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Stam the man

À force de tacles et de coups de tête, il s’est hissé, comme joueur, au sommet du football européen. Nommé T1 successivement à Reading et au PEC Zwolle, il est à présent le nouvel entraîneur de Feyenoord. Portrait de Jaap Stam.

La scène remonte à l’automne 2018 à Carrington, le centre d’entraînement de Manchester United. Depuis sa petite cabane, le garde a regardé d’un air sévère les deux hommes chauves assis sur la banquette arrière d’un taxi. Il a observé attentivement le plus grand des deux et s’est écrié.  » Oh my dear, it’s fucking Jaap Stam. The Dutch Destroyer. Welcome back, Jaap !  » Et les barrières se sont ouvertes.

Près de 20 ans plus tôt, en 1999, le Néerlandais avait réussi un fantastique triplé avec Manchester United : Premier League, FA Cup et Champions League. Une équipe extraordinaire, des grands noms : Peter Schmeichel, Gary et Phil Neville, Paul Scholes, Roy Keane, Ryan Giggs, David Beckham, Dwight Yorke, Andy Cole, Teddy Sheringham, Ole Gunnar Solskjaer et Le Roc de Kampen, acheté en 1998 pour 17 millions d’euros au PSV.

À ce moment-là, c’était un montant record pour un footballeur néerlandais. Le précédent était établi au nom du virtuose Dennis Bergkamp, qui avait été transféré en 1993 de l’Ajax à l’Inter Milan pour 11,5 millions d’euros. Jouer en Premier League, en matière d’intensité et de rythme, c’était le top, pour Stam.

Avant de tenter le grand saut vers l’Angleterre, le défenseur avait choisi de bâtir sa carrière étape par étape. Six ans plus tôt, à 20 ans, il jouait encore chez les amateurs de D(oor) O(efening) S(terk) Kampen, le petit club de son village natal.

Il a ensuite débuté comme professionnel au FC Zwolle, puis est parti deux ans à Cambuur Leeuwarden, avant de jouer une demi-saison à Willem II et de signer en janvier 1996 pour le PSV, véritable porte d’accès vers l’équipe nationale des Pays-Bas.

Un jour, il a reçu un coup de téléphone de Sir Alex Ferguson, qui lui a demandé s’il serait tenté par une expérience à Manchester United. On devine la suite.

Sauce cacahuète

Deux décennies plus tard, il est toujours immensément populaire dans le Théâtre des Rêves et en ville. Il a pu s’en apercevoir lors de sa visite en septembre 2018. Au Wing’s, le restaurant chinois où les joueurs et les entraîneurs de Man U ont leurs habitudes, le propriétaire en personne est venu déposer un petit panier de krupuk avec de la sauce cacahuète sur la table.

 » C’est la sauce préférée de Jaap Stam. Je le sais. Avant que Jaap ne vienne régulièrement manger ici, cette sauce ne figurait pas au menu. Jaap a demandé, un jour, pourquoi nous ne servions pas de sauce saté. J’ai cherché une bonne recette et je l’ai mise directement sur la carte. Jaap est le seul footballeur qui, durant toutes ces années, est parvenu à apporter une modification au menu.  »

À Old Trafford, où les supporters se préparent à assister à un match à domicile contre les Wolverhampton Wanderers, on ne l’a pas oublié non plus. La nouvelle selon laquelle le Dutch Destroyer vient de se faire déposer en taxi aux abords du stade, s’est répandue comme une traînée de poudre, et quelques instants plus tard, l’ancien défenseur chauve doit se frayer un chemin parmi la foule.

Au stade, il est accueilli avec tous les honneurs dus à son rang. À l’entrée VIP, on lui remet un sac contenant des maillots pour ses enfants, et une table lui est réservée dans la 7, la prestigieuse loge qui porte le nom des joueurs qui ont porté un jour le mythique numéro 7 : George Best, Bryan Robson, Eric Cantona, Beckham, Cristiano Ronaldo… Il refuse le champagne, préférant une petite bière dans une autre salle. On ne change pas les gens de Kampen…

The Beast

Sir Alex Ferguson, qui fait sa réapparition à Old Trafford après son hémorragie cérébrale, a également repéré Stam, et au coup de sifflet final, il se dirige vers son ancien élève. Les deux hommes tombent dans les bras l’un de l’autre et se regardent dans les yeux.  » Quel plaisir de vous revoir en bonne santé « , dit Stam. Ferguson est rayonnant.  » J’ai eu de la chance… et de bons médecins.  »

Il prend des nouvelles du Néerlandais et de sa famille. Un beau moment entre deux hommes qui ont partagé de grands succès et qui sont heureux de se revoir. Même si la séparation, en 2001, a été douloureuse. Stam avait prolongé son contrat, mais l’offre surprenante de la Lazio – plus de 25 millions – s’apparentait à un cadeau du ciel pour combler le trou dans le budget anglais.

