Standard confidentiel

Sport/Foot Magazine a jeté son regard dans les vestiaires des Rouches à l’Académie Robert Louis-Dreyfus et à Sclessin. Et a découvert une alchimie psychologique unique…

Le secret du vestiaire, les clubs et les joueurs y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux et il est rare de visiter le saint des saints, le creuset où se forge l’esprit de groupe, le système de jeu, l’ambition, les succès, etc. A l’Académie Robert Louis-Dreyfus, Monsieur Propre est passé partout, a éliminé le moindre grain de poussière.  » C’est un plaisir de bénéficier d’un tel outil de travail « , a souvent répété Wilfried Dalmat depuis son arrivée de Mons.  » Nous avons un cocon où le groupe a ses habitudes et peut surtout se préparer dans le calme. Ici, tout est parfaitement réglé et les joueurs du Standard n’ont qu’une chose à faire : se consacrer totalement au football.  »

Pour Dalmat et d’autres joueurs du Standard qui ont pas mal bourlingué, les Rouches ont pris dix ans d’avance par rapport à la concurrence où les joueurs de certains clubs (et non des moindres…), doivent se rendre au terrain d’entraînement dans leur propre voiture après s’être changés dans le vestiaire habituel. Il suffit d’oublier quelque chose au stade pour que certains entraîneurs perdent leur latin et s’énervent…. Sur les hauteurs du Sart-Tilman, dès l’ouverture de la porte du vestiaire, on se retrouve sur l’un ou l’autre terrain.

Tout est à deux pas. L’ordre, la propreté et le sérieux prouvent aux joueurs que le club ne laisse rien au hasard : à eux d’en faire autant. L’outil est moderne. Le vestiaire est complété par l’espace des kinés, la salle des douches. Psychologiquement, c’est évidemment très important. Indispensable, même, pour insuffler à tous un esprit de vainqueurs, pour requinquer les valeurs de travail et de fierté du Standard.

A l’heure du casse-croûte, tous découvrent la presse, épluchent les quotidiens et Sport/Foot Magazine. Lire est très important. A Barcelone, par exemple, Carles Puyol a conseillé à ses équipiers de dévorer le bouquin de la plus célèbre star de basket de tous les temps : I can’t accept not trying : Michael Jordan on the pursuit of excellence. Puyol en a personnellement offert un exemplaire au gardien réserve, José Manuel Pinto. On ne trouve pas encore le best-seller du grand Jordan sur les tables du vestiaire des joueurs mais la recherche de l’excellence se respire à plein nez.

La bonne alchimie d’un vestiaire n’est pas facile à obtenir. Les joueurs viennent désormais des quatre coins du monde entier et tout le monde ne parle pas couramment quatre langues comme Igor de Camargo. Un détail peut parfois faire tout dérailler.  » J’admire Steven Defour car, à son âge, c’est un exploit de fédérer un groupe comme il le fait « , signale Léon Semmeling, 69 ans, une légende vivante du club qui y a joué et coaché.  » J’ai longtemps été capitaine du Standard mais il y a 30 ou 40 ans, c’était plus facile car le groupe était composé de Belges dont je connaissais forcément la mentalité et la culture. Ce n’est plus le cas et il faut encore être plus attentif à l’écoute de l’autre. Mais une chose est sûre : une équipe championne est l’émanation d’un bon vestiaire.  »

Léon a connu l’époque où on se crachait dans les pognes pour mériter son pain quotidien. Le vestiaire bossait comme les ouvriers qui s’identifiaient à eux. Aujourd’hui, la région se redéploie en innovant, le Standard aussi.

 » Ce ne sont pas ceux qui parlent le plus fort qu’on écoute le plus « 

Le Français Frédéric Hantz, l’entraîneur du Havre, a déclaré un jour des choses intéressantes concernant le vestiaire :  » Il est primordial de détecter les relais, ceux qui ont vraiment de l’influence sur le groupe. Très souvent, ce ne sont pas ceux qui parlent le plus fort qu’on écoute le plus. Pour cela, le coach doit laisser au vestiaire ses a priori et accepter la diversité. Parfois, certains sont leaders sans que l’on comprenne vraiment pourquoi.  » C’est ce qui explique que des gentils du Standard comme Christian Piot, Wilfried Van Moer ou Guy Vandersmissen furent autrefois des leaders de vestiaires aussi appréciés qu’ Eric Gerets qui savait hausser le ton de la voix.

