« Stoica doit jouer dans un fauteuil »

L’ancien coach fédéral analyse les atouts respectifs des deux candidats au titre.

Le choc Bruges-Anderlecht constituera vraisemblablement un tournant du championnat. Georges Leekens, qui fut entraîneur dans les deux clubs à la fin des années 80, s’est penché sur le duel et a analysé les forces en présence.

Retrouvez-vous, dans les équipes actuelles, les caractéristiques qui existaient déjà à Bruges et à Anderlecht lorsque vous en étiez l’entraîneur?

Georges Leekens: Bruges est effectivement demeuré un bloc compact, assez physique, comme autrefois. C’est un peu la marque de fabrique du Club et c’est ce que les supporters demandent. Tjörven De Brul, Nzelo Lembi : ce sont tous des joueurs puissants, athlétiques, qui atteignent 1m85 et se distinguent par leur engagement. Le style global est plus dans le genre norvégien, et je ne dis pas cela parce que l’entraîneur est Trond Sollied. Les joueurs de Bruges sont en général des grands gaillards costauds qui balancent dans le paquet. Mais ils ont toujours eu l’un ou l’autre joueur technique dans le lot. A mon époque, c’était Ulrich Le Fèvre, puis Sörensen. Cette saison, c’était le cas avec Khalilou Fadiga au départ. Andres Mendoza est davantage un joueur explosif que technique. Actuellement, Ebou Sillah est le joueur le plus technique de Bruges. Sven Vermant est le plus créatif. Les supporters apprécient aussi ce genre de joueur parce qu’ils apportent une petite touche technique. On ne peut pas avoir uniquement des travailleurs comme Timmy Simons et Philippe Clement. Il faut trouver le juste équilibre pour constituer une équipe de haut niveau. Pour avoir une équipe de haut rang, il manque un grand passeur. Anderlecht a progressivement changé son style dans l’autre sens. De technique au départ, l’équipe est devenue plus physique avec l’arrivée de joueurs comme Bart Goor, Yves Vanderhaeghe, Didier Dheedene ou Jan Koller. Les techniciens ne sont plus nécessairement prédominants.

Ce changement de style est-il difficile à faire accepter par le public?

A partir du moment où le public constate qu’on n’obtient plus de résultats en se basant uniquement sur la technique, il accepte facilement une greffe de joueurs plus physiques puisque c’est pour le bien de son équipe préférée. Ce fut un changement pour les supporters, mais aussi pour les dirigeants, qui ont dû modifier leur politique de transfert. Autrefois, les recruteurs anderlechtois n’avaient d’yeux que pour les joueurs techniques. Ils sont désormais obligés de tenir compte d’autres aspects. Dans ce domaine-là également, on voit comment a évolué la France. Autrefois, c’était toujours un jeu bien léché mais sans aucun engagement. Raymond Goethals avait l’habitude de dire qu’on pouvait affronter les Français en costume-cravate. Aujourd’hui, ils ont ajouté du physique et on voit à quoi cela les a menés. Sans nécessairement s’inspirer des Français, Anderlecht a évolué de la même manière. Pendant dix ans, le Sporting n’avait pas obtenu de résultats. Aujourd’hui, la nouvelle recette fonctionne. Un équilibre a été trouvé. Cette saison, Anderlecht est aussi revenu à un 4-4-2. J’apprécie Aimé Anthuenis. C’est un vrai, comme on dit. Mais il est très susceptible et était capable de se fâcher très fort lorsqu’on insinuait qu’il alignait cinq défenseurs. Pour lui, c’était trois défenseurs. Il m’arrive de l’ allumer un peu en lui demandant: -Tu alignes Besnik Hasi à la place d’Alin Stoica! As-tu peur? Aimé Anthuenis est un collègue très correct, mais il faut reconnaître qu’il a modifié le style d’Anderlecht. Yves Vanderhaeghe, ce n’est pas vraiment le prototype du joueur qui a fait la réputation de la maison mauve. C’est plutôt le style Franky Van der Elst: celui qui récupère les ballons et les cède au partenaire le plus proche ou le mieux placé. Anderlecht joue désormais avec deux demi défensifs, si l’on répertorie Walter Baseggio dans cette catégorie. Cela non plus, ce n’était pas dans la tradition anderlechtoise. Est-ce l’équipe de France championne d’Europe qui a fait école? Peut-être. Si la France a joué de cette manière, c’était pour placer Zinedine Zidane dans un fauteuil. A Anderlecht, il faut placer Alin Stoica dans un fauteuil. Cela n’a aucune connotation négative. Au contraire: on a besoin de joueurs comme le Roumain. Malheureusement, pour équilibrer l’équipe, il est obligé de se décaler légèrement sur la droite.

