Standard piégé

Les Rouches ont été confrontés au désir de partir d’un joueur blessé. Avec des offres financières risibles. Y avait-il une bonne solution ? Et est-il vraiment irremplaçable ?

Il y a un mois, Sport/Foot Magazine vous annonçait que la surprise du mercato du Standard allait peut-être se nommer Mémé Tchité. Depuis lors, l’attaquant aux quatre passeports a reçu quelques sollicitations et son départ de Sclessin ne relève plus du domaine de l’utopie.

Les Saoudiens d’Al-Shabab, club entraîné par Michel Preud’homme, ont fait une offre d’1,5 million au Standard et Fenerbahçe est prêt à lâcher deux millions pour le meilleur buteur actuel des Rouches…

Tchité a-t-il envie de partir ?

En août, Tchité, lassé par les départs à la pelle, avait voulu arracher un transfert dans les derniers jours du mercato. Le Standard avait freiné des quatre fers et si le club était parvenu à conserver son avant, celui-ci n’avait pas réussi à cacher son amertume, se traînant même sur le terrain lors des premiers matches de championnat. Cela avait irrité l’entraîneur, José Riga, qui avait tenté de secouer le cocotier en admettant après la défaite à Gand que Tchité manquait de rythme.

Piqué au vif, l’attaquant avait rétorqué qu’il ne manquait pas de rythme mais qu’il ne recevait pas suffisamment de ballons.  » Il y a eu un couac de communication entre les deux « , lâche l’agent du joueur, Alfred Raoul.  » Mais les deux hommes se sont expliqués et l’entretien fut positif.  » Qui avait raison ? C’est indéniable que Tchité manquait d’envie, ratant des occasions qu’il n’avait pas l’habitude de galvauder.  » Il a connu un démarrage douloureux lié aux changements dans l’équipe « , reconnaît d’ailleurs Raoul. Mais le recours à un nouveau système de jeu (le 4-4-2 à la place du 4-5-1) et le retour de blessure de Gohi Bi Cyriac allaient transformer Tchité, qui avait sans doute compris qu’il n’avait rien à gagner à se traîner sur le terrain.

La passe d’armes entre Riga et Tchité à Gand a-t-elle laissé des traces ? Récemment, lors de sa belle série, l’avant en a remis une couche en disant clairement qu’il était bien mieux épaulé qu’en début de championnat.  » Tchité a connu un certain mal-être lorsqu’il n’arrivait plus à marquer « , explique une source interne au vestiaire.  » Il ne s’est peut-être pas senti soutenu comme il l’entendait. Si le public ne l’avait pas autant supporté, il ne serait sans doute plus au Standard aujourd’hui. « 

L’attaquant, qui ne marquait plus, était plus irritable.  » Il y a bien eu quelques frictions intra-muros mais cela s’est aplani « , tempère Raoul.  » Aujourd’hui, quand Mémé me parle de Riga, il le fait avec respect. De plus, il est un pion essentiel de son dispositif « . Riga a, lui, toujours maintenu sa confiance en Tchité, qu’il connaît depuis son arrivée en 2003 alors que Tchité n’avait que 19 ans, et les rumeurs d’une mésentente entre les deux hommes sont nées lorsque l’entraîneur a placé le joueur sur le banc contre Genk. Une décision finalement salutaire puisque cela a servi de déclic à Tchité, dont les envies de départ n’auraient rien à voir avec un problème de coach.

Riga ne veut d’ailleurs pas se défaire de son attaquant, sachant très bien le mal qu’il aurait à lui trouver un remplaçant aussi efficace. L’entraîneur liégeois a également perçu l’implication de Tchité lors du stage et l’a appréciée.  » Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Tchité est extrêmement important dans le groupe. Et je n’ai pas besoin de lui dire mon point de vue. Il le connaît « , insistait encore Riga vendredi dernier.

Si Tchité veut partir, c’est uniquement pour un contrat plus rémunérateur. En Arabie Saoudite, il gagnerait quatre fois plus qu’au Standard (on parle d’un salaire net d’1,5 million d’euros par an). Ce qui ne le laisse pas insensible, lui qui aura bientôt 28 ans.

L’Arabie Saoudite est-elle un bon port d’attache ?

