Stef de Beersel

Pierre Bilic

A Malines comme ailleurs, l’ancien Diable Rouge placera toujours le jeu offensif au centre du débat.

Beersel, son château du 14e siècle, sa gueuze, sa kriek, sa lambic, ses tartines au fromage blanc et un entraîneur pas comme les autres : Stéphane Demol. La crinière de cet homme solide comme les chevaux de trait de sa terre brabançonne est un peu plus clairsemée que du temps de sa jeunesse quand il portait les couleurs d’Anderlecht, de Bologne, de Porto, de Toulouse, du Standard, du Cercle de Bruges, de Braga, de Panionos, de Lugano, de Toulon, de Denderleeuw et de Hal. Ouf ! Un long sillon qu’il creusa encore, en tant que coach, à Turnhout et à Geel, avant de labourer et de semer à Malines.

A 37 ans, il a assez de planches pour digérer et transformer en importants acquis les aventures parfois folkloriques vécues chez le dernier vainqueur belge de la Coupe des Coupes. Stef de Beersel étudie les nouvelles pistes de son avenir.

Malines. Une bonne façon de débuter en D1 ?

Oui, pourquoi pas ? Un jeune entraîneur doit faire ses dents. J’ai été servi… Quand j’ai mis un terme à ma carrière de joueur, je m’étais interrogé. J’ai même travaillé durant quelques mois en tant que délégué commercial dans l’horeca. Jacques Teugels m’y avait introduit et nous vendions des objets de luxe personnalisés : bics, briquets, etc. Une expérience de vie intéressante mais mon trip, c’était toujours le sport. Moi, j’ai le foot au corps. L’aventure à Malines s’est mal terminée mais elle m’a rendu finalement plus fort. Je suis certain d’être en phase avec ce qu’on attend actuellement du football. J’ai réussi à Malines car s’il y eut un drame financier, je n’y ai pas connu de fausses notes dans mon style de jeu. Je voulais travailler dix ans en Belgique, y faire mes preuves et confirmer avant de tenter ma chance dans un autre pays. Or, vu la situation qui règne ici, je suis déjà obligé de sonder tous les marchés. Je ne refuserai pas un séjour à l’étranger.

 » Je ne suis pas un lécheur de bottes  »

Avez-vous des contacts ?

Oui, il y a l’Iran qui a contacté Walter Meeuws pour l’équipe nationale A et moi pour les Espoirs. C’est intéressant et, de toute façon, ma famille et moi, nous aimons voyager, découvrir de nouvelles cultures, apprendre d’autres langues. J’ai aussi une offre d’un club grec de D1 via un ami. J’irai sur place, c’est sérieux. J’ai une possibilité en Série B italienne et au Portugal. J’ai abattu du bon boulot en Belgique mais personne ne peut me garantir un job en D1. Je ne lécherai les bottes de personne pour décrocher la timbale. Je ne l’ai jamais fait et ce n’est pas maintenant que je vais commencer, même pour tout l’or du monde. J’étais bien payé à Malines. Sur… papier car je n’ai pas reçu ce à quoi j’avais droit. En D1, on sait que certains entraîneurs bradent les prix. C’est ainsi mais, moi, je ne m’occupe pas de cela, je veux mettre mes idées à l’épreuve. Et il se passe tant de choses intéressantes pour le moment.

Par exemple ?

Les équipes qui émergent un peu partout jouent offensivement. A ce propos, la dernière Coupe du Monde a constitué un moment charnière très important. Au Japon et en Corée, j’ai vu des équipes nationales qui n’avaient pas de meneur de jeu mais elles ont eu leur mot à dire dans le débat. Ce fut le cas de la Corée, par exemple, dont les joueurs ne sont pas stars mais, au lieu de bétonner ou de freiner le jeu comme les outsiders le faisaient avant, ce pays a innové. Pas techniquement mais tactiquement et mentalement. Les Coréens ont été courageux, ont couvert un terrain fou et cela leur a souri. C’était la preuve, au plus haut niveau, qu’une équipe sans renom peut s’en tirer en étant offensive avec ses moyens. Cette manière d’aborder un match a plu à tout le monde. Le football y a conquis de nouveaux publics. Il faut procéder d’une façon comparable à d’autres niveaux, certainement au nôtre. Jusqu’à preuve du contraire, on joue pour gagner. Je prône donc un football offensif. Mais cela ne veut pas dire qu’il faille être bête en défense. Cette tendance se généralise et cela bourgeonne en Italie avec l’AC Milan, la Juventus, Vérone, la Lazio, etc. L’Inter est un peu différent et en est revenu à un style maison. Lyon, Arsenal, Manchester, le Real, bien sûr, l’Ajax et tant d’autres : l’offensif a la cote.

