Stage de survie

Les Brabançons ont connu des aventures extrêmes dans la terre d’origine de leur coach.

Chaque année, les clichés des stages ressortent. Des joueurs reprenant le collier sur des billards alors que le froid ou la pluie sévissent sous nos latitudes. Les mêmes noms reviennent : La Manga, l’Espagne, la Turquie. Et pour expliquer les bénéfices d’un stage, les mêmes poncifs resurgissent :  » Cela doit nous servir de base pour la suite de la saison  » ou  » Il faut éliminer les toxines des fêtes « , ou encore  » Le travail avance mieux à des températures clémentes que dans des conditions météo typiquement belges « . Mais, 2009 déroge à la règle…

D’abord, c’est la crise pour tout le monde et puis, c’est la première année en D1 de l’irréductible Tubize. Depuis l’entame de la saison, le club brabançon ne fait rien comme les autres. Direction, les Vosges pour suivre les troupes d’ Albert Cartier. On aborde la poudreuse dans les premiers lacets du col de la Croix des Moinats. Et puis, au creux de la vallée, entourée des monts vosgiens surgit La Bresse, terre d’accueil pour ce véritable stage de survie.

Arrivé lundi soir, 5 janvier, le noyau n’aura touché un ballon que le mercredi… Là où d’autres vont peaufiner leurs automatismes, Tubize cultive la solidarité et la combativité. Et quand d’autres vont se tourner vers la diététique, Tubize passe ses soirées dans un refuge au milieu des bois à se délecter de Munster fondu, le fromage local. Les goûters se passent dans une étable au milieu des vaches et autour d’un chocolat chaud. Lait tout frais, traite de vaches à midi, s’il vous plaît…

 » Au départ, on voulait partir comme tout le monde en Turquie « , explique le manager général, Louis Derwa.  » Mais on a reculé à cause des prix. Puis, Albert Cartier m’a parlé vaguement des Vosges. Sans grande conviction. Je lui ai dit – Mais c’est exactement cela qu’il nous faut.  »

Cartier :  » J’ai suggéré l’idée mais je ne voulais pas trop pousser dans cette direction. Mais Louis a immédiatement accepté. A 8 h 30, je lui fournissais les devis. A 10 h 15, tout était réservé. « Le lieu (La Bresse), c’est bien mais encore fallait-il se démarquer de la concurrence et innover. Et pour cela, on pouvait faire confiance à Cartier, né à quelques encablures de là :  » J’habitais à Vagney. Ces routes, je les connais par c£ur. C’est dans ces montagnes que je faisais du ski de fond en hiver quand j’étais jeune et du cyclisme en été. Je n’ai plus de famille dans la région mais je prends toujours autant de plaisir à y revenir. « 

Et avec Cartier, le plaisir devient vite communicatif. Même s’il n’est jamais loin de la souffrance. Pendant quatre jours, les joueurs vont enchaîner les activités physiques à une cadence infernale. Levés à 7 h 30, partis à 8 h 30. Une pause à midi (mais souvent en pleine nature) pour le dîner. Une autre le soir pour le souper. Retour au gîte à 22 h 30. Car, ici, pas d’hôtel 4 ou 5 étoiles. Pour logement : un gîte rural, décoration montagnarde, et des chambres de trois.  » Ils doivent gérer leur chambre, leur espace « , explique Cartier.  » Ce sont les joueurs qui doivent faire leur lit. Il n’y a pas de TV. Ils doivent ainsi engager la conversation, apprendre à mieux se connaître. Ils disposent d’une pièce à eux pour jouer aux cartes. Ils doivent préparer leur café et faire leur vaisselle.  » Et pas de GSM en journée !

 » Nous avons un noyau qui a beaucoup travaillé depuis juillet « , explique Derwa.  » Ce groupe est formé de joueurs revanchards, désireux de relever un nouveau challenge. Certains avaient été freinés par une blessure, d’autres n’avaient plus joué depuis plusieurs mois. L’effort consenti fut double pour tous ces éléments. Il fallait donc se régénérer. Nous sommes un club particulier, qui vit une situation particulière. Nous avons donc misé sur un stage particulier. Le projet proposé par Cartier collait à notre situation. « 

En raquettes dans le blizzard

 » Il fallait recréer un esprit combatif « , enchaîne Cartier,  » Pendant les vacances, un joueur a tendance à se replier sur lui-même. Et pour de nouveau penser en équipe et aux autres, rien de mieux que de vivre dans un contexte différent. Ici, les joueurs doivent s’adapter et rester lucides. Il y a une part de risques, une autre d’initiatives. Il faut savoir gérer cela. Les Brésiliens ont fait connaissance avec la neige et quand je vois leur progrès en ski de fond en deux jours, je ne peux que me montrer satisfait. « 

Mercredi 17 h 30. Après une longue journée (football le matin et parcours aventures l’après-midi), le clou du spectacle. Promenade en raquettes, au pied d’un col, à la lueur d’une lampe torche (ben oui, la ballade en journée avait eu lieu la veille, il fallait bien compliquer la donne…). Le tout dans le blizzard. Après une demi-heure de marche, la fatigue de la journée se fait sentir. Les premiers propos cyniques fusent.  » Comme on n’a pas pris de défibrillateur avec nous, je propose qu’on stoppe la randonnée « , lâche le capitaine, Grégoire Neels.