La saison passée, Siramana Dembele était un des joueurs les plus écoutés du vestiaire même s’il ne jouait pas beaucoup. Responsabilisé par Michel Preud’homme, il était le porte-parole intelligent des réservistes et parvenait à entretenir le moral des éternels remplaçants. Defour en parle encore :  » C’était le joueur le plus important du vestiaire. Je n’avais pas l’expérience de Sira. Son rôle a été aujourd’hui repris par cinq joueurs : Oguchi Onyewu, Mohamed Sarr, Igor de Camargo, Axel Witsel et… moi.  »

Au Standard, le vestiaire s’autogère depuis le départ d’un personnage très dominant comme Sergio Conceiçao. S’il paralysait les sans grades, le vieux briscard portugais a quand même largement contribué à forger le groupe actuel. Le ténébreux Sergio protégeait les jeunes et a appris à sa façon le métier de footballeur professionnel à quelques cadors de l’effectif 2008-2009 ; l’oublier serait injuste. Tout porte à croire que cela a donné des fruits quand on sait que Defour a demandé récemment au coach de ne pas rejoindre le groupe avant dix minutes car les joueurs avaient quelques mots à se dire après deux défaites.

En début de saison passée, le capitaine de Sclessin n’aurait jamais osé lancer une telle initiative. L’homme a pris du grade avec le titre et une grande campagne européenne. Un capitaine rayonne bien plus avec des galons. Le vestiaire du Standard est jeune, concerné, intelligent et ambitieux. Un spécialiste français de la gestion de groupe a signé une métaphore très intéressante pour la gestion d’un vestiaire :  » En montagne, l’orage tant redouté s’annonce par une rumeur très faible, des sortes de bruits d’abeilles. Même accaparé par l’ascension, il faut rester à l’écoute pour ne pas être surpris par le changement que cela annonce. « 

Cette rumeur très faible, était déjà dangereuse pour l’unité du vestiaire, Defour l’avait bien perçue avant l’élection du Soulier d’Or. Certains estimaient que ce trophée ne diviserait pas le groupe. Lui, il mesurait mieux que tous qu’il fallait être vigilant sous peine d’être emporté par la jalousie et un relâchement qui se payent cash. Au sommet, il faut rester vigilant. Pour le capitaine, l’esprit d’équipe se construit et se défend dans la chaleur du QG. Laszlo Bölöni était aux aguets, évidemment, pour que le triomphe individuel de l’un (Witsel) ne bloque pas le talent et l’énergie des autres. Il en a beaucoup été question à l’Académie. Tout était réglé mais cela n’a pas empêché l’explosion entre Milan Jovanovic et Dieumerci Mbokani. Une nouvelle réunion sous le grand wigwam de l’Académie Robert Louis-Dreyfus s’imposait. Le vestiaire se retrouvait à nouveau face à ses responsabilités, peut-être même face à son destin. Comment a-t-il écarté la méfiance ou les tensions et retrouvé la confiance ? C’était le moment de prouver que le groupe pouvait repartir uni au combat.  » J’avais eu une réaction trop émotionnelle « , dit Jova.  » Je le sais, je ne l’ai pas caché mais l’intention était positive car il y avait d’autres manifestations d’égoïsme. Tout a été mis à plat et je suis persuadé que cela a fait du bien à tout le monde.  »

Defour n’a pas été le seul à prendre la parole, loin de là. Benjamin Nicaise ne fut pas le moins bavard. Sarr résuma se pensée en quelques mots bien pesés. Mais, plus étonnant, c’est Onyewu qui fut le plus long dans ses explications. Defour ne pouvait rêver soutien plus impressionnant que celui du Ricain.  » Quand il s’exprime, cela a forcément du poids « , confie Jova.  » Il ne faut pas oublier que le groupe est très jeune. Qui a voyagé ? Qui a un vécu à l’étranger. Onyewu, Dieu, Sarr, moi : et après ? Il y avait Dante mais il est parti. J’adore Onyewu. C’est la bonté même. Mais quand mon ami Goochi prend le crachoir, c’est interminable. Moi, à un moment, je ne comprends plus rien et j’ai envie de me jeter par la fenêtre pour respirer un coup…  »