Sur le plan financier, certainement. Mais la qualité de vie le freine.  » En Arabie Saoudite, la vie n’est pas facile « , explique l’agent Nenad Petrovic, connaisseur du Moyen-Orient.  » La seule raison d’y aller, c’est le pognon. Autant au Qatar ou aux Emirats Arabes Unis, il y a moyen de vivre à l’occidentale, autant l’Arabie Saoudite peut être rigide. Notamment pour les femmes.  »

Alfred Raoul corrobore ce discours.  » Il sait qu’en Belgique, il jouit d’une très bonne qualité de vie.  » Mais le train saoudien risque de ne plus repasser. Pour le moment, la locomotive principale s’appelle Preud’homme mais rien ne dit que l’ancien entraîneur du Standard sera toujours en poste en juin.

Outre la qualité de vie, le niveau du championnat pose également question. Si, un jour, Mémé obtient le fameux sésame pour jouer pour la Belgique, aura-t-il le niveau pour intégrer le noyau des Diables Rouges ? Son agent a sondé Georges Leekens qui a répondu qu’un exil en Arabie ne l’arrêtait pas et ne l’empêcherait pas de le sélectionner, que le championnat y était de qualité et qu’à Al-Shabab, il atterrirait dans un club de confiance puisqu’il pourrait toujours se renseigner auprès de MPH pour connaître le niveau de Tchité. Cette intervention du sélectionneur national dans le dossier n’aide certes pas le Standard (certains l’auraient d’ailleurs mal pris en bord de Meuse) mais elle rassure le joueur.  » En Arabie Saoudite, il est encore potentiellement sélectionnable, ce qui n’aurait pas été le cas au Qatar « , affirme Raoul.  » Ce n’est pas un championnat de vieux !  »

Mais tout le monde ne partage pas son avis. Si le championnat saoudien possède plus de noms que ses voisins qataris ou émiratis, cela ne se traduit pas encore sur la scène internationale. Les clubs saoudiens peinent à atteindre la finale de la Ligue des Champions asiatique (alors qu’ils sont quatre au départ de chaque édition, contrairement, par exemple, aux Qataris qui ne sont que deux). Lors de la dernière édition, trois formations avaient été éliminées en huitièmes de finale et une avait tenu jusqu’en demi.

 » Prétendre devenir Diable Rouge en évoluant là-bas, c’est comme vouloir le devenir en jouant pour Westerlo « , lâche Petrovic.  » L’argument sportif ne tient pas ! Il faut être clair une bonne fois pour toutes, on ne va là que pour l’argent. « 

Sa blessure peut-elle le priver de transfert ?

Non : il ne s’agit pas d’une blessure grave (déchirure à l’adducteur gauche). Tout club attiré par l’attaquant du Standard sait qu’il sera vite actif.  » Les clubs qui comptent leurs sous avant d’investir dans un transfert pourraient réfléchir à deux fois avant de tenter d’attirer Tchité mais pas les clubs saoudiens. Cette idée ne les effleure même pas ! « , explique Petrovic.

 » Il n’est pas gravement blessé. Donc, sa blessure ne pourrait pas freiner des négociations éventuelles « , ajoute Pierre François.

Le rôle de D’Onofrio et Preud’homme

Tout s’est emballé vendredi passé. Le groupe Sud Presse en est le déclencheur en affirmant que les deux clubs ont trouvé un terrain d’entente aux alentours de 1,7 million d’euros. Le départ de Tchité en Arabie est donc  » conclu  » selon ces journaux et tout le monde reprend l’information. Pourtant, on est encore loin du compte. Le Standard s’empresse de faire un démenti.

 » Généralement, j’ai une ligne de conduite qui dit que je n’infirme, ni ne confirme les rumeurs mais là, j’ai bien été obligé. Cela ne pouvait être que mal perçu par nos supporters « , lâche Pierre François. L’agent du joueur confirme les propos de François.  » Toutes les conditions sont certes réunies pour que le joueur rejoigne Al-Shabab mais les deux clubs doivent encore trouver un accord et croyez-moi, on n’y est pas du tout ! « 

Derrière cette rumeur, le Standard décèle une man£uvre mystérieuse.  » Certains médias pratiquent une politique proche de la déstabilisation « , dit François.  » Quand on écrit que le joueur est à Zaventem, quasiment en train de vider ses poches, de passer les contrôles de sécurité et prêt à monter dans l’avion pour Al-Shabab, comment appelez-vous cela ? Le fait d’annoncer comme certain, imminent et négocié un transfert qui n’est ni certain, imminent ou négocié, j’appelle bien cela une tromperie. « 

