 sur son terrain face à Moreirense lorsque Ronaldo s’empare du ballon et effectue un double passement de jambes avant de faire 2-0. Son deuxième but est beaucoup plus simple puisqu’il marque de la tête sur coup franc. Supporters et journalistes sont unanimes : le Sporting détient une perle. Les grands clubs européens le connaissent déjà car ils l’ont repéré à l’occasion de tournois de jeunes mais leur intérêt grandit encore. En mars 2003, Liverpool est le premier à faire une offre mais Gérard Houiller estime que six millions d’euros pour un gamin de 18 ans qui n’a encore rien prouvé, c’est trop.

Numéro 7

Manchester United lui en sera éternellement reconnaissante. Car Ferguson apprécie Ronaldo également et le 6 août 2003, la chance frappe à sa porte. Son équipe est invitée à inaugurer le nouveau stade José Alvalade, construit à l’occasion de l’Euro 2004. Brillant, Cristiano Ronaldo n’a besoin que d’une mi-temps pour convaincre Ferguson. La légende veut que l’Ecossais a promis à ses joueurs de ne pas quitter le stade sans avoir transféré la jeune star. Grâce à Cristiano Ronaldo, le Sporting l’emporte 3-1 et, au cours de la même semaine, les deux clubs tombent d’accord. Les Anglais payent 18 millions d’euros pour un joueur qui quitte le pays après 25 matches de championnat seulement. Sir Alex a une telle confiance en lui qu’il lui confie le numéro sept de David Beckham, parti au Real Madrid. Mais il se montre également très patient car le Portugais a encore beaucoup à apprendre. Il est trop court sur le plan tactique, trop personnel et ne comprend pas toujours qu’une passe simple est parfois préférable à un dribble magique. Il énerve aussi tout le monde à se laisser tomber au moindre contact et cela nuit à sa réputation.

 » Mes deux premières saisons furent difficiles « , avoue-t-il.  » Mais les gens ne doivent pas oublier que je n’étais encore qu’un adolescent. Je venais d’une autre culture et j’ai dû m’adapter au jeu anglais. Je suis fier d’y être arrivé malgré tout « ..

A ses débuts, Ronaldo est beaucoup trop irrégulier mais il arrive tout de même à impressionner son monde. C’est le cas en finale de la FA Cup, le 22 mai 2004 face à Milwall. Manchester l’emporte 3-0 à Cardiff et Ronaldo est, de loin, le meilleur sur le terrain. Juste avant le repos, il porte son équipe au commandement d’un but de la tête et constitue un véritable poison pour la défense avant d’être remplacé en fin de match.

Mais s’il lui arrive de briller, il fait tout aussi souvent parler de lui en mal. On lui reproche de simuler, de ne pas centrer suffisamment et de se laisser provoquer. Le 7 décembre 2005, alors que Manchester vient d’être éliminé de la Ligue des Champions sur le terrain de Benfica, il adresse un geste obscène au public et l’UEFA le suspend pour un match. La mort de son père fait de cette fin d’année 2005 une période noire.

Maradona

Le soutien de Ferguson et de son adjoint Queiroz comptent beaucoup pour lui. Son compatriote fait un peu office de deuxième père et il peut lui parler dans sa langue. Les applaudissements des supporters lui font aussi beaucoup de bien. Il finit par se montrer plus constant et participe à la renaissance de son club qui, depuis deux ans et demi, ne jouait plus au même niveau. Les choses changent à partir de décembre 2005, lorsque Ryan Giggs remplace Paul Scholes (opéré à l’£il) dans l’entrejeu et que Ronaldo change constamment de flanc. Ce n’est pas un hasard si, de février à mai 2006, il score à huit reprises en championnat, doublant ainsi le total de buts marqués depuis 2003. Il fait ainsi oublier quelque peu le meilleur buteur, Ruud van Nistelrooy qui, en février, s’est disputé avec Ferguson.

Après le Mondial 2006, Cristiano Ronaldo se venge de façon magistrale. Il s’enferme rarement dans ses propres dribbles, marque et donne de nombreux assists. Son jeu repose toujours en grande partie sur ses dribbles mais il semble désormais sentir le moment où il doit donner le ballon. Ce n’est pas un hasard si, au cours de la saison 2006-2007, Manchester United prend très vite la tête du championnat. Ronaldo est déchaîné. Entre le 23 et le 30 décembre 2006, il marque six buts en trois matches et devient ainsi le meilleur buteur de l’équipe. Il termine le championnat avec 17 goals et 14 assists, jouant ainsi un rôle décisif dans la conquête du titre.

Cette saison, c’est aussi en bonne partie grâce à Cristiano Ronaldo que Sir Alex Ferguson remporte son dixième championnat avec Manchester United. Le manager écossais, connu pour ne jamais mettre les joueurs sur un piédestal, fait une exception pour le Portugais :  » Il mérite d’être comparé à Diego Maradona. Il est terriblement rapide, avec ou sans ballon. C’est une qualité que très peu de joueurs possèdent. Ronaldo peut dribbler comme Maradona et le fait qu’il joue des deux pieds lui donne un avantage extraordinaire car les défenseurs ne savent jamais ce qu’il va faire. Il peut dès lors évoluer sur les deux flancs. Je ne le contrôle pas, il bénéficie d’une liberté totale. Au sein de l’équipe, Nani, Giggs ou Ji-Sung Park savent qu’ils doivent prendre sa place. Nous avons fonctionné toute la saison comme cela « .

Le plus beau but

Ce style de jeu permit aussi à Manchester United d’atteindre la finale de la Ligue des Champions, une compétition dans laquelle Cristiano Ronaldo inscrit huit buts en onze matches, dont un le 19 septembre 2007 au Sporting Lisbonne. Dans le stade qui lui valut son transfert en Angleterre, il célèbre sobrement son but et le public apprécie, au point de lui réserver une formidable ovation à l’issue de la rencontre.

Le 12 janvier 2008, à l’occasion de la rencontre face à Newcastle (6-0), Ronaldo réalise son premier hat-trick. En décembre 2007, il s’est classé troisième du Footballeur FIFA de l’Année, derrière Kaká(AC Milan) et Lionel Messi (Barcelone).

par martijn horn

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