STEVEN DEFOUR

Il y a deux ans, il semblait parti vers le top mondial mais a vu son évolution freinée par une série de blessures. Retour sur un parcours tortueux.

Les Defour sont de Hombeek, dans la banlieue malinoise. Jacques et Gaby ont deux enfants : Steven et sa soeur Jessie, deux ans plus jeune. Après avoir pratiqué plusieurs sports, elle joue aussi au football. Elle n’a pas autant de talent que son frère mais elle a le même caractère. Peut-être même pire. Elle n’a pas opté pour la facilité en choisissant le même sport que Steven mais les Defour sont comme ça : ils n’en font qu’à leur tête.

Il était écrit dans les étoiles que Steven jouerait au football.  » De l’école primaire, je ne me rappelle rien d’autre que les parties de foot sur la plaine de jeu « , dit-il dans sa biographie.

Steven n’a que 23 ans lorsqu’il commence à écrire son livre avec Luc Martens. Cela ne l’empêche pas d’avoir suffisamment de matière pour 200 pages. Il a réalisé le rêve de son père, Jacques, ex-joueur du Crossing Schaerbeek qui a dû interrompre prématurément sa carrière suite à une blessure au ménisque.

C’est Brammeke, son meilleur ami dans le quartier, qui emmène Steven vers son premier véritable club : Zennester Hombeek. Wombeek, comme l’écrit le Belang van Limburg lorsqu’il effectue ses débuts en D1 avec Genk. Des débuts couronnés par une ovation au moment de son remplacement.

Jugé trop petit à Malines

Lorsque Steven a sept ans, ses parents se séparent. Sa maman déménage à Boom, les enfants restent avec leur père, à Hombeek. Steven ne veut pas abandonner ses amis. Zennester Hombeek le voit rapidement partir au FC Malines. Il a effectué un test au Lierse mais ça s’est mal passé. Idem à Anderlecht où l’entraîneur ne parlait que français. Son père a beau être bilingue : à la maison, on n’a jamais parlé que néerlandais.

Steven ne comprend rien d’autre que oui et non monsieur, il regarde tout autour de lui, complètement perdu, se place à l’arrière du groupe et décide très vite de ne pas jouer dans ce club. Plus tard, lorsque le FC Malines fera faillite, tous ces clubs reviendront à la charge. Y compris le Lierse et Anderlecht. Plusieurs fois, même. Mais pas question de forcer Steven à signer là où il n’a pas envie. Bram, son ami, est supporter du FC Malines et l’emmène parfois au stade. Il aime cette ambiance.

Après l’école, il doit parfois se dépêcher pour arriver à temps à Malines. Alors, il se change dans la voiture. Frankie Vercauteren est responsable des équipes d’âge et se montre sévère avec les retardataires. A cette époque, il arrive parfois que Defour soit recalé. On le trouve trop petit.

S’il peut rester, c’est grâce à l’intervention d’Ivica Kanacki, directeur de l’école des jeunes, auprès de l’entraîneur, Vincent Stevens.  » Ce petit bonhomme dribblait si bien et avait une si bonne vision du jeu que nous avons fermé les yeux sur cette évaluation négative.  »

A cette époque, pourtant, Steven ne brille pas à Malines. Il a une bonne technique mais il est trop frêle. Le capitaine de son équipe, c’est David Hubert. Dans les archives malinoises, on peut encore trouver une vidéo d’un match face au Lierse. Tous les joueurs sont grands et costauds. Sauf Defour, qui ne touche pas une balle.

Marvin Ogunjimi, qui a le même âge et évolue dans la même équipe, est d’un tout autre calibre. Il est tellement costaud qu’en préminimes, face au Club Bruges, il marque de sa propre moitié de terrain. Mais lui aussi sera recalé un plus tard.

A l’école de sport-élite de Louvain

Dès l’âge de douze ans, Steven est très indépendant. A la maison, tout est football. Dans sa chambre, il regarde Eurosport. Dans le salon, quand il n’y a pas de foot en direct, il joue à la PlayStation. Chaque année, il achète la nouvelle version de FIFA et compose sa propre équipe. Deux ans après avoir entamé des humanités classiques, à cause de ses obligations sportives, il change d’option.