Et du côté de Bruges?

Lorsque les Brugeois ne trouvent pas de solution, ils aiment balancer des ballons dans le rectangle. Ils ont des joueurs costauds capables de les reprendre de la tête, et si les défenseurs les repoussent, ils ont des médians comme Sven Vermant ou Gaëtan Englebert en deuxième ligne. Gert Verheyen manque beaucoup à Bruges actuellement. C’est un joueur très physique qui trouve facilement le chemin des filets. Il y a toujours eu un Monsieur 50% à Bruges. Autrefois, c’était Raoul Lambert. Puis, c’est devenu Jan Ceulemans. Ces dernières années, c’était Franky Van der Elst. Aujourd’hui, c’est Gert Verheyen. Lorsqu’il n’est pas là, l’équipe perd en efficacité.

Anderlecht en impose-t-il aujourd’hui davantage par son collectif que par sa technique?

Certainement. Anderlecht forme désormais un bloc. Les départs d’Enzo Scifo et de Pär Zetterberg ne sont pas étrangers à ce phénomène. Ce n’est pas les dénigrer que de dire cela. Avant, tous les ballons passaient par eux. Aujourd’hui, il faut s’en référer au collectif. Le départ de ces deux joueurs a libéré Walter Baseggio. Autrefois, il vouait trop de respect aux grands. ll commence désormais à affirmer sa propre personnalité. Comme Yves Vanderhaeghe l’a fait à partir du moment où il est devenu international. Anderlecht forme une véritable équipe. Autrefois, il s’en référait davantage au talent individuel. Même à l’époque de Jan Mulder, Paul Van Himst, Juan Lozano et Robby Rensenbrink. Ceux-là, c’étaient des grands. Aujourd’hui, il n’y a plus de grand joueur au Sporting. Ce sont tous des bons joueurs, sans plus. Jan Koller est grand par la taille, mais avec tout le respect que je lui dois, ce n’est pas Patrick Kluivert ou Rivaldo. C’est néanmoins un élément très utile. Il faut observer tout le travail qu’il accomplit sur le plan défensif. Il est irremplaçable. Lorsqu’il n’est pas là, Aimé Anthuenis doit complètement modifier son système.

Jan Koller est un target-man?

Oui. Radzinski profite du travail de Koller: il peut tourner autour de lui. A Bruges, Rune Lange va évoluer dans le même style que Jan Koller. Comme target-man, avec des gens qui tournent autour de lui: Gert Verheyen, Andres Mendoza et les demis offensifs. Je connaissais Rune Lange lorsqu’il jouait à Tromsö. A Trabzon, d’après mes informations, il a très peu joué. Il a le style d’Ole-Martin Aarst. Dans les seize mètres, il est très dangereux. Mais il manque de rythme et arrive souvent en retard sur les ballons. L’attaque pose problème à Bruges. Jochen Janssen était une déception avant son départ. Andres Mendoza a bien joué lors de certains matches. Puis, il a accusé une baisse de régime. Mais je connais son problème: lorsqu’on doit effectuer tous les mois un voyage en Amérique du Sud, on perd sa fraîcheur.

Bruges est une équipe physique au départ qui ajoute une touche technique. Anderlecht est une équipe technique à la base, mais ajoute du physique. Les deux équipes se rapprochent donc. Qu’est-ce qui les sépare encore?

Il y a plus de talent à Anderlecht. Mais, samedi, le Sporting jouera en déplacement. C’est un handicap.

Qu’est-ce qui peut faire la différence?

Si Anderlecht spécule sur le partage à Bruges, il risque d’être battu. Le Sporting a toujours souffert à l’Olympiapark. Je pense néanmoins qu’Anderlecht possède un avantage parce qu’il a disputé la Ligue des Champions. Bruges-Anderlecht, ce sera pratiquement un match de Ligue des Champions. Il y aura la pression, le public, les médias. Bruges a été moins habitué à ces conditions. Mais le Sporting n’applique pas encore suffisamment en championnat ce qu’il a appris en Ligue des Champions.