Des années plus tard, Ferguson a parlé de la vente de Stam comme l’une des plus grandes erreurs de sa carrière de manager. Stam était  » énervé et déçu « , mais après Rome, il a encore atterri à l’AC Milan et – en 2007 – à l’Ajax. Pas mal. Il ne s’est donc pas perdu en chemin.

Fin décembre 2018, trois mois après son retour triomphal sur les terres de ses exploits à Manchester, Jaap Stam est présenté au stade MAC3PARK comme le successeur de John van ‘t Schip. PEC Zwolle est dans de sales draps et, selon un journaliste local, il est tout à fait logique que le club ait fait appel à lui dans ces circonstances.

 » PEC est à la recherche d’un homme à qui il faut marcher sur le corps pour passer « , dit l’homme. L’équipe, poursuit-il, a besoin de caractère et de confiance. Des caractéristiques qui sont celles de ce défenseur impitoyable, que l’on a affublé de surnoms tels que The Dutch Destroyer ou The Beast.

École néerlandaise

Stam :  » Tout le monde n’a pas la chance de me connaître comme entraîneur. Ce n’est pas parce que l’on engage Jaap Stam que l’on va se limiter à courir, à donner des coups, à aller au duel et à tacler. Ce n’est absolument pas le cas. Je suis issu de l’école néerlandaise et j’aime le football offensif et attractif, dans une structure déterminée.  »

Comme joueur, il a travaillé avec les plus grands entraîneurs : Ferguson, Louis van Gaal, Dick Advocaat, Guus Hiddink, Carlo Ancelotti… Et cela a laissé des traces. Le gestion des ressources humaines de Ferguson, qui peut à la fois se montrer très dur et très humain, l’a fortement impressionné, tout comme la manière qu’il avait d’analyser un joueur à la fois sur base de ses qualités footballistiques et de sa personnalité.

Une leçon du nouveau coach à ses ouailles.
Une leçon du nouveau coach à ses ouailles.© BELGAIMAGE

Il apprécie la combinaison du sport de haut niveau et de la liberté. Certaines équipes partent en mise au vert plusieurs jours avant un match de Ligue des Champions, mais Sir Alex réunissait les joueurs de Man U trois heures avant le coup d’envoi. Après le repas, on jouait encore un peu aux cartes ou on regardait la télévision. Et, même dans le vestiaire, il arrivait que l’on regarde encore les courses de chevaux.  » Plus relax que ça, tu meurs.  »

Un contraste saisissant avec Louis van Gaal, le sélectionneur de l’équipe des Pays-Bas. Lui, il chronométrait tout, et même l’ordre avec lequel les joueurs pouvaient aller se servir au buffet était bien établi.  » On n’expliquait jamais les règles aux nouveaux membres du staff. C’est ainsi qu’un jour, on a vu un nouveau physiothérapeute se lever pour aller se servir au buffet, et on attendait avec impatience la réaction de Louis. Elle ne s’est pas fait attendre. On a éclaté de rire. Bon, tous les coaches ont leur méthode. On peut apprendre de tous les entraîneurs, et on fait soi-même le tri entre ce qui est bon ou pas. Pour devenir entraîneur, il ne faut pas inventer la roue, elle existe déjà. Il faut simplement faire la différence en appliquant ses propres idées.  »

Coaching à la carte

Il devient entraîneur en octobre 2009, un an et demi après avoir arrêté sa carrière de joueur, dans le club qui s’appelait encore FC Zwolle. Quelques mois comme entraîneur intérimaire, en duo, comme assistant d’ Art Langeler après la trêve hivernale. Un choix obligé de la direction du club : Stam n’a pas encore son diplôme d’entraîneur. Et cela pourrait encore durer un certain temps avant qu’il l’obtienne…

Il aime toujours autant participer à l’entraînement, où il peut encore se montrer très fanatique, et force le respect. Mais il ignore encore, à ce moment-là, s’il a vraiment envie de devenir entraîneur.

Il restera trois ans à Zwolle, jusqu’en juin 2013, mais à ce moment-là, il est déjà actif à DeToekomst, le centre d’entraînement de l’Ajax. D’abord comme coach individuel, puis comme entraîneur des défenseurs et assistant de Frank de Boer. Durant l’été 2014, il reçoit son premier job comme T1, avec les Espoirs de l’Ajax, mais le club parle officiellement d’un duo avec Andries Ulderink. Car ses papiers ne sont toujours pas en ordre.

Mais, pour les jeunes footballeurs qu’il a sous ses ordres, on devine aisément qui est le patron.  » Jaap « , confirme Django Warmerdam, à l’époque un tout jeune joueur de DeToekomst et aujourd’hui un joueur du FC Groningen, dans l’hebdomadaire Voetbal International.

 » Quelqu’un est entré dans le vestiaire. Et cette personne a directement surpris par ses connaissances tactiques. Lorsqu’on parle de Jaap Stam, on pense à quelqu’un d’impassible mais c’est un fin tacticien et il discute individuellement avec les joueurs.  » Le coaching à la carte, en quelque sorte. Car il s’en est rendu compte tout au long de sa carrière : traiter tout le monde de la même manière, cela ne fonctionne pas.