Si un attaquant défend mieux, plus vite, presse tout de suite, il ne sera pas dangereux d’aligner sa défense sur la ligne médiane. Or, un défenseur bien placé pour la récupération, pourra alors participer à la construction. Cela implique que personne ne recule en perte de balle.

Mais c’est la crise…

Oui, la crise économique est une réalité partout. Tout le monde s’inquiète mais à quelque chose malheur est bon. La difficulté oblige à réfléchir. Si on veut séduire de nouveaux investisseurs, qui ne s’étaient jamais tournés vers le football précédemment, les clubs n’ont qu’une seule solution : plus de spectacle, plus de buts, plus d’émotions. Impossible de faire autrement. Les équipes ambitieuses doivent avoir plusieurs entraîneurs adjoints afin de beaucoup travailler individuellement. J’ai vu tout cela à la Juventus et à Bordeaux. J’ai noté, retenu et il y a des choses qui peuvent être mises en application en Belgique.

 » A Malines, c’était la kermesse  »

A ce propos, un club de D1 n’a-t-il pas frappé à votre porte ?

Je suis prêt à reprendre le collier en D1. Au Nouvel An, j’ai eu une offre d’un club de D1. C’était presque fait, j’étais d’accord mais le coach en place a été sauvé par une série de cinq succès. Courtrai, Liège et Denderhoutem ont également frappé à ma porte. On m’a téléphoné de Casino Bregenz mais j’étais encore actif à Malines quand Didier Frenay m’a transmis la proposition des Autrichiens. J’étais déjà dans la merde et je pouvais gagner trois fois plus qu’à Malines. J’ai refusé et c’est Regi Van Acker qui accepta la proposition de ce club. J’ai quitté Malines le 12 décembre 2002. C’est long et j’espère trouver un club avant le début de la saison. Mais, s’il le faut, j’attendrai plus longtemps, même si c’est éprouvant afin de recommencer sur de bonnes bases. En attendant, je voyage, je multiplie les contacts et je donne un coup de mains à Marc Wuyts, qui entraîne des joueurs au chômage.

Avec le recul, ne regrettez-vous pas d’avoir quitté Malines où Alex Czerniatynski a posé les premiers jalons de sa carrière de coach et acquis une immense popularité ?

Mon but n’a jamais été de rester à n’importe quel prix en D1 en entretenant ma popularité tous les week-ends via la télé et les autres médias. Je n’étais d’ailleurs pas d’accord avec le maintien de mes anciennes couleurs en D1. Le championnat était faussé en grande partie dans la mesure où Malines alignait une majorité de joueurs venus dare-dare d’ailleurs et payés par d’autres clubs. Cette façon de voir le championnat de D1, c’est finalement un manque de respect pour les adversaires et les publics des autres clubs de l’élite. Malines et Lommel auraient dû arrêter tout de suite. Mon plan de carrière n’était pas le même que celui d’Alex. C’est mon ami, il habite la région, s’y est identifié et je l’ai choisi comme adjoint. Czernia avait le temps, se voyait là dix ans et j’ai dit moi-même au curateur qu’il était la solution idéale pour les nouveaux plans de Malines. J’entendais travailler dans d’autres conditions.

C’est ma carrière et je ne vois pas pourquoi j’aurais dû accorder une place au folklore. Le football, c’est la fête, d’accord mais d’abord sur le terrain. La kermesse malinoise, après la reprise du club, c’était aussi un truc bon marché. Chapeau pour l’attitude des supporters mais ce ne sont ni eux ni le journaliste Marc Uytterhoeven, que j’aime bien, qui ont sauvé Malines. Les anciens joueurs et membres du staff technique ont accepté l’offre du curateur. Sans cela, Malines aurait été relégué en P4 au terme de la saison. Or, ce fut un gros effort : nous toucherons de 16 à 18 % de ce que le club nous devait au moment de la mise en liquidation. Et, personnellement, il me restait encore 18 mois de contrat qui tombent à l’eau. Il ne faudrait donc pas oublier les énormes sacrifices de ceux qui sont partis. On nageait dans l’irrationnel mais je n’oublierai jamais que Malines m’a donné la chance d’effectuer mes débuts en D1. Pour être honnête avec moi-même, je ne pouvais pas continuer en me disant que la finalité, c’était quand même la D3… où je n’allais pas rester.