 » Les murs ont tremblé parce que nous sommes très ambitieux « 

Les nouveaux sont bien reçus dans le vestiaire liégeois. Ils n’ont jamais l’impression d’être traités comme du bois mort. Les renforts n’ont pas besoin de tuteurs dans le groupe.  » Tout se fait naturellement « , ont souvent déclaré Dalmat et Nicaise.  » C’est un groupe positif. « 

Pour la petite histoire, on rappellera quand même qu’un vestiaire peut être tendre et cruel. En cas de pépin, la solidarité n’est pas vaine. Mais il y a les exemples négatifs. Au début des années 70, les Limbourgeois avaient carrément pris Armand Thaeter en grippe. Le vestiaire assista à ce rejet sans broncher. Les langues indiscrètes affirmèrent à l’époque que ce rejet était dû au fait que cet attaquant venait de la partie germanophone du pays. Une telle situation est toujours dure à vivre et quand la sauce ne prend pas, si une assimilation se révèle difficile, cela peut entraîner des altercations sur le terrain. Les joueurs sont des potaches qui ne crachent pas sur une bonne blague à faire aux copains. Mais, attention, il y a quelques années, un joueur du Standard s’était promis de draguer la fiancée d’un de ses équipiers. Il fit chou blanc mais l’ambiance ne fut plus jamais la même dans le vestiaire et ce groupe rata probablement le titre malgré de gros atouts.

Les cartons de souvenirs de Sclessin contiennent deux autres moments : la fin de l’aventure de Gilbert Bodart à Sclessin en 1998 et le renvoi de Guy Hellers en 2000. L’ancien gardien de but avait la réputation d’être un meneur difficile dans le vestiaire. Le cas du Luxembourgeois est différent. Le vestiaire n’avait pas résisté à la grosse charge de travail imposée par Tomislav Ivic. Hellers le signala en bon capitaine. Il y laissa sa carrière dans un sacré fracas. On a de la peine à l’imaginer de nos jours, mais l’éloignement entre le vestiaire et la direction était synonyme de manque de stabilité. La tête du Grand Duc de Sclessin fut tranchée par la guillotine de Luciano D’Onofrio. Les temps ont heureusement bien changé depuis cette mise à pied.

A l’époque où Arie Haan coachait le Standard, le champagne coulait à flots lors de chaque anniversaire. Certains joueurs ont probablement eu plusieurs fois 25 ans. Haan était un grand coach ainsi qu’un bon vivant et, en sabrant le précieux mousseux, le génial technicien hollandais entretenait à sa façon le lien pas toujours rationnel qui unit un vestiaire, faisait baisser la pression en passant un bon moment avec ses gars. Il y a des altercations dans tous les vestiaires. En 2006, Dominique D’Onofrio dirigeait un vestiaire très (trop) éprouvant, nerveux, caractériel.

Defour a reconnu que cela a parfois chauffé cette saison dans le vestiaire :  » C’est inévitable quand les attentes sont importantes. Les murs ont tremblé parce que nous sommes très ambitieux. Un vrai professionnel doit accepter une remise en question quand c’est nécessaire. Notre vestiaire y parvient car l’atmosphère est saine. Ce n’est que dans un tel contexte que chacun va au feu pour tous ses équipiers. « 

Defour est tellement imprégné de sa mission au Standard qu’on finira par croire qu’il a lu le livre de Jordan.  » Si j’accepte un défi, je me mets en tête que j’y arriverai « , écrit Jordan.  » Je ne pense jamais à ce qui se passerait en cas d’échec. J’ai vu comment certains pouvaient se paralyser rien qu’à l’idée d’échouer. « 

par pierre bilic – photos :reporters/gouverneur- graphiques : helga orinx

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