Dans les matches difficiles en déplacement, Aimé Anthuenis a souvent eu tendance à sacrifier Alin Stoica au profit d’un demi défensif supplémentaire…

Anderlecht devra essayer d’inscrire au moins un but. J’alignerais Alin Stoica. En outre, lorsqu’on titularise un joueur à vocation défensive supplémentaire, cela démontre à l’adversaire qu’on est faible ou qu’on a peur. La meilleure équipe d’Anderlecht est celle qui comprend Alin Stoica et pas Besnik Hasi. Cela dit, on ne peut juger qu’en connaissant toutes les données. Le grand public, et même les journalistes, ne savent pas comment le Roumain s’est comporté à l’entraînement durant la semaine précédant le match. Vu de l’extérieur, je dois admettre qu’Alin Stoica a beaucoup changé, ces derniers mois. Je ne l’avais jamais vu travailler autant. L’intervention d’Aimé Antheunis, qui avait fait couler tant d’encre, a été bénéfique. Dans le football moderne, on ne peut plus se contenter de jouer uniquement lorsqu’on a le ballon au pied. Un match de football dure 90 minutes et un joueur touche le ballon pendant trois minutes en moyenne. Il faut se demander ce que l’on fait pour l’équipe durant les 87 minutes où l’on n’a pas le ballon. Je crois qu’Alin Stoica a compris la leçon, lorsqu’il a été retiré du jeu. Il s’est amélioré sur le plan collectif. Je pars du principe que le football est un sport collectif où un joueur peut faire la différence individuellement. C’est le cas d’Alin surtout dans un grand match où il est motivé. Anderlecht possède avec Vanderhaeghe-Baseggio-Goor-Stoica le meilleur entrejeu de Belgique. Même si Timmy Simons est, pour moi, la révélation de la saison.

Bruges a récolté le maximum de points durant le premier tour. Puis, la mécanique s’est enrayée. Pourquoi?

Pendant le premier tour, Bruges était une équipe très efficace. Trois occasions, trois buts. Puis, les adversaires ont commencé à connaître le système. Lorsque Trond Sollied était l’entraîneur des Buffalos, la saison de La Gantoise avait d’ailleurs suivi la même trajectoire: un départ impressionnant, une période de flottement par la suite et un redressement sur la fin qui a permis d’arracher une qualification européenne. C’est pareil à Bruges. En outre, en début de saison, Bruges possédait en Fadiga un joueur capable d’éliminer un homme. S’il n’y a que des joueurs athlétiques sans créativité, l’équipe devient assez facile à contrer. Il suffit d’aligner deux demis défensifs et un quatre en ligne à l’arrière, de préférence avec des joueurs de grande taille. L’indisponibilité de Gert Verheyen a aussi causé beaucoup de tort aux Brugeois. C’est un poison pour l’adversaire. Il pèse sur la défense et est toujours capable d’inscrire un but. J’ignore s’il sera rétabli pour affronter Anderlecht samedi, mais s’il est aligné, il est impossible qu’il soit à son meilleur niveau.

Anderlecht donne l’impression de s’essouffler alors qu’il en est revenu à un régime normal d’un match par semaine. On s’attendait plutôt à déceler cette fatigue durant la période où le club était actif en Ligue des Champions.

Ce n’est jamais lorsqu’on travaille d’arrache-pied, sous le stress, que l’on est victime d’une crise cardiaque. C’est plutôt après, pendant les vacances, qu’elle survient. La fatigue se ressent surtout lorsqu’on est relax.

Aimé Anthuenis a-t-il commis une erreur en ne procédant pas à des rotations au sein de son effectif?

Il ne pouvait pas se le permettre. Il ne possède pas, dans son effectif, un deuxième Jan Koller, un deuxième Yves Vanderhaeghe ou un deuxième Bart Goor. Peut-être aurait-il pu les laisser souffler dans des matches plus disproportionnés du championnat de Belgique, mais notre compétition n’est pas aussi facile. Par ailleurs, Aimé Anthuenis aime aligner son équipe-type. Il préfère privilégier les automatismes que les rotations. Trond Sollied n’aime pas trop changer son équipe non plus. Et il ne possède pas 25 joueurs de même niveau.

Daniel Devos

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