Foot de combinaisons

Tout doucement, Stam se découvre une passion pour ce métier d’entraîneur, et en décembre 2014, son nom est évoqué dans Studio Voetbal, une émission de radio diffusée sur la chaîne publique néerlandaise, où Co Adriaanse – professeur aux cours d’entraîneur du football professionnel – parle de son élève.

 » Il a arrêté. Subitement, il avait disparu. Ce n’était pas une question de niveau ou de quantité de travail, mais il avait des problèmes à devoir s’asseoir dans une classe. Ces journées, durant lesquelles on est enfermé dans un local avec 17 autres élèves pour écouter les exposés des professeurs et des experts, font partie du cursus. Mais ce n’était pas fait pour Jaap. Dommage qu’un joueur d’une telle réputation, et aussi attentionné, ne puisse pas décrocher son diplôme.  »

Mais il finira pas l’obtenir. La Fédération Néerlandaise a conçu un programme taillé sur mesure pour Stam, qui le suivra encore au cours des prochaines années.

Il trouve directement de l’embauche dans son pays préféré. Pas en Premier League, mais juste en dessous, en Championship, et plus précisément au Reading Football Club. Un choc culturel. Pour lui et pour les joueurs. Il met fin au kick and rush, qui était ancré dans les gènes là-bas, et ne jure que par le football de combinaisons sur toute la longueur du terrain.

Pas le chemin le plus facile, comme on s’en est aperçu lors des premières démonstrations, où les ballons volaient dans tous les sens. Mais il tient bon : il explique, encourage. Joey van den Berg, le seul Néerlandais dans l’effectif des Royals, a encore connu Stam comme assistant à Zwolle et est impressionné par son évolution.

 » Rarement un entraîneur aura été aussi différent de ce qu’il était comme joueur. Une brute? Je ne pense pas. On construit depuis l’arrière, tout est bien conçu.  »

Le foot dans le sang

Il hisse Reading à la troisième place du classement et qualifie le club pour la finale des play-offs à Wembley, mais échoue dans ce qu’il faut considérer comme le match de football le plus cher du monde (une promotion en Premier League équivaut au minimum à 220 millions d’euros). Les Royals s’inclinent aux tirs au but contre Huddersfield Town.

Confirmer est toujours difficile, mais il s’y attendait, surtout après le départ de plusieurs joueurs. La direction promet du sang neuf, mais les nouveaux propriétaires chinois n’ont pas été en mesure de tenir leurs promesses. Il n’a cependant jamais cessé de croire en lui-même et en sa philosophie.

En mars, il est démis de ses fonctions. Il considère ce limogeage comme une défaite, mais cela fait aussi partie du processus d’apprentissage. Il retourne aux Pays-Bas et, pendant quelques mois, dispensera des entraînements aux jeunes du… VV Hoonhorst, un petit club amateur de la province d’Overijssel.

Il a le football dans le sang. Et lorsque PEC frappe à sa porte, huit mois après son licenciement, il retourne auprès de son amour de jeunesse. Sous la houlette de Stam, le club s’extrait de la zone dangereuse. Il travaille tellement bien qu’en mars – en pleine lutte contre la relégation – on apprend qu’il prendra la succession de Giovanni van Bronckhorst à Feyenoord la saison suivante.

Une surprise, car le directeur technique Martin van Geel jurait ses grands dieux qu’il attirerait Dick Advocaat – 71 ans! – au Kuip. Mais le Petit Général, choqué par les réactions négatives des supporters, décline. Et donc, Van Geel se rabat sur le favori des AmisdeFeyenoord, un groupe d’investisseurs très influent qui détient 49% des parts du club et qui, pendant le stage hivernal à Marbella, avait déjà discuté avec l’un des représentants de Stam.

Ce sera compliqué, avait-il répondu, car il avait signé jusqu’en 2020. Un verre de bière à la main, les hommes d’affaires avaient une réponse toute prête.  » Si Feyenoord veut l’entraîneur de PEC, Feyenoord aura l’entraîneur de PEC.  » Un deuxième choix est donc subitement devenu un premier choix.

Avec nos remerciements à Voetbal International.

Fiche Jaap Stam

Né le : 17 juillet 1972 (47 ans) à Kampen.

Joueur : DOS Kampen (1988-1992), FC Zwolle (1992-1993), Cambuur Leeuwarden (1993-1995), Willem II (1995), PSV (1996-1998), Manchester United (1998-2001), Lazio (2001-2004), AC Milan (2004-2006), Ajax (2006-2007)

International : 67 sélections (1996-2004)

Entraîneur : FC Zwolle (2009, intérimaire), PEC Zwolle (2010-2013, entraîneur adjoint), Ajax (2011-2012, entraîneur individuel), Ajax (2013-2014, assistant et entraîneur individuel), Ajax Espoirs (2014-2016, T1), Reading (2016-2018), PEC Zwolle (2018-2019, entraîneur), Feyenoord (2019-)

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