La toute nouvelle école du sport-élite de Louvain lui offre la solution. Il passe un test auprès de Michel Bruyninckx et est invité à intégrer l’école après deux minutes. Cet épisode va déterminer la suite de sa carrière : très jeune, Steven Defour a été amené à faire des choix. A Louvain, il est entraîné par Geert Deferm (ex-FC Malines), qui apprécie sa vision de jeu et son calme mais estime qu’il devrait marquer beaucoup plus. Cela le poursuivra jusqu’à Porto.

En 2003, il doit effectuer un nouveau choix : le FC Malines fait faillite et les jeunes doivent chercher un autre club. Le RC Genk s’intéresse à lui mais craint l’influence de Mark Talbut, qui veut l’emmener en Angleterre. Le PSV se manifeste aussi, mais trop tard : Steven a déjà donné sa parole à Genk qui, au cours d’un repas à Heverlee, a su le convaincre. A moins qu’il n’ait été séduit plus tôt.

Car lors des matches entre Malines et Genk, le jeune Defour trouvait que l’adversaire développait un  » chouette jeu « , le football qu’il voulait jouer, très technique. Le fait que ses équipiers David Hubert et Marvin Ogunjimi l’accompagnent est un plus. Steven peut même s’entraîner deux fois par semaine avec Genk pendant qu’il termine la saison à Malines.

A Genk, il s’adapte peu à peu. Le club lui apprend beaucoup, il est en confiance. Et il gagne déjà un peu d’argent : 250 € par mois. Pas mal à quinze ans. Au fil des mois, les trajets entre Louvain et Genk, même s’ils se font en minibus avec les copains, commencent à lui peser. Le club demande à la famille si Steven ne peut pas venir vivre à Genk et elle accepte. Genk place une grande confiance en Defour.

 » Ce petit bonhomme ne planera pas facilement « , confie Roland Breugelmans, directeur de l’école des jeunes de Genk, à Sport/Foot Magazine, qui s’intéresse à la nouvelle révélation limbourgeoise.  » Il est peut-être le Josip Skoko que nous cherchons.  »

Football et la fête

A Genk, c’est Willy Mraz qui veille sur lui. Contrairement à Faris Haroun qui choisit de vivre seul à Aachen, pour des raisons fiscales, Steven opte pour une famille d’accueil. Mraz ne jure que par Genk : il fait partie du comité des jeunes depuis 31 ans et a déjà accueilli six jeunes joueurs. Mraz est supporter… du Bayern. A l’époque, les clubs allemands n’ont pas la cote auprès des jeunes. Steven préfère le Real. Aujourd’hui encore, il affirme que son stade préféré est celui de Bernabeu.

Au fil du temps, il travaille de moins en moins bien à l’école. A 17 ans, il envisage même d’arrêter mais finit par décrocher son diplôme. Il n’a d’yeux que pour le football et… la fête. Un peu trop, même, dit Mraz dans les journaux de l’époque.

Steven fréquente alors Irene, dont le père est son entraîneur en U17 et Irene va à l’école avec lui. Pendant les cours de géographie, ils sont assis côte-à-côte. C’est Hugo Broos qui lance Steven en équipe première. D’abord sur le flanc. Le 1er mars 2006, peu avant ses 18 ans, il accorde sa première interview à Sport/Foot Magazine. Une phrase en ressort :

 » Je constate que la plupart des footballeurs belges manquent de technique (sic). Quand on affronte des Hollandais, la différence est frappante : ils sont beaucoup plus doués techniquement. En Belgique, beaucoup trop de joueurs doivent miser sur l’engagement et ils n’arrivent pas à accélérer le jeu. C’est pourquoi tout va beaucoup plus lentement en Belgique que dans les autres championnats européens.  »

Et pan ! Un type de 17 ans qui déclare une chose pareille pour sa première interview, c’est peu commun. Il nous parle aussi de sa grinta.  » Un joueur doit se battre. Celui qui ne le fait pas échoue. J’essaye de ne jamais me laisser intimider. On me crie : Hey, petit ! Et c’est la vérité. Mais j’ai d’autres atouts.  »

Sur le chemin de l’indépendance, personne ne peut l’intimider. Il quitte rapidement sa famille d’accueil pour vivre avec Irene. Lorsque l’Ajax s’intéresse à lui, il entend parler de montants insoupçonnés. Jusque-là, il n’a pas encore accordé beaucoup d’importance à l’argent. Depuis qu’il joue en équipe première, Genk a revu son contrat à la hausse et l’a fait signer pour cinq ans. Au début, il touche 5.000 euros par mois et 625 euros le point. Après un an et demi, il aura droit à plus et il est plus que satisfait. Jusqu’à ce que l’Ajax l’appelle et lui propose 500.000 euros par saison. Dix fois plus qu’à Genk, où il termine la première saison avec un but et six assists en 25 matches.