 » Tout ouvrier travaillant la nuit est payé double « , renchérit Gregory Dufer. 20 h 30, arrivée dans une ferme. Le bus est resté à un kilomètre de là, bloqué par la neige. Au menu, repas récupérateur : £ufs, munster, charcuterie et tarte aux myrtilles. Les joueurs, épuisés, ont encore la force de lâcher quelques feintes.  » C’est la première fois que je fais quatre sports de suite sans prendre une douche « , dit Jason Vandelanoitte.  » Le prochain peloton belge qui part en Afghanistan, c’est Tubize « , soutient Dufer. Dans son coin, Cartier jubile :  » Et demain, c’est la grosse journée !  »

Au milieu des vaches

Et la grosse journée arrive. Ce n’est que le matin que les joueurs découvrent leur programme. Ski de fond pour débuter. Dîner dans un refuge, au milieu des bois. Pour les rejoindre, nous devons prendre des chemins de montagne, à même la neige et laisser la voiture à 45 minutes du refuge, pour finir à pied. Car la montée en voiture ne se fait pas sans heurts. L’auto (pourtant équipée de pneus neige) dérape plus d’une fois et finit finalement dans le fossé. Les dirigeants de Tubize ne nous laissent pas tomber et Derwa, Theo Buelinckx, Michel Lekime, le secrétaire, et Jean-Claude Bricmaan retroussent leurs manches. En un quart d’heure, à l’aide de rondins et de troncs d’arbre faisant office de leviers, la voiture est remise sur la route.

Raquette l’après-midi et goûter dans une étable, au milieu des vaches.  » Lors de chaque balade, je m’arrête pour leur parler de la géographie « , affirme Cartier.  » Je leur décris le paysage.  » A l’étable, les agriculteurs parlent de leur métier. Le silence est de mise. Certains posent des questions. D’autres se régalent du chocolat chaud.  » Comme cela, ils ont vu que le lait n’était pas fabriqué chez Delhaize. Certains n’avaient jamais aperçu de vaches dans leur vie « , rigole l’entraîneur.

La communion est totale. Derwa est pris à parti par une dizaine de joueurs. Il finira complètement enneigé.  » On ne veut pas en faire des skieurs de fond « , se défend Cartier,  » mais on veut qu’ils s’engagent, qu’ils montrent leurs aptitudes dans des moments extrêmes. Les journées sont longues. Or, les gars sont habitués à travailler généralement dans des espaces-temps très courts. Ici, ils doivent enchaîner les activités, sans repos. Ils sont obligés d’être concentrés pendant 12 heures car on ne rigole pas avec la montagne. « 

Réflexion de Dufer :  » Je pense que de toute façon, si tu fais la sieste, tu ne te réveilles plus ( il rit).  »

Le soir, dernière activité : descente en poulies sur le Fantasticable, attraction de La Bresse. Il s’agit d’une plongée dans le vide sur 1,3 km, couché, attaché à un câble. A près de 100 km/h. Tout le monde s’y plie, sauf Dufer, paralysé par le vertige et chambré par le moniteur devant tout le groupe.  » Je suis content quand je vois les mines des joueurs « , sourit Cartier.

Le vendredi, la délégation prend la direction de la Belgique vers 12 h 30. Pourtant, cette demi-journée doit être exploitée comme il se doit :  » Les joueurs se croient déjà en vacances. Ils vont regretter les raquettes et le ski de fond « , se marre Cartier. Un jogging d’une heure, dans la neige et en montée.  » Les joueurs râlent mais cela fonctionne car ce sont des compétiteurs. Dans six jours, six mois ou six ans, ils reparleront de ce stage. Soyez-en certains ! « 

Le stage de Tubize est terminé. Son aspect unique l’a rendu extraordinaire.  » Du ballon, on en voit tous les jours et physiquement, on est surentraîné par Michel Bertinchamps, le préparateur physique. Ici, on a vécu une fatigue différente « , conclut Alan Haydock.

par stéphane vande velde – photos : michel gouverneur

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