Pierre François n’ira pas plus loin mais quand on parle de déstabilisation d’un club, on ne peut s’empêcher de repenser au mercato estival. A l’époque, derrière chaque transfert, se cachait l’ombre de Lucien D’Onofrio. Si on est dans un autre cas de figure que celui des départs d’ Axel Witsel, de Steven Defour, de Mehdi Carcela et d’ Eliaquim Mangala, on sait cependant que les négociations sont parasitées par plusieurs intermédiaires. Or, le Standard ne reconnaît que l’agent officiel (et historique) de Tchité : Alfred Raoul. Mais au nom des intérêts du joueur, d’autres personnes sont déjà intervenues auprès des clubs et des médias pour évoquer le transfert. Ces personnes agissent-elles en leur nom propre ou sont-elles mandatées par d’autres ? Nul ne peut répondre mais il est clair que Lucien D’Onofrio continue d’agir en sous-main auprès des joueurs qu’il a connus (et qui sont de moins en moins nombreux dans le noyau liégeois) et de maintenir le contact en leur promettant de veiller davantage à leur avenir que le club qui les emploie.

Quant à Preud’homme, on pourrait le croire émissaire de Lucien D’Onofrio. Il n’en est rien et le voilà aujourd’hui pris entre deux feux. Car, en demandant Tchité à son généreux donateur comme cadeau de Noël, il affaiblit  » son  » Standard. Pourtant, ce n’était pas vraiment son désir. En début de championnat, il avait rendu une liste d’attaquants susceptibles de renforcer Al-Shabab. Sur celle-ci, figuraient notamment les noms de Tchité, Milan Jovanovic et Dieumerci Mbokani, tous des éléments qu’il avait dirigés à Liège. Mais cette liste avait été ignorée, les Saoudiens préférant se focaliser sur des noms plus ronflants. Aujourd’hui, ces noms ronflants n’ont pas été attirés ; Mbokani et Jovanovic ont signé à Anderlecht. Il ne reste plus que Tchité. Si MPH avait dû rendre une liste aujourd’hui, il y a fort à parier qu’il l’aurait actualisée. Et comme il ne pouvait décemment pas changer d’avis lorsque ses dirigeants lui ont demandé si Tchité faisait toujours l’affaire… Preuve de la transparence de MPH dans ce dossier, il est en contact régulier avec Pierre François et sert de messager entre les Saoudiens et les Belges. Avec comme mot d’ordre : le Standard ne laissera pas partir Tchité à ce prix-là !

Les Diables Rouges au c£ur du dossier

Les Diables Rouges (autant que le salaire) sont au c£ur du dossier du transfert. Tchité craignait en effet qu’un départ en Arabie le prive de la possibilité de réussir son pari de devenir Diable. Ne dit-on pas loin des yeux, loin du c£ur ? Encore faut-il savoir si l’Union belge, qui a, jusqu’à présent, pris le dossier avec beaucoup de pincettes et peu d’empressement, porte vraiment Tchité dans son c£ur. C’est pour en discuter qu’Alfred Raoul avait demandé un entretien avec Violaine De Smet, adjointe de Steven Martens. Cela s’est passé vendredi à la maison de verre.

Avant cette rencontre, Tchité était confronté à trois possibilités : 1. L’Union belge se désolidarisait du dossier. L’attaquant aurait alors perçu cela comme une fermeture définitive et n’aurait eu aucun problème à partir. 2. L’Union belge émettait quelques conditions à son engagement (notamment le fait que le joueur évolue en Belgique). 3. L’Union belge soutenait le joueur dans sa démarche quelle que soit sa destination.  » On ne voulait pas qu’un départ anticipatif fragilise ou conditionne sa position en équipe nationale « , dit Raoul.  » Et je me devais d’être très vigilant quant aux réelles motivations de la Fédération. Je savais que le dossier n’était pas pourri aussi longtemps que le joueur était visible. Et pour cela, le meilleur championnat demeurait la Belgique. Mais il fallait que l’Union belge me garantisse que le dossier n’allait pas pourrir en cas de départ de Tchité. Après mon entretien de vendredi, je sais que la Fédération a une parfaite connaissance du dossier. Ce qui n’a pas toujours été le cas. « 

La situation a donc évolué. Si Tchité n’est pas parti en août, c’est en grande partie parce qu’il savait qu’il devait rester en Belgique pour pousser le dossier de sa naturalisation. Le lobbying du Standard et la médiatisation du dossier ont poussé l’Union belge à revoir sa position et à transformer son soutien timide en soutien complet.