Judas

Cela provoque des tensions : dans sa famille, à Genk, au sein du monde des agents, entre le club et les parents… Un autre manager s’occupe désormais de lui et l’affaire débouche presque sur un procès lorsque Genk exige une somme de transfert de six millions d’euros. Defour menace de casser son contrat, l’Ajax se retire… Finalement, il ne débarque pas à Amsterdam mais… à Liège. Le 11 juin 2006, les clubs trouvent un terrain d’entente. Pas pour six millions d’euros mais d’abord pour 1,2 million. Montant qui, plus tard et par le jeu des bonus, s’élèvera à 1,8 ou 1,9 million. Luciano D’Onofrio rigole.

Comme le transfert reste en travers de la gorge de plusieurs supporters de Genk, le jeune couple s’installe à Houthalen, loin du centre-ville où on ne cesse de l’invectiver. Costa Mbisdikis, son beau-père, est viré de Genk. Et six mois plus tard, on met le feu à sa voiture. Le rebelle du RC Genk, Judas : c’est comme ça qu’on l’appelle depuis qu’il est à Liège. Mais lui, il estime avoir progressé.  » Je n’avais plus rien à faire à Genk, il s’était passé trop de choses « , dit-il encore avant de clore le chapitre.

Dès le 19 août, le Standard doit se rendre… à Genk. Cent policiers supplémentaires sont mobilisés, soit le double des effectifs habituels. Les banderoles sont interdites, les 23.000 spectateurs sont fouillés et la tolérance zéro est appliquée dans un rayon de 5 km autour du stade. Tout ça pour un gamin de 18 ans qui, la semaine précédant le match, est repris en équipe nationale mais à qui le sélectionneur, René Vandereycken, interdit de parler du Standard avec la presse.

Il parle donc avec les pieds. Pendant tout le match, il est conspué et traité comme un judas mais il ne flanche pas. Pour l’occasion, un journaliste du Belang van Limburg est venu avec un appareil à mesurer les décibels. Lorsque Defour commet sa première faute, celui-ci monte à 107 db. En possession de balle, impossible de prendre une mesure : malin, Defour joue le plus possible en un temps : le public n’a pas le temps de réagir. La rencontre se termine sur un nul (1-1). Defour en tête, les Rouches saluent leurs fans.

Steven Defour remarque rapidement qu’au Standard, c’est un autre monde. Michel Preud’homme a rapidement succédé à Jan Boskamp, Marouane Fellaini est en train de percer et Axel Witsel attend qu’on lui donne sa chance, Milan Rapaic vit sur son passé et Milan Jovanovic fait tout pour qu’on s’intéresse à lui. Mais surtout : Sergio Conceição est omnipotent. Il est à la fois dur et bon, il organise des repas et, si le club ne paye pas, il y va de sa poche.

Plus jeune capitaine de l’histoire des Rouches

Defour cherche un peu sa place et il se retrouve même sur le banc pendant quelques semaines. Sur le terrain, il n’a pas (encore) de rôle libre, c’est réservé à Conceição, même s’il est un peu sur le retour et qu’il faut souvent courir pour lui. En milieu de saison, Defour trouve son rythme de croisière. Le match retour face à Genk est à nouveau très chaud. À la fin du match, il crache même, mais petit à petit, les choses se calment. Le Standard dispute la finale la Coupe de Belgique, qu’il perd face au Club Bruges.

La saison suivante est la sienne. Conceição s’en va et, à 19 ans, il devient le plus jeune capitaine de l’histoire du club. Le nouveau Wilfried Van Moer. Ce dernier a toutefois des doutes et les exprime.  » L’âge n’a aucune importance « , dit Michel Preud’homme.  » Le capitaine doit être un exemple. Il doit mouiller son maillot lorsque c’est nécessaire et être accepté par le groupe.  » Defour, qui parle anglais, français et néerlandais, répond manifestement aux exigences.

En juin 2009, c’est en fumant un gros cigare (une petite folie qu’il s’octroie lors de chaque titre) qu’il évalue les deux dernières saisons : deux titres, un Soulier d’Or… et demi. Car la deuxième année, il remporte le premier tour de scrutin avec 143 points, loin devant Mbokani (122), Ruiz (95), Boussoufa (69) et Jovanovic (35). Ce qu’il ne sait pas encore en partant en vacances à Rhodes, c’est qu’à partir de ce moment-là, le déclin est amorcé.