 » Je ne referais pas la même erreur  »

Emilio n’a-t-il pas fait le bon choix en optant finalement pour le Lierse alors que Malines l’attendait ? N’êtes-vous pas tombé dans un piège qu’il a su éviter ?

Emilio avait déjà connu deux situations délicates, à Beveren et au RWDM, et il ne voulait pas revivre cela. J’étais moins hésitant mais je ne me relancerais plus dans une telle aventure. J’ai discuté avec Liège après le départ d’Henri Depireux mais quand j’ai appris que ce club n’était pas certain de décrocher sa licence, j’ai dit… stop. A Malines, au printemps dernier, il n’y avait plus que deux candidats : Emilio et moi. Le 11 mars, le jour de mon anniversaire, Aad de Mos m’annonça correctement que Malines avait opté pour Ferrera. En général, on apprend le verdict à la télé ou en lisant le journal.

Quand Emilio prit finalement la direction du Lierse, Malines me contacta tout de suite. J’ai beaucoup travaillé avec Aad de Mos, directeur sportif du club, qui voulait que je sois offensif comme à Turnhout et à Geel. J’avais les mêmes idées que lui, sans le savoir, et il m’a toujours donné carte blanche. En D2, Malines gérait bien ses matches mais n’était pas spectaculaire. J’ai opté pour le 4-2-4 durant neuf matches de préparation. Je savais bien qu’il était inconcevable d’évoluer de la sorte en championnat mais c’était dans le but de susciter un choc, une transition vers le football que j’avais en tête. On avait même balayé les Hollandais de RKC en jouant de la sorte. Je suis ensuite passé au 4-3-3, évidemment.

En six semaines, j’ai changé les habitudes de ce groupe frileux. J’en suis fier. A Turnhout et à Geel, j’ai aussi tout changé en très peu de temps. Turnhout a eu, en son temps, l’attaque la plus productive des séries nationales. Geel était moribond quand je l’ai repris en mains. L’équipe s’est tournée vers un jeu de qualité et a remonté la pente en D2.

Quel était l’objectif de départ à Malines ?

Nous avions composé un groupe qui tenait la route. La preuve : ceux qui sont partis ont tous rendus de bons services dans leurs nouveaux clubs : Boeka Lisasi à Charleroi, Dosumnu à Westerlo, Viscaal à Dilbeek, Ndikumana à Gand, etc. Mon challenge était de rester en D1 via un bon football pour plaire aux spectateurs et préparer l’avenir. Malines voulait retrouver un style maison. Ce fut fait mais dès septembre, les problèmes d’argent se confirmèrent. Les joueurs n’étaient plus payés depuis quatre mois. Ils ont finalement perçu juin et juillet avant que cela ne se corse à nouveau. Certains n’avaient plus un sou, j’ai payé des couches-culottes, prêté ma voiture, payé le plein d’essence à Boeka Lisasi. Le terrain était leur seul espoir d’en sortir. Il y a eu une grève dont le but était d’attirer l’attention sur nous, pour prouver qu’on travaillait malgré tout. Je n’ai jamais dû élever la voix dans le groupe. A mon avis, la seule chance de survie résidait dans une entente cordiale entre Willy Van den Wijngaert, le président, et Aad de Mos. Hélas…

La presse s’est un peu emparée des problèmes de Malines. C’était hot, c’était l’actualité, le feuilleton à ne pas manquer et quand cela s’est terminé, la presse est passée à autre chose. Ce qui a été écrit et a été dit, je ne le conteste pas, mais on n’a pas mesuré l’impact des mots à Malines. Ce fut la guerre. Aad de Mos travaille désormais en Arabie Saoudite pour des dollars et des dollars, mais ce n’était pas le cas à Malines. Il aimait ce club où il a obtenu les plus beaux succès de sa carrière.

 » Mon idée de carrière n’était pas la même que celle de Czernia «  » Il ne faut pas oublier les énormes sacrifices de ceux qui sont partis « 

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