La position du Standard

Dans ce dossier, le Standard a toujours été clair. Contrairement à Pape Camara, Mbaye Leye, Aloys Nong ou Franck Berrier, Tchité n’a pas été poussé vers la sortie. Au contraire, le club fait tout pour conserver son avant.  » Il a toujours un contrat de 18 mois « , explique François.  » Et on ne cherche pas à le transférer car il est important à l’ossature de l’équipe.  »

Tchité penche pour un départ mais les deux clubs n’ont pas encore trouvé un terrain d’entente. Entre l’offre saoudienne et la demande liégeoise, il y a encore un fossé d’un million d’euros et de mercredi à dimanche, l’offre n’a pas évolué.  » Si les Saoudiens le veulent vraiment, ils ont les moyens de mettre les 2,5 millions d’euros demandés par le Standard « , explique Petrovic.  » Oui mais Al-Shabab aime les noms ronflants et Mémé n’en est pas un. Ce n’est pas Raul. Les Saoudiens prennent donc plus de temps pour réfléchir « , tempère Raoul.

Le veulent-ils vraiment ? En jouant la montre (ce qui n’est pas leur habitude), les Saoudiens montrent clairement qu’ils ne font pas de Tchité une priorité même s’ils ont libéré une place d’extra-communautaire dans leur noyau.

En attendant, le Standard se positionne. En se rendant à l’Union belge pour débloquer le dossier de sa naturalisation, par exemple. Comme cela s’est déroulé lundi. Car, comment comprendre que le Standard aide encore un joueur qui veut absolument partir si ce n’est pour le garder ?  » Je n’ai ni l’envie, ni l’habitude de travailler pour des joueurs qui ne sont pas ceux du Standard « , reconnaît d’ailleurs Pierre François.

Une contre-proposition a également été faite à Al-Shabab : accepter le prix saoudien (1,5 million) mais pour un transfert au mois de juin. Une piste évoquée par l’agent du joueur.  » Si j’étais le Standard, je sifflerais la fin de la récréation et je lui garantirais un départ en fin de saison, à un prix moindre et en comblant le manque à gagner que subirait Tchité en cas de départ en juin plutôt qu’en janvier. « 

Le club prépare une offre dans ce sens mais pas question de revoir le contrat initial de Tchité (et donc de lui donner un salaire plus conséquent pendant six mois). Selon les dirigeants liégeois, la baisse du prix de vente (1,5 plutôt que 2,5) serait largement suffisante. Elle permettrait aux Saoudiens d’offrir un meilleur contrat à Tchité !

Cet arrangement permettrait à Tchité de ne pas passer à côté de la poule aux £ufs d’or tout en disputant l’Europa League et en gérant son dossier  » Diable Rouge « . Le Standard garderait son attaquant. Mais que gagnerait Al-Shabab ? S’il désire un avant-centre, c’est pour décrocher le titre cette saison. Pas la prochaine.

Quant à José Riga, il demeurait spectateur :  » A chacun son rôle !  » Avant de lâcher, dans la foulée de la victoire plantureuse face au Beerschot :  » Si on a trouvé un nouvel argument offensif, ce n’est pas pour se débarrasser de nos meilleurs arguments dans ce secteur.  » En attendant, face au Beerschot, il a déjà dû composer sans Tchité.  » Nous avions un secteur offensif très fourni en début de saison. Moins maintenant. Tout le monde doit donc apporter sa pierre à l’édifice.  » C’est sans doute pour cette raison que l’entraîneur liégeois avait demandé à Yoni Buyens d’être plus présent dans les 16 mètres. Manifestement, le message est passé…

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » On a présenté Tchité à Zaventem, en train de vider ses poches, de passer les contrôles de sécurité et prêt à monter dans l’avion. Certains médias ont une politique proche de la déstabilisation  » – (Pierre François)

Le Standard aurait accepté le prix saoudien… pour un transfert en juin.

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