Everton fait une proposition mais D’Onofrio, qui a déjà laissé filer Fellaini à Goodison Park, refuse et assure au joueur qu’il lui trouvera quelque chose de mieux. Un peu plus tard, des journalistes espagnols appellent Defour pour une interview. Il fait la une du quotidien sportif madrilène Marca et on dit qu’il est le plan B du Real si celui-ci ne parvient pas à transférer Xabi Alonso.

Le Real, c’est le club de ses rêves. Il est aux anges et il fait 100 % confiance à D’Onofrio. Officiellement, Paul Stefani est son agent mais en coulisses, c’est D’Onofrio qui tire les ficelles. Lorsqu’il demande un appartement à Liège, il l’obtient. Plus tard, il en aura même un plus grand, avec un billard.

La lettre de Sir Alex

Mais le sort a déjà frappé. Une semaine après le match Anderlecht – Standard fatal à MarcinWasilewski, les Liégeois reçoivent Malines, qui a retrouvé l’élite après la faillite. Après deux minutes, Marcos adresse un ballon sautillant à Defour qui veut dégager en un temps mais heurte la chaussure de Koen Persoons. Le résultat est dramatique : fracture du métatarse. C’est le début de la descente aux enfers : pas de transfert, pas de Ligue des Champions pour se mettre en valeur et pas de deuxième Soulier d’Or en janvier. Milan Jovanovic remporte le deuxième tour et Defour, qui ne récolte que trois points, se classe quatrième.

C’est à cette époque qu’il écrit sa biographie. Un accouchement difficile car un sportif en pleine rééducation qui vit dans l’incertitude quant à son avenir se replie sur lui-même. Defour semble très tourmenté, perd ses repères et son sens de l’autodiscipline. Il quitte Houthalen pour vivre à Liège, se laisse aller, est rappelé à l’ordre par D’Onofrio, retourne à Houthalen… Une période difficile à tous les niveaux. Son avenir semble incertain.

Il reçoit une lettre de Manchester United. Elle est signée Sir Alex Ferguson. Celui-ci lui souhaite bonne chance et lui conseille de faire confiance à son kiné. Ferguson ajoute que, s’il lui écrit, c’est à la demande d’un fan, Jean-Manuel Fontaine.  » Remercie-le d’avoir pris le temps de m’écrire « , dit-il.

Son retour est difficile. On le dit prêt mais il a toujours mal. Il court différemment et connaît des problèmes musculaires. Des temps difficiles, le revers de la médaille. Plusieurs fois, il reporte les discussions avec le journaliste qui écrit sa biographie. Et quand il vient malgré tout, il semble absent, se contente de commenter, sans émotion. Il ne s’exprime plus que sur le terrain. Et par des tatouages qu’il se fait graver sur le corps et qui disent ce qu’il est, qui il est.

A l’été 2012, il va enfin mieux. Il se marie, discute avec la nouvelle direction et obtient l’autorisation de partir. Il doit cependant s’opposer à Pierre François, qui préférerait le voir aller jouer à Moscou mais finalement, tout s’arrange lorsque le FC Porto entre dans la danse.

C’est là qu’il écrit le deuxième chapitre de sa carrière. Sa vie privée a changé, l’adolescent est devenu un homme et la transition ne fut pas toujours aisée. Ses problèmes physiques sont derrière lui et il a toujours fait partie du noyau de l’équipe nationale. Seul problème : il joue moins souvent qu’il l’espérait, tant à Porto que chez les Diables, où Wilmots a pourtant surpris tout le monde en l’alignant lors des derniers matches de qualification. Le niveau est élevé, il y a de la concurrence mais il ne souffre plus et est encore jeune.

Cependant, ce diable de Deferm avait vu juste : il ne marque pas suffisamment. A Porto, cela lui joue des tours. Mais, pour le reste, au bord de l’océan Atlantique, il vit comme il l’a toujours fait : discrètement, sans se retourner.

PAR PETER T’KINT

En classes d’âge de Malines, il passait inaperçu aux côtés de David Hubert et Marvin Ogunjimi.

 » Je constate que la plupart des footballeurs belges manquent de technique.  »

Intéressé par ses services, l’Ajax Amsterdam lui propose 500.000 euros par saison. C’est 10 fois plus que son salaire au